A/ Un contre Bretton-Woods
La seule politique qui ait aujourd'hui un avenir est celle qui résoudra les problèmes fondamentaux qui se posent à nous:
Chômage
Immigration
Faim dans le monde, avec toutes les conséquences morales et culturelles qui en découlent.
Ces trois problèmes n'en font qu'un. L'on ne nous offre que de fausses solutions.
Les deux plus illusoires sont:
- -- ces problèmes seront résolus par la croissance;
- -- ces problèmes seront résolus par l'Europe.
Aucun de nos problèmes vitaux ne sera résolu par la croissance.
Les Etats et les partis politiques des pays occidentaux n'abordent jamais ainsi le problème. Au contraire.
Cette croissance est présentée par les politiques et les médias, comme une panacée pour sortir de la crise et du chômage, alors que, depuis 1975, la croissance, obtenue par un accroissement de la productivité grâce au développement des sciences et des techniques, ne crée plus d'emplois, mais au contraire en détruit en remplaçant de plus en plus le travail de l'homme par celui des machines. En 1980, la Belgique produisait dix millions de tonnes d'acier avec quarante mille ouvriers; en 1990, elle en produit douze millions et demi avec vingt-deux mille ouvriers.
La croissance est impulsée par les gains de productivité obtenus grâce à la science et aux techniques, qui permettent de remplacer une grande partie du travail humain par des machines, et, plus encore aujourd'hui, par le développement de l'informatique, de la robotique, des ordinateurs.
Il serait absurde d'incriminer les sciences et les techniques. Le malheur vient de l'usage qu'on en fait.
Par exemple, depuis 1970, la productivité, grâce à ces découvertes, a augmenté de 89%. C'est une chance pour l'humanité, pour lui épargner les tâches les plus répétitives. Mais c'est un malheur pour elle lorsque, dans la même période, la durée du travail n'a pas diminué et que le chômage a plus que décuplé. Cela signifie que l'accroissement de la productivité n'a pas servi l'ensemble de l'humanité mais seulement les propriétaires des moyens de production.
Alors que ce serait un bienfait pour tous, si la durée de la semaine de travail était indexée sur la productivité.
Ce serait un bienfait si cette augmentation des loisirs n'était pas récupérée par un marché des loisirs qui transforme le temps libre en un temps vide, vidé d'humanité par le genre de divertissements qu'on lui propose et qui ne favorise pas l'épanouissement physique et culturel. Cet espace de vie, au lieu d'aider l'homme à être un homme, c'est-à-dire un créateur, tend, en vertu du système du marché, à en faire un chômeur et, dans le meilleur des cas, un consommateur.
Cela ne signifie pas que nous soyons hostiles à la croissance, et moins encore au progrès des sciences et des techniques lorsqu'il permet de réduire la peine des hommes et des femmes, et ne conduit pas à leur asservissement ou à leur aliénation, comme, pour ne citer qu'un exemple, les autoroutes de l'information pour manipuler l'opinion au service de l'hégémonie américaine.
Mais la croissance et l'accroissement de la productivité, même avec les aménagements tels que l'indexation du temps de travail sur la productivité, ne résoudront pas le problème du chômage: tout au plus, en les assortissant, comme le veulent le patronat et le gouvernement, d'une compression des salaires et des protections sociales, ils peuvent permettre de grignoter quelques parts de marché sur le concurrent européen, américain ou japonais. Mais ils restent des expédients dérisoires.
L'autre mensonge, après la croissance comme panacée, est celui de l'Europe.
Aucun des problèmes vitaux ne peut être résolu dans le cadre de l'Europe.
L'on nous promet, avec l'Europe, un marché de trois cents millions de clients en omettant de dire qu'il s'agit de trois cents millions de concurrents sur le marché du travail. Car les économies européennes ne sont pas, pour l'essentiel, complémentaires, mais rivales. Et plus encore les économies américaines et japonaises.
Est-ce à dire que la seule alternative à l'Europe serait un repli nationaliste sur la France en l'enfermant dans des remparts protectionnistes? Ce serait au contraire l'asphyxie.
La seule solution possible, c'est l'ouverture sur le monde dans sa totalité: tant que, après cinq cents années de colonialisme et cinquante années de FMI et de Banque Mondiale, subsiste ce monde cassé, avec son économie difforme où les deux tiers de la population du monde, dépouillés par l'Occident, ne sont pas solvables, demeureront juxtaposés le monde de la faim et celui du chômage. Même en raisonnant seulement en termes de marché comment espérer donner du travail aux uns, tant que des milliards d'hommes n'ont même pas le minimum nécessaire pour acheter leur nourriture?
La seule solution possible pour répondre à la faim des uns, aux chômages des autres et à l'immigration des affamés dans leur quête illusoire du travail, c'est un changement radical de nos rapports avec le Tiers-Monde, mettant fin à la domination de l'Occident et à la dépendance du Sud, car c'est la dépendance qui engendre le sous-développement.
Nous vivons dans un monde cassé: entre le Nord et le Sud, et, au nord comme au Sud, entre ceux qui ont et ceux qui n'ont pas. Les 20% les plus riches de la planète disposent de 83% du revenu mondial, les 20% les plus pauvres, de 1,4% (14).
Lorsque le colonialisme pendant un demi-millénaire, et le système de Bretton depuis un demi siècle, ont créé de telles inégalités entre les peuples, le libre-échange suffit pour aggraver encore les dominations et les dépendances.
Comment inverser les actuelles dérives?
D'abord en détruisant le mythe baptisant démocratie la liberté du marché: le marché libre est l'assassin de la démocratie, par l'accumulation de la richesse à un pôle des sociétés et de la misère à l'autre.
Ceci implique un certain nombre de décisions politiques tendant toutes à se libérer de la prétendue mondialisation de l'économie, c'est à dire de la volonté américaine de faire de l'Europe, et du reste du monde, une colonie ouvrant des débouchés à sa propre économie dans tous les domaines: de l'agro-alimentaire à l'aéronautique, de l'information au cinéma.
Il devient chaque jour plus clair que Maastricht est une cause majeure des malheurs non seulement des agriculteurs, en exigeant des jachères, mais de tous les travailleurs en encourageant, sous prétexte de compétitivité européenne, le nivellement par le bas (sous le nom de "flexibilité") des conditions de travail, en liquidant toutes nos industries, de l'aviation à l'informatique, et en bafouant notre culture par l'invasion du cinéma américain et de la télévision américaine, en faisant de notre armée les supplétifs des interventions américaines.
Quant à l'économie, l'article 301 de la loi américaine permet de protéger ses propres productions, alors que le GATT, (rebaptisé Organisation Mondiale de Commerce) impose à tous les autres pays un libre -- échange qui laisse la place à toutes les importations américaines.
Les lois Helms-Burton de 1996 et d'Amato-Kennedy, votées par le seul Congrès américain, prétendent s'imposer à toute la communauté internationale, lui interdisant tout commerce avec les pays désignés par elle seule, les dirigeants américains légiférant ainsi pour le monde entier.
Une nouvelle résistance suppose, non seulement de répudier Maastricht, mais aussi de nous retirer du FMI, de la Banque mondiale et de toutes les autres institutions servant d'instrument à cette volonté d'hégémonie mondiale sous prétexte de créer en Europe la monnaie unique de l'Euro. L'Europe et l'Euro (qui abolit le droit régalien de battre monnaie comme attribut premier de la souveraineté) ne peuvent conduire, (par une rivalité sans frein pour augmenter la compétitivité) qu'à un nivellement par le bas des salaires et des prestations sociales afin d'abaisser les prix de revient entre économies concurrentes.
A partir de là, recouvrer la liberté d'établir des rapports radicalement nouveaux avec le tiers-monde, avec l'objectif précis d'encourager d'autres peuples européens à s'engager dans la même voie:
- 1 -- Annulation totale de la dette qui n'a ni fondement historique ni justification
- 2 -- Suppression de toute aide financière aux gouvernements du Tiers Monde
- Par exemple: quarante milliards de francs au développement, c'est le montant du budget de l'aide publique de la France, dont l'objectif officiel est le soutien accordé aux plus pauvres de la planète. A 95% cette masse d'argent n'est pas de l'aide, et ne fait pas de développement. Au mieux, elle vide les poches des contribuables et remplit celles de quelques bénéficiaires gouvernementaux, (au Nord et au Sud); au pire elle tue.
- Derniers exemples de ce à quoi elle a servi:
- -- Au Rwanda, à financer le gouvernement des tueurs tant qu'on a pu le maintenir en place, puis à financer l'opération Turquoise pour leur faciliter le passage au Zaïre, pour préparer leur revanche.
- 3 -- Prêts publics ou privés accordés non pas aux gouvernements, mais directement aux organisations de base. (coopératives, syndicats, groupements de producteurs -- parfois à susciter), et pour des projets précis d'utilité publique, en priorité pour les régions agraires avec, pour objectif, l'autosuffisance alimentaire (équipements agricoles, forage de puits, construction de routes, hôpitaux, écoles, etc...)
- 4 -- Accepter que le remboursement de ces prêts soit fait, pour l'essentiel, en monnaie du pays (pour encourager le réinvestissement sur place au lieu du rapatriement prédateur des bénéfices) ou en nature.
- 5 -- Procéder à une indexation honnête des prix des produits vendus par les pays du Sud avec les prix des produits vendus par les pays du Nord.
- 6 -- Contre le gigantisme d'entreprises visant surtout aux investissements des grandes sociétés, respecter l'histoire, les cultures de chaque peuple et l'utilisation la plus large possible des techniques autochtones souvent plus appropriées et plus efficaces que les transferts de technologie parce qu'adaptées aux besoins locaux. Le développement sera ainsi endogène au lieu d'être un placage, sans rapport avec le pays et ses besoins réels, d'un modèle occidental importé selon les intérêts de grandes entreprises étrangères.
- Cette nécessaire reconversion industrielle pour répondre aux besoins réels du Sud, peut induire, à terme, une conversion de nos mentalités en favorisant ce qui répond aussi à nos besoins réels et non aux armements et aux gadgets.
Pour que le XXIe siècle marque la fin de la préhistoire animale de l'homme, où, dans un monde cassé, la richesse d'une infime minorité implique la dépendance, l'exploitation ou la mort de la plus grande partie de l'humanité;
1 -- La renaissance de l'unité humaine ne peut se faire, comme le fut sa rupture, seulement par la violence et les armes, mais par toutes les forces proprement humaines: de l'économie à la culture et à la foi.
2 -- La faiblesse des actuels peuples opprimés est, pour une large part, due à leur division, par des oppositions et des guerres suscitées et entretenues par les actuels maîtres du monde. La première tâche est donc de mettre fin, par la négociation pacifique, à tous les conflits, qui font le jeu des oppresseurs.
3 -- Refuser collectivement de payer les prétendues dettes au F.M.I. et ceci pour 3 raisons:
a -- Qui est le débiteur?
L'Occident a une terrible dette a l'égard du tiers-monde:
Qui a remboursé aux Indiens d'Amérique le rapt de tout leur continent?
Qui fera réparation à l'Inde ancienne, exportatrice mondiale de textile, pour les millions de tonnes de coton enlevés aux cultivateurs à des prix de racket, et pour la destruction de l'artisanat des tisserands indiens au profit des grandes firmes du Lancashire?
Qui rendra à l'Afrique la vie des millions de ses fils les plus robustes, déportés comme esclaves aux Amériques par les négriers occidentaux pendant trois siècles?
b -- Quelle est la cause de cet endettement?
Les pays anciennement colonisateurs avaient déstructuré les économies autochtones, en particulier en sacrifiant les cultures vivrières au profit des monocultures et des monoproductions qui en faisaient des appendices des économies de la métropole, au profit exclusif de celles-ci. De telles économies ne pouvaient assurer l'indépendance de ces pays, ni l'autosuffisance alimentaire, ni la main d'oeuvre d'industries ne correspondant pas aux besoins du pays. La dépendance a donc continué, et les emprunts devinrent inévitables.
c -- Ces dettes ont été remboursées depuis longtemps par les intérêts usuraires payés aux prêteurs étrangers.
Refuser donc d'être rançonnés et de les payer au F.M.I.
Refuser également les aides dérisoires destinées à masquer cette injustice plusieurs fois centenaire.
Constituer, avec la suppression de la dette et de ses intérêts, un fonds de solidarité qui compensera largement l'aide prétendue.
4 -- S'opposer à tous les embargos imposés arbitrairement, par les provisoires maîtres du monde, aux pays qui refusent leur domination.
N'en tenir désormais aucun compte, et commercer librement avec ceux de nos frères qui en sont frappés.
5 -- D'une manière plus générale multiplier les échanges Sud-Sud entre les pays qui détiennent 80% des ressources naturelles du monde.
Procéder à ces échanges sur la base du troc pour ne point passer par les devises du Nord et notamment du dollar, en veillant à ce que, progressivement, pour mettre fin à la spéculation, il n'ait plus cours mondial.
6 -- Ceci implique un boycott systématique des Etats-Unis et de leurs vassaux notamment d'Israël, mercenaire de l'Occident contre les cultures autochtones et contre la paix.
- -- En finir avec les hégémonies économiques comme avec leurs agressions culturelles.
- -- Lutter aussi contre l'anticulture des Tyranosaures et des Terminators d'Hollywood, comme de leurs gadgets, et de toutes les manifestations morales ou matérielles de leur décadence.
8 -- Les menaces ou les agressions contre l'un quelconque des pays membres, seront combattues, par tous les moyens, par l'ensemble de la communauté mondiale.
9 -- Cette communauté mondiale, visant à la création d'un monde à visage humain, ne comporte aucune exclusive, ni religieuse, ni politique, car son objectif est de créer une unité non plus impériale mais symphonique de l'humanité où chaque peuple et chaque communauté apportera les richesses propres de sa terre, de sa culture et de sa foi.
Elle est donc ouverte aussi bien aux Etats officiels, qu'aux minorités opprimées, à la seule condition qu'elles réalisent en chaque pays leur unité sur la base de ces principes.
Le premier Bandoeng avait pour objet, dans un monde bipolaire, de refuser l'alignement sur l'un des deux blocs pour sauvegarder son indépendance. Cet idéal demeure.
Mais les conditions historiques ont changé. Nous vivons dans un monde unipolaire, et nous avons à défendre nos identités, de la culture à l'économie, contre l'intégrisme niveleur des prétendants à la domination mondiale par le seul jeu d'un monothéisme du marché, en faisant du marché, c'est à dire de l'argent, le seul régulateur des relations sociales.
Nous refusons cette vision du monde sans l'homme, d'une vie sans projet humain ni signification, et nous nous unissons pour construire un monde Un, riche de sa diversité et assuré de son avenir par la convergence des peuples et des cultures dans une foi commune, nourrie de l'expérience et de la culture de chacun, et animée par le projet commun de donner à chaque enfant, à chaque femme, à chaque homme, quelle que soit son origine et sa tradition propre, tous les moyens de déployer pleinement toutes les possibilités humaines qu'il porte en lui.
- 1 / -- parce que la cassure du monde rend insolvable plus d'un tiers de la population du globe.
- 2 / -- parce que les capitaux investis dans la spéculation, sont détournés des investissements dans une économie réelle répondant aux besoins de tous.
- Roger Garaudy - L'avenir mode d'emploi - Editions Vent du large - 1998 - pages 71 à 82