[...]
C'est
la vocation même du socialisme, depuis
Marx
mais déjà avec les grands utopistes qui l'ont
précédé
et dont il recueillait consciemment l'héritage,
de
se donner pour tâche non pas seulement de
changer
le système de propriété et l'organisation
du
pouvoir politique, mais de créer l'ensemble des
conditions
sociales permettant un plein épanouissement
de
l'homme et de chaque homme.
Que
Marx ait découvert les fondements d'une
méthode
scientifique d'analyse du développement
des
sociétés, que Lénine et de grands révolutionnaires
à
sa suite aient mis en oeuvre cette méthode
pour
élaborer les techniques de la prise et de l'exercice
du
pouvoir, que ces deux contributions
majeures
à la création continuée de l'homme par
l'homme
aient été perverties par leurs successeurs,
rien
de toute cette histoire de la découverte des
méthodes
puis de leur détournement ne doit nous
faire
oublier, au profit de la recherche sur les
moyens,
la fin véritable du socialisme.
Cette
fin implique une conception de l'homme
et
de son épanouissement. La politique du socialisme,
conçue
dans sa plénitude humaine, ne peut
donc
écarter un problème fondamental : celui de la
confrontation
de ses visées avec celles des philosophies
et
des religions. Ce n'est pas un problème
subalterne,
tactique ou circonstanciel. Car seule une
telle
confrontation peut permettre de dégager clairement
la signification humaine du socialisme.
Il
est par exemple indispensable au rayonnement
et
aux possibilités de réalisation du marxisme, profondément
enraciné
dans la culture « occidentale »
(économie
politique anglaise, socialisme français,
philosophie
classique allemande, disait Lénine) de
confronter
profondément ses visées avec celles des
grandes
conceptions non occidentales de l'homme.
A
une époque où 1' « Occident » ne peut plus
conserver
l'illusion colonialiste qu'il est le seul centre
d'initiative
historique et le seul créateur de
valeurs,
c'est une nécessité absolue pour le
marxisme,
comme d'ailleurs pour toute la culture
européenne,
d'accepter l'interpellation fécondante
de
l'Asie, de l'Afrique, de l'Amérique latine.
Dans
les conditions propres à la France nous
nous
limiterons à un aspect seulement de cette
interpellation
du marxisme : aux questions que lui
pose
celle des conceptions de l'homme et de son
avenir
qui, dans notre pays, est la plus ancienne
et
la plus enracinée : le christianisme.
Abordant
une nouvelle fois ces problèmes, pour
écarter
tout malentendu, je tiens à préciser que,
parlant
par exemple de la foi ou du péché originel,
je
ne prétends évidemment pas faire oeuvre
de
théologien.
Ceci
pour trois raisons :
D'abord
parce que je traite ces problèmes « du
dehors
», en athée qui s'interroge sur le sens de la
vie,
de l'histoire et de cette foi.
Ensuite
parce que j'essaye de déchiffrer, comme
«
signes du temps » la pensée et l'action de chrétiens
militants
— et qui ne sont pas tous les chrétiens
—
qui prennent appui sur le concile de Vatican
II,
et en développent, me semble-t-il, l'esprit.
Enfin
parce que cette orientation apparemment
irréversible
s'exprime déjà dans les textes de quelques-
uns
des plus grands théologiens, catholiques
ou
protestants, et même dans certains documents
les
plus récents de l'Eglise.
Les
quelques réflexions qui suivent n'ont pas
pour
objet de choisir
» une théologie particulière
ou
une tendance parmi les chrétiens, mais de tenter
de
dégager quelques lignes de force dans le
développement
actuel du christianisme et surtout
de
chercher à définir, d'un point de vue marxiste,
sans
complaisance et sans confusion, mais aussi
sans
sectarisme, les raisons de nos divergences
et
les conditions de nos convergences.
Roger Garaudy