22 juillet 2011

Biographie de Roger Garaudy par Michel Dreyfus (dans le Maitron)

 Voici la biographie - partielle, partiale et d'un à-peu-près outrageusement partisan - que le "Maitron" (dictionnaire du mouvement ouvrier et du mouvement social) dresse de Roger Garaudy:

GARAUDY Roger, Jean, Charles

Né le 17 juillet 1913 à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; professeur de philosophie ; dirigeant du Parti communiste français, directeur du Centre d’études et de recherches marxistes (CERM) de 1956 à 1969, exclu du PCF en 1970 ; animateur des Centres d’initiative communiste (1970-1974) ; converti à l’Islam en 1982 ; défenseur d’un « antisionisme » de plus en plus proche du négationnisme ; député du Tarn (1946-1951), député (1956-1958) puis sénateur de la Seine (1959-1962).

Roger Garaudy naquit à Marseille dans une famille petite bourgeoise dont il fut le fils unique. Sa mère, Marie Maurin, était modiste. Son père, Charles, comptable ou employé de commerce, revint de la Grande Guerre « physiquement diminué et mentalement traumatisé » (Michaël Prazan, Adrien Minard, Roger Garaudy. Itinéraire d’une négation, p. 55), ce qui explique que le petit Roger devînt pupille de la Nation. Il fit ses études au lycée de Marseille, au lycée Henri-IV à Paris, à la Faculté d’Aix et enfin à la Faculté des lettres de Strasbourg en 1935-1936. À l’issue de cette année universitaire, il fut reçu à l’agrégation de philosophie.
Issu d’une famille athée, il s’était converti au protestantisme à l’âge de quatorze ans. Les raisons de cette conversion demeurent inconnues : voulait-il ainsi rompre avec l’athéisme familial ? En 1933, il adhéra au Parti communiste sans cesser d’être chrétien et, dans les trois ans qui suivirent, assista à Aix-en-Provence aux conférences de Maurice Blondel, peut-être sous l’influence d’Henriette Vialatte qui, jeune catholique, allait alors devenir bientôt sa première épouse. À Strasbourg, il se lia au Cercle évangélique et fréquenta des théologiens ; il s’intéressait à cette époque à la pensée de Karl Barth et de Kierkegaard. Mais, pendant les mêmes années, il se plongea avec passion et méthode dans l’œuvre de Karl Marx.
Il fut nommé en 1936 professeur de philosophie au lycée d’Albi (Tarn) et y occupa le poste qui avait été celui de Jean Jaurès. Probablement influencé par un tel souvenir, il se mit à étudier avec attention l’œuvre du grand dirigeant socialiste. En 1937, il écrivit un roman, Le premier jour de ma vie, dont il envoya le manuscrit à Romain Rolland* qu’il admirait également beaucoup. Celui-ci prit la peine de lui répondre une longue lettre d’encouragement.

C’est également en 1937 que Roger Garaudy fut élu membre du bureau de la fédération communiste du Tarn. Dans ce département, il connut à Noailles « le père Dupont », un patriarche du socialisme français « qui avait seize ans au temps de la Commune de Paris ». Roger Garaudy rencontra chez ce dernier Maurice Thorez. et ce à l’heure où le PC pratiquait une politique d’ouverture : l’itinéraire intellectuel de Roger Garaudy ne pouvait qu’intéresser le secrétaire du Parti communiste qui, quelques mois plus tôt, avait parlé de la nécessité de la « main tendue » aux catholiques. Cette rencontre marqua le début d’une amitié entre les deux hommes qui dura jusqu’à la mort de Maurice Thorez en 1964. Ces liens expliquent largement la carrière de Roger Garaudy, comme il le dit lui-même : « Jusqu’à sa mort, Maurice a gardé la main sur moi, me faisant accéder jusqu’au sommet de la direction du parti et me protégeant de tous les sectarismes » (Roger Garaudy, Mon tour du monde en solitaire. Mémoires, p. 43, cité par Michaël Prazan et Adrien Minard, p. 59). Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, Roger Garaudy milita activement dans la fédération communiste du Tarn aux côtés d’Élie Augustin, ancien secrétaire fédéral du parti, arrêté en septembre 1940, interné et mort d’épuisement au camp de Bossuet (Algérie).

Lors de la déclaration de guerre, en 1939, Roger Garaudy, soldat de deuxième classe, fut versé dans une division d’infanterie nord-africaine en raison de son activité militante antérieure : il était considéré comme un dangereux « propagandiste-révolutionnaire ». Il se battit courageusement sur le front de la Somme et obtint la Croix de guerre. Après la débâcle de 1940, il revint dans le Tarn et, dans ce département, s’attela à la reconstitution du Parti communiste, mais il fut arrêté le 14 septembre 1940 comme « individu dangereux pour la défense nationale et la sécurité publique ». De prisons en camps, il fut interné dans le Tarn, puis en Afrique du Nord à Djelfa et dans d’autres camps. Au camp de Bossuet, lors de l’hiver 1941, il monta un spectacle « sur le double thème de la Vieille chanson française et des Chants du Travail » avec un certain nombre d’emprisonnés qui avaient noms Léon Feix, Roger Codou, Henri Crespin, Élie Duguet, Sauveur Albino*, André Moine*, Jérôme Favard, André Parinaud*, Luce Mousset*, Pierre Saquet*, Jean Mecker*, Louis Gautrand* et Michel Leymarie*. Tous ces militants arrivèrent même à faire publier ces chants « à l’occasion d’une nouvelle fête organisée à Bossuet le 14 juin 1942 au profit des prisonniers de guerre » sous le titre de Chants du travail.
Roger Garaudy fut délivré en février 1943. Il vécut un an à Alger et fut d’abord rédacteur en chef du journal parlé de Radio-France pendant deux mois ; il fut ensuite professeur de première supérieure au lycée Delacroix pendant quelque temps mais démissionna assez rapidement de ce poste pour devenir le collaborateur d’André Marty et travailler à l’hebdomadaire Liberté. Il rentra en France en octobre 1944 et fut alors permanent du Parti communiste français jusqu’en 1962.

En 1946, il fut élu député du Tarn. Dans le cadre de son mandat, il organisa en 1947 la relance de la Verrerie ouvrière d’Albi créée par Jean Jaurès. C’est alors qu’il aurait rencontré celle qui allait devenir ultérieurement sa seconde épouse. En 1948, Roger Garaudy soutint les mineurs de Carmaux durant leur grève. Battu aux élections de 1951, il revint alors dans l’enseignement et fut professeur de philosophie au lycée de Saint-Maur (Seine, Val-de-Marne).
Le 25 juin 1953, Roger Garaudy soutint une thèse en Sorbonne sur la théorie matérialiste de la connaissance. Il avait été dirigé dans cette recherche par Gaston Bachelard, semble-t-il de façon lointaine ; il obtint une « Mention très honorable ». Selon Michaël Prazan et Adrien Minard (op. cit., p. 86), Roger Garaudy, dans ce travail comme dans plusieurs livres qu’il publia dans les mêmes années, se serait révélé « au mieux (comme) un malhabile compilateur, au pire (comme) un vulgaire usurpateur ». D’octobre 1953 à août 1954, Roger Garaudy fit un séjour en Union soviétique pour parfaire sa formation ; le 25 mai 1954, il fut, à Moscou, fait docteur ès sciences philosophiques de l’Académie des sciences de l’URSS. De retour en France, il devint véritablement le philosophe officiel du Parti communiste français. Élu député de la Seine en janvier 1956, il devint en 1959 directeur du Centre d’études et de recherches marxistes (CERM) ; la même année, il fut élu sénateur. En 1962, il fut nommé maître assistant à la Faculté des lettres de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) ; il aurait obtenu ce poste en dépit de l’opposition de Michel Foucault qui dirigeait alors la section philosophie de cette université et qui eut par la suite de très mauvais rapports avec lui. En 1965, Roger Garaudy fut nommé à l’Université de Poitiers (Vienne) où il devint professeur titulaire en 1969, avant de prendre sa retraite de l’enseignement supérieur en 1973.

Le rôle de Roger Garaudy au sein du PCF fut important et l’on ne peut qu’en évoquer brièvement les principaux aspects. En juillet 1945, à l’issue du Xe congrès du PCF, il devint membre suppléant du comité central ; il devait y être titularisé à l’issue du XIIe congrès (avril 1950). En 1949, il intervint comme témoin pour les Lettres françaises dans le cadre du procès en diffamation qui opposa Victor Kravchenko, l’auteur de J’ai choisi la liberté, à cet hebdomadaire communiste. Roger Garaudy participa activement à la célébration du 70e anniversaire de Staline en décembre 1949. En novembre 1951, il intervint dans le débat sur la stratégie du Parti communiste auprès de la jeunesse, en se prononçant pour la disparition de l’Union de la jeunesse républicaine de France (UJRF), organisation « large » qui avait succédé en avril 1945 à la Jeunesse communiste. Il expliquait cette position par le fait que si la création de l’UJRF avait été parfaitement justifiée en raison du poids qu’avait alors « l’esprit national », les temps avaient changé » : « l’esprit de classe » ayant repris le dessus, il fallait revenir à une organisation d’avant-garde. Cette position qui fut combattue par Auguste Lecœur* et Waldeck Rochet* s’explique sans doute par le flottement que connaissait alors le PCF en l’absence de Maurice Thorez, parti se soigner à Moscou depuis l’année précédente. À l’automne 1953, Roger Garaudy fit son premier voyage en URSS dans la délégation française qui assista au XIXe congrès du Parti communiste d’Union soviétique. Il fut élu suppléant au bureau politique en 1956 avant d’en devenir membre titulaire en 1961. Tout en faisant de nombreux voyages à l’étranger, il fut correspondant de l’Humanité en Union soviétique pendant un an. En tant que directeur du CERM de 1959 à 1969, il fut organisateur des « Semaines de la pensée marxiste ». Pendant toute cette période, il s’efforça, en tant que membre du Parti communiste, de dialoguer avec des représentants du christianisme, de l’existentialisme et du structuralisme aussi bien lors d’innombrables conférences, colloques et rencontres que par l’écrit.

C’est à la suite du mouvement de Mai 68 en France que Roger Garaudy commença à être en désaccord avec le Parti communiste. Il demanda que « le parti prenne en charge les aspirations nouvelles qui se faisaient jour chez les étudiants comme chez les ouvriers ». Il proposa des analyses dans la perspective de « l’union de tous ceux qui avaient la même visée historique à long terme que la classe ouvrière », ce qu’il appelait « le bloc historique nouveau ». Quelques mois après, lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie en août 1968, il refusa de considérer cet épisode « comme une erreur » mais considéra cette invasion « dans la logique interne d’un système qui n’est pas le socialisme ». Il reprocha enfin au programme du Parti communiste lors de son XIXe congrès en février 1970 de « n’être qu’un replâtrage, de ne pas mettre en cause le modèle de croissance et de se contenter de proposer des nationalisations sans lutter pour socialiser les décisions ». Après être intervenu dans ce congrès, il fut exclu. Pendant quelques années, il fit paraître un journal Action, mensuel des Centres d’initiative communiste, de novembre 1970 à 1974. Dans ces années, sa grande curiosité ainsi que ses prétentions intellectuelles qui ne l’étaient pas moins l’amenèrent à rechercher dans les directions les plus diverses – du maoïsme à l’écologie en passant par l’autogestion – des solutions politiques et sociales, marquées par l’esprit post-68. Il adhéra à la théologie de la Libération, mouvement social et religieux animé depuis le début des années 1960 par des catholiques progressistes en Amérique latine. Durant cette décennie, il parcourut le monde – de l’Afrique à l’Asie, en passant par la Chine et les États-Unis – tout en se passionnant pour la danse et en publiant tous les ans un ouvrage sur les sujets les plus variés. Puis, après avoir envisagé de présenter sa propre candidature lors des élections présidentielles de mai 1981, il prit position pour François Mitterrand*.

L’année suivante, Roger Garaudy se convertit à l’Islam et l’annonça publiquement en juillet 1983 dans le journal Le Monde. Dès lors, il s’éleva de façon véhémente contre le mépris avec lequel l’islam était, selon lui, traité en Occident. En 1982, Roger Garaudy avait dénoncé l’opération israélienne au Liban, qualifiant Israël d’État raciste visant « à la guerre permanente et à la suppression du peuple palestinien ». Il se lia alors avec un milieu arabophile et antisioniste et des militants d’extrême-droite. Selon Michaël Prazan et Adrien Minard, il aurait été, depuis 1982, en contact avec Pierre Guillaume, l’animateur de la librairie La Vieille Taupe ; de son côté, Aurélie Cardin, dans un mémoire de maîtrise consacré à L’Affaire Garaudy/Abbé Pierre dans la presse, (janvier 1996-décembre 1998), situe cette rencontre au début des années 1990. Quelles que soient les incertitudes subsistant sur la date de cette rencontre, Pierre Guillaume devait désormais jouer un rôle important dans l’itinéraire de Roger Garaudy.
En 1965, Pierre Guillaume, qui se situait alors dans la mouvance de l’ultra gauche, avait fondé la libraire militante La Vieille Taupe. Mais sa découverte, au début des années 1970, des écrits révisionnistes et antisémites de Paul Rassinier ainsi que d’un texte d’Amadeo Bordiga, un des trois fondateurs historiques du Parti communiste italien, (Auschwitz ou le grand alibi, écrit en 1960) l’amenèrent à une évolution déconcertante. Pierre Guillaume adopta d’abord les thèses révisionnistes de Paul Rassinier pour qui le génocide des juifs avait été très fortement exagéré. Cette banalisation d’Auschwitz le conduisit ensuite, avec quelques-uns de ses proches, au négationnisme. Ce terme fut fondé en 1987 par deux historiens, Jean-Pierre Rioux et Henry Rousso, et les mots ont ici toute leur importance : alors que les révisionnistes – Paul Rassinier mais aussi l’intellectuel d’extrême-droite Maurice Bardèche – prétendaient faire œuvre historique en « révisant » ce que l’on savait sur le génocide des juifs durant la Seconde Guerre mondiale, les négationnistes affirmaient que ce génocide était une pure invention. Un nouveau venu, l’universitaire Robert Faurisson, se fit alors le principal propagateur du négationnisme : lors d’un colloque universitaire tenu à l’Université de Lyon en 1978, il affirma que « ces chambres à gaz, cette extermination, ce génocide n’avaient jamais existé que dans des imaginations enfiévrées par la propagande de guerre et de haine ». C’est alors que Pierre Guillaume décida de soutenir Robert Faurisson et que, de révisionniste, il devint négationniste. Le négationnisme se développa à l’heure où la connaissance du génocide des juifs progressait rapidement au sein de la société française en raison des travaux que lui consacraient plusieurs historiens, étrangers pour la plupart. Mais ces travaux étaient tout simplement ignorés par les négationnistes.
En 1983, Roger Garaudy avait expliqué dans L’Affaire Israël que le sionisme, qui repose sur une discrimination raciale, isolait les juifs du reste de l’humanité. Il considérait également le sionisme comme un phénomène colonial puisqu’il avait fondé un État sur des terres spoliées où les juifs n’avaient aucun droit. Trois ans plus tard, dans Palestine, terre de messages divins, Roger Garaudy avança la thèse du complot juif mondial à travers l’histoire de l’Organisation sioniste mondiale, créée en 1997 au congrès de Bâle. La notion d’un complot juif mondial n’était pas sans évoquer « l’argumentation » employée par les Protocoles des sages de Sion, le principal bréviaire de l’antisémitisme qui, rédigé de 1898 à 1901, devait avoir une influence considérable tout au long du XXe siècle dans de nombreux pays, notamment en Allemagne à partir du début des années 1920, et sur Adolf Hitler qui n’était alors qu’un obscur agitateur.
L’évolution de la pensée de Roger Garaudy aboutit en 1995 à la publication des Mythes fondateurs de l’État d’Israël. Sans se revendiquer explicitement des écrits de Robert Faurisson, Roger Garaudy se demandait dans ce livre s’il y avait bien eu « un génocide des Juifs » (p. 151 de l’édition Samiszdat, 1996) et s’il n’était pas « nécessaire de recourir à d’autres méthodes pour expliquer la terrible mortalité qui frappa les victimes de tels traitements, et d’exagérer démesurément le nombre au risque d’être obligés ensuite de le réviser en baisse ? » (p. 158). Comme le note Valérie Igounet, (op. cit., p. 474), Roger Garaudy estimait ne pas nier les « atroces souffrances » subies par les juifs ni les camps de concentration, mais contestait la « monopolisation de cette souffrance par le peuple juif et l’exagération des chiffres ». Ce livre où s’accumulaient confusions et erreurs de toutes sortes se caractérisait par une absence des règles élémentaires de la production historique dans un domaine où les recherches étaient pourtant considérables, comme le releva notamment l’historien Pierre Vidal-Naquet* dans Le Monde du 4 mai 1996. Cette compilation était représentative du manque de rigueur dont étaient empreints de nombreux ouvrages de Roger Garaudy, notamment sa production philosophique du temps où, au PCF, il régentait les intellectuels. Publié d’abord confidentiellement en 1995 par La Vieille Taupe, cet ouvrage le fut l’année suivante par les éditions Samiszdat, librairie d’extrême-droite proche des milieux négationnistes. Révélée par Le Canard enchaîné en janvier 1996, cette publication fit alors l’objet de poursuites engagées dans le cadre de la loi Gayssot. Votée en 1990, cette dernière visait « à réprimer tout propos raciste, antisémite ou xénophobe », en particulier toute contestation de l’existence des crimes contre l’humanité, tels qu’ils avaient été définis dans le statut du tribunal militaire de Nuremberg en 1945-1946. Ces poursuites apportèrent à l’ouvrage un retentissement considérable au cours d’un procès qui se tint au printemps 1996. D’abord en raison de la défense médiatisée que fit de Roger Garaudy l’avocat Jacques Vergès : ce dernier qui avait défendu des militants du FLN durant la guerre d’Algérie avait, en 1987, organisé la défense de Klaus Barbie, l’ancien chef de la Gestapo à Lyon durant la guerre. Ensuite grâce au soutien, aussi inespéré qu’inattendu, apporté en avril 1996 à Roger Garaudy par l’abbé Pierre (voir Henri Grouès*) qui battait alors tous les records de popularité dans le cœur des Français. Le scandale fut énorme. Le 21 janvier 1998, Roger Garaudy fut condamné pour contestation de crimes contre l’humanité et diffamation raciale, jugement confirmé en appel le 16 décembre 1998. Le recours de Roger Garaudy devant la Cour européenne des droits de l’homme fut également rejeté.
Le soutien de l’Abbé Pierre donna à l’affaire Garaudy une dimension nationale qui alla bien au-delà des petits milieux négationnistes, même si la classe politique unanime condamna la position de l’Abbé Pierre. Roger Garaudy put alors se poser en victime de ses idées et, dès lors, apporta une caution intellectuelle non négligeable à la diffusion du négationnisme dans de nombreux pays arabes où il fut accueilli comme un intellectuel courageux, voire comme un héros. Dans les années qui suivirent, il publia plusieurs ouvrages de la même veine.

Les convictions anticolonialistes et tiers-mondistes de Roger Garaudy, son engagement en faveur du peuple palestinien et enfin son hostilité croissante à l’égard de l’État d’Israël, à partir d’un dossier complexe qu’il ne maîtrisait pas, contribuèrent largement à façonner une trajectoire si déroutante. À cela s’ajoutèrent deux facteurs relevant de la personnalité de Roger Garaudy. D’une part, le très vaste éclectisme dont il fit preuve tout du long de sa carrière l’empêcha d’approfondir les questions sur lesquelles il s’exprima : telle est la raison pour laquelle il ne reste aujourd’hui que bien peu de ses nombreux ouvrages. D’autre part, sa soif de pouvoir et son ambition d’être reconnu comme un grand intellectuel expliquent ses multiples revirements. Ces traits de caractère se retrouvent dans un entretien qu’il accorda le 23 janvier 2006 à Michaël Prazan et Adrien Minard (op. cit., p. 407 et 411-412), dans lequel il évoquait le temps où il était reçu par de nombreux chefs d’État, des artistes, etc., et où il se considérait comme « le troisième plus haut dirigeant » du PCF après Thorez. Dans la même interview, Roger Garaudy continuait de se défendre de tout antisémitisme tout en admettant que la publication des Mythes fondateurs « chez l’éditeur de Faurisson, La Vieille Taupe, (pouvait être considérée comme) suspect(e) » et que « si c’était à refaire, (il) ne referai(t) peut-être pas ».

Marié à Marseille en novembre 1937 avec Henriette Vialatte, divorcé en 1966, Roger Garaudy se remaria en juin 1966 à Chennevières-sur-Marne (Val-de-Marne) avec Paulette Gayraud, puis, en 1982 ou en 1983 avec Salma Al-Farouki.
ŒUVRE CHOISIE : De 1939 à 2004, Roger Garaudy a publié 80 ouvrages. Leur liste figure in Michaël Prazan et Adrien Minard, Roger Garaudy, Itinéraire d’une négation, Paris, Calmann-Lévy, p. 422-425.
SOURCES : Roger Garaudy, Peut-on être communiste aujourd’hui ?, Grasset, 1968, notamment Introduction-témoignage, p. 7-57. — Antée, journal de Daniel Chenier (roman autobiographique), Hier et aujourd’hui, 1946. — Serge Perottino, Roger Garaudy et le marxisme du XXe siècle, Seghers, 1969. — B. Poirot-Delphech, « Un entretien avec Roger Garaudy », Le Monde, 4 octobre 1977. — Ph. Robrieux, Histoire intérieure du Parti communiste, t. IV, Paris, 1984, p. 252-256. — « L’affaire Garaudy/Abbé Pierre. Les “chiffonniers” de l’histoire », Golias-Magazine, n° 47, mai 1996. — Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, Seuil, 2000. — Aurélie Cardin, L’Affaire Garaudy-Abbé Pierre dans la presse (janvier 1996-décembre 1998), mémoire de maîtrise, université Paris X, Nanterre, 2000, notamment p. 135-136. — Michaël Prazan, Adrien Minard, Roger Garaudy. Itinéraire d’une négation, Calmann-Lévy, 2002. — Julia Gariazzo, Le négationnisme de gauche en France, de 1979 à la fin des années 1990, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, 2007. — Guillaume Quashie-Vauclin, L’Union de la jeunesse républicaine de France (1945-1956). Entre organisation de masse de jeunesse et mouvement d’avant garde communiste, L’Harmattan, 2009. — Michel Dreyfus, L’antisémitisme à gauche. Histoire d’un paradoxe, de 1830 à nos jours, La Découverte, 2009. — État civil de Marseille.
Michel Dreyfus