La troisième sécession de l'Occident, après cinq siècles de colonisation, et 2 guerres civiles européennes (de 1914-1918 et de 1940-1945) est celle de la mondialisation, c'est à dire de l'occidentalisation du monde sous direction d'une Amérique qui, réussit, du point de vue économique, à amasser, en 1945, la moitié de la richesse mondiale, aux dépens d'une Europe exsangue de l'Atlantique à l'Oural et d'un Tiers-Monde affamé.
Du point de vue politique, ce pays, qui avait consenti le minimum de pertes humaines, se voulut le maître du monde, dictant sa loi à l'Europe mendiante du Plan Marshall qui rouvrait à l'Amérique un marché européen ruiné par la guerre, imposant à Bretton-Woods un règne du dollar égal à celui de l'or, et, cinquante ans après, un traité de Maestricht où il est dit expréssement que "l'Europe ne pourra être" que "le pilier européen de l'Alliance Atlantique" (c'est-à-dire, en clair, une Europe, soumise aux lois américaines comme l'ont illustré les lois de Helms-Burton et les lois d'Amato, légiférant pour le monde entier en imposant ses embargos).
Le XXème siècle est né avec quelques années de retard : avec l'incendie de 1914, cette guerre d'où ne sortirent que des vaincus. Ce qui précède, les quelques années ou l'on dansait encore sur les volcans éteints de la ligne bleue des Vosges et de la Commune de Paris. Celle-ci avait éveillé les espérances messianiques de ceux qui n'ont pas et les sauvages terreurs de ceux qui ont. Elles n'en font pas partie.
Il n'y avait plus que des ruines, des monuments aux morts, et la conscience de l'effondrement de toutes les valeurs.
Sur les deux rives du Rhin la vie sociale marquait un recul historique d'un siècle : d'un côté avec une Chambre bleu horizon face à la colère des grèves de 1920, de l'autre avec la répression sauvage de Spartacus et de ceux qui en incarnaient les rêves : Liebnecht et Rosa Luxembourg.
Au delà des ténèbres se levait alors un nouveau matin, avec ses nouvelles espérances messianiques, aussi bien pour les peuples brisant le joug des anciens tyrans, que pour les artistes, les poètes, savants, les Anatole France comme les Aragon, les Langevin comme les Romain Rolland, qui saluaient l'aurore. En face la grande terreur des maîtres qui essayaient d'endiguer ce déferlement d'avenir, par une politique du fil de fer barbelé avec Clémenceau, ou le projet de Churchil de marcher sur Moscou en battant le rappel de tous les débris du passé pour empêcher de naître autre chose que ce qui est.
Le siècle entier allait être dominé par cette grande peur et cette promesse d'un monde autre. Par l'irrésistible ascension aussi du désespoir et de la fureur des vaincus : le traité de Versailles portait en lui le germe d'une nouvelle tuerie que seul Lord Keynes annonçait prophétiquement dans son livre : Les Conséquences économiques de la paix (1922) : "Si nous cherchons délibérément à appauvrir l'Europe centrale j'ose prédire que la vengeance sera terrible : d'ici vingt ans nous aurons une guerre qui, quel que soit le vainqueur, détruira la civilisation."
En exigeant de l'Allemagne, sous prétexte de réparations, la moitié de sa richesse, fut préparé le naufrage de tout un peuple : le désespoir et l'humiliation des coeurs, le torrent des faillites, et le chômage des multitudes. Les provocations des vainqueurs suscitèrent l'appétit de vengeance et le déchaînement du Tout plutôt que cela, qui assura le triomphe de la démagogie nationaliste la plus délirante, le désir à tout prix de sortir de la misère et du chômage. Il ne fallut que 16 ans de fermentation de ce bouillon de culture, pour assurer le triomphe de l'homme providentiel. Il accéda au pouvoir de la façon la plus démocratique du monde, obtenant, avec ses alliés, la majorité absolue au Parlement de la République de Weimar.
Nous avons montré, dans un autre livre, le parallélisme rigoureux entre la courbe de la montée du chômage et celle de la montée du National-Socialisme.
Hitler trancha le noeud gordien en transformant les chômeurs en ouvriers des usines d'armement, puis ceux-ci en soldats, et ces soldats en cadavres. Le problème était résolu.
Les conditions étaient remplies pour que la deuxième guerre mondiale ne soit que la suite de la première : conséquence de l'aveuglement des vainqueurs, et de l'ivresse qui s'était emparée d'eux pour avoir abattu le grand rival économique et politique de l'Angleterre et de la France.
Deux éléments nouveaux allaient alimenter le brasier et rendre plus redoutable encore la conflagration inévitable.
A l'Ouest était née une puissance nouvelle, celle des Etats-Unis, pour qui la guerre de 1914-1918 fut une affaire économique sans précédent au point d'en faire désormais une grande puissance.
Les Etats-Unis, était le seul pays au monde qui, depuis sa fondation, n'avait jamais connu d'occupation étrangère sur son sol, et s'était enrichi de toutes les misères du monde : de l'expulsion et du massacre des indiens à l'exploitation de la main d'oeuvre des esclaves noirs, à la relève de l'Angleterre en Amérique du Sud et de l'Espagne dans les îles. Les pertes de l'Europe au cours de la guerre de 1914-1918 avaient fait couler un pactole d'or de l'autre côté de l'Atlantique : par ses ventes et ses prêts l'Amérique était devenue désomais une puissance de premier plan. Il ne lui restait plus qu'à voler au secours de la victoire en débarquant en 1917, après Verdun, comme elle volera au secours de la victoire, une deuxième fois, en 1944, après Stalingrad. Elle était sûre ainsi d'appartenir, aux moindres frais, au camp des vainqueurs, et de régner sur une Europe exsangue, de l'Atlantique à Moscou, sa nudité revêtue de cadavres et de ruines, avec cinquante millions de morts.
L'autre acteur nouveau était à l'Est. L'URSS supportait, en 1944, le poids de 236 divisions des nazis et de leurs satellites alors que 19 seulement s'opposaient en Italie aux troupes américaines, et que 65 étaient réparties de la France à la Norvège.
Depuis l'accession d'Hitler au pouvoir, les EtatsUnis, l'Angleterre et la France, voyant en lui, comme le disaient les évêques allemands "le meilleur rempart contre le bolchevisme", lui avaient fourni les crédits et les armes (la France lui fournit du fer pour ses canons jusqu'en 1938, l'Angleterre négocia avec lui des crédits jusqu'en 1939, et les Etats-Unis maintinrent leur ambassadeur à Vichy).
En outre l'on avait cédé à toutes ses exigences : lui laissant, sans coup férir, s'emparer de la Bohème et dépecer la Tchécoslovaquie, réaliser l'Anschluss (l'annexion de l'Autriche), participer en Espagne à une non intervention lui permettant d'intervenir, avec son complice Mussolini et ses propres légions Condor, jusqu'aux frontières sud de la France, à Guernica.
Le symbole de tous ces abandons, celui de Munich, lui livrait l'équivalent tchèque de la Ligne Maginot, avec l'espoir évident de détourner les appétits de l'ogre vers l'Est et l'Union Soviétique. Les munichois, épaulés par la dictature polonaise interdisant à l'URSS de faire passer ses troupes sur son territoire pour affronter Hitler avant qu'il n'arrive aux frontières russes dès l'invasion de la Pologne, il ne restait plus à Staline, pour éviter de supporter tout le poids d'une inévitable poussée hitlérienne, qu'à gagner du temps par un pacte de non agression, symétrique de celui de Munich, pour se préparer à une guerre alors inévitable.
Hitler réussissait ainsi à n'avoir pas à se battre sur deux fronts et pouvait dévorer l'Occident avant de se ruer vers l'Est soviétique.
Quant aux Etats-Unis, le sénateur Truman (devenu quelques années plus tard le Président Truman) définissait parfaitement la ligne constante de la politique americaine : "Si l'Union Soviétique faiblit, il faudra l'aider; si l'Allemagne faiblit, il faudra l'aider. L'essentiel est qu'ils se détruisent l'un l'autre."
Il est significatif que pour avoir lu cette déclaration de Truman à Radio-France, à Alger, où j'étais devenu, après ma libération des camps de concentration, rédacteur en chef du journal parlé du matin, je fus chassé de mes fonctions par ordre du représentant américain Murphy, malgré l'approbation de mon texte par le Général de Gaulle. (Voir Tome I de Mon tour du siècle en solitaire.)
Les voeux de Truman furent réalisés de sorte qu'au sortir de cette deuxième guerre en Europe, beaucoup plus ravageuse que la première, le Plan Marshall permit à l'économie américaine de poursuivre son ascension, en faisant de l'Europe ruinée un client de nouveau solvable.
Ainsi le troisième tiers du siècle fut dominé par une guerre froide entre les richissimes Etats-unis et une Union Soviétique qui avait, à Stalingrad, brisé l'armée allemande et avait poursuivi l'ennemi jusqu'à Berlin où Hitler dut se suicider dans son bunker de la Porte de Brandenbourg. Après la véritable déclaration de guerre de Winston Churchill, dans son discours de Fulton, et son aveu qu'on avait "tué le mauvais cochon", c'est à dire l'Allemagne hitlérienne au lieu de l'URSS et de Staline, la course aux armements entre les Etats-unis se poursuivit dans l'espace, les succès de l'un, comme celle du premier Cosmonaute (Gagarine), entrainaient la surenchère du rival jusqu'au paroxysme de la guerre des étoiles imaginée par Reagan.
L'URSS s'était épuisée en supportant l'essentiel du poids de la guerre contre Hitler : ses terres les plus fertiles de l'Ukraine avaient été ravagées par l'envahisseur, et les centres industriels les plus décisifs avaient été détruits. Elle était inéluctablement dépassée par les Etats-Unis qui avaient au contraire tiré du carnage européen le plus grand profit.
Pour soutenir un tel effort les dirigeants soviétiques adoptèrent le modèle de croissance de l'Occident, reniant ainsi toutes les promesses du socialisme. Ils en moururent par implosion du système.
Je rencontrai Gorbatchev longtemps après qu'il eut déclenché l'avalanche. Précipitée par la prostitution politique d'Eltsine à ses conseillers américains (tels que Soros), la restauration du capitalisme en URSS porta ses fruits habituels : l'accumulation de la richesse à un pôle de la société et de la misère à l'autre. L'on vit naître, avec la vitesse de champignons vénéneux, des fortunes maffieuses qui firent de Moscou un marché alléchant pour Rolls Royce, et, en même temps, proliférer le chômage, l'exclusion, la mendicité, la délinquance et le crime. L'ancienne Union Soviétique rattrapait l'Amérique sur un point significatif: le trafic de drogues multiplié par 4 en deux ans.
Dans la conversation avec Gorbatchev, je lui dis quel espoir j'avais partagé à la lecture de son livre Perestroika, où apparaît la véritable finalité du socialisme : donner un sens non seulement au travail mais à la vie entière, aliénée par le monothéisme du marché. Un sens nouveau lorsqu'il écrivait par exemple cette parabole résumant l'opposition de l'expérience du travail en régime de marché, c'est à dire de jungle, ou en régime humain, c'est à dire divin : "Un voyageur s'approche d'un groupe de gens en train de bâtir un édifice et demande : Que faites-vous là ?"
L'un d'eux répond avec irritation :
- "Eh bien, tu vois ! Du matin au soir il nous faut transporter ces maudites pierres... ".
Un autre se lève, redresse fièrement les épaules, et dit :
- "Eh bien !, tu vois : nous élevons un temple !". (p. 36-37)
C'est ce que Marx avait profondément distingué : un système social, celui du marché, réduisant l'homme à sa seule dimension animale : le maniement des moyens, ou un système fondé sur ce qu'il y a de proprement humain en l'homme : la conscience des fins précédant l'organisation des moyens et leur donnant un sens. (Le Capital I, XV, 1). L'homme et son travail utilisé comme moyen, sans conscience du but et de la valeur humaine de ce qu'il fait, peut être remplacé,comme force motrice par exemple, par un âne ou par une machine.
L'erreur historique mortelle de Gorbatchev fut précisément de commencer par la réforme des Moyens, c'est à dire de l'économie, en la libéralisant c'est à dire en introduisant ce libéralisme qui est la liberté laissée aux forts de dévorer les faibles. Dès lors cette économie de marché, c'est à dire régulée (ou dérégulée) par les lois non humaines d'un régime où tout s'achète et se vend (depuis la cocaïne jusqu'à la conscience des hommes) selon le profit qu'on en peut attendre, fit, en moins de 3 ans, oeuvre de désintégration de tous les rapports humains. Gorbatchev croyait qu'il allait réformer le socialisme, ce qui survint ce fut la restauration du capitalisme, et du pire : non pas le capitalisme juvénil qui, en dépit de son inhumanité foncière, investissait au moins dans une économie réelle, créatrice d'entreprises, mais le capitalisme déchu, où la spéculation détourne de la production 80 % des capitaux, et où la corruption se substitue à la planification (devenue d'ailleurs sclérosée et irréaliste dans la phase décadente de l'Union Soviétique).
Ce primat accordé à l'économie libérale c'est-à-dire à un monde sans l'homme) désintégra toutes les structures de la société, accentuant les inégalités, cassant tous les rouages de l'Etat au profit de nationalismes parcellaires, d'intérêts monopolistiques étrangers, ou de cupidités individuelles.
C'était méconnaître l'essence même du marxisme de Marx, donnant priorité aux initiatives historiques conscientes de l'homme, au lieu de l'abandonner au déterminisme des lois du marché instituant, dès ses origines, la guerre de tous contre tous sous le nom de liberté confondue avec la concurrence darwinienne des fauves.
Lénine, après Marx, avait bien vu le rôle primordial de la conscience, mais dans la Russie de 1917, où la classe historiquement porteuse de cette conscience n'existait pratiquement pas. Lorsqu'éclata la Révolution d'Octobre 1917, la classe ouvrière représentait en Russie moins de 3 % de la population active. Ainsi fut crée un parti prétendant exprimer la conscience d'une classe qui n'existait pas. De là les glissements ultérieurs : un parti qui se voulait unique (à l'encontre de la pensée constante de Marx depuis la création de la Première Internationale) se donna pour la conscience d'une classe, puis les dirigeants parlèrent au nom de ce Parti, et finalement un seul à la place de la Direction qui avait cessé d'être collégiale et d'exprimer la volonté des communautés de base (soviets).
Bon ou mauvais (mais plus souvent mauvais que bon) ce Parti constituait la colonne vertébrale du pays. Il en était en principe la conscience. C'est à ce niveau de la conscience que pouvait commencer une réforme du système par une véritable révolution culturelle à l'intérieur du Parti. A une étape de l'histoire de l'Union Soviétique (où le niveau de culture de la majeure partie de la population, et les exploits de ses chercheurs et de ses savants qui avaient, en certains domaines, de la médecine à l'exploration spatiale, mis l'URSS à égalité avec les plus grands), l'heure était venue d'une inversion radicale de la conception même du Parti ; toutes les directives ne viendraient plus d'en haut, mais émaneraient au contraire des communautés de base (soviets -- c'est à dire conseils de paysans, d'ouvriers, d'artistes, de savants, de chercheurs en tous domaines), pour que l'initiative de construire un avenir proprement socialiste puise constamment son inspiration dans les expériences de ceux qui sont directement aux prises avec le réel et entendent en contrôler l'évolution.
Cette erreur fondamentale de ne pas commencer par une mutation radical du Parti (et non de l'économie) conduisit à la débacle.
L'Union Soviétique s'est effondrée précisément parce qu'elle n'a tenu aucun compte de la méthode de Marx et s'est contentée de répéter ses formules : Marx avait dégagé les lois de la croissance du capitalisme anglais au XIXème siècle. Les dirigeants et les soi-disant théoriciens soviétiques ont fait une répétition intégriste et dogmatique des théories de Marx en appliquant à l'Union Soviétique, au XXème siècle, les modèles de croissance du capitalisme anglais au XIXème siècle. Son implosion ne signifie nullement une faillite de Marx, mais une faillite de l'interprétation intégriste de Marx qui a conduit à imiter les méthodes de croissance du capitalisme qui reposaient sur l'exploitation des richesses des 3/4 du monde (appelé le Tiers Monde)
L'Union Soviétique est morte pour avoir trahi Marx et pour avoir adopté le modèle de croissance du capitalisme.
Je suis devenu marxiste parce que Marx n'a créé ni une religion, ni une philosophie mais une méthodologie de l'initiative historique nous permettant de dégager les contradictions d'une époque ou d'une société, et, à partir de cette analyse, de découvrir les moyens capables de les surmonter.
Il y eut deux grands analystes du capitalisme : Adam Smith et Karl Marx. Selon Adam Smith, si chaque individu poursuit son intérêt personnel, l'intérêt général sera réalisé, permettant le bonheur de tous.
Karl Marx qui avait profondément étudié Adam Smith, disait qu'en effet le capitalisme libéral créerait de grandes richesses, mais qu'en même temps il créerait une grande misère des masses et une inégalité croissante. Aujourd'hui où, en Amérique, 1% de la population possède 40 % de la richesse nationale et où, dans le monde, 75 % des ressources naturelles se trouvent dans le Tiers-Monde, mais sont contrôlées et consommées par 25 % de la population mondiale, il est facile de savoir qui avait raison : Adam Smith (répété au XXème siècle par les prétendus libéraux, comme Friedman aux Etats-Unis ou un Raymond Barre (son traducteur en France), ou bien Karl Marx ? La réponse est claire, c'est Karl Marx, et c'est pourquoi je suis resté marxiste car on ne peut rien comprendre à la situation actuelle du monde et à ses inégalités croissantes sans utiliser les méthodes de Marx et non pas celles d'Adam Smith, de Friedman ou de Von Hayek.
Le XXe siècle n'est donc pas la faillite du socialisme de Marx, mais la faillite du modèle de croissance qui a créé de telles inégalités que quarante-cinq millions d'êtres humains (dont treize millions et demi d'enfants -- selon les statistiques de l'UNICEF) meurent chaque année de faim ou de malnutrition. C'est dire que le système actuel de croissance des pays occidentaux (sous la direction des Etats-Unis) coûte au monde l'équivalent de morts d'un Hiroshima tous les deux jours. Quarante fois, chaque année, ce qu'a couté Auschwitz par an.
Je répète : un Hiroshima tous les deux jours. Quarante Auschwitz par an.
On ne saurait imaginer une gestion plus désastreuse de la planète sous la domination du pire ennemi de l'humanité : les dirigeants américains, de Reagan à Clinton, qui sont, avec leurs mercenaires israéliens et anglais, les pires terroristes du monde. Alors que, dans un langage commun à Hitler, à Clinton et à Netanyahou, l'on appelle terroristes les résistants à une occupation étrangère.
L'inversion du rêve initial de Marx et des militants d'Octobre 1917, découlaient de conditions objectives (comme autrefois la dégénérescence de l'idéal des Lumières et de 1789, en Terreur jacobine, en pourrissement du Directoire et finalement en dictature napoléonienne La France en sortit moralement désorientée par la Restauration avec ses régressions sociales, ses inégalités aggravées (comme la Russie d'aujourd'hui après la Restauration du capitalisme.)
Les principales dérives venaient d'abord d'une interférence constante entre les problèmes de la construction du socialisme et ceux du développement, du fait que le socialisme ne succédait pas à un capitalisme pleinement développé comme l'avait conçu Marx, mais d'un capitalisme retardataire, celui de la Russie. L'intervention extérieure et l'état de siège des pays capitalistes rendit la situation plus complexe encore.
Winston Churchill se flattera, dans son livre : The World Crisis (Londres 1929) d'avoir organisé contre la République des Soviets, "une croisade de 14 Etats ".
Le chiffre 14 évoque celui des 14 armées que l'Europe fit converger, en 1792, sous les ordres du Duc de Brunschwig, pour écraser Paris et la Révolution française. En France, Clémenceau déclare qu'il faut pratiquer à l'égard de la Russie rouge : "une politique du fil de fer barbelé".
Churchill, plus offensif encore, ajoute : "établir un cordon sanitaire et foncer sur Moscou."
Ce boycott affamera (Les affamés de la Volga auxquels Anatole France envoyait son Prix Nobel) le peuple russe. Enfin, résister à l'encerclement, au surarmement, et à la menace permanente de l'environnement haineux des dirigeants des pays Nantis, exigea une politique d'armement à outrance : Staline disait, en 1930, au XVI ème Congrès du Parti bolchevik : "Il nous faut 17 millions de tonnes d'acier.... nous devons combler ce retard en 10 ans ou ils nous écraseront."
Cet objectif fut atteint en 1941, à un coût humain effroyable pour le peuple soviétique. Mais, s'il ne l'eût pas été, qui aurait brisé l'armée nazie à Stalingrad ?
Il est vrai que cette politique féroce conduisit à une militarisation qui amena l'économie au chaos et les hommes au cachot.
L'ensemble de ces contradictions internes et des théorisations intégristes des dirigeants conduisit à l'implosion du système.
La première guerre, épuisant l'Europe, a fait des Etats-Unis une grande puissance économique.
La deuxième guerre mondiale fut la plus belle affaire des Etats-Unis : fournisseur de l'Europe, puis, dans une Europe une nouvelle fois exsangue, extraordinaire prêteur et investisseur, son potentiel économique a augmenté de 40 % grâce à cette deuxième guerre mondiale, et de 7 % encore avec la guerre de Corée.
Vertigineuse tentation, aujourd'hui, lorsqu'à la fois s'effondrent, à l'Est, les possibilités de résistance, et que les anciennes puissances coloniales autrefois rivales, l'Angleterre et la France, -- du moins leurs dirigeants -- se résignent aux rôles de supplétifs de l'armée américaine dans des entreprises n'opposant plus désormais l'Est et l'Ouest mais le Nord et le Sud.
Ainsi semble s'ouvrir l'ère d'un déchirement nouveau de la planète entre un Occident coalisé, du Pacifique à l'Oural, pour perpétuer l'hégémonie du Nord contre le Sud.
La guerre du Golfe fut le prélude annonciateur de ce danger de guerre des mondes. Le dévoilement progressif des objectifs de guerre des Etats-Unis est révélateur : invoquant d'abord, la défense du droit international, invariablement oubliée jùsque là pour toute invasion, il n'a pu échapper qu'aux naïfs, trompés par les médias, qu'il s'agissait d'une guerre du pétrole, principe de toute croissance à l'occidentale.
Puis l'objectif véritable fut avoué : détruire la puissance de l'Irak, seul pays du Tiers-Monde possédant peut être les moyens de faire obstacle aux visées hégémoniques de l'Occident et d'Israël au Moyen -- Orient.
Il s'agissait d'une véritable guerre coloniale.
Le peuple irakien, par la guerre économique que lui livraient les émirs du Koweit (téléguidés par les Etats-Unis), était privé, avec 7 dollars de moins par baril de pétrole, de la moitié de son budget et voué à la faillite.
Mais la faiblesse politique de Sadam Hussein tombant à deux reprises (par l'invasion de l'Iran et pour l'opération au Koweit) dans le piége américain, a offert au complexe mllitaro- industriel le prétexte idéal pour une lntervention massive préparée depuis un tiers de siècle (depuis le projet de nationalisation des pétroles par Mossadegh en Iran)
Reçu par Saddam Hussein à Bagdad, le 5 décembre 1990 j'ai essayé, pendant deux heures d'entretien, en présence de deux de ses ministres et de deux généraux de son Etat-Major, de le convaincre de deux choses : d'abord qu'il n'y avait aucune symétrie entre lui et les Américains. A sa frontière il y a une armée, et, chez lui, un peuple. Peut-être peut-il faire quelque mal à cette armée (hypothèse qui ne s'est pas réalisée), mais cette armée peut faire beaucoup de mal à son peuple. J'en concluais qu'il devrait accepter de retirer du Koweit son armée, à condition qu'elle soit relevée par des contingents arabes de pays demeurés neutres, comme l'Algérie ou la Tunisie, afin de préparer un referendum de tous les habitants du Koweit (immigrés et autochtones). Il me rappela ses propositions du 12 août : l'Irak se retirera du Koweit si toutes les décisions des Nations-Unies sont appliquées (par exemple contre l'annexion de Jérusalem-Est, condamnée par toutes les nations, y compris par les Etats-Unis). Sa suggestion était parfaitement justifiée. Mais la méthode employée : l'occupation militaire, donnait un prétexte aux prétendus soldats de droit pour détruire un peuple.
Depuis la fin du Mandat britannique sur l'Irak (1930) les compagnies pétrolières occidentales (unies dans Irak petroleum) disposaient de 94 % du territoire Irakien. Lorsque la révolution irakienne du général Kassem décida de leur retirer ces concessions, la menace d'une intervention militaire anglaise, en 1961, imposa l'indépendance du Koweit, et son entrée aux Nations Unies en 1963.
L'émir du Koweit était dès lors chargé, par ses maîtres occidentaux, d'appliquer au pétrole (par exemple en inondant les marchés) la règle des échanges inégaux caractéristique du système colonial : faire baisser les prix des matières premières.
L'invasion du Golfe par les Etats-Unis et leurs vassaux, en 1990, renouvelle, à une échelle très supérieure, l'opération coloniale de 1961.
Les occidentaux appellent libération du Koweit le retour, dans les fourgons de l'armée américaine, de leurs prête-noms serviles et milliardaires. Le Koweit est, en effet, libéré de toute entrave à la spéculation financière la plus cynique, libéré de toute limite aux exactions de ses privilégiés corrompus. La ruée des grands rapaces coloniaux pour arracher des contrats et des parts de marché fait rage. Les entreprises américaines raflent, auprès des émirs revenus de leur Coblentz, la part du lion. Les autres se partagent les bas-morceaux en proportion des effectifs qu'ils ont engagés dans l'invasion, du rôle pris par les pétroliers et les multinationales dans le déploiement militaire qui a permis la restauration de leurs privilèges.
Comme tous les colonialismes, à travers les mensonges sur la guerre propre, chirurgicale, aseptisée, les américains ont livré à l'Irak une guerre totale avec les moyens techniques les plus sadiquement sophistiqués: une barbarie informatisée présentée comme un jeu électronique, avec des cibles dont on ne voit jamais les victimes déchiquetées. On ne comptabilise que les morts américains ou israéliens. Les autres ne comptent pas.
Comme autrefois le colonialisme espagnol réalisait le génocide des indiens d'Amérique par la supériorité technique de l'arme à feu, comme les colonialistes anglais utilisaient les armes automatiques pour massacrer au Soudan les hommes du Mahdi, comme Mussolini employait contre les éthiopiens les balles dum-dum destinées aux fauves, les américains expérimentent aujourd'hui les missiles guidés au laser, les bombes à dépression qui font éclater les poumons sur plusieurs kilomètres, et d'autres armes de destruction massive.
Le rapport entre le nombre de morts de l'armée coloniale et celui du pays envahi est toujours du même ordre de 1 pour mille, en raison de la supériorité technologique. Il en fut ainsi pour les Espagnols et les Indiens, pour les Anglais en Inde, pour les Américains au Viet-Nam, pour les Français en Afrique Noire et en Algérie.
Le commandement américain se vantait, lors du cessez le feu, le 28 février 1991, d'avoir déversé, en quarante jours, 100 000 tonnes d'explosifs sur l'Irak, c'est dire l'équivalent de plus de 4 Hiroshimas.
La tentative de maintenir par la force ce système post-colonial dans lequel l'Occident, avec un cinquième de la population mondiale, contrôle et consomme 80 % des ressources, et où sa croissance implique ainsi le sous-développement du reste du monde, conduirait à une véritable guerre de Cent ans entre le Nord et le Sud. Le Tiers Monde ne pouvant se laisser détruire et le monde riche se vouant à une crise sans issue en ruinant ses clients par la faillite et la famine. Les statistisques des Nations Unies nous apprennent que, dans le Tiers-Monde, par le jeu des échanges inégaux et de la dette, plus de 45 milllons d'êtres humains meurent chaque année de faim ou de malnutrition. L'ordre colonial et le droit qui le perpétue, imposent au Tiers Monde l'équivalent de quarante Auschwitz par an. La Crucifixion banalisée à l'échelle des multitudes.
Le dirigeant syndicaliste brésilien Lula écrit : "la troisième guerre mondiale est déjà commencée. Une guerre silencieuse mais qui n'en est pas moins sinistre.... Au lieu de soldats, ce sont des enfants qui meurent, au lieu de millions de blessés, des millions de chômeurs, au lieu de destruction de ponts, ce sont des fermetures d'usines, d'écoles, d'hopitaux.... C'est une guerre déclarée par les EtatsUnis contre le continent américain et tout le Tiers Monde."
La guerre du Golfe fut seulement une expression plus sauvage de cette guerre permanente.
Telle est l'ampleur de la défaite de l'homme masquée par le plus puissant lavage de cerveaux de millions d'hommes réalisé par le matraquage médiatique : l'on a présenté comme une victoire de la civilisation contre la barbarie l'instauration d'un ordre du monde où l'hégémonie militaire appartient à une societé qui porte tous les stigmates de la décadence.
Nous voici ramenés au temps de la décadence de la République romaine et de l'instauration d'un Empire romain, avec une polarisation croissante de la richesse et de la misère: Rome comptait alors 320 000 sans emplois. Les 6 plus grands propriétaires d'Afrique, au temps de Néron, possédaient la moitié des terres de cette province, comme aujourd'hui, aux Etats-Unis, 5 % des américains détiennent 90 % de la richesse nationale. Les légions faisaient peser leur joug de l'Atlantique à l'Asie.
Nous vivons une nouvelle fois une époque de pourrissement de l'histoire, caractérisée par la domination technique et militaire écrasante d'un empire qui n'est porteur d'aucun projet humain capable de donner un sens à la vie et à l'histoire.
Il fallut trois cents ans de révoltes larvaires, et surtout la formation de communautés autonomes d'un type nouveau échappant peu à peu aux tentacules de la pieuvre, pour que se crée un nouveau tissu social.
Cette naissance d'un monde humain, à partir de la préhistoire bestiale que nous continuons à vivre sous le signe de la barbarie informatisée, ne pourra naître que d'une prise de conscience, à l'échelle des peuples, de la malfaisance de ce monothéisme du marché et de ses sanglants prophètes.
Le fait que la manipulation médiatique et surtout la télévision puisse donner à 200 millions d'hommes (dont 30 millions vivent pourtant a un niveau infra-humain) la bonne conscience d'être ce qu'il y a de meilleur au monde, digne d'en être à la fois le modèle et le gendarme, sont les signes profonds de cette décadence qui s'exprime, au niveau individuel, par le crime.
Les statistiques de la police nous révèlent qu'à New-York toutes les 3 heures, une femme est violée, toutes les 2 heures un homme assassiné, toutes les 30 secondes un attentat commis. L'Amérique détient le record des suicides d'adolescents comme de la criminalité et compte 20 millions de drogués.
Tel est le mode de vie américain de nos moralistes au moment où Mr Bush organise des prières pour sa croisade du pétrole.
Ce mode de vie est celui de l'exaltation de l'argent et de la violence. Cette culture de l'inhumain est exportée dans le monde entier par les films américains. Ceux de la violence répressive des polars avec leurs cascades de coups de révolvers ; ceux de la violence raciste des westerns exaltant la chasse à l'indien ; ceux de la violence-spectacle des films d'épouvante.
Telle est la puissance qui détient l'empire du monde.
Aujourd'hui c'est le principe même du système : le monothéisme du marché (c'est à dire l'argent) comme seul régulateur de toutes les relations sociales (de l'économie à la politique et de l'art à la morale) qui est la plus grande défaite de l'homme.
Cette guerre coloniale et l'embargo assassin qui la perpétue, a servi de révélateur de la responsabilité des dirigeants et de la caducité des institutions, permettant ainsi de distinguer clairement ce que le Président Bush appelle : le nouvel ordre international (qui serait le maintien et le renforcement, dans le monde, du statu-quo colonial sous hégémonie américaine), d'un véritable nouvel ordre international qui en est le contraire.
Du point de vue politique, ce pays, qui avait consenti le minimum de pertes humaines, se voulut le maître du monde, dictant sa loi à l'Europe mendiante du Plan Marshall qui rouvrait à l'Amérique un marché européen ruiné par la guerre, imposant à Bretton-Woods un règne du dollar égal à celui de l'or, et, cinquante ans après, un traité de Maestricht où il est dit expréssement que "l'Europe ne pourra être" que "le pilier européen de l'Alliance Atlantique" (c'est-à-dire, en clair, une Europe, soumise aux lois américaines comme l'ont illustré les lois de Helms-Burton et les lois d'Amato, légiférant pour le monde entier en imposant ses embargos).
Le XXème siècle est né avec quelques années de retard : avec l'incendie de 1914, cette guerre d'où ne sortirent que des vaincus. Ce qui précède, les quelques années ou l'on dansait encore sur les volcans éteints de la ligne bleue des Vosges et de la Commune de Paris. Celle-ci avait éveillé les espérances messianiques de ceux qui n'ont pas et les sauvages terreurs de ceux qui ont. Elles n'en font pas partie.
Il n'y avait plus que des ruines, des monuments aux morts, et la conscience de l'effondrement de toutes les valeurs.
Sur les deux rives du Rhin la vie sociale marquait un recul historique d'un siècle : d'un côté avec une Chambre bleu horizon face à la colère des grèves de 1920, de l'autre avec la répression sauvage de Spartacus et de ceux qui en incarnaient les rêves : Liebnecht et Rosa Luxembourg.
Au delà des ténèbres se levait alors un nouveau matin, avec ses nouvelles espérances messianiques, aussi bien pour les peuples brisant le joug des anciens tyrans, que pour les artistes, les poètes, savants, les Anatole France comme les Aragon, les Langevin comme les Romain Rolland, qui saluaient l'aurore. En face la grande terreur des maîtres qui essayaient d'endiguer ce déferlement d'avenir, par une politique du fil de fer barbelé avec Clémenceau, ou le projet de Churchil de marcher sur Moscou en battant le rappel de tous les débris du passé pour empêcher de naître autre chose que ce qui est.
Le siècle entier allait être dominé par cette grande peur et cette promesse d'un monde autre. Par l'irrésistible ascension aussi du désespoir et de la fureur des vaincus : le traité de Versailles portait en lui le germe d'une nouvelle tuerie que seul Lord Keynes annonçait prophétiquement dans son livre : Les Conséquences économiques de la paix (1922) : "Si nous cherchons délibérément à appauvrir l'Europe centrale j'ose prédire que la vengeance sera terrible : d'ici vingt ans nous aurons une guerre qui, quel que soit le vainqueur, détruira la civilisation."
En exigeant de l'Allemagne, sous prétexte de réparations, la moitié de sa richesse, fut préparé le naufrage de tout un peuple : le désespoir et l'humiliation des coeurs, le torrent des faillites, et le chômage des multitudes. Les provocations des vainqueurs suscitèrent l'appétit de vengeance et le déchaînement du Tout plutôt que cela, qui assura le triomphe de la démagogie nationaliste la plus délirante, le désir à tout prix de sortir de la misère et du chômage. Il ne fallut que 16 ans de fermentation de ce bouillon de culture, pour assurer le triomphe de l'homme providentiel. Il accéda au pouvoir de la façon la plus démocratique du monde, obtenant, avec ses alliés, la majorité absolue au Parlement de la République de Weimar.
Nous avons montré, dans un autre livre, le parallélisme rigoureux entre la courbe de la montée du chômage et celle de la montée du National-Socialisme.
Hitler trancha le noeud gordien en transformant les chômeurs en ouvriers des usines d'armement, puis ceux-ci en soldats, et ces soldats en cadavres. Le problème était résolu.
Les conditions étaient remplies pour que la deuxième guerre mondiale ne soit que la suite de la première : conséquence de l'aveuglement des vainqueurs, et de l'ivresse qui s'était emparée d'eux pour avoir abattu le grand rival économique et politique de l'Angleterre et de la France.
Deux éléments nouveaux allaient alimenter le brasier et rendre plus redoutable encore la conflagration inévitable.
A l'Ouest était née une puissance nouvelle, celle des Etats-Unis, pour qui la guerre de 1914-1918 fut une affaire économique sans précédent au point d'en faire désormais une grande puissance.
Les Etats-Unis, était le seul pays au monde qui, depuis sa fondation, n'avait jamais connu d'occupation étrangère sur son sol, et s'était enrichi de toutes les misères du monde : de l'expulsion et du massacre des indiens à l'exploitation de la main d'oeuvre des esclaves noirs, à la relève de l'Angleterre en Amérique du Sud et de l'Espagne dans les îles. Les pertes de l'Europe au cours de la guerre de 1914-1918 avaient fait couler un pactole d'or de l'autre côté de l'Atlantique : par ses ventes et ses prêts l'Amérique était devenue désomais une puissance de premier plan. Il ne lui restait plus qu'à voler au secours de la victoire en débarquant en 1917, après Verdun, comme elle volera au secours de la victoire, une deuxième fois, en 1944, après Stalingrad. Elle était sûre ainsi d'appartenir, aux moindres frais, au camp des vainqueurs, et de régner sur une Europe exsangue, de l'Atlantique à Moscou, sa nudité revêtue de cadavres et de ruines, avec cinquante millions de morts.
L'autre acteur nouveau était à l'Est. L'URSS supportait, en 1944, le poids de 236 divisions des nazis et de leurs satellites alors que 19 seulement s'opposaient en Italie aux troupes américaines, et que 65 étaient réparties de la France à la Norvège.
Depuis l'accession d'Hitler au pouvoir, les EtatsUnis, l'Angleterre et la France, voyant en lui, comme le disaient les évêques allemands "le meilleur rempart contre le bolchevisme", lui avaient fourni les crédits et les armes (la France lui fournit du fer pour ses canons jusqu'en 1938, l'Angleterre négocia avec lui des crédits jusqu'en 1939, et les Etats-Unis maintinrent leur ambassadeur à Vichy).
En outre l'on avait cédé à toutes ses exigences : lui laissant, sans coup férir, s'emparer de la Bohème et dépecer la Tchécoslovaquie, réaliser l'Anschluss (l'annexion de l'Autriche), participer en Espagne à une non intervention lui permettant d'intervenir, avec son complice Mussolini et ses propres légions Condor, jusqu'aux frontières sud de la France, à Guernica.
Le symbole de tous ces abandons, celui de Munich, lui livrait l'équivalent tchèque de la Ligne Maginot, avec l'espoir évident de détourner les appétits de l'ogre vers l'Est et l'Union Soviétique. Les munichois, épaulés par la dictature polonaise interdisant à l'URSS de faire passer ses troupes sur son territoire pour affronter Hitler avant qu'il n'arrive aux frontières russes dès l'invasion de la Pologne, il ne restait plus à Staline, pour éviter de supporter tout le poids d'une inévitable poussée hitlérienne, qu'à gagner du temps par un pacte de non agression, symétrique de celui de Munich, pour se préparer à une guerre alors inévitable.
Hitler réussissait ainsi à n'avoir pas à se battre sur deux fronts et pouvait dévorer l'Occident avant de se ruer vers l'Est soviétique.
Quant aux Etats-Unis, le sénateur Truman (devenu quelques années plus tard le Président Truman) définissait parfaitement la ligne constante de la politique americaine : "Si l'Union Soviétique faiblit, il faudra l'aider; si l'Allemagne faiblit, il faudra l'aider. L'essentiel est qu'ils se détruisent l'un l'autre."
Il est significatif que pour avoir lu cette déclaration de Truman à Radio-France, à Alger, où j'étais devenu, après ma libération des camps de concentration, rédacteur en chef du journal parlé du matin, je fus chassé de mes fonctions par ordre du représentant américain Murphy, malgré l'approbation de mon texte par le Général de Gaulle. (Voir Tome I de Mon tour du siècle en solitaire.)
Les voeux de Truman furent réalisés de sorte qu'au sortir de cette deuxième guerre en Europe, beaucoup plus ravageuse que la première, le Plan Marshall permit à l'économie américaine de poursuivre son ascension, en faisant de l'Europe ruinée un client de nouveau solvable.
Ainsi le troisième tiers du siècle fut dominé par une guerre froide entre les richissimes Etats-unis et une Union Soviétique qui avait, à Stalingrad, brisé l'armée allemande et avait poursuivi l'ennemi jusqu'à Berlin où Hitler dut se suicider dans son bunker de la Porte de Brandenbourg. Après la véritable déclaration de guerre de Winston Churchill, dans son discours de Fulton, et son aveu qu'on avait "tué le mauvais cochon", c'est à dire l'Allemagne hitlérienne au lieu de l'URSS et de Staline, la course aux armements entre les Etats-unis se poursuivit dans l'espace, les succès de l'un, comme celle du premier Cosmonaute (Gagarine), entrainaient la surenchère du rival jusqu'au paroxysme de la guerre des étoiles imaginée par Reagan.
L'URSS s'était épuisée en supportant l'essentiel du poids de la guerre contre Hitler : ses terres les plus fertiles de l'Ukraine avaient été ravagées par l'envahisseur, et les centres industriels les plus décisifs avaient été détruits. Elle était inéluctablement dépassée par les Etats-Unis qui avaient au contraire tiré du carnage européen le plus grand profit.
Pour soutenir un tel effort les dirigeants soviétiques adoptèrent le modèle de croissance de l'Occident, reniant ainsi toutes les promesses du socialisme. Ils en moururent par implosion du système.
Je rencontrai Gorbatchev longtemps après qu'il eut déclenché l'avalanche. Précipitée par la prostitution politique d'Eltsine à ses conseillers américains (tels que Soros), la restauration du capitalisme en URSS porta ses fruits habituels : l'accumulation de la richesse à un pôle de la société et de la misère à l'autre. L'on vit naître, avec la vitesse de champignons vénéneux, des fortunes maffieuses qui firent de Moscou un marché alléchant pour Rolls Royce, et, en même temps, proliférer le chômage, l'exclusion, la mendicité, la délinquance et le crime. L'ancienne Union Soviétique rattrapait l'Amérique sur un point significatif: le trafic de drogues multiplié par 4 en deux ans.
Dans la conversation avec Gorbatchev, je lui dis quel espoir j'avais partagé à la lecture de son livre Perestroika, où apparaît la véritable finalité du socialisme : donner un sens non seulement au travail mais à la vie entière, aliénée par le monothéisme du marché. Un sens nouveau lorsqu'il écrivait par exemple cette parabole résumant l'opposition de l'expérience du travail en régime de marché, c'est à dire de jungle, ou en régime humain, c'est à dire divin : "Un voyageur s'approche d'un groupe de gens en train de bâtir un édifice et demande : Que faites-vous là ?"
L'un d'eux répond avec irritation :
- "Eh bien, tu vois ! Du matin au soir il nous faut transporter ces maudites pierres... ".
Un autre se lève, redresse fièrement les épaules, et dit :
- "Eh bien !, tu vois : nous élevons un temple !". (p. 36-37)
C'est ce que Marx avait profondément distingué : un système social, celui du marché, réduisant l'homme à sa seule dimension animale : le maniement des moyens, ou un système fondé sur ce qu'il y a de proprement humain en l'homme : la conscience des fins précédant l'organisation des moyens et leur donnant un sens. (Le Capital I, XV, 1). L'homme et son travail utilisé comme moyen, sans conscience du but et de la valeur humaine de ce qu'il fait, peut être remplacé,comme force motrice par exemple, par un âne ou par une machine.
L'erreur historique mortelle de Gorbatchev fut précisément de commencer par la réforme des Moyens, c'est à dire de l'économie, en la libéralisant c'est à dire en introduisant ce libéralisme qui est la liberté laissée aux forts de dévorer les faibles. Dès lors cette économie de marché, c'est à dire régulée (ou dérégulée) par les lois non humaines d'un régime où tout s'achète et se vend (depuis la cocaïne jusqu'à la conscience des hommes) selon le profit qu'on en peut attendre, fit, en moins de 3 ans, oeuvre de désintégration de tous les rapports humains. Gorbatchev croyait qu'il allait réformer le socialisme, ce qui survint ce fut la restauration du capitalisme, et du pire : non pas le capitalisme juvénil qui, en dépit de son inhumanité foncière, investissait au moins dans une économie réelle, créatrice d'entreprises, mais le capitalisme déchu, où la spéculation détourne de la production 80 % des capitaux, et où la corruption se substitue à la planification (devenue d'ailleurs sclérosée et irréaliste dans la phase décadente de l'Union Soviétique).
Ce primat accordé à l'économie libérale c'est-à-dire à un monde sans l'homme) désintégra toutes les structures de la société, accentuant les inégalités, cassant tous les rouages de l'Etat au profit de nationalismes parcellaires, d'intérêts monopolistiques étrangers, ou de cupidités individuelles.
C'était méconnaître l'essence même du marxisme de Marx, donnant priorité aux initiatives historiques conscientes de l'homme, au lieu de l'abandonner au déterminisme des lois du marché instituant, dès ses origines, la guerre de tous contre tous sous le nom de liberté confondue avec la concurrence darwinienne des fauves.
Lénine, après Marx, avait bien vu le rôle primordial de la conscience, mais dans la Russie de 1917, où la classe historiquement porteuse de cette conscience n'existait pratiquement pas. Lorsqu'éclata la Révolution d'Octobre 1917, la classe ouvrière représentait en Russie moins de 3 % de la population active. Ainsi fut crée un parti prétendant exprimer la conscience d'une classe qui n'existait pas. De là les glissements ultérieurs : un parti qui se voulait unique (à l'encontre de la pensée constante de Marx depuis la création de la Première Internationale) se donna pour la conscience d'une classe, puis les dirigeants parlèrent au nom de ce Parti, et finalement un seul à la place de la Direction qui avait cessé d'être collégiale et d'exprimer la volonté des communautés de base (soviets).
Bon ou mauvais (mais plus souvent mauvais que bon) ce Parti constituait la colonne vertébrale du pays. Il en était en principe la conscience. C'est à ce niveau de la conscience que pouvait commencer une réforme du système par une véritable révolution culturelle à l'intérieur du Parti. A une étape de l'histoire de l'Union Soviétique (où le niveau de culture de la majeure partie de la population, et les exploits de ses chercheurs et de ses savants qui avaient, en certains domaines, de la médecine à l'exploration spatiale, mis l'URSS à égalité avec les plus grands), l'heure était venue d'une inversion radicale de la conception même du Parti ; toutes les directives ne viendraient plus d'en haut, mais émaneraient au contraire des communautés de base (soviets -- c'est à dire conseils de paysans, d'ouvriers, d'artistes, de savants, de chercheurs en tous domaines), pour que l'initiative de construire un avenir proprement socialiste puise constamment son inspiration dans les expériences de ceux qui sont directement aux prises avec le réel et entendent en contrôler l'évolution.
Cette erreur fondamentale de ne pas commencer par une mutation radical du Parti (et non de l'économie) conduisit à la débacle.
L'Union Soviétique s'est effondrée précisément parce qu'elle n'a tenu aucun compte de la méthode de Marx et s'est contentée de répéter ses formules : Marx avait dégagé les lois de la croissance du capitalisme anglais au XIXème siècle. Les dirigeants et les soi-disant théoriciens soviétiques ont fait une répétition intégriste et dogmatique des théories de Marx en appliquant à l'Union Soviétique, au XXème siècle, les modèles de croissance du capitalisme anglais au XIXème siècle. Son implosion ne signifie nullement une faillite de Marx, mais une faillite de l'interprétation intégriste de Marx qui a conduit à imiter les méthodes de croissance du capitalisme qui reposaient sur l'exploitation des richesses des 3/4 du monde (appelé le Tiers Monde)
L'Union Soviétique est morte pour avoir trahi Marx et pour avoir adopté le modèle de croissance du capitalisme.
Je suis devenu marxiste parce que Marx n'a créé ni une religion, ni une philosophie mais une méthodologie de l'initiative historique nous permettant de dégager les contradictions d'une époque ou d'une société, et, à partir de cette analyse, de découvrir les moyens capables de les surmonter.
Il y eut deux grands analystes du capitalisme : Adam Smith et Karl Marx. Selon Adam Smith, si chaque individu poursuit son intérêt personnel, l'intérêt général sera réalisé, permettant le bonheur de tous.
Karl Marx qui avait profondément étudié Adam Smith, disait qu'en effet le capitalisme libéral créerait de grandes richesses, mais qu'en même temps il créerait une grande misère des masses et une inégalité croissante. Aujourd'hui où, en Amérique, 1% de la population possède 40 % de la richesse nationale et où, dans le monde, 75 % des ressources naturelles se trouvent dans le Tiers-Monde, mais sont contrôlées et consommées par 25 % de la population mondiale, il est facile de savoir qui avait raison : Adam Smith (répété au XXème siècle par les prétendus libéraux, comme Friedman aux Etats-Unis ou un Raymond Barre (son traducteur en France), ou bien Karl Marx ? La réponse est claire, c'est Karl Marx, et c'est pourquoi je suis resté marxiste car on ne peut rien comprendre à la situation actuelle du monde et à ses inégalités croissantes sans utiliser les méthodes de Marx et non pas celles d'Adam Smith, de Friedman ou de Von Hayek.
Le XXe siècle n'est donc pas la faillite du socialisme de Marx, mais la faillite du modèle de croissance qui a créé de telles inégalités que quarante-cinq millions d'êtres humains (dont treize millions et demi d'enfants -- selon les statistiques de l'UNICEF) meurent chaque année de faim ou de malnutrition. C'est dire que le système actuel de croissance des pays occidentaux (sous la direction des Etats-Unis) coûte au monde l'équivalent de morts d'un Hiroshima tous les deux jours. Quarante fois, chaque année, ce qu'a couté Auschwitz par an.
Je répète : un Hiroshima tous les deux jours. Quarante Auschwitz par an.
On ne saurait imaginer une gestion plus désastreuse de la planète sous la domination du pire ennemi de l'humanité : les dirigeants américains, de Reagan à Clinton, qui sont, avec leurs mercenaires israéliens et anglais, les pires terroristes du monde. Alors que, dans un langage commun à Hitler, à Clinton et à Netanyahou, l'on appelle terroristes les résistants à une occupation étrangère.
L'inversion du rêve initial de Marx et des militants d'Octobre 1917, découlaient de conditions objectives (comme autrefois la dégénérescence de l'idéal des Lumières et de 1789, en Terreur jacobine, en pourrissement du Directoire et finalement en dictature napoléonienne La France en sortit moralement désorientée par la Restauration avec ses régressions sociales, ses inégalités aggravées (comme la Russie d'aujourd'hui après la Restauration du capitalisme.)
Les principales dérives venaient d'abord d'une interférence constante entre les problèmes de la construction du socialisme et ceux du développement, du fait que le socialisme ne succédait pas à un capitalisme pleinement développé comme l'avait conçu Marx, mais d'un capitalisme retardataire, celui de la Russie. L'intervention extérieure et l'état de siège des pays capitalistes rendit la situation plus complexe encore.
Winston Churchill se flattera, dans son livre : The World Crisis (Londres 1929) d'avoir organisé contre la République des Soviets, "une croisade de 14 Etats ".
Le chiffre 14 évoque celui des 14 armées que l'Europe fit converger, en 1792, sous les ordres du Duc de Brunschwig, pour écraser Paris et la Révolution française. En France, Clémenceau déclare qu'il faut pratiquer à l'égard de la Russie rouge : "une politique du fil de fer barbelé".
Churchill, plus offensif encore, ajoute : "établir un cordon sanitaire et foncer sur Moscou."
Ce boycott affamera (Les affamés de la Volga auxquels Anatole France envoyait son Prix Nobel) le peuple russe. Enfin, résister à l'encerclement, au surarmement, et à la menace permanente de l'environnement haineux des dirigeants des pays Nantis, exigea une politique d'armement à outrance : Staline disait, en 1930, au XVI ème Congrès du Parti bolchevik : "Il nous faut 17 millions de tonnes d'acier.... nous devons combler ce retard en 10 ans ou ils nous écraseront."
Cet objectif fut atteint en 1941, à un coût humain effroyable pour le peuple soviétique. Mais, s'il ne l'eût pas été, qui aurait brisé l'armée nazie à Stalingrad ?
Il est vrai que cette politique féroce conduisit à une militarisation qui amena l'économie au chaos et les hommes au cachot.
L'ensemble de ces contradictions internes et des théorisations intégristes des dirigeants conduisit à l'implosion du système.
La deuxième guerre mondiale fut la plus belle affaire des Etats-Unis : fournisseur de l'Europe, puis, dans une Europe une nouvelle fois exsangue, extraordinaire prêteur et investisseur, son potentiel économique a augmenté de 40 % grâce à cette deuxième guerre mondiale, et de 7 % encore avec la guerre de Corée.
Vertigineuse tentation, aujourd'hui, lorsqu'à la fois s'effondrent, à l'Est, les possibilités de résistance, et que les anciennes puissances coloniales autrefois rivales, l'Angleterre et la France, -- du moins leurs dirigeants -- se résignent aux rôles de supplétifs de l'armée américaine dans des entreprises n'opposant plus désormais l'Est et l'Ouest mais le Nord et le Sud.
Ainsi semble s'ouvrir l'ère d'un déchirement nouveau de la planète entre un Occident coalisé, du Pacifique à l'Oural, pour perpétuer l'hégémonie du Nord contre le Sud.
La guerre du Golfe fut le prélude annonciateur de ce danger de guerre des mondes. Le dévoilement progressif des objectifs de guerre des Etats-Unis est révélateur : invoquant d'abord, la défense du droit international, invariablement oubliée jùsque là pour toute invasion, il n'a pu échapper qu'aux naïfs, trompés par les médias, qu'il s'agissait d'une guerre du pétrole, principe de toute croissance à l'occidentale.
Puis l'objectif véritable fut avoué : détruire la puissance de l'Irak, seul pays du Tiers-Monde possédant peut être les moyens de faire obstacle aux visées hégémoniques de l'Occident et d'Israël au Moyen -- Orient.
Il s'agissait d'une véritable guerre coloniale.
Le peuple irakien, par la guerre économique que lui livraient les émirs du Koweit (téléguidés par les Etats-Unis), était privé, avec 7 dollars de moins par baril de pétrole, de la moitié de son budget et voué à la faillite.
Mais la faiblesse politique de Sadam Hussein tombant à deux reprises (par l'invasion de l'Iran et pour l'opération au Koweit) dans le piége américain, a offert au complexe mllitaro- industriel le prétexte idéal pour une lntervention massive préparée depuis un tiers de siècle (depuis le projet de nationalisation des pétroles par Mossadegh en Iran)
Reçu par Saddam Hussein à Bagdad, le 5 décembre 1990 j'ai essayé, pendant deux heures d'entretien, en présence de deux de ses ministres et de deux généraux de son Etat-Major, de le convaincre de deux choses : d'abord qu'il n'y avait aucune symétrie entre lui et les Américains. A sa frontière il y a une armée, et, chez lui, un peuple. Peut-être peut-il faire quelque mal à cette armée (hypothèse qui ne s'est pas réalisée), mais cette armée peut faire beaucoup de mal à son peuple. J'en concluais qu'il devrait accepter de retirer du Koweit son armée, à condition qu'elle soit relevée par des contingents arabes de pays demeurés neutres, comme l'Algérie ou la Tunisie, afin de préparer un referendum de tous les habitants du Koweit (immigrés et autochtones). Il me rappela ses propositions du 12 août : l'Irak se retirera du Koweit si toutes les décisions des Nations-Unies sont appliquées (par exemple contre l'annexion de Jérusalem-Est, condamnée par toutes les nations, y compris par les Etats-Unis). Sa suggestion était parfaitement justifiée. Mais la méthode employée : l'occupation militaire, donnait un prétexte aux prétendus soldats de droit pour détruire un peuple.
Depuis la fin du Mandat britannique sur l'Irak (1930) les compagnies pétrolières occidentales (unies dans Irak petroleum) disposaient de 94 % du territoire Irakien. Lorsque la révolution irakienne du général Kassem décida de leur retirer ces concessions, la menace d'une intervention militaire anglaise, en 1961, imposa l'indépendance du Koweit, et son entrée aux Nations Unies en 1963.
L'émir du Koweit était dès lors chargé, par ses maîtres occidentaux, d'appliquer au pétrole (par exemple en inondant les marchés) la règle des échanges inégaux caractéristique du système colonial : faire baisser les prix des matières premières.
L'invasion du Golfe par les Etats-Unis et leurs vassaux, en 1990, renouvelle, à une échelle très supérieure, l'opération coloniale de 1961.
Les occidentaux appellent libération du Koweit le retour, dans les fourgons de l'armée américaine, de leurs prête-noms serviles et milliardaires. Le Koweit est, en effet, libéré de toute entrave à la spéculation financière la plus cynique, libéré de toute limite aux exactions de ses privilégiés corrompus. La ruée des grands rapaces coloniaux pour arracher des contrats et des parts de marché fait rage. Les entreprises américaines raflent, auprès des émirs revenus de leur Coblentz, la part du lion. Les autres se partagent les bas-morceaux en proportion des effectifs qu'ils ont engagés dans l'invasion, du rôle pris par les pétroliers et les multinationales dans le déploiement militaire qui a permis la restauration de leurs privilèges.
Comme tous les colonialismes, à travers les mensonges sur la guerre propre, chirurgicale, aseptisée, les américains ont livré à l'Irak une guerre totale avec les moyens techniques les plus sadiquement sophistiqués: une barbarie informatisée présentée comme un jeu électronique, avec des cibles dont on ne voit jamais les victimes déchiquetées. On ne comptabilise que les morts américains ou israéliens. Les autres ne comptent pas.
Comme autrefois le colonialisme espagnol réalisait le génocide des indiens d'Amérique par la supériorité technique de l'arme à feu, comme les colonialistes anglais utilisaient les armes automatiques pour massacrer au Soudan les hommes du Mahdi, comme Mussolini employait contre les éthiopiens les balles dum-dum destinées aux fauves, les américains expérimentent aujourd'hui les missiles guidés au laser, les bombes à dépression qui font éclater les poumons sur plusieurs kilomètres, et d'autres armes de destruction massive.
Le rapport entre le nombre de morts de l'armée coloniale et celui du pays envahi est toujours du même ordre de 1 pour mille, en raison de la supériorité technologique. Il en fut ainsi pour les Espagnols et les Indiens, pour les Anglais en Inde, pour les Américains au Viet-Nam, pour les Français en Afrique Noire et en Algérie.
Le commandement américain se vantait, lors du cessez le feu, le 28 février 1991, d'avoir déversé, en quarante jours, 100 000 tonnes d'explosifs sur l'Irak, c'est dire l'équivalent de plus de 4 Hiroshimas.
La tentative de maintenir par la force ce système post-colonial dans lequel l'Occident, avec un cinquième de la population mondiale, contrôle et consomme 80 % des ressources, et où sa croissance implique ainsi le sous-développement du reste du monde, conduirait à une véritable guerre de Cent ans entre le Nord et le Sud. Le Tiers Monde ne pouvant se laisser détruire et le monde riche se vouant à une crise sans issue en ruinant ses clients par la faillite et la famine. Les statistisques des Nations Unies nous apprennent que, dans le Tiers-Monde, par le jeu des échanges inégaux et de la dette, plus de 45 milllons d'êtres humains meurent chaque année de faim ou de malnutrition. L'ordre colonial et le droit qui le perpétue, imposent au Tiers Monde l'équivalent de quarante Auschwitz par an. La Crucifixion banalisée à l'échelle des multitudes.
Le dirigeant syndicaliste brésilien Lula écrit : "la troisième guerre mondiale est déjà commencée. Une guerre silencieuse mais qui n'en est pas moins sinistre.... Au lieu de soldats, ce sont des enfants qui meurent, au lieu de millions de blessés, des millions de chômeurs, au lieu de destruction de ponts, ce sont des fermetures d'usines, d'écoles, d'hopitaux.... C'est une guerre déclarée par les EtatsUnis contre le continent américain et tout le Tiers Monde."
La guerre du Golfe fut seulement une expression plus sauvage de cette guerre permanente.
Telle est l'ampleur de la défaite de l'homme masquée par le plus puissant lavage de cerveaux de millions d'hommes réalisé par le matraquage médiatique : l'on a présenté comme une victoire de la civilisation contre la barbarie l'instauration d'un ordre du monde où l'hégémonie militaire appartient à une societé qui porte tous les stigmates de la décadence.
Nous voici ramenés au temps de la décadence de la République romaine et de l'instauration d'un Empire romain, avec une polarisation croissante de la richesse et de la misère: Rome comptait alors 320 000 sans emplois. Les 6 plus grands propriétaires d'Afrique, au temps de Néron, possédaient la moitié des terres de cette province, comme aujourd'hui, aux Etats-Unis, 5 % des américains détiennent 90 % de la richesse nationale. Les légions faisaient peser leur joug de l'Atlantique à l'Asie.
Nous vivons une nouvelle fois une époque de pourrissement de l'histoire, caractérisée par la domination technique et militaire écrasante d'un empire qui n'est porteur d'aucun projet humain capable de donner un sens à la vie et à l'histoire.
Il fallut trois cents ans de révoltes larvaires, et surtout la formation de communautés autonomes d'un type nouveau échappant peu à peu aux tentacules de la pieuvre, pour que se crée un nouveau tissu social.
Cette naissance d'un monde humain, à partir de la préhistoire bestiale que nous continuons à vivre sous le signe de la barbarie informatisée, ne pourra naître que d'une prise de conscience, à l'échelle des peuples, de la malfaisance de ce monothéisme du marché et de ses sanglants prophètes.
Le fait que la manipulation médiatique et surtout la télévision puisse donner à 200 millions d'hommes (dont 30 millions vivent pourtant a un niveau infra-humain) la bonne conscience d'être ce qu'il y a de meilleur au monde, digne d'en être à la fois le modèle et le gendarme, sont les signes profonds de cette décadence qui s'exprime, au niveau individuel, par le crime.
Les statistiques de la police nous révèlent qu'à New-York toutes les 3 heures, une femme est violée, toutes les 2 heures un homme assassiné, toutes les 30 secondes un attentat commis. L'Amérique détient le record des suicides d'adolescents comme de la criminalité et compte 20 millions de drogués.
Tel est le mode de vie américain de nos moralistes au moment où Mr Bush organise des prières pour sa croisade du pétrole.
Ce mode de vie est celui de l'exaltation de l'argent et de la violence. Cette culture de l'inhumain est exportée dans le monde entier par les films américains. Ceux de la violence répressive des polars avec leurs cascades de coups de révolvers ; ceux de la violence raciste des westerns exaltant la chasse à l'indien ; ceux de la violence-spectacle des films d'épouvante.
Telle est la puissance qui détient l'empire du monde.
Aujourd'hui c'est le principe même du système : le monothéisme du marché (c'est à dire l'argent) comme seul régulateur de toutes les relations sociales (de l'économie à la politique et de l'art à la morale) qui est la plus grande défaite de l'homme.
Cette guerre coloniale et l'embargo assassin qui la perpétue, a servi de révélateur de la responsabilité des dirigeants et de la caducité des institutions, permettant ainsi de distinguer clairement ce que le Président Bush appelle : le nouvel ordre international (qui serait le maintien et le renforcement, dans le monde, du statu-quo colonial sous hégémonie américaine), d'un véritable nouvel ordre international qui en est le contraire.
Ce texte est extrait du livre de Roger Garaudy L'Avenir: mode d'emploi, Ed. Vent du Large, 1998
Le titre donné à cet extrait est de l'administrateur du blog
Ce texte est extrait du livre de Roger Garaudy L'Avenir: mode d'emploi, Ed. Vent du Large, 1998