ARTICLE
DE PIERRE ASSOULINE dans « LIRE » n°120 Sept 1985
ET
LA LETTRE DE ROGER GARAUDY à BERNARD PIVOT, DIRECTEUR
DE LA REVUE (8 nov 1985)
Garaudy a trouvé son chemin de Damas...
Parole
d'homme, dont
Lire publia des extraits, est
une étape dans lavie de Roger
Garaudy. Exclu du
Parti communiste
à la suite de sa critique de l'intervention
soviétique enTchécoslovaquie,
il se devait de
pousser jusqu'à
leur maturité ses réflexions de
socialiste et de chrétien. L'avenir,
l'amour, la mort, la liberté, la
vie en un mot
étaient plus « rêvés » qu'analysés, dans
cet essai, par cet agrégé de
philosophie qui fut longtemps présenté comme
l'intellectuel du PC (comme s'il
n'y en avait qu'un).
Un an plus tard,
il publie Le projet Espérance puis Pour un
dialogue descivilisations et un premier
roman, coup d'essai qui ne
fut pas un coup de maître, Qui
dites-vous que je suis ? Cet échec le
confirma dans sa vocation d'essayiste qui
fut consacrée en 1979 par la
publication d'un authentique best-seller (plus
de 200 000 exemplaires), Appel aux
vivants, pavé
de bons sentiments
et de bonnes intentions, brassant les
généralités et les idées vagues avec
une candeur que l'on voudrait feinte.
Il ne fallut pas lireentre les lignes
pour constater que Garaudy profitait
de cet appel pour faire acte de
candidature aux élections de 1981. Un
écologisme bien tempéré et quelques
formules qui avaient déjà servi à d'autres
(aimez-vous les uns les
autres) tenaient
lieu de programme,pour l'essentiel.
Mais le premier candidat déclaré sera
aussi des premiers à se retirer,
n'ayant pas réussi à recueillir les fameuses cinq
cents signatures.
Cet échec
l'a-t-il marqué ? Toujours est-il que 1981
fixe une nouvelle étape dans l'itinéraire
déjà sinueux de Roger Garaudy et
l'arrivée des socialistes au pouvoir n'y est
pour rien. Il publie Promesses de l'Islam et se convertit à
la religion
musulmane dans une des mosquées les plus chics
d'Europe, celle de Genève, sous les
auspices de l'imam Bouzouzou. Ceux
qui le suivaient depuis longtemps
furent dubitatifs : né de parents
agnostiques, converti au protestantisme à 14 ans sous
l'influence du philosophe
Maurice Blondel, communiste à 20 ans, puis
marxiste orthodoxe volontiersinquisiteur, puis
dissident du PC puis
socialiste chrétien et maintenant musulman.
Avait-il enfin trouvé son chemin de
Damas à Genève et un guide sûr en
Mahomet ? Sa conversion était-elle
sincère et durable ou simplementopportuniste ? Il dit s'être
converti pour se désolidariserde ce
christianisme « qui relaie une certaine
idéologie sioniste » et parce que l'islam
« est la foi la plus intégrante ». A
ses yeux, il ne s'agissait pas de reniement
mais d'accomplissement, la religion
musulmane étant laplus récente des
religions révélées.
Toujours est-il
qu'aujourd'hui on se dispute dans les
pays arabes ce conférencier de talent qui à
73 ans fustige avec tant
d'éloquence et de culture la civilisation
judéo-chrétienne ; que l'ambassade
d'Irak à Paris a assuré le service de presse
de son violent pamphlet L'affaire
Israël en l'envoyant à toutes les
rédactions ; qu'une société de
production saoudienne a investi dix
millions de dollars pour tourner un
feuilleton sur sa vie intituléGarodi . . .
En se
convertissant il a changé de prénom. Il
s'appelle dorénavant Raja, ce qui signifie :
espérance... P.A.
ROGER GARAUDY Paris, le 8 novembre 1985
Monsieur Bernard PIVOT
LIRE
61, avenue Hoche
75382 Paris Cedex 08
Cher Monsieur,
Des amis m'ont communiqué le no. 120
(septembre 1985)de votre magazine "Lire". L'un de vos rédacteurs,
Monsieur Pierre Assouline, a cru devoir me consacrer un article constituant une
véritable diffamation et une atteinte à mon honneur.
Croyant à votre bonne foi et à votre
honnêteté intellectuelle, je me permets de vous adresser les réflexions
suivantes sur cet article.
ACHETER LE LIVRE |
Alors que ma "Biographie du XXème
siècle", à partir de la publication de lettres inédites, de Sartre, de
Lévi- Strauss, et des principaux théologiens du XXème siècle, retrace la
trajectoire spirituelle de ce siècle, Monsieur Assouline évoque une prétendue
histoire de mes variations : "protestant", puis communiste, puis
"marxiste orthodoxe", puis dissident du P.C., puis socialiste
chrétien, et maintenant musulman." Cette "chronologie" aberrante
ne peut que fausser les perspectives,
rétablies précisément
par mon livre, où je montre pourquoi la plus
haute joie de ma vie est d'avoir le sentiment, après soixante-dix ans, d'être
resté fidèle au rêve de mes vingt ans.
La fin de l'article est pire encore: où
Monsieur Assouline a-t-il vu que je m'étais "désolidarisé" du
christianisme, alors que je me vante d'être venu à l'Islam, avec la Bible sous
un bras, et le "Capital" de Marx dans l'autre ?
Pourquoi insinuer que mon cheminement était
intéressé en oubliant que mon livre "L'affaire Israël", publié en
français, en anglais, en allemand et en arabe, et malgré de gros tirages, ne
m'a rapporté aucun droit d'auteur en aucune langue ?
Monsieur Assouline ignorerait-il que les
thèses de ce livre m'ont valu, à l'instigation des sionistes, deux procès, et
que je les ai gagnés tous les deux, le tribunal d'appel proclamant notamment
que
"la critique du sionisme politique n'a rien à voir avec l'antisémitisme."?
"la critique du sionisme politique n'a rien à voir avec l'antisémitisme."?
Pourquoi reproduire un ragot sur les "10
millions de dollars" consacrés à un film-feuilleton sur ma vie, ragot orchestré
par une certaine presse, alors que ni un dollar ni un mètre de pellicule n'ont
été consacrés à un tel sujet ?
Je suis prêt à répondre de chacun de mes
actes et de mes écrits devant n'importe quel public et face à n'importe quel
détracteur.Il vous serait, par exemple,facile de me confronter en
"Apostrophes" avec n'importe lequel d'entre eux. Ce ne sont pas les
thèmes qui manquent: autobiographies, bilans d'un siècle, foi et politique,
Islam intégriste et Islam "réformé", puisque je considère dans mon
livre (contrairement à Monsieur Assouline qui semble me croire un apologète
inconditionnel) que l'Islam est l'une des communautés les plus malades .
Je ne vous écris pas cela pour demander un
quelconque droit de réponse (bien qu'il ne s'agisse nullement, dans l'article
de Monsieur Assouline, de critique d'un livre mais de diffamation d'une
personne) mais pour vous demander de vous interroger sur le procédé qui
consiste à passer de la critique d'un livre aux insinuations sur
un homme. Et surtout, selon la mission du
critique, de poser les véritables problèmes. En ce qui me concerne - et c'est
l'objet central de mon livre "Biographie du XXème siècle", le
problème incontournable est celui-ci: que faire pour empêcher que le XXème
siècle ne s'achève en apocalypse ?
Je fais confiance à votre droiture pour juger
vous-même de la suite à donner à mes remarques.
Très cordialement,
Roger GARAUDY