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En février
1988, l'historien Léon Poliakov, que personne ne songera à considérer comme un
antisémite pro-nazi déclarait : « Moi-même, j'ai dû modifier mes évaluations
: j'avais écrit qu'il y avait eu 2,5 millions de victimes à Auschwitz . J'ai
ramené ce chiffre à 1,5 million.
» Des chercheurs français penchent aujourd'hui pour un total se situant
entre 700 000 et un million. De quel droit accuse-t-on les historiens qui ont
étudié ce problème d'être des « révisionnistes » ou des « négationnistes» ? Il
y a quelque chose d'absurde et de sinistre dans cette comptabilité: 6 millions
ou 4 millions pour l'ensemble des camps, un ou 4 millions à Auschwitz. Le
nombre est tellement énorme, les images filmées dans les camps tellement
atroces, que le chiffre exact ne change rien à l'ignominie d'un fait que - à
part quelques fanatiques maniaques -
personne ne conteste : il y a bien eu génocide. Imagine-t-on un avocat
soutenant la défense de son client en proclamant : «C'est un mensonge que de
dire qu'il a assassiné 100 personnes, il n'en a tué que70 ».
Où est la différence, en ce qui concerne la culpabilité de l'accusé ?
La loi
Gayssot du 13 juillet 1990 fait un délit du « négationnisme », c'est-à dire la
contestation des crimes commis par les nazis contre les juifs. C'est en vertu
de ce texte que Roger Garaudy vient d'être mis en examen. Lundi sur Europe 1,
le grand rabbin Sitruk expose qu' «il ne peut y avoir débat sur l'Holocauste»,
que l'«on ne peut rouvrir le dossier» et que «les historiens ont
apporté des preuves définitives». Et pourtant le grand rabbin a hésité. Le
dimanche matin sur Radio Judaïque, il estimait utile de « réunir les
historiens pour débattre de la Shoah», car «les témoins sont de moins en
moins nombreux». Le soir du même jour, dans un communiqué à l'AFP, il
repousse toute idée de débat, tel que le lui avait proposé l'abbé Pierre.
Dans les deux
cas, sur le plan Idéologique et sur le plan juridique, c'est la notion même de
recherche et de vérité historique qui est mise en cause. L'État et la religion
hébraïque proclament une vérité officielle, qui devient tabou. Le grand rabbin
déclare : Les historiens ont apporté les preuves définitives. » Je sais
que le sujet est délicat. Il n'en reste pas moins que la notion de « preuve définitive»,
quel qu'en soit l'objet, est choquante pour l'esprit. Comment occulter le fait
que ces procédés ont été ceux de tous les régimes totalitaires, à commencer par
ceux de Hitler et de Staline ? Imagine-t-on une loi interdisant la négation de l'existence
de Dieu, des voix de Jeanne d'Arc ou de la virginité de Marie ? Dans Le Nouvel
Observateur, Jacques Julliard rappelle qu'une loi de 1825, sous Charles X,
punissait de mort les profanateurs d'hosties consacrées, la présence réelle du
Christ dans l'eucharistie redevenant ainsi vérité d'État.
Le principe
de libre examen critique est la base même de tout progrès de connaissance.
Il se heurte toujours des résistances farouches. Faut-il rappeler Galilée,
professant l'enseignement de Copernic selon lequel c'est la Terre qui tourne
autour du Soleil et non l'inverse, déféré devant le tribunal de l'Inquisition qui l'oblige à abjurer
et le condamne à l'exil Intérieur ? Faut-il rappeler qu'il a fallu attendre un
demi-siècle pour que les Russes, en 1990, finissent par reconnaître que le massacre
de 15000 officiers polonais, en 1940, était le fait des Soviétiques et non pas
des Allemands, vérité jusque-là tenue pour indiscutable ? Faut-il rappeler que,
malgré le rapport Khrouchtchev (1956) et les livres de Soljénitsyne - Une
journée d'Ivan Denissovitch (1962) et Le Premier Cercle (1968) - ,
Georges Marchais, en 1970, faisait ce commentaire à propos des goulags : « à
supposer qu'ils existent », et que L'Humanité
dénonçait comme «valets de l'impérialisme » ceux qui croyaient
Soljénitsyne ?
De la
Révolution française vue par Michelet, Clemenceau disait qu'elle était un «bloc»,
c'est-à-dire qu'elle ne pouvait faire l'objet d'aucune critique. Il a fallu des
années de recherches pour que la vérité éclate enfin sur la Terreur et la
Vendée par exemple : 117 000 victimes dans ce que Reynald Sécher appelle Le Génocide
franco-français. (2).
Les Français
font l'amalgame entre «négationnistes» et «révisionnistes», tous mis dans le
même sac et désignés à la vindicte publique. Les Allemands voient une
différence. Les premiers, explique Léon Poliakov dans le texte cité ci-dessus,
constituent une «sorte de secte niant en bloc les camps d'extermination et les
chambres à g a z ». Les «révisionnistes», en Allemagne, «sont des spécialistes
parfaitement honorables, sérieux, intéressants, qui se livrent non à une
falsification, mais à une réinterprétation de l'Histoire».
Garaudy et l'Abbé Pierre |
C'est un impardonnable
péché contre l'esprit. Donc l'abbé Pierre est condamné. Les
commentaires les plus aimables à son égard, dans les médias, l'excusent en
partie par son « gâtisme » qui le place « entre les mains de manipulateurs».
La chose ne manque pas de sel. Ceux qui l'accablent aujourd'hui sont les mêmes
qui lui érigeaient une statued'apôtre des
droits de l'homme quand il volait au secours des immigrés clandestins ou des
Africains polygames « squatters» d'appartements. L'abbé est sorti du «
politiquement correct ». On déboulonne sa statue. Il n'est plus un saint homme.
(2) PUF.
1986.
Le Figaro, 3 mai 1996, extraits