30 mars 2017

Pour présenter une proposition politique, Garaudy savait prendre de la hauteur (2/4). De l'individualisme à la communauté






Nous avons pris acte, d'abord, dans la première partie de ce travail,
de la faillite des espérances faustiennes de l'Occident et de sa
conception dévitalisante de l'homme, définie de façon lapidaire par
Descartes : « Je pense, donc je suis », qui réduit l'homme à l'individu
et l'esprit au concept.
Garaudy chez lui. Oct 1979. Photo J.A Pavlovsky/Sygma
Les sagesses et les prophétismes de trois mondes nous on fait prendre conscience, au contraire, que nous ne sommes pas un individu, un atome, un grain de poussière séparé de tous les autres par un vide et ballotté au hasard, ou selon d'implacables lois, par les souffles de l'air, mais que nous sommes semblables à une vague sans frontière, point unique et singulier de la mer, mais habité par toutes les vagues de l'océan, par toutes ses marées, et, à travers elles, par
toutes les attractions et les gravitations des mondes.
Tel est le fondement de la personne, qui n'est pas l'individu.
Comme diraient les physiciens en leur langage : l'individu est de
l'ordre du corpuscule et la personne de celui de l'onde. Nous n'en
avons pas encore saisi la mystérieuse unité. Pas plus que celle de
l'Orient et de l'Occident.
C'est pourtant là, sur le plan social et politique, le fondement de la
communauté. Elle n'est pas, comme dans la conception bourgeoise ou
anarchiste, une simple addition d'individus ; elle n'est pas, comme
dans la conception totalitaire, un organisme animal réduisant
l'homme à n'être qu'un fragment subordonné à un pouvoir extérieur à
lui, et faisant de lui un objet.
La communauté est cette société qui ne se fonde ni sur le « moi »
individuel ni sur le concept décharné. Elle ne part pas du « je pense »
mais du « nous aimons ». Ce n'est pas une collection d'individus
solitaires ou une hiérarchie de cellules biologiques n'ayant pas, par
elles-mêmes, de sens ni même de réalité, mais une communauté de
personnes où chacune s'épanouit par la richesse de ses relations avec
toutes les autres.
Par cette vision de l'homme, de la société et du monde, nous avons
pu passer, dans notre réflexion politique, de la technocratie au
prophétisme (c'est-à-dire du « comment » au « pourquoi »), de la
démocratie statistique au consensus sur un but commun (c'est-à-dire
de la délégation et de l'aliénation de pouvoir à l'autodétermination
des fins et à l'autogestion des moyens), en partant des deux
dimensions spécifiquement humaines de l'homme : la transcendance
de la foi et la communauté de l'amour.
Dans ce passage de l'individualisme à la communauté, la communauté
de base, en son inviolable autonomie, constitue l'unité nouvelle
indivisible, capable de créer le tissu social nouveau d'une société
proprement humaine comme fédération de communautés.
Ainsi avons-nous pu esquisser un « tableau économique » de la
France, qui ne soit plus la résultante de coalitions affrontées où l'on
appelle « Plan » l'absence de projet, inéluctable conséquence d'aveugles
rivalités et d'un rapport provisoire des forces. La nouvelle
croissance ne peut naître, au contraire, qu'à partir des besoins réels de
tout un peuple, et de l'appel fait à l'homme d'exaucer la prière de
Dieu.
Nous n'hésitons pas à chercher, en saint Grégoire de Nysse, cette
définition plénière de la croissance : « Dieu, écrit-il, c'est l'éternelle
découverte de l'éternelle croissance. »
Idem photo ci-dessus
Une nouvelle croissance fondée non plus sur les hiérarchies et les
soumissions mais sur une décentralisation de la production de l'énergie, et des techniques en général, sur la décentralisation du
pouvoir, de la consommation et de l'information, sur la décentralisation de la culture et de l'éducation ; cette nouvelle croissance n'enfantera plus ces monstres que sont, par exemple, la séparation du travail intellectuel et manuel, ou l'hypertrophie du tertiaire, au profit du parasitisme et de la bureaucratie et au détriment du travail
productif et créateur.

Roger Garaudy     
Extrait de la conclusion d' Appel aux vivants  (1979)   
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