Nous avons pris acte, d'abord, dans la première partie de ce
travail,
de la faillite des espérances faustiennes de l'Occident et de
sa
conception dévitalisante de l'homme, définie de façon lapidaire
par
Descartes : « Je pense, donc je suis », qui réduit l'homme à
l'individu
Les sagesses et les prophétismes de trois mondes nous on fait prendre conscience, au contraire, que nous ne sommes pas un individu, un atome, un grain de poussière séparé de tous les
autres par un vide et ballotté au hasard, ou selon d'implacables lois, par
les souffles de l'air, mais que nous sommes semblables à une vague
sans frontière, point unique et singulier de la mer, mais habité par
toutes les vagues de l'océan, par toutes ses marées, et, à travers
elles, par
toutes les attractions et les gravitations des mondes.
Tel est le fondement de la personne, qui n'est pas l'individu.
Comme diraient les physiciens en leur langage : l'individu est
de
l'ordre du corpuscule et la personne de celui de l'onde. Nous
n'en
avons pas encore saisi la mystérieuse unité. Pas plus que celle
de
l'Orient et de l'Occident.
C'est pourtant là, sur le plan social et politique, le
fondement de la
communauté. Elle n'est pas, comme dans la conception bourgeoise
ou
anarchiste, une simple addition d'individus ; elle n'est pas,
comme
dans la conception totalitaire, un organisme animal réduisant
l'homme à n'être qu'un fragment subordonné à un pouvoir
extérieur à
lui, et faisant de lui un objet.
La communauté est cette société qui ne se fonde ni sur le « moi
»
individuel ni sur le concept décharné. Elle ne part pas du « je
pense »
mais du « nous aimons ». Ce n'est pas une collection
d'individus
solitaires ou une hiérarchie de cellules biologiques n'ayant
pas, par
elles-mêmes, de sens ni même de réalité, mais une communauté de
personnes où chacune s'épanouit par la richesse de ses
relations avec
toutes les autres.
Par cette vision de l'homme, de la société et du monde, nous avons
pu passer, dans notre réflexion politique, de la technocratie
au
prophétisme (c'est-à-dire du « comment » au « pourquoi »), de
la
démocratie statistique au consensus sur un but commun
(c'est-à-dire
de la délégation et de l'aliénation de pouvoir à l'autodétermination
des fins et à l'autogestion des moyens), en partant des deux
dimensions spécifiquement humaines de l'homme : la
transcendance
de la foi et la communauté de l'amour.
Dans ce passage de l'individualisme à la communauté, la
communauté
de base, en son inviolable autonomie, constitue l'unité
nouvelle
indivisible, capable de créer le tissu social nouveau d'une
société
proprement humaine comme fédération de communautés.
Ainsi avons-nous pu esquisser un « tableau économique » de la
France, qui ne soit plus la résultante de coalitions affrontées
où l'on
appelle « Plan » l'absence de projet, inéluctable conséquence
d'aveugles
rivalités et d'un rapport provisoire des forces. La nouvelle
croissance ne peut naître, au contraire, qu'à partir des besoins
réels de
tout un peuple, et de l'appel fait à l'homme d'exaucer la
prière de
Dieu.
Nous n'hésitons pas à chercher, en saint Grégoire de Nysse,
cette
définition plénière de la croissance : « Dieu, écrit-il, c'est
l'éternelle
Une nouvelle croissance fondée non plus sur les hiérarchies et
les
soumissions mais sur une décentralisation de la production de l'énergie, et des techniques en général, sur la
décentralisation du
pouvoir, de la consommation et de l'information, sur la
décentralisation de la culture et de l'éducation ; cette nouvelle croissance n'enfantera plus ces monstres que sont, par exemple, la
séparation du travail intellectuel et manuel, ou l'hypertrophie du tertiaire,
au profit du parasitisme et de la bureaucratie et au détriment du travail
productif et créateur.
Roger Garaudy
Extrait de la conclusion d' Appel aux vivants (1979)
Extrait de la conclusion d' Appel aux vivants (1979)