Premier d'une série de quatre articles consécutifs sur LA NATION FRANCAISE, SES ORIGINES, SON HISTOIRE, SON AVENIR. A l'heure où les partis de l'étranger, européistes et atlantistes, ou néo-fascistes, tiennent le haut de l'affiche (notamment de l'affiche électorale), LE RAPPEL D'UNE CONCEPTION POPULAIRE ET OUVERTE DE LA GRANDEUR NATIONALE. Un texte dont nous avons coupé des extraits trop "datés" mais dans son ensemble plein d'enseignements. A chacun d'en faire son miel...AR
I - QU'EST-CE QU'UNE NATION ?
IL est
peu de mots — sauf peut-être celui de liberté
— qui
prêtent plus souvent à confusion que le
mot «
nation ». Il n'en est pas qui ait servi
à
couvrir plus de crimes contre les nations.
C'est
Mussolini, destructeur de l'unité italienne,
qui a lancé
la formule trompeuse de « Révolution
nationale
». « National-socialisme », c'est le titre
qu'ont
donné à leur parti les hitlériens qui devaient
opprimer,
des années durant, toutes les nations de
l'Europe,
les déchirer par le racisme, avant de
conduire
à l'abîme la nation allemande. « Nationalistes»,
c'est le-nom que s'attribuaient dans la
c'est le-nom que s'attribuaient dans la
guerre
d'Espagne les bandes franquistes lorsqu'elles
ouvraient
aux impérialistes de Rome et dé Berlin
les
portes de leur patrie. « La France aux Français»,
c'était le mot d'ordre des hitlériens français
c'était le mot d'ordre des hitlériens français
en
février 1934, lorsqu'ils entreprirent leur croisade
en vue
de livrer la France à Hitler. Les « Nationaux»
c'était, en France, avant la guerre, le parti
c'était, en France, avant la guerre, le parti
de
Laval et de Pétain.
[…]
C'est une tradition aussi de crier à la trahison et
C'est une tradition aussi de crier à la trahison et
de
maudire comme une « antifrance » ceux qui
refusent
ce mensonge et le démasquent. L'un des
hommes
qui se sont faits de la France l'idée la plus
haute,
Jean Jaurès, répondait un jour à ceux qui le
traitaient
d'agent de l'étranger : « Je connais ces
indignations
patriotiques : elles viennent d'ordinaire
des
partis et des hommes qui trafiquent de la
patrie.
»
Pour
combattre les mythologies meurtrières et
les
confusions intéressées, il est nécessaire de
définir
clairement la nation.
Le premier
mythe à détruire est celui de la race.
Hitlériens
d'hier, antisémites d'avant-hier, colonialistes
de
toujours y ont cherché leur justification.
Confondre
la nation avec la race, c'est tenir la
nation
pour un fait de nature, un groupe naturel,
fondé
sur la continuité du type physique et l'affinité
du
sang. La nation, ainsi définie par un critère
biologique,
je dirais même « animal », devient
une
réalité immuable et irréductiblement opposée
aux
autres comme le sont les bêtes de la jungle.
L'idéologie
de la race a toujours conduit, à l’intérieur,
à justifier les prétentions d'une classe et,
à justifier les prétentions d'une classe et,
par
suite, à diviser la nation. A l'extérieur, elle a
servi,
au nom d'une prétendue hiérarchie des races;
à
justifier les agressions et les annexions, la guerre
et le
colonialisme.
a)
Cette oeuvre de division, en France, est de
vieille
date. Elle remonte bien au-delà des théories
de
Drumont et de l'affaire Dreyfus. C'est ainsi qu'à
Paris,
en 1727, le comte de Boulainvilliers, dans son
Histoire de l'ancien gouvernement de la
France,
expliquait
que la vieille noblesse française était
constituée
par les descendants des Francs. Seule,
concluait-il,
cette classe d'essence supérieure, et
d'ailleurs
d'origine germanique (elle retournera à
ses
origines en allant à Coblentz) avait tous les
droits.
Le reste n'est qu'un troupeau sans droits,
provenant
du passage de toutes les races qui ont,
au
cours des âges, habité la Gaule. Sous Napoléon,
M. de
Montlosier soutiendra le même dogme de la
race,
toujours avec le même dessein : diviser le peuple
et
justifier les prétentions d'une classe;
b) A
usage externe, le racisme n'est pas moins
meurtrier
et destructeur des nations et de leur grandeur.
C'est
la théorie raciste de l'ambassadeur français
Gobineau
qui, utilisée et d'ailleurs déformée
jusqu'à
la monstruosité par Hitler, a permis à celui-ci
de
diviser pour régner, à l'intérieur de l'Allemagne
en
faisant du juif le bouc émissaire et, dans
tous
les pays d'Europe, en détruisant et en dénationalisant
les
coutumes et les traditions nationales.
Le
colonialisme n'a pas d'autre justification idéologique.
Jules
Ferry n'hésitait pas à proclamer sans
détour,
lorsqu'il définissait à la Chambre des députés,
le 28
juillet 1885, ce qu'il appelait le « système
colonial
», que l'idéologie des races était le fondement
nécessaire
de toute entreprise coloniale. Répliquant
à un
orateur de la gauche il s'écriait : « M .
Camille
Pelletan dit : Qu’ est-ce
que c'est que cette
civilisation qu'on impose à coups de canon ?... Messieurs,
il faut parler plus haut et plus vrai. Il
faut
dire ouvertement
qu'en effet les races supérieures
ont un
droit vis-à-vis des races inférieures... » Le
Journal officiel note ici : « Remous
sur plusieurs
bancs à l'extrême gauche » et deux
interruptions,
celles
de M . Jules Maigne criant : « Vous osez dire
cela
dans le pays où ont été proclamés les Droits
de l'homme! » Et M . de Guilloutet ajoutant :
«
C'est la justification de l'esclavage et de la traite
des
nègres. »
A quoi
Jules Ferry répond : « Si l'honorable
M. Maigne a raison, si la déclaration des
Droits de
l'homme a été écrite pour les noirs de
l'Afrique
équatoriale, alors de quel droit allez-vous
leur imposer
les échanges, le trafic ? Ils ne vous
appellent
pas. » (J.O., pp.
1065-1066.)
L'idéologie
de la race n'est pas seulement dangereuse,
elle
est inconsistante du point de vue de
la
science comme de l'histoire.
Les
Français, pas plus qu'aucun autre peuple,
ne
sont liés de toute éternité par la communauté
du
sang, par le lien biologique de la race. Le territoire
actuel
de la France a été un lieu de passage
et de
brassage de plusieurs races très distinctes :
Ligures
et Ibères, Celtes, Romains, Francs, Germains,
Arabes,
Normands, etc.. Ces éléments divers,
qui
ont convergé sur notre sol, qui se sont unis par
mille
liens, constituent aujourd'hui une communauté
historique
stable, où l'on ne distingue plus de
«
lignée pure ».
Comme
le dit Anatole France (Sur la pierre
blanche)
: « II est aussi difficile de distinguer dans
un
peuple les races qui le composent que de suivre
au cours
d'un fleuve les rivières qui s'y sont jetées. »
De ce
que l'unité nationale n'est pas une donnée
naturelle,
biologique, il ne faut pas conclure qu'elle
n'est
pas une réalité. La nation est autre chose
qu'une
vue arbitraire de l'esprit ou une exigence sentimentale
sans
objet réel. Une nation ce n'est pas
simplement,
comme le prétendait Renan « une
grande
solidarité constituée par le sentiment des
sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé
à
faire encore ».
Les
liens qui unissent les Français sont réels et
ils ne
se définissent ni par le faux matérialisme sans
pensée
du racisme, ni par le lyrisme désincarné des
idéalistes.
La communauté historique des Français
a été
une longue conquête. L'unité française, selon
l'expression
de notre Michelet, est le fruit d'une
lente
« création de soi par soi ».
Cette
communauté a une base matérielle: la
terre
de France: cet hexagone harmonieux que
nous
avons, à l'école, appris à dessiner de mémoire,
un peu
comme le paraphe personnel d'une signature.
Comme
écrit Aragon,
« Ma France de toujours que la
géographie
Ouvre
comme une paume aux souffles de la mer
Pour
que l'oiseau du large y vienne et se confie.»
Mais
pas plus par le sol que par la race, la
nation
n'est un fait de nature. Ce territoire lui-même
est une
création historique, une création
humaine.
Non pas seulement parce qu'il a été rassemblé
membre
à membre par l'effort et par les
combats
de notre peuple, mais parce que cette
nature
est pétrie et modelée de main d'hommes,
parce
que cette géographie même est devenue pour
l'essentiel
une oeuvre de l'histoire.
Dans
l'Ile-de-France, c'est la main de l'homme
qui.
de siècle en siècle, a fait reculer les forêts hirsutes
devant
la houle des grands blés.
Dans
les plaines du Nord, le ciel comme la terre
les
forêts inattendues des cheminées, la broussaille
des
charpentes métalliques,
« Et
ces grands ciels d'ardoise où la houille qui fume
Panache
les cités nostalgiques du fer »,
comme
rêvait Samain.
A
l'exception de quelques cimes des Alpes et
des
Pyrénées, de quelques falaises en granit de Bretagne
qui
conservent une provisoire éternité, chacun
des
paysages de France a été créé par une
longue
histoire, et le visage de notre patrie nous
est
devenu fraternel parce qu'il est pénétré de toute
l'humanité
de ceux qui l'ont travaillé et qui l'ont
sculpté.
Le
territoire de la France est déjà une réalité
ont
été transformés : les collines des terrils,
historique,
une réalité vivante, vivante de la vie
de
ceux qui l'ont fait : paysans ou ingénieurs, ouvriers
ou
soldats, architectes ou jardiniers.
Lorsqu'on
survole en avion cette terre de France,
lorsque
l'éloignement de l'altitude enlève au paysage
ses
particularités immédiates, et permet en quelque
sorte
de dégager l'idée, le sens, la volonté des
hommes
qui lui ont donné, au cours des siècles,
leur
empreinte, alors apparaissent des lignes simples,
en
quelque sorte stylisées : la courbe des chemins
qui
ont fait un compromis ou plutôt une
harmonie
entre la pente de la colline et la fatigue
du pas
des hommes; la limite des champs où des
ambitions
paysannes se sont affrontées à des obstacles
de la
nature et à des régimes sociaux; des bois
strictement
coupés, la fine dentelle des vignes ou
des
sillons; tout cela révèle d'une manière presque
charnelle
les combats et les amours de l'homme et
de sa
terre, des volontés s'obstinant pendant des
siècles
à s'inscrire sur ce sol et à lui donner ce
visage
unique comme est unique tout visage humain
dans
son expression, dans le sens et dans les promesses
qu'il
porte en lui.
*
Mais
les hommes aussi se sont transformés en
transformant
la nature et à son contact. Leur
«
culture » forme un tout : celle des arbres comme
celle
des esprits. Il s'est ainsi créé un style que
l'on
retrouve dans la manière de cultiver le sol
et de
composer les chansons, d'aimer une femme
ou de
se tenir au combat, de faire la cuisine ou
de
concevoir la vie. L'esprit français est fait de
tout
cela, ou plutôt il est tout cela comme un
arbre
unique né de la même terre que ceux qui
le
cultivent.
Maurice
Barrés a profondément éprouvé et
exprimé
cette dimension de l'homme : combien
l'esprit
d'un peuple, disait-il, est « harmonique à
son
pays» (Le Jardin de Bérénice). Sur sa Colline
inspirée il
écrit : « Cet horizon... nous ramène
sur nous-mêmes en nous rattachant à la suite
de
nos ancêtres... Je me retrouve en société avec des
milliers d'êtres qui passèrent ici. C'est un
océan,
une épaisseur d'âmes qui m'entourent et me portent
comme l'eau soutient le nageur... » Il dit de
l'église
de
Vaudémont : « Un beau fruit s'est levé d u sein
de la colline... La chapelle nous dit . . : Je prolonge
la prairie... Nous avons été préparés, toi et
moi, par
tes pères. Comme toi je les incarne. Je suis la pierre
qui dure, l'expérience des siècles. » Et dans les
Dernières musiques il écrira encore : « Je n'ai fait
qu'exécuter la musique qui reposait dans le
coeur
de mes parents et dans l'horizon où j'ai dès
avant
ma naissance, respiré. »
Qu'on
ne s'étonne point de trouver chez un
communiste
cette référence à Barrés. La grandeur
de Barrés,
c'est d'avoir pris conscience des racines
qui
relient chacun de nous à la réalité vivante de
sa
nation, d'avoir compris combien l'individu était
raciné
à sa terre et à ses morts.
La
limite de Barrés c'est d'être aveugle devant
l'avenir.
La nation, pour être une réalité vivante,
ne
peut se réduire à la terre et aux morts et ne
peut
nous réduire à l'horizon déjà clos qu'ont
entrevu
nos morts. La nation est une réalité en
train
de se faire. Elle n'est pas un capital à exploiter
mais
une oeuvre à construire. Elle n'est pas
seulement
une fierté, mais une tendresse et une
responsabilité.
La
limite de Barrés est une limite de classe :
lorsque
la nation, dans son devenir, s'identifie de
plus
en plus avec ceux qui la bâtissent de leurs
mains
et de leurs cerveaux, lorsque la classe ouvrière
en
assume et prolonge le royal héritage, Barrés ne
la
reconnaît plus. Il veut en arrêter la marche en
lui
disant : Tu n'iras pas au-delà de ce qu'ont créé
tes
ancêtres. Il nous livre dans Les
Déracinés le
secret
de toutes ses faiblesses lorsqu'il écrit : «
Que
les pauvres aient le sentiment de leur
impuissance,
voila une condition première de la paix
sociale. »
Eh
bien, nous, communistes, nous accueillons
Barrés
avec tout ce qu'il nous apporte de la grandeur
et de
la beauté du passé de notre peuple,
nous
voulons comme lui « nous confondre avec
toutes
les heures de l’Histoire de France, vivre avec
tous ses morts, ne nous mettre en dehors d'aucune
de ses expériences (Scènes et doctrines du
nationalisme).
Mais
nous accueillons aussi l'avenir, nous
nous
ouvrons à lui de toute notre confiance dans
les
destinées de notre patrie.
Et
cela même nous le faisons au nom de l'une
des
plus hautes et des plus constantes traditions
de
notre esprit national : ce n'est pas seulement
Jaurès
qui reprochait à Albert de Mun de n'avoir
gardé
du foyer des ancêtres que la cendre et non
la
flamme, c'est Paul Claudel qui exprime, au nom
du
passé, cette volonté créatrice de l'avenir :
«Il faut
venir au secours de cette création qui
gémit et qui a besoin de nous. Il faut venir au
secours de l'humanité d'abord, mais il faut
venir
aussi au secours de la forêt, il faut venir au secours
de la ronce qui demande à devenir une rose, il
faut venir au secours de ce grand fleuve qui
nous
demande que nous l'empêchions de déborder...
Il
nous faut porter partout l'ordre, la mesure,
la fécondité
et la loi. » ( Conversations dans le Loir-et-Cher.
Gallimard, 1935,
pp. 258-259.)
*
Le
sentiment de ce qu'il y a d'unique dans la vie
de
notre peuple, comme dans la vie d'une
personne
aimée, le sentiment de l'unité de son sol
et de
son esprit, n'implique aucun chauvinisme
Eprouver
profondément ce qui distingue la
«
Chanson de Roland » des « sagas » Scandinaves
ou des
« bilines » russes, ce par quoi Versailles ne
ressemble
ni au Tivoli du Cardinal d'Este, ni au
Potsdam
de Frédéric II, ce n'est pas isoler notre
pays
ni lui donner le privilège exclusif de la création
spirituelle.
C'est
au contraire en fécondant son génie de
tout ce
que les autres peuples ont créé avec leur
génie
propre, que la France et sa culture continueront
à
apporter leur contribution à la civilisation
humaine.
Qu'elle
deviendrait pauvre notre pensée, qu'elle
deviendrait
étriquée notre action, si nous voulions
follement
ignorer le rôle qu'ont joué, dans l'élaboration
même de notre esprit national la Renaissance
même de notre esprit national la Renaissance
italienne,
l'Allemagne de Hegel, de Marx et
de
Goethe, la technique américaine comme la Révolution
russe, si
la sagesse de l'Inde et de la Chine,
si la pensée
arabe, si Shakespeare ou Spinoza nous
devenaient
étrangers.
Mais
l'universalité n'est pas le nivellement.
L'humanité
n'est pas au-dessus des nations. Elle est
au coeur
de chacune d'elles. Chacune l'exprime avec
son
esprit et son génie particulier, en lui apportant
une
contribution irremplaçable. Comme Barrés
n'a eu
qu'à creuser le « moi » pour y découvrir
la patrie
vivante, c'est en approfondissant et en
développant
ce qu'il y a de meilleur dans sa culture
que
chaque peuple accède à l'humanité.
La fécondation
réciproque implique à la fois
une
conscience aiguë de l'originalité propre de sa
patrie et
la compréhension attentive et sympathique
de
l'apport des autres peuples. Pour devoir beaucoup
à la
peinture italienne, l'école française n'a rien
perdu de
sa personnalité. Notre XVIIIe siècle français
n'a rien
sacrifié de ses audaces par l'assimilation
fructueuse
de Locke et de la philosophie
anglaise,
pas plus que le socialisme français à l'école
de Marx
et de Lénine.
Le repli
chauvin sur soi est signe de faiblesse,
d'abandon
ou de défaite. On ne préserve pas la
grandeur
française en cultivant des singularités. Ce
que
l'abbé Brémond appelait la « poésie pure » est
peut-être
ce qui, dans un poème, est intraduisible
parce
qu'il exprime ce qu'il y a de plus subtil dans
l'âme et
dans la langue de chaque nation.
Là encore, on ne peut
dissocier l'unité vivante
que constitue la nation : les travaux et les combats
que constitue la nation : les travaux et les combats
de son
peuple, sa langue et son esprit.
L'histoire
de la langue et de l'esprit français se
confond
avec l'histoire de notre peuple.
Notre
langue a suivi le sort de la nation elle-même;
elle était d'abord le parler de l'Ile-de-France,
elle était d'abord le parler de l'Ile-de-France,
puis,
au fur et à mesure que les terres se rassemblaient
autour
de ce noyau, la langue de l'Ile-de-France
devenait la langue de la France tout entière.
devenait la langue de la France tout entière.
La
victoire de Philippe Auguste sur le comte de
Toulouse,
assurait, au lendemain de la Croisade des
Albigeois,
le triomphe de la langue d'Oïl sur la
langue
d'Oc.
C'est
à la même époque qu'est abattu le dernier
grand
féodal capable de mettre en péril l'unité
française,
le Connétable Charles de Bourbon, et
que du
Bellay publie sa Défense et illustration de
la
langue française — « à l'entreprise de
laquelle,
écrit-il, dans sa dédicace en 1549, rien ne
m'a induit
que l'affection naturelle envers ma patrie. » Citant
les
anciens, il reprend cette belle devise : « Il n'y
a pas de plus grand honneur que de combattre
pour
la langue de la patrie » et il se rend cet hommage :
«
Toi qui plaides pour la langue
paternelle, tu auras
acquis un renom aussi comme bon patriote. » C'est
le
temps où notre langue nationale, tout comme
notre
unité « commence à fleurir sans fructifier
encore
», selon la jolie expression de du Bellay. Ce
n'est
pas par hasard que Malherbe, qui a tant contribué
à épurer
notre langue, a vécu les dernières
grandes
crises de l'unité française et que Richelieu
s'est
montré le rude artisan de l'unité nationale à la
fois
sur le plan politique et sur le plan de la culture:
c'est le même cardinal, fanatique de l'ordre et
c'est le même cardinal, fanatique de l'ordre et
de l'unité
qui, nous dit son Testament politique —
« rabaisse l'orgueil des Grands ,
réduit tous les sujets
en leur devoir », et fonde en 1636
l'Académie française
pour
monarchiser « le royaume des lettres ».
Si, de
la langue, nous passons à l'esprit français,
nous
constatons que sa formation est liée intimement
à
celle de la nation elle-même.
Il est
né, au sortir du Moyen âge, dans l'atmosphère
spirituelle
du catholicisme féodal qui puise
à deux
grandes sources : judéo-chrétienne et romaine.
Au
christianisme il emprunte le noble souci de
faire
de sa vie un problème en la subordonnant à
un
idéal qui la dépasse : c'est le courant qui naît
avec
nos « chansons de geste » et la haute idée que
nos
chevaliers avaient de leur mission («queste »
du
Graal ou Croisades dont les Français furent
l'âme).
Corneille continue cette tradition de l'honneur
et de
la grandeur; Pascal approfondira cette
angoisse
chrétienne dont le frisson parcourt aujourd'hui
encore
l'oeuvre de Péguy, de Claudel, de Bernanos,
de
Mauriac.
A la
tradition romaine de l'ordre, l'esprit français
doit
l'architecture spirituelle de l'Université de
Paris
(dont la fondation est contemporaine de l'affermissement
de
l'unité territoriale et monarchique
de la
France sous Philippe Auguste) ; il lui doit
l'équilibre
de la raison classique ; il lui doit encore
l'intransigeante
mathématique sociale des Montesquieu
et des
Rousseau.
Sur le
fond féodal du catholicisme romain s'est
détaché
puissamment le grand courant d'esprit
critique
et d'ironie, aiguisé par des siècles de lutte de
la
bourgeoisie et du peuple contre le monde féodal.
Attaquer
sans peur et tout remettre en question
avec
l'audace des forts qui sont assurés de savoir
reconstruire,
c'est la plus caractéristique et la plus
vivace
des traditions de l'esprit français; elle jaillit
avec
les farces, sotties, romans et fabliaux de la
primitive
littérature bourgeoise, elle s'épanouit avec
Rabelais,
se raffine avec Montaigne, s'ordonne avec
Molière,
triomphe avec Voltaire, esquisse avec Anatole
France
son dernier sourire.
Lorsque
l'inquiétude humaine née du christianisme,
le
souci romain de l'ordre et la critique constructive
du
peuple qui a donné le modèle classique
des
révolutions bourgeoises se rejoignent et s'unissent
dans
un penseur ou dans une oeuvre, l'esprit
français
atteint ses apogées.
Descartes
et Diderot constituent dans notre passé
les
points de rassemblement spirituels qui assurèrent
le
prestige et le rayonnement de notre culture.
L'étude
de leur oeuvre permet de définir les conditions
de la
santé spirituelle de la France. Ce qui
fait
d'un Descartes et de Diderot les plus grands
«
témoins » de l'esprit français, c'est qu'en assimilant
toute
la culture française du passé, ils ont su
la
renouveler par la prise de conscience la plus
lucide,
la plus conséquente, la plus passionnée et
la
plus constructive des forces motrices de l'histoire
française
à leur époque. Ils ont conduit et rassemblé
toutes
les forces nationales progressives de leurs
siècles.
Ils ont été la conscience et le guide de
l'armée
de l'avenir à la veille de la grande Révolution
d'où
est sortie la France moderne.
Cet
héritage, les communistes l'accueillent sans
en
rien omettre: Maurice Thorez déclarait (à la
Conférence
de Gennevilliers, 21-23 janvier 1939)
« ...
la nation française s'est constituée à travers les
siècles, de vingt races qui se sont fondues dans cet
immense
et bouillonnant creuset que fut et qu’est
resté notre pays, avec son sol, avec ses richesses
naturelles, avec son climat privilégié, avec sa situation
unique, avec ses conditions générales qui ont
disposé, dès les plus lointaines époques, les habitants
de notre pays et ceux qu'il accueillait à
de notre pays et ceux qu'il accueillait à
l'amour du travail, au sens de la mesure, à l’ esprit
de méthode et de clarté, aux qualités qui sont celles
des Français, aux défauts qui sont aussi les nôtres,
à tout ce qui constitue — langue, mentalité, communauté
de territoire et de vie économique — le
caractère de la nation française.
« Ce caractère national français s'est trempé,
formé dans les épreuves, les succès, les revers, toutes
les gloires et les misères partagées en commun par
ceux qui ont travaillé le sol de notre pays. »
Cet
héritage, il convient aussi de le faire fructifier.
Et
c'est là notre deuxième problème : qui peut
continuer
la France dans le sens de sa vraie
grandeur ?
ROGER GARAUDY
Agrégé
de Philosophie
Docteur
ès lettres
Extrait de:
QU'EST-CE QUE LA GRANDEUR FRANÇAISE ?
Texte paru dans la revue de l'Union des Etudiants Communistes de France Clarté, n°14, oct-nov 1958 >> A SUIVRE: QUI PEUT CONTINUER LA FRANCE ? >>