29 septembre 2010

Construire ensemble. A propos d'André Moine

Avant de s'écarter de lui au XIXe Congrès (1970), André Moine collabora au Parti communiste français avec Roger Garaudy dans le dialogue communistes-chrétiens. Vous pouvez vous procurer son  livre posthume "Chrétiens et communistes dans l'histoire. Construire ensemble" en écrivant à : Association "Les Amis d'André Moine et de Jean Abadie", Centre culturel Paul-Vaillant-Couturier, rue René-Devert, 64340, Boucau. Il vous sera expédié frais de port compris pour 14 euros (dernier prix à ma connaissance).  Aux Editions Atlantica, vous trouverez un  livre-témoignage d'André Moine, préfacé par Charles Fiterman: "Une vie exceptionnelle dans le siècle. Un chemin de combats et d'espérance pour les hommes".


La société de demain ne peut pas être une génération spontanée, surgie d'une "table rase" préalable, ni la construction volontariste d'hommes, fussent-ils communistes, mais...le résultat du mouvement social réel dans le pays. Elle ne se fera pas hors de cet ensemble culturel diversifié, en mouvement, mais à partir de lui, comme une continuation consciencieusement prise en charge.
La société française a des inspirations qui puisent dans les cultures judéo-chrétienne, greco-romaine, athéiste, révolutionnaire, sans cesse confrontées et brassées avec des folklores régionaux en interactions constantes, conflictuelles.
Il ne s'agit pas de détruire; il faut prolonger dans la modernité et avec de nouvelles perspectives, celles de changements profonds. Les dégagements indispensables ne détruiront pas ce tissu lentement constitué; ils le développeront en le modifiant, l'épureront en brisant le pouvoir de l'argent, et les entraves inhérentes, ils libéreront les forces de l'idéal humain.
L'imaginaire, qui a impulsé la pensée, l'utopie qui a fait rêver et consolé les hommes pendant des millénaires, seront saisis en conscience, et leurs qualités motrices en seront développées.
Nous vivons une époque de révolution dans tous les domaines, et si les expériences du passé, de l'histoire, sont précieuses, c'est tout de même à la condition qu'elles ne masquent pas les problèmes entièrement nouveaux qui se posent aux hommes. Et qui ne se résoudront pas par de simples replâtrages, grâce à un homme, un parti, une communauté fermée, mais seulement par l'ensemble des Français, dans des ouvertures audacieuses...

Quelques-uns de ces problèmes:
- L'exigence d'une humanisation des conditions de vie et de travail, l'élaboration d'une nouvelle façon d'etre un homme. Cela suppose que l'argent, que la production, soient mis au service de l'homme et non l'inverse, et que s'élabore un système d'autogestion.
- Le réexamen des rapports des travailleurs avec les moyens de production et les produits de leur travail.
- La modification des relations sociales, du rôle des entreprises et de la personnalité à propos desquelles le père Chenu écrit:"...faire de l'entreprise une Société de personnes qui trouvent dans leur engagement communautaire les ressorts mêmes de leur croissance personnelle, et, avec eux, de leurs droits, individuels ou collectifs, et le programme de leur libération." (Théologie de la matière, Cerf, p 88)
- Les modifications des rapports des citoyens et de l'Etat et du pouvoir en général.
- La place nouvele des femmes dans toute la vie sociale.
- Le besoin gandissant de découvrir le sens de l'histoire et de l'activité des hommes, la recherche d'un sens pour sa propre vie et celle de la collectivité.

A vrai dire, jusqu'aux années soixante, avant l'accélération de tout le mouvement, ce n'est qu'une minorité qui se posait des questions sur l'avenir. Aujourd'hui, malgré la crise, et aussi de son fait, ce sont de larges masses qui s'interrogent sur les décennies prochaines et sur le XXIème siècle...

Une société nouvelle suppose que soit écartée la domination de l'argent, l'exploitation de l'homme par l'homme; que soit surmonté l'essentiel des inégalités sociales, que la loi du profit ne régisse plus dans leurs fondements les rapports sociaux, eux-mêmes ouverts à une démocratie sans cesse plus poussée.
Le terrain ainsi déblayé, la hantise du quotidien éliminée pour l'essentiel, restent les mentalités, les habitudes, les comportements hérités du passé avec l'égoïsme, l'orgueil, le racisme, l'immoralité...liés à ce qui reste d'inégalités, de pouvoir arbitraire, et aussi de misère et d'oppression dans le monde.
Alors le rôle de la conscience, du spirituel, des idéaux, d'un sens de la vie, revêt une importance de premier plan, capitale, pour poursuivre le développement social et inséparablement, modifier les individus eux-mêmes, développer la personnalité de chacun.
Ici, le rôle des chrétiens ne se termine pas, peut grandir, s'ouvrir à un épanouissement terrestre. Sans vouloir en juger, on peut estimer que la foi peut inciter à combattre tout ce qui est déshumanisant dans les rapports sociaux, dans l'action de l'Etat et des Pouvoirs; qu'elle peut engager à lutter pour développer entre les hommes des relations de solidarité, de fraternité, d'amour du prochain, pour dissoudre donc toutes les tares héritées du passé.

Jésus a dessiné un horizon pour une société humaine, réconciliée, fraternelle, en a fourni les premiers matériaux et ouvert une voie.
Marx  élaboré les contours d'une telle construction dans un projet théorique à réaliser par les hommes de son temps.
Aujourd'hui, il ne s'agit plus seulement d'une utopie généreuse, ni d'un projet théorique. L'expérience millénaire oblige à repenser le développement historique.
Les hommes, animés par ces idéaux, sont placés devant la nécessité, et la possibilité, d'une transformation sociale afin de construire par leur pensée et par leurs mains, une nouvelle civilisation humaine.
Tâche difficile, grandiose, enthousiasmante, qui ne peut pas être l'oeuvre des possesseurs égoïstes de l'argent, mais de l'ensemble des hommes associés dans une libre coopération.

Il importe de ne pas méconnaïtre ce que la conscience religieuse peut porter d'illusion, de résignation, d'évasion désarmante.
Il importe tout aussi bien d'avoir à l'esprit que les idées évangéliques humantaires et le modèle d'un Christ des pauvres et de la justice, des luttes et du sacrifice, de la confiance et de l'espérance, traversent les siècles et les régimes dans la conscience populaire.
Ces idées et ce modèle inspirent des réflexions et des actions en faveur de l'homme, guident un agir et des espoirs de nouvelles relations sociales et personnelles, stimulent les luttes d'exploités et d'opprimés.
Ils constituent une source et une assise de la foi religieuse. Il s'agit aujourd'hui d'un contenu de foi qui devient prédominant.

...Dans ces conditions, reprenant l'idée de Engels, on peut affirmer que les valeurs évangéliques humaines et leur potentiel de lutte peuvent et déjà se fondent peu à peu avec le mouvement de la société socialiste.
...L'évolution de notre histoire (celle de la france, ndlr) montre que les deux genres de cultures, croyants et athées, plus ou moins enfermés dans les démarches dogmatiques, ont été, hier, à la fois opposés et inséparablement mêlés. leurs luttes, même si elles ont pris parfois un caractère négatif, ont aiguisé la recherche, fait progresser les connaissances, finalement contribué à déployer et ramifier la culture.
De nos jours, il serait dommageable de vouloir réduire artificiellement les différences, de gommer l'identité de chacun, de rechercher des convergences là où elles ne sont pas, en un mot de vouloir "tailler un uniforme pour notre peuple".
Mais nombre d'obstacles, fruits d'une histoire dépassée, peuvent être surmontés; les différents genres de culture peuvent se côtoyer et coopérer dans une saine émulation pour le bien commun...
La France, plus que que tout autre pays, peut être un lieu pivilégié de cet agir commun...Engels notait ce trait contradictoire particulier des Français, en remarquant en 1944:"...les communistes français, alors qu'ils appartiennent à une nation notoire pour son incrédulité, sont eux-mêmes chrétiens". De nos jours, il en reste incontestablement des traces vivantes.
Par ailleurs, nous avons le sentiment que le marxisme a à entendre et à apprendre des pensées animées par la foi.
Autrement dit, les oppositions et contradictions nées de la vie et de l'histoire peuvent se résoudre sans, obligatoirement, la destruction de la partie adverse.

Paraphrasant les paroles de Paul VI à Vatican II, on peut dire: la tradition laïque a rencontré la tradition chrétienne. Qu'en est-il résulté ? Un anathème ? Cela n'a pas lieu. Toutes les deux s'insèrent dans le peuple pour continuer la France dans un renforcement de l'unité nationale, qui suppose le respect des différences. Qui laisse à chacun le droit d'asseoir son engagement sur ses propres motivations et références. Le soin aussi de conduire sa pensée vers un homme sans cesse meilleur et assumnt humainement sa puissance créatrice, et, ou bien, vers un homme accédant vers une vie spirituelle aux dimensions divines.
A cet égard, il convient d'être audacieux, de considérer que l'avenir, s'il ne se sépare pas à aucun moment du passé, doit être autre. On ne peut pas mésestimer la spécificité de la situation en France, de la Nation Française, à condition, bien sûr, de ne pas la séparer de la culture européenne, mondiale, mais, au contraire, d'en faire un apport enrichissant pour la communauté humaine.
Là existe une pensée révolutionnaire capable de dégager les issues de la crise de notre civilisation, d'être le catalyseur des forces de progrès comme elle le fût déjà à plusieurs reprises, notamment lors de la Commune de Paris, du Front Populaire, de la Résistance, de la reconstruction en 1945.
Là persistent les idées évangéliques de justice sociale, d'humanisme, de paix, profondément ancrées dans le subconscient populaire. Là, une laïcité profonde, unique en Europe, a libéré les esprits, la science, la morale, la pratique sociale, d'une tutelle cléricale.
Marx rejoindrait-il et prolongerait-il Jésus autour de racines communes, de l'amour du prochain, de l'espérance humaine, de l'accomplissement de toutes choses ? Nous laissons à chacun le soin de sa réponse.

En tout état de cause, notre siècle a fait passer les relations communistes-chrétiens "de l'anathème  au dialogue"(c'est le titre d'un livre de Garaudy, ndlr)  et, déjà, à des actions communes. Désormais, il faut aller plus loin, délibérément, en conscience, réfléchir à une stratégie commune autour de la défense et de la promotion de l'homme; rechercher et construire, ensemble, pas  pas, pierre à pierre, prenant en compte toutes les contradictions, ce que le chrétien appellera le Royaume, qui commence ici bas, le marxiste l'association libre d'hommes libres, et que, au XVIIème siècle, Campanella, dominicain et précurseur du communisme, appelait la Cité du Soleil.


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