Ce livre de Roger Garaudy se lit comme une méditation sur des questions fondamentales comme la vie, la mort, l'amour, la transcendance, le bonheur, la liberté, l'avenir. On croirait parfois rencontrer Socrate, Jésus, Nietzsche, Bergson. Je dis bien " rencontrer " puisque la parole est toujours un dévoilement, un engagement, une ouverture sur l'autre.
Ces pensées de R. G. ont aussi le mérite de surgir de l'expérience de l'auteur comme un fruit mûr qui se laisse cueillir par l'amour.
J'aimerais dire un mot de quelques-unes de ces méditations, parce que j'ai le sentiment que chacune parle aux hommes qui cherchent et que l'avenir angoisse.
1- Autoportrait.
Dans ce premier chapitre, Garaudy explique sa découverte de la transcendance et de la dimension féminine de la création, suite à quelques expériences de vie fascinantes.
La première expérience (1941) fut celle de faire face à la mort dans un camp de concentration à Djelfa, à la porte du désert, au Sud algérien. Ce dépouillement de la nature désertique, la présence de mitraillettes fixées sur soi, la résistance au commandant du camp qui ordonne de tirer au moment où l'on chante tous ensemble: " Allons au devant de la vie. Allons au devant du Matin ", le refus des gardiens arabes d'obéir à cet ordre, " la vie retrouvée après une si joyeuse acceptation de la mort me paraît délicieuse, même dans ce décor d'enfer " p.16
La seconde expérience (1970) se situe au moment où, une semaine après la mort de son père, alors que sa mère est mourante, il fait sa dernière intervention à un congrès du parti communiste. Il gravit les marches dans un " silence et un froid de cercueil ". Ses derniers mots sont suivis " d'un silence horrible ". Il a l'impression de tomber dans un puits au milieu de ces 2000 personnes qui le rejettent. Puis, il sort de la salle, s'enfuit seul dans Paris où il erre pendant 2 heures avant de s'arrêter chez sa première femme qui avait entendu son discours à la TV et lui avait, tout naturellement ,préparé un bon repas d'accueil.
Ces expériences lui inspirent une méditation sur la transcendance, un plaidoyer pour la prière et la foi, l'espérance et la charité. Parmi ses pensée je retiens les suivantes :
l'âme est le mouvement, la transcendance, un dépassement, une création : " on ne peut dépasser le passé et le présent avec les seules forces qu'ils contiennent déjà ".
" La transcendance est le contraire de la suffisance ".
" On ne peut en rester là, on ne peut aller au-delà tout seul…mais avec tous les autres ".
" La fin dernière est une métamorphose inédite de la forme humaine; "
La vie se déroule en sens inverse; on naît vieux (des millions d'années ont préparé la naissance,) on est alors pris dans les filets de la nature; l'école nous prend dans ceux de la culture; c'est une machine à nous rendre vieux.
Apprendre à être jeune; être jeune c'est avoir une âme, c'est-à-dire un avenir, inventer le futur;
" Il n'y a pas de Révolution sans amour "
Cette dernière pensée introduit bien au second chapitre qui porte sur l'amour.
2- L'amour
Aux yeux de Garaudy, Racine, Platon et l'éducation sexuelle projettent une image " défigurée " de l'amour. Contrairement à ce que nous apprend Racine, l'amour n'est pas fatalité mais liberté et création. Platon nous présente une image inversée du réel. Son intellectualisme crucifie la vie sur la croix du concept. Et l'école s'acharne à nous désapprendre l'amour.
La conception de l'amour de Garaudy est remarquable. À ses yeux l'amour est la seule preuve de l'existence de Dieu Car " dans l'objet de mon amour je trouve le principe par quoi je suis créé. L'expérience de l'amour nous fait prendre conscience de nos limites et de notre pouvoir de les franchir. "
Aimer un homme et une femme, c'est découvrir une dimension nouvelle de la vie, un nouvel et imprévisible avenir. " On perd le sens subjectif des choses qui s'organisent jusque là par rapport à moi… "
La poésie et l'amour sont les formes les plus immédiatement saisissables de la transcendance de l'être.
3-La mort
L'idée que développe Garaudy dans cette méditation sur la mort est la suivante : la mort donne à la vie sa signification la plus haute : elle est l'expérience vécue de la transcendance.
Car elle nous conduit à faire un choix, c'est-à-dire, le don suprême de notre individualité, de notre vie. Ce choix permet de nous définir comme personne par opposition à l'individu. La personne est ce qui, en nous, échappe au temps et à l'espace. C'est par elle et en elle que, dans le temps et l'espace, nous vivons l'éternité ici et maintenant, que nous choisissons la transcendance et l'amour. En ce sens on réalise que la mort n'est pas une coupure ". Par contre, l'individu est le domaine de l'avoir. " La mort n'est angoissante que pour qui se limite à son individu, à ses propriétés " p44 Garaudy aborde aussi la question de l'euthanasie,en proposant quelques pistes de réflexion; le droit à la mort choisie, volontaire, proprement humaine.p.56 et ss. " A partir de quel moment un homme cesse-t-il d'être un homme? " Comme on se demande à partir de quel moment un embryon est-il un homme?
Il faut bien reconnaître la beauté et la grandeur de cette conception de la mort. On pourrait peut-être reprocher à R.G. de récuser la conception chrétienne qu’il réduit au platonisme, en négligeant l’importance du thomisme , pour qui la mort est une violence et qui croit que l’homme tout entier ressuscitera.
4-Le sens de la vie
Cette méditation est sûrement l’une des plus belles. Aux yeux de R. Garaudy, la vie ne consiste pas à réaliser un scénario écrit d’avance par une Providence, un Progrès ou la Science. En ce sens la vie n’a pas de sens. Il ne croit pas qu’elle soit préfabriquée, dernière étape d’un cheminement préconçu, dont la fin soit déjà contenue dans son commencement (comme l’affirme Hegel).
Mais alors est-elle absurde à la façon de Camus et de Sartre? « La vie, l’HISTOIRE, le Monde, sont absurdes répond-il, du point de vue de la pensée conceptuelle qui ne peut assigner à notre action des fins, mais seulement nous donner des moyens pour atteindre des fins »p.62. Il éclaire ensuite cette pensée en analysant la fonction, la portée et le rôle des sciences humaines (économie politique, psychologie, sociologie, morale, qui n’atteignent leur objet que de l’extérieur, alors que le sens de la vie n’est pas extérieur à l’acte de créer la vie, de faire émerger, dans notre propre vie et en nous, l’homme (poétique).p.68
"C'est pourquoi, dit-il, au delà des morales, (...) il existe des vertus théologales, la foi, l'espérance et l'amour. Par elles nous participons à la création (qui est un jaillissement permanent de l'histoire humaine). Ainsi, la vie, au lieu d'avoir un sens est le sens, création de sens et sens de la création."
Les définitions que donne Garaudy de ces vertus sont magnifiques:
La foi: certitude que ce qui est n'est pas tout.
L'espérance: tenter l'impossible pour explorer tous les possibles.
L'amour: avoir foi dans l'autre comme capable de l'impossible Aimer son ennemi ce n'est pas lui laisser le champ libre pour la destruction, c'est accepter les possibilités de son changement et le libérer de ce qui empêche sa floraison.
[Voir l'article "Le bonheur selon Garaudy" de Luc Collès qui commente une partie de "Parole d'homme"]