Il
doit être clair [...] que la « démocratie
directe
» est un concept-limite, l'horizon de notre
combat.
Nous ne sommes ni des anarchistes ni des
utopistes
: la participation directe, immédiate et
totale
de chacun n'est pas possible à tous les
niveaux
de la décision. Elle est toujours possible et
nécessaire
dans les unités de base. Mais même la
démocratie
représentative se trouve transformée
lorsqu'elle
se fonde, à la base, sur une démocratie
directe.
En outre les techniques modernes d'information
et
de communication permettent de plus en
plus
de la faire pénétrer à des niveaux de plus en
plus
élevés. Ce contre quoi nous combattons c'est la
conception
dualiste de principe qui distingue, dès le
départ,
ceux qui «savent» et ceux qui ne savent
pas,
et érige en principe le dualisme de dirigeants
et
de dirigés, les premiers apportant « du dehors »
la
conscience révolutionnaire aux seconds.
La
condition primordiale est que les masses prennent
conscience
des possibilités nouvelles, que chacun
se
sente personnellement responsable de les
mettre
en oeuvre et de les réaliser.
Pour
prévenir toute interprétation caricaturale
de
la «démocratie directe», il est important d'en
donner
une définition précise :
1)
II y a démocratie directe lorsque à chaque
niveau
les dirigeants ne présentent pas au niveau
inférieur
des solutions préfabriquées auxquelles
il faut répondre par oui ou par non, comme dans
un
référendum, une élection ou un congrès du
parti;
lorsque la base n'est pas appelée à signer
un
chèque en blanc à un président de la République
ou
à un dirigeant qui réglera pendant plusieurs
années
les problèmes dont dépend notre
destin;
mais au contraire lorsque à chaque niveau
existe
la possibilité réelle de participer effectivement
à
la décision et à l'élaboration des décisions.
2)
Il y a démocratie directe lorsque la base peut,
à
chaque instant, montrer les conséquences des
décisions
prises et intervenir efficacement auprès
des
échelons les plus élevés.
3)
Il y a démocratie directe lorsque chaque
citoyen
ou chaque militant dispose d'informations
complètes
pour faire son choix et prendre sa
décision.
4)
Il y a démocratie directe lorsque à la hiérarchie
à
sens unique et à la délégation de pouvoir
à
un dirigeant tenu pour omniscient, se substitue
un
dialogue permanent et opératoire entre
la
base et le sommet.
Cette
démocratie-là est la seule qui soit en harmonie
avec
l'état actuel des forces productives,
des
sciences et des techniques.
Ce
qui est vrai de l'entreprise, et qui exige la
pleine
efficacité des techniques nouvelles, est vrai
de
tous les groupes humains, qu'il s'agisse de
l'Etat,
des partis ou des syndicats.
Mais
ce n'est pas sous la seule poussée des forces
productives,
des sciences et des techniques que se
réalisera
automatiquement une telle démocratie.
Un changement radical des rapports
de production,
des
rapports de classe et du régime de propriété
est
nécessaire. Seul le socialisme peut conduire
à
son terme la logique d'une telle démocratie
qui
demeure impossible tant que subsiste le privilège
patronal
de commander ou de déléguer son
pouvoir
de commandement. La suppression de la
propriété
privée des moyens de production est la
condition
nécessaire mais non suffisante de cette
démocratie.
La deuxième condition étant celle que nous
avons
exposée tout au long de ce chapitre : l'élaboration
d'un
modèle nouveau de démocratie
socialiste
et sa réalisation déjà à l'intérieur de
tout
parti visant à construire le socialisme.
Dans
cette levée de type nouveau chacun a place,
quel
que soit son syndicat son parti ou sa religion;
y
ont place aussi les non-syndiqués, les sans-partis,
les
incroyants, à la seule condition qu'ils veuillent
participer
à la tâche commune : la réalisation de ce
socialisme
d'autogestion et d'autogouvernement.
Nous
ne proposons pas une tâche facile ni une
bataille
gagnée d'avance. Lorsque pendant des siècles
les
hommes ont été dirigés, manipulés par des
régimes
de classe, des gouvernements, des états-majors,
des
directions, des parlements, des partis,
ce
n'est pas une chose simple que de stimuler les
initiatives
de la base, pour que chacun participe
activement,
effectivement, à part entière à l'invention
et
à la réalisation du futur, à la création de son
propre
destin.
C'est
pourtant la tâche essentielle que nous
impose
notre époque, et c'est pourquoi nous appelons
à
commencer cette longue marche vers un véritable
socialisme
d'autogestion, cette Longue Marche
pour la
reconquête de l'espoir.
Roger Garaudy
Reconquête de l’espoir
Grasset 1971
Pages 101 à 104
Reconquête de l’espoir
Grasset 1971
Pages 101 à 104