Un jeune militant face au « centralisme démocratique ». 1968-1970
J’adhère au cercle de la Jeunesse communiste de mon Lycée en
1965, à 17 ans.
Depuis longtemps, depuis mon enfance, je baigne dans le jus d’une famille de militants communistes. Ma mère, femme de ménage, n’est « que » sympathisante mais est très active au Secours Populaire: nous sommes pauvres mais il y a encore plus pauvres que nous. Mon père, maçon, est communiste de cœur depuis toujours et « en carte » depuis 1945. Il est très actif à la CGT et au parti. Tous deux ont participé à la Résistance.
Une maison « envahie » de camarades, de journaux (« L’Echo du Centre », « France Nouvelle », plus tard « l’Huma dimanche », plus rarement « l’Huma » quotidienne) et de livres (des Editions Sociales, des Editions Hier et Aujourd’hui, des Editions de Moscou,…), d’affiches avec leurs pots de colle et de tracts surtout en période électorale mais pas uniquement, et l’enfant puis l’ado que je suis savourant cette agitation toujours fraternelle et généralement débonnaire malgré le contexte souvent grave (par exemple la guerre en Algérie - où se trouvait l'un de mes frères - pendant laquelle nous prenions nos infos sur Radio Moscou en ondes courtes).
En 1967, en Terminale philo, je découvre Roger GARAUDY avec « Marxisme du 20e siècle » publié en 1966 et édité en poche 10-18. Je dévore ce livre où sans doute des choses m’échappent alors mais qui m’ouvre à une vision ouverte et moderne du marxisme, de la lutte des classes et du combat communiste. J’adhère au parti en septembre 1967 sur la base de cette vision à laquelle je peux dire être encore fidèle en 2016 quoique dans des conditions et sous des formes différentes.
J’apprécie notamment la façon dont GARAUDY traite dans son livre des rapports entre le marxisme et la foi religieuse. J’ai encore en mémoire en effet certaines promenades familiales dominicales dans la ville à la fin des années cinquante et au début des années soixante où des gaullistes ou bien des adhérents du MRP, catholiques militants, traversaient la rue pour venir saluer mes parents alors que des responsables de FO ou de la SFIO, changeaient eux de trottoir pour ne pas avoir à le faire. C’était la guerre froide et les athées militants manquaient manifestement de charité chrétienne…
Nous avons parmi nos amis deux prêtres ouvriers, tous deux syndiqués à la CGT et l’un également membre du parti. Ma famille, bien qu’athée, n’est absolument pas obsédée par l’anti-cléricalisme, elle est encore moins anti-religieuse. La politique de la « main tendue », ma mère au Secours pop et mon père à la CGT la pratiquent naturellement.
La parole de GARAUDY a donc dès cette époque un écho chez moi et j’en parle aux réunions de cellule – très conviviales mais qui, il faut le reconnaître, ne sont suivies que par une toute petite partie des adhérents. Je parle aussi sans précautions (privilège de la jeunesse !) de mes doutes sur la vérité et le bien fondé de la politique menée en URSS non seulement par rapport à la question religieuse mais aussi par rapport à la « démocratie socialiste ».
Le Secrétaire Fédéral du parti est ce que j’appellerai plus tard un « stalinien persévérant », comme tous les secrétaires fédéraux de l’époque, même après le rapport KROUTCHEV au 20e Congrès du PCUS sur les « crimes « de STALINE. Il me reprend parfois sèchement lors de certaines de ces réunions. Du coup, mon père, qui avait déjà quelques démêlés historiques (apparemment ça remontait à la Libération) avec le secrétaire de l’UD CGT, est carrément en froid avec lui. Les liens de la CGT et du PCF sont alors quasiment structurels : catastrophe !
Une certaine déception commence ainsi à s’installer en moi – déjà ! -, déception qui à part de rares périodes ne m’a pas quitté depuis : et si le parti n’était pas le guide infaillible proclamé, s’il n’était pas à la hauteur des espérances de la classe ouvrière et de la visée communiste ? Mais la section est « tenue » par Paul, un militant EDF inattaquable, résistant, dirigeant en 1945 le Comité Local de Libération, qui m’ a « à la bonne » même s’il ne partage pas mes doutes.
Depuis longtemps, depuis mon enfance, je baigne dans le jus d’une famille de militants communistes. Ma mère, femme de ménage, n’est « que » sympathisante mais est très active au Secours Populaire: nous sommes pauvres mais il y a encore plus pauvres que nous. Mon père, maçon, est communiste de cœur depuis toujours et « en carte » depuis 1945. Il est très actif à la CGT et au parti. Tous deux ont participé à la Résistance.
Une maison « envahie » de camarades, de journaux (« L’Echo du Centre », « France Nouvelle », plus tard « l’Huma dimanche », plus rarement « l’Huma » quotidienne) et de livres (des Editions Sociales, des Editions Hier et Aujourd’hui, des Editions de Moscou,…), d’affiches avec leurs pots de colle et de tracts surtout en période électorale mais pas uniquement, et l’enfant puis l’ado que je suis savourant cette agitation toujours fraternelle et généralement débonnaire malgré le contexte souvent grave (par exemple la guerre en Algérie - où se trouvait l'un de mes frères - pendant laquelle nous prenions nos infos sur Radio Moscou en ondes courtes).
En 1967, en Terminale philo, je découvre Roger GARAUDY avec « Marxisme du 20e siècle » publié en 1966 et édité en poche 10-18. Je dévore ce livre où sans doute des choses m’échappent alors mais qui m’ouvre à une vision ouverte et moderne du marxisme, de la lutte des classes et du combat communiste. J’adhère au parti en septembre 1967 sur la base de cette vision à laquelle je peux dire être encore fidèle en 2016 quoique dans des conditions et sous des formes différentes.
J’apprécie notamment la façon dont GARAUDY traite dans son livre des rapports entre le marxisme et la foi religieuse. J’ai encore en mémoire en effet certaines promenades familiales dominicales dans la ville à la fin des années cinquante et au début des années soixante où des gaullistes ou bien des adhérents du MRP, catholiques militants, traversaient la rue pour venir saluer mes parents alors que des responsables de FO ou de la SFIO, changeaient eux de trottoir pour ne pas avoir à le faire. C’était la guerre froide et les athées militants manquaient manifestement de charité chrétienne…
Nous avons parmi nos amis deux prêtres ouvriers, tous deux syndiqués à la CGT et l’un également membre du parti. Ma famille, bien qu’athée, n’est absolument pas obsédée par l’anti-cléricalisme, elle est encore moins anti-religieuse. La politique de la « main tendue », ma mère au Secours pop et mon père à la CGT la pratiquent naturellement.
La parole de GARAUDY a donc dès cette époque un écho chez moi et j’en parle aux réunions de cellule – très conviviales mais qui, il faut le reconnaître, ne sont suivies que par une toute petite partie des adhérents. Je parle aussi sans précautions (privilège de la jeunesse !) de mes doutes sur la vérité et le bien fondé de la politique menée en URSS non seulement par rapport à la question religieuse mais aussi par rapport à la « démocratie socialiste ».
Le Secrétaire Fédéral du parti est ce que j’appellerai plus tard un « stalinien persévérant », comme tous les secrétaires fédéraux de l’époque, même après le rapport KROUTCHEV au 20e Congrès du PCUS sur les « crimes « de STALINE. Il me reprend parfois sèchement lors de certaines de ces réunions. Du coup, mon père, qui avait déjà quelques démêlés historiques (apparemment ça remontait à la Libération) avec le secrétaire de l’UD CGT, est carrément en froid avec lui. Les liens de la CGT et du PCF sont alors quasiment structurels : catastrophe !
Une certaine déception commence ainsi à s’installer en moi – déjà ! -, déception qui à part de rares périodes ne m’a pas quitté depuis : et si le parti n’était pas le guide infaillible proclamé, s’il n’était pas à la hauteur des espérances de la classe ouvrière et de la visée communiste ? Mais la section est « tenue » par Paul, un militant EDF inattaquable, résistant, dirigeant en 1945 le Comité Local de Libération, qui m’ a « à la bonne » même s’il ne partage pas mes doutes.
Garaudy à la tribune du 19e Congrès du PCF. 1970. Photo Henri Bureau/Sygma |
Je milite donc dans un haut-lieu du gauchisme (l’UNEF est tenue par l’AJS, organisation de jeunesse de l’OCI trotskiste), lors du mouvement de mai-juin 1968 et à ma section d’origine du parti à partir de l’invasion de la TCHECOSLOVAQUIE par les troupes du Pacte de Varsovie (août).
Les évènements se 1968 ont brisé la confiance que j’avais dans le parti. Pourquoi ? D’abord j’ai constaté de visu, dénoncé en interne, et condamné publiquement quand je le pouvais, la violence physique et l’argumentaire calomniateur dont le parti et la CGT usaient envers « les gauchistes ». Ensuite j’ai vécu à plusieurs reprises le refus obstiné et suicidaire du parti et de la CGT de faire se rencontrer la jeunesse notamment étudiante et le mouvement ouvrier. Enfin j’ai été choqué par l’incompréhension radicale du mouvement dont le parti a fait preuve à la suite de Georges MARCHAIS : il s’agissait bien d’une remise en cause globale du système capitaliste et non d’une lutte simplement revendicative. Dernier point : la condamnation de l’intervention militaire contre le « printemps de PRAGUE » sera suivie rapidement d’une approbation de la « normalisation ».
La prise de conscience de ces « erreurs » me font adhérer d’emblée, comme traduction théorique de ce que j’ai personnellement vécu et commencé à analyser, aux théories avancées en 1968 et 1969 par Roger GARAUDY dans ses livres : « Le problème chinois »,« Peut-on être communiste aujourd’hui ? », Pour un modèle français du socialisme », et « Le grand tournant du socialisme ».
Une parenthèse pour noter que, parmi les membres du Bureau politique et du Comité central qui ont tenté de parler aux étudiants, seul Roger GARAUDY a pu dignement et longuement le faire ( pendant trois heures !), quand Pierre JUQUIN et Roland LEROY s’étaient fait vulgairement expulser le premier par la fenêtre le second… par la porte ce qui était moins pire. Passons sur ARAGON bêtement humilié par COHN-BENDIT.
Revenons aux thèses post 68 de GARAUDY, dont je me fais évidemment le porte-parole dans les réunions de cellule. La nouvelle révolution scientifique et technique (avec notamment la cybernétique) révolutionne le travail ; de ce fait le travail intellectuel est de plus en plus incorporé dans le travail vivant ; un « nouveau bloc historique » se forme entre une classe ouvrière elle-même en mutation et les couches montantes d’ingénieurs, cadres et techniciens ; c’est ce « bloc historique » (le terme est emprunté à GRAMSCI) qui porte l’avenir et non pas l’ « alliance anti-monopoliste » proposée par la direction du PCF et fondée en réalité sur le retour à un passé dépassé (le petit entrepreneur individuel allié à la classe ouvrière industrielle) ; sur le plan international, l’Union Soviétique n’est pas le modèle du socialisme, est-elle d’ailleurs même socialiste ? Voilà quelques points d’hypersensibilité pour les communistes de l’époque. GARAUDY reçoit du Bureau Politique deux blâmes pour ces thèses, que je continue à défendre mais sans remettre en cause mon appartenance au parti : les militants surtout les plus convaincus ont une grande capacité à avaler les couleuvres ! Comme disait ARAGON, champion des avaleurs, « mon parti n’est pas beau, mais c’est le seul ! ». A la veille du 19e Congrès, après des mois de dénigrement systématique de la part de la presse et des cadres du parti (eux-mêmes encadrés par "super-Staline" Gaston PLISSONNIER[voir note]), le 2 janvier 1970, GARAUDY peut enfin publier un article dans « l’Huma ». C’est trop tard !
Grâce à la protection de Paul, je suis désigné comme l’un des délégués à la Conférence Fédérale de mon département. Je dois y prendre la parole. Ce que je fais avec grande appréhension : un jeune de 22 ans ne peut pas « donner des leçons » de communisme à la plupart des délégués présents dont beaucoup étaient déjà là pendant la résistance et qui pour la plupart ont des responsabilités dans le parti, la CGT, le MODEF ,le Mouvement de la Paix, le Secours Populaire et les autres organisations de la planète communiste.
Je n’ai malheureusement pas gardé le texte de cette intervention. Mais je m’y revois encore. Courte, pas plus de cinq minutes, je me souviens des deux idées que j’y ai exposées : d’abord comme l’URSS n’est pas un exemple à suivre il faut que le PCF donne par son fonctionnement une idée du type de socialisme « à visage humain » (formule des communistes de PRAGUE en 1968) que nous voulons pour notre pays ; ensuite il faut prendre en compte les nouveaux rapports de classe nés de la révolution scientifique et technique de façon à élaborer les objectifs d’avenir communs à la classe ouvrière et aux nouvelles couches intellectuelles formant ensemble le « nouveau bloc historique ».
Le député de la HAUTE-VIENNE, directeur du quotidien « l’ECHO DU CENTRE », membre du Comité central, futur ministre de Pierre MAUROY, Marcel RIGOUT en personne, qui n’avait pas encore goûté aux délices ravageurs de l’opposition interne, n’eut pas de peine – et pas de mérite – à réduire en cendres devant une assemblée convaincue d’avance car préfabriquée le petit feu que j’avais naïvement cru (un peu) allumer. Après avoir vingt ans auparavant contribué à faire condamner et exclure le non-orthodoxe Colonel GUINGOUIN héros de la résistance et Compagnon de la Libération, ce qu’il n’a jamais regretté, et avant de suggérer en 1984 à Georges MARCHAIS de se suicider après une défaite électorale, ce qu’il n’a jamais regretté non plus, il s’est offert l’un des plus jeunes délégués de la Conférence fédérale 1970, maigre victoire…
Je n’ai jamais oublié cet épisode. Je ne renouvelle pas ma carte en 1971. De cette « attirance-répulsion » alors naissante, je n’ai jamais vraiment pu me départir envers le PCF et ses orgas « associées ». De 1977 à 1984, bien qu’à nouveau membre du parti je participe discrètement aux travaux de l’Association Appel aux Vivants qui tente (vainement) de porter la candidature de GARAUDY à la Présidentielle de 1981. En 1987 je quitte définitivement le PCF pour soutenir, notamment avec Marcel RIGOUT ( !) la candidature de Pierre JUQUIN (re !) à la Présidentielle de 1988…
Mais c’est une autre histoire…Le problème est d’ailleurs aujourd’hui réglé : après les renoncements démagogiques (par exemple à la « dictature du prolétariat » et à un « syndicalisme de classe et de masse » et à leur remplacement par…rien !), après les ralliements sans principes (au tout-nucléaire, à la force de frappe, aux mythes de la croissance et de l’Europe, à l’alliance électorale avec le PS,…etc) il n’y a plus en France de parti communiste produisant une analyse et une perspective politique dignes de ce nom ni de classe ouvrière consciente d’elle-même. J’en viendrai presque à regretter Georges MARCHAIS au sujet duquel je partage pourtant l’opinion émise en 1968 par GARAUDY selon laquelle il fut à partir de 1968 "le fossoyeur" en chef du parti : ses derniers coups de pelle étant en 1979 (année maudite…) l’approbation depuis MOSCOU de l’invasion soviétique en AFGHANISTAN et le « bilan globalement positif » de l’URSS…
Alain RAYNAUD
Note: je publie ici une circulaire adressée le 6 septembre 1968 aux secrétaires fédéraux par Gaston PLISSONNIER, circulaire qui montre bien le type d'organisation quasi militaire -ou policier, à vous de choisir le qualificatif...- et de politique à la fois sectaire (philosoviétique quoi qu'il arrive) et opportuniste (ne pas s'aliénerGuy MOLLET !) qu'est toujours le PCF à cette date.
Note: je publie ici une circulaire adressée le 6 septembre 1968 aux secrétaires fédéraux par Gaston PLISSONNIER, circulaire qui montre bien le type d'organisation quasi militaire -ou policier, à vous de choisir le qualificatif...- et de politique à la fois sectaire (philosoviétique quoi qu'il arrive) et opportuniste (ne pas s'aliénerGuy MOLLET !) qu'est toujours le PCF à cette date.