Ilya Kabakov. Le bateau de ma vie. 1995 |
La clef de nos problèmes [chômage, immigration, terrorisme, NDLR] se trouve dans un
changement radical de nos rapports avec le tiers-monde, et dans un changement tout aussi radical du modèle occidental de croissance.
Le deuxième objectif sera, avec cet éveil et dans le même temps que cette « conscientisation », une « reconversion » progressive de notre travail en
fonction non d'un égoïsme national qui ne résoudra aucun problème et les aggravera tous, mais des besoins du monde dans sa totalité et d'abord de la partie la
plus démunie : le tiers-monde.
Madame Susan George* a dessiné l'épure de cet
ordre économique international nouveau,
symétriquement
inverse de celui du F M I qui aggrave le
déséquilibre
mondial.
Le problème majeur posé par la dette est celui des
priorités dans les importations et les exportations.
Le
changement, sur ce point, pourrait s'amorcer en
traitant
avec les producteurs eux-mêmes. Par exemple avec
les coopératives agricoles et les syndicats, de
préférence
aux gouvernements. Et ce afin de s'orienter vers la
satisfaction des besoins réels, surtout de l'immense
majorité paysanne, et vers la suffisance alimentaire
de
tous et non du luxe de quelques privilégiés dans des
concentrations urbaines cernées de bidonvilles.
Ainsi, on pourrait aider le tiers-monde à se
détacher
le plus possible du marché mondial. Il ne pourra
mettre
fin au génocide alimentaire auquel il est soumis
par le
post-colonialisme qu'en multipliant les échanges
Sud-
Sud, et, pour échapper à la tyrannie des devises
Susan
George, Jusqu'au
cou, Éditions
de la Découverte, Paris, 1988
étrangères, en procédant à ces échanges sur la base
du troc.
Ce type nouveau de relations avec le tiers-monde
comporterait des avantages réciproques.
Pour les pays du tiers monde, la possibilité de
créer des modes de développement endogènes, et
non de subir les modèles imposés par le FMI, qui
perpétuent leur dette, leur dépendance et leur
misère.
Pour les pays industrialisés, la nécessité de
répondre
aux besoins réels du tiers monde stimulerait le
mouvement de reconversion des industries afin de
satisfaire nos besoins réels et non de fabriquer nos
armements et nos gadgets. C'est la seule solution au
problème central du chômage.
[...]
Nos politiciens n'ont cherché que des expédients [...]
La seule solution radicale est l'ouverture au tiers-monde,
dont les besoins, et donc les débouchés,
sont immenses, à condition de ne pas les considérer
comme un déversoir pour le trop-plein de nos
économies
difformes produisant plus pour le gaspillage,
l'armement et le trafic d'armes, que pour les
besoins
réels des peuples, le nôtre et les leurs.
Voilà qui implique une politique de reconversion
systématique pour répondre à des besoins véritables.
L'Afrique noire n'a guère besoin de gadgets, de
collants ou de déodorants. Une infinité de capteurs
solaires lui serait plus utile pour maîtriser sa
plus
grande source d'énergie : le soleil. Ces
reconversions
posent le problème clé du chômage, et même de
l'avenir
de la consommation dans nos propres pays.
Un autre problème majeur trouverait également sa
solution dans ces rapports radicalement nouveaux
avec
le tiers-monde : celui de l'immigration. La seule
méthode, à la fois humaine et réaliste, d'enrayer
les
« invasions » de la misère, est de ne pas acculer à
la
faillite, au désespoir et à l'exil, des peuples dont
la
colonisation et les modèles occidentaux de
développement
ont déstructuré les économies, entraînant ainsi la
désertion des campagnes et, dans les villes, le
chômage
et la clochardisation.
Enfin, une telle mutation ne peut se faire « par en
haut ». Elle exige au contraire la participation de
tous
par la création de communautés de base et de réseaux
de résistance au non-sens.
Ici encore, si le but est de multiplier les
communautés
de base professionnelles orientées vers la
reconversion
de l'économie pour donner à tout travail sa finalité
humaine, la priorité dans le temps, pour préparer
cette
mutation des fins et des moyens, est celle de communautés
de base
à la fois d'information et de réflexion.
Roger Garaudy
Extrait de "Les fossoyeurs. Un nouvel appel aux vivants"
Extrait de "Les fossoyeurs. Un nouvel appel aux vivants"