01 août 2025

14 – "De Marx à Teilhard de Chardin (II)", par Alain Raynaud. Suite et fin du "Principe transcendance"

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Mais c’est de l’homme qu’il s’agit ! Et de l’homme lui-même quand donc sera-t-il question ? – Quelqu’un au monde élèvera-t-il la voix ?

Car c’est de l’homme qu’il s’agit, dans sa présence humaine; et d’un agrandissement de l’œil aux plus hautes mers intérieures.
Saint-John Perse


Changer le monde ou changer de monde, demandions-nous. Nous n’avons pas pu répondre à la question, car cette alternative n’existe pas. Changer le monde débouche sur un changement de monde, et tout changement de monde commence par un changement du monde. Ce sont les deux faces du principe Transcendance. Si l’on ne cède ni au nihilisme – il n’y a plus rien à dire, à faire, à inventer, et au fond à espérer, ni au positivisme qui étouffe les «pourquoi» de la philosophie sous les «comment» de la science, la réponse est : les deux, car le monde à changer, si on le change, débouchera sur un monde autre. Changer le monde, c’est à la fin (si tant est qu’il y en ait une) changer de monde. Pour changer le monde il faut avoir en vue un autre monde et le vouloir effectivement. En même temps, et c’est la part immanente du principe Transcendance, pour vouloir un autre monde il faut être capable d’agir dans le monde où nous vivons, l’avoir compris dans son principe et ses rouages.

Pour Marx, à partir de l’analyse des contradictions d’une société donnée, il s’agit de découvrir les forces sociales porteuses du projet révolutionnaire nécessaire au dépassement de ces contradictions, et les conditions permettant à ces forces de mettre en œuvre ce projet. Et au centre de ce projet, il y a l’homme. L’homme collectif, mais aussi l’homme individuel, le sujet.

«Il faut relire Marx, après le déluge. Dans ces Manuscrits économico-philosophiques, rédigés en 1844 à Paris, publiés pour la première fois à Leipzig, en 1932, sont dénoncés l’inhumanité du capitalisme et l’infamie de ses thuriféraires ». Ainsi s’exprime Jean Salem dans son édition des «Manuscrits» (GF, 1996). Est esquissée dans ces fragments - ignorés pendant longtemps des «marxistes» puis sous-estimés par des esprits aussi aiguisés qu’Althusser - une sorte de théologie négative, une ébauche de théorie générale du communisme, non pas aboutissement mais début d’une histoire proprement humaine. Il est assez facile de trouver dans ces textes place pour une conception enracinée dans l’immanence de la transcendance: là où l’homme lui-même est à construire, tous les dépassements sont possibles.

«La propriété privée nous a rendus tellement sots et bornés, écrit Marx, qu'un objet est nôtre uniquement quand nous l'avons, quand il existe donc pour nous comme capital ou quand il est immédiatement possédé, mangé, bu, porté sur notre corps, habité par nous, etc., bref quand il est utilisé par nous, bien que la propriété privée ne saisisse à son tour toutes ces réalisations directes de la possession elle-même que comme des moyens de subsistance…

À la place de tous les sens physiques et intellectuels est donc apparue la simple aliénation de tous ces sens, le sens de l'avoir. L'être humain devait être réduit à cette pauvreté absolue pour pouvoir engendrer sa richesse intérieure en partant de lui-même …

Non seulement la richesse, mais aussi la pauvreté de l'homme reçoivent également — sous le socialisme — une signification humaine et par conséquent sociale. La pauvreté est le lien passif qui fait ressentir aux hommes le besoin de la richesse la plus grande : l'autre homme…

Le communisme [la suppression de la propriété privée] est la forme nécessaire et le principe dynamique de l'avenir immédiat, mais le communisme n'est en tant que tel ni le but du développement humain ni la forme de la société humaine».

En tant qu’inventeur d’une méthode philosophique et sociologique tombée, dans des circonstances historiques données (réformisme, stalinisme) dans une forme d’économisme et de déterminisme, Marx ne se suffit pas à lui-même. Laissons Bloch, Teilhard, Garaudy, introduire dans le marxisme la flamme de la foi, la foi qui ne se réduit pas à la religion.