18 juillet 2018

Pour une politique transcendante

© Droits réservés. Reproduction interdite sauf autorisation de l'auteur

Il faut dire clairement ce que nous entendons par «politique» : pas décrire un théâtre d’ombres, ou dresser un état de lieux dont chacun voit bien qu’ils sont dévastés, pas non plus s’inscrire dans une prospective mécaniste où ce qui est continue indéfiniment à être, mais détecter ou introduire de la transcendance dans la vie de la société, éclairer par là-même les fractures d’un Etant et esquisser un Devenir différent. Pas question donc de description, mais de révolution. De la révolution telle que définie par Garaudy : «Une révolution, ce n’est ni une bourrasque de violence ni un simple changement des équipes au pouvoir; une révolution, c’est, dans la vie d’un peuple, ce qu’est une conversion dans la vie d’un homme, c’est-à-dire un changement radical des fins, des valeurs et du sens de la vie et de l’histoire». 
Cette définition nous permet d’explorer ce que peut être une politique transcendante.

Une révolution c’est pour un peuple comme une conversion pour un homme, «un changement radical des fins, des valeurs et du sens de la vie et de l’histoire». Ce qu’Alain Badiou nomme «processus de vérité».
Qu’est-ce qu’une conversion ? Au sens premier, dit le Larousse, c’est passer de l’incroyance à une croyance, ou changer de croyance, spécialement en matière religieuse. La sécheresse de ces définitions ne rend pas compte du séisme qu’est pour un être humain une authentique conversion, non imposée administrativement, socialement ou psychologiquement, mais au contraire volontaire et vécue en vérité, c’est-à-dire en totale sincérité.
La psychologie n’explique rien de la conversion d’une femme ou d’un homme. Dans une conférence prononcée à Alger en 1986 , Roger Garaudy dit l’impossibilité à expliquer ou simplement décrire le processus de conversion de l’extérieur: «La psychologie peut […] étudier […] toutes les formes de l’aliénation humaine, mais pas les conversions ni les créations, tout ce qui est le propre de l’homme. J’apprends plus sur l’homme dans un roman de Dostoïevski, dans les Upanishads de l’Inde, chez Tchouang Tsen en Chine, ou dans un poème de Roumi ou d’Attar, que dans les traités de psychanalyse ou de psychologie». Et, dénonçant l’influence négative de la psychanalyse, il poursuit: «Cette mécanique des instincts et des pulsions tend à adapter l’homme au désordre social établi, et non pas à lui enseigner comment changer un monde aliénant pour en faire un monde donnant à l’homme la possibilité de s’épanouir humainement […] En réduisant, en confondant une prétendue libération sexuelle avec la libération humaine, elle détourne en défoulement individuel  les forces qui pourraient subvertir un ordre social et politique aliénant».
Pour rompre avec l’aliénation, je dois me convertir, me transcender, créer en moi directement ou indirectement un évènement qui ne s’inscrit pas dans l’ordre «normal» du monde de l’aliénation. Les conditions matérielles et morales aliénantes existantes ne peuvent me conduire à cette rupture. A la naissance du révolutionnaire il y a, comme dans la conversion, ce que Garaudy nomme «un acte de foi». On ne nait pas révolutionnaire, on le devient. Aragon présente ainsi les choses :
«Il me faut bien à la fin des fins atteindre une mesure à ma démesure
  Pour à la taille de la réalité faire un manteau de mes fictions» . 

L’acte de foi c’est ce moment où l’homme aliéné brise ses chaînes et devient un révolutionnaire. A partir de ce moment, il utilise les sciences et les techniques non pour en faire les fins de la révolution, qui sont bien plus grandes, mais pour les mettre à son service.

Alain Raynaud

(Pour celles et ceux qui sont intéressé.e.s par ce texte, je peux fournir sur leur demande les références des citations, que je n'indique pas d'emblée pour ne pas surcharger la lecture)