15 septembre 2010

La lutte de classe n'est pas un slogan

La lutte de classe n'est pas un slogan, une théorie, un mot d'ordre lancé par des "meneurs". C'est un fait historique irrècusable. Elle est d'abord menée par les classes dirigeantes pour maintenir leur ordre, c'est-à-dire leur domination. Il importe ici de définir clairement la "violence". Lorsque le chercheur norvégien Johan Galtung écrit:"Pour moi il est impossible d'accepter l'idée que la mort causée par un fusil soit d'une autre nature que la mort causée par la famine", il établit un rapport trés clair entre la "violence directe" (celle des armes) et la "violence structurelle" (celle des institutions)...
Martin Luther King, dans une lettre de sa prison de Birmingham, en 1963, préfigurait cette analyse de la violence directe et de la violence structurelle en établissant une distinction entre "paix positive" et "paix négative"...
La paix ce n'est pas seulement l'absence de guerre, c'est la justice, et j'entends très précisément par justice un ordre social créant pour chaque enfant, pour chaque femme et chaque homme, les conditions économiques, sociales, politiques, culturelles lui permettant d'épanouir pleinement toutes les richesses humaines qu'il porte en lui.
Là où des êtres humains ont faim quand d'autres regorgent de biens, il y a violence.
Là où des êtres humains sont privés d'accéder à la culture de leur esprit et de leur corps, il y a violence.
Là où des êtres humains n'ont pas les moyens de proclamer leur vérité ou leur foi parce qu'elles ne sont pas en accord avec la société dominante, il y a violence.
Toutes ces violences-là sont des violences structurelles, mais elles sont maintenues, perpétuées, imposées par des violences directes: la répression de la police et de l'armée.
Elles ne restent "structurelles" que tant qu'elles ne sont pas contestées. Tout ce que l'on appelle des "révolutions" se sont heurtées à des armées. Sans aller bien loin dans l'espace ni dans le temps: les révolutions de 1848, de 1871, de 1917, ont été baignées dans le sang par l'armée, de même que les luttes de libération des peuples dominés, du Vietnam à l'Algérie.
Parce que la violence directe maintenait la violence structurelle, les luttes de classes et les luttes de libération sont devenues des "contre-violences", symétriques des premières, et il n'y aurait pire hypocrisie que de les accuser - et elles seules -de violence, alors qu'elles avaient pour objet de mettre fin à une violence structurelle ("institutionnelle", comme dit Dom Helder Camara) qui engendre toutes les autres, et qu'elles se heurtaient à la violence directe de polices et d'armées, chiens de garde de la violence structurelle.
Il serait également hypocrite de condamner dans la lutte de classe le fait d'avoir pris conscience de l'existence des classes et de leur lutte. Ce qui est fâcheux - et d'abord pour cette lutte - c'est de s'être souvent laissé imposer les méthodes de ceux qu'elle combat: par la lutte armée, l'on n'a jamais aboli une domination que pour la remplacer par une autre...

Roger Garaudy, Il est encore temps de vivre, Editeur Stock, pp 127à 129