La foi, c'est d'abord une manière
d'agir. Et pas seulement d'accepter certaines opinions, ce qui n'est pas
la foi, mais la croyance. La foi est la racine d'où germent, comme des branches les
actions.
Rien de plus rationnel que la foi :
c'est une hypothèse qui a pour vérification non pas une expérience
particulière, comme une hypothèse sur les électrons ou la cellule, mais
l'expérience de toute une vie.
C'est un postulat, oui, comme le
postulat d'Euclide ou celui de Rieman.
Quel postulat ? D'abord celui de la
possibilité de rompre avec les lois du monde et de l'ordre établi. Il n'est pas
exclu d'en choisir un autre : abruti par quatre siècles de scientisme, je peux partir
de la croyance que je suis entièrement déterminé par mon passé, mes
instincts, ma classe sociale, ma nation, ma culture ou ma religion. Chaque
spécialiste, c'est à dire chacun de ceux que la division du travail scientifique
empêche de penser en dehors des oeillères de sa spécialité, mettra l'accent sur l'une
de mes "chaînes", biologique,psychologique, sociologique. Le
biologiste dira que je suis "programmé" dès ma
conception. Le psychanalyste lira mes
"pulsions" dans le marc de café de mon
inconscient. Le sociologue
structuraliste verra en moi une marionnette mise
en scène par les structures.
L'économiste, qui réduit l'homme à n'être que
producteur et consommateur, établira
la nécessité de la "croissance". Retenons
cet exemple de la fatalité de la
croissance économique. Celui qui la prêche
"scientifiquement" ne
s'aperçoit pas qu'il part d'un postulat qu'il n'avoue pas
ou dont il n'a même pas conscience.
La croissance, pour une plante ou une
bête, c'est le simple déploiement des
lois de sa nature : si je connais l'embryon
du têtard je peux prévoir ce que sera
l'animal adulte, je sais qu'il deviendra
grenouille. Et voilà le postulat de
mon économiste "scientifique" : l'homme a
une "nature, comme les plantes,
les bêtes, les têtards et les grenouilles. Sa loi est
celle que définissaient les sophistes
d'Athènes : avoir les désirs les plus forts
possibles et se rendre capables de
les satisfaire. Notre société de croissance
aveugle, avec sa publicité, sa
production et sa consommation de masse, repose
Et si je choisissais le postulat
inverse ? Est-ce que je ne fais pas tous les
jours l'expérience que je suis
capable de rupture ? Que je ne suis pas
nécessairement captif de mes
instincts et de mes conditionnements
sociologiques : je ne viole pas
nécessairement chaque femme que je désire,
même si je suis sûr de l'impunité ;
je ne suis pas forcément communiste si je
suis ouvrier, ni réactionnaire si je
suis "fils à papa" ; je ne me précipite pas par
un tropisme irrésistible vers les
attrape - nigauds du Salon de l'Automobile.
Illusion ! me dira l'homme à la
blouse blanche qui professe (sans le
savoir) la religion du déterminisme
(pas le déterminisme de la science,
conscient de se limiter à un niveau
du réel, mais celui du scientisme, celui de
la croyance à un déterminisme
universel, ersatz de la vieille "providence"
divine).
Mais si c'est une illusion, alors
l'histoire entière est illusion. Car, à la
différence de toutes les autres
espèces végétales ou animales, l'histoire
humaine ne s'est pas faite comme
celle d'un chou-fleur elle s'est faite à coups
de ruptures, de révolutions,
d'inventions scientifiques et de créations
artistiques, d'émergences
imprévisibles, et non par le simple déploiement des
lois d'une "nature" ou
d'une "essence".
Comme le disait Marx (après Vico)
dans le "Capital", à la différence de
l'évolution des autres êtres vivants,
l'homme fait sa propre histoire.
Voilà donc le premier postulat de la
foi : l'homme est responsable de son
histoire. On peut formuler cependant
et dire autrement : pour l'homme le
possible fait partie du réel ; si la
réalité était un système clos, la foi n'y aurait pas
de place. Ou encore : l'homme est
toujours autre chose et plus que l'ensemble
de ses conditionnements. Ou encore :
son avenir est ouvert ; i l n'est pas le
simple prolongement de son passé.
L'avenir ce n'est pas ce qui va arriver,
l'avenir c'est ce que nous ferons. Ou
encore, pour employer les choses les plus
simples la transcendance (c'est à
dire la rupture, le dépassement de la réalité
déjà réalisée), la transcendance
c'est une expression de tous les jours !
La foi c'est donc d'abord la
vérification quotidienne de ce postulat : je peux
ne pas me laisser engluer dans
l'ordre établi ; je peux changer quelque chose
dans ma vie, et même un peu dans
celle des autres, cette vie des autres qui
s'appelle l'histoire.
Mais tout changement et toute rupture
n'est pas création. C'est vrai. Il
suffit de passer devant une galerie
de peinture "dans le vent" pour s'en
convaincre : tout barbouilleur inédit
n'est pas peintre !
Un deuxième postulat demande à
entrer... pour tout le monde, avec ou
sans la foi car la seule différence
entre celui qui proclame sa foi et l'autre, c'est
que l'un a conscience de ses
postulats, et l'autre non.
Je peux, par exemple, choisir de
n'agir qu'en fonction de mes intérêts
personnels. En bon gros égoïste ;
c'est un choix. Il me procurera certains
agréments. Certains déboires aussi.
Ou bien je peux choisir : le Parti a toujours
raison ! France d'abord ! L'Eglise au
dessus de tout ! Ce sont des choix. Ils me
donneront des sacrifices et
m'apporteront la gloriole. Je me suis fait ainsi un
absolu à ma taille : l'argent, la
nation, la classe, l'église ou la secte. Et je deviens
un fonctionnaire de l'absolu. U n
inquisiteur pousse en moi.
Je peux vivre aussi selon un autre
postulat : tout ce que je dis des choses
ou des dieux, c'est un homme qui le
dit. Je ne suis pas, moi, la mesure de toutes
choses : ni le moi rapace, ni le moi
militant, ni le moi chauvin, ni le moi bigot.
Mais alors, qu'est-ce qui sera la
mesure ? Comment trouver un centre et un
sens à ma vie ? Si vous m'enlevez
tout cela je ne sais plus qui je suis. Je sais
plus où aller ? Pourquoi me vider de
tout ce que je croyais être "moi" ?
Pourquoi ce vide ? Nous voilà sur la
piste : le deuxième postulat de la foi c'est
précisément l'expérience du vide. Ce
n'est pas simple, j'en conviens. Mais là
les mystiques peuvent nous aider.
Demandez à ce soufi musulman, le Cheikh
Abu Saïd, qui faisait dire à Satan :
"Si tu dis "moi", tu deviens semblable à
moi", demandez à un spirituel
indien, à Maître Eckardt, ou à Saint Jean de la
Croix, comment on fait la chasse au
"petit moi" ? A moins que vous préfériez
faire l'expérience vous-même. Après
tout cette expérience aussi est
quotidienne. Même si, là encore, les
théologiens nous ont compliqué les choses:
la "théologie négative",
nous la pratiquons tous les jours, sans le savoir,
comme Monsieur Jourdain faisait de la
prose. Il vous est bien arrivé, j'espère,
de mettre en question vos certitudes
d'hier : et si la voiture dernier modèle ne
me rendait pas plus heureux ? Et si
mon parti se trompait ? Et si mon pays
faisait une guerre injuste ? Et si
mon Eglise n'était pas une fin en soi ? Se dire,
jusqu'au vertige, jusqu'à en changer
de vie : ce n'est pas çà... ce n'est pas çà...
c'est la "voie négative".
Un autre nom de l'esprit critique.
Pour nous libérer des tabous, et même
pour relativiser mon idéal, ou mon
utopie, à la lumière d'une plus
lointaine espérance. Il est vrai que c'est dur de
s'arracher. De prendre conscience que
ce que nous croyions un but n'était
qu'un moyen. Que nous étions limités
à notre insu. Mais, après tout, être un
homme inachevé, ce n'est pas une
maladie : c'est seulement prendre
conscience d'être un homme
"fini". Et c'est ce qu'on devient quand on se croit
achevé, "arrivé", au bout
de la route. Dans une vraie vie i l n'y a pas de bout. Et
même pas de route, avant qu'à ses
risques et périls on ne l'ait tracée.
Nous sommes loin de la pauvre et
illusoire certitude de Descartes : "Je
pense, donc je suis", réduisant
l'homme au seul individu et l'esprit à la seule
intelligence. Vidée de mon petit moi,
et de ses petits calculs pour mettre la
main sur la nature et sur les autres
(ces petits calculs qu'on appelle
pompeusement "la science"
et qui ne sont que techniques de domination),
l'expérience de la foi c'est
l'expérience critique de la relativité de toute fin
limitée. L'expérience de cette
dimension perdue de la raison occidentale : celle
de la raison qui recherche les fins
et pas seulement celle qui nous fournit les
moyens. Celle qui peut être montrée
par la décision et l'action, et non
démontrée par un syllogisme ou un
appareil causal. Alors tout change dans
l'action. Une révolution, par exemple,
n'est pas une simple passation de
pouvoir, c'est, pour une société, ce
qu'une conversion est pour un individu :
un changement des fins et du sens de
la vie et de l'histoire.
C'est pourquoi je ne cesserai de
répéter, jusqu'à ce qu'on entende, que les
postulats de la foi sont les
postulats de toute action révolutionnaire.
Et voici que je prends conscience,
dans cette expérience du vide, d'un
troisième postulat de la foi : est-ce
bien sûr que ce qui crée en moi c'est "moi" ?
Si c'était vrai je pourrais le
déduire de mon passé, de ce que j'ai fait, de ce que je
suis déjà. Pourtant, dans n'importe
quel acte de création artistique ou
scientifique, j'éprouve si fort qu'il
s'ajoute de façon inattendue à ce que j'étais
déjà. Je fais l'expérience directe
qu'il n'a pas sa source en moi, qu'il m'est
donné et vient d'au delà de moi,
comme la joie d'aimer ou le courage de
mourir.
La foi, c'est l'expérience des
sources.
L'expérience du pouvoir imprévisible
de dépasser mes propres limites.
Pas l'existence d'un manque, mais
celle d'un surcroît qui me fait dire, à
l'inverse de Dostoïewski ou de Camus
: si Dieu existe, tout est possible.
J'emploie le mot "Dieu"
parce qu'ils l'ont employé. Mais je n'en ai pas
besoin pour exprimer ma foi. Je ne
connais de Dieu que l'action de ceux qui
portent témoignage de lui. Lorsque
j'ai imaginé, dans mon roman : "Qui dites-vous
que je suis" ?, un homme qui
porte ce témoignage, il prend conscience de
ce qu'il est dans cette confession :
Dieu ne parlera jamais si tu ne lui prêtes pas
ta bouche ; Dieu n'agira jamais si tu
ne lui prêtes pas tes mains.
C'est le caractère singulier du
christianisme, parmi l'immense foi du
monde, d'avoir donné un visage à ce
témoin : celui de jésus de Nazareth
montrant par sa vie, sa mort et sa
résurrection comment on peut vivre
divinement une vie d'homme.
Il a montré comment on peut vivre la
rupture : Jésus n'est jamais là où
nous l'attendons. Il ne vit sous
aucune loi, hormis l'imprévisible amour. Et
nul ne peut vivre selon la loi du
Christ mais selon la poétique du Christ.
Il a montré comment on peut vivre
l'expérience du vide. Il est venu,
faisant brèche dans toutes nos
limites, et tellement vidé de tout ce qui, en l u i ,
pouvait être un individu, un
"moi" égoïste, que lorsque la mort est arrivée,
elle n'avait plus rien à prendre à
celui qui venait de subvertir toutes les valeurs:
le "Seigneur" n'était plus
l'Empereur, la puissance, la richesse et la gloire,
mais ce crucifié qui a connu le
supplice abject de l'esclave.
Il a montré comment on peut vivre
l'expérience des sources. La "bonne
nouvelle" qu'il annonçait est
cette chose simple : tout est possible ! Cette
espérance est telle qu'elle porte en
elle la promesse inouïe de la résurrection.
Rien à voir avec un banal miracle de
régénération cellulaire. Mais la naissance
d'une vie nouvelle qui sourd en nous
si irrésistiblement que le temps, celui
des nostalgies, comme celui des
projets, ne joue plus dans notre existence
qu'un rôle subalterne pour céder la
première place à la certitude de vivre
chaque jour l'éternité, c'est à dire
la plénitude joyeuse de la vie.
Il est remarquable que ces jeunes
gens éprouvaient le besoin de découvrir
ce rapport nouveau entre les hommes
en dehors du modèle occidental,
faustien. A u dessus de leurs
manifestations s'élevaient les portraits de C H E
GUEVARA ou d'HO CHI MINH , de MAO ou
de LUMUMBA, mais pas un
visage européen. En dehors de nos
sociétés occidentales qui n'ont cessé
d'osciller depuis la Renaissance
entre un individualisme de jungle et un
totalitarisme de termitière, ils
recherchaient un modèle nouveau de
Communauté, une société ne commençant
non par le "moi" mais par le
"nous".
La "petite raison" du
scientisme positiviste n'était pas moins attaquée que
le "petit moi" de la
société bourgeoise. Les mots d'ordre tels : "Soyons
raisonnables, demandons
l'impossible" ou encore : "La folie est le sel qui
empêche la raison de pourrir",
la mise en cause fondamentale de la conception
positiviste des sciences dites "humaines"
et qui empruntent aux sciences de la
nature les méthodes propres à la
manipulation de l'objet et de l'homme
considéré comme objet, menait nos
étudiants à écrire au fronton de la
Sorbonne : "Faculté des lettres
et sciences inhumaines".
Enfin le modèle de démocratie
représentative, déléguée, aliénée, était
récusé au nom de la revendication
d'une démocratie participative, associative,
autogestionnaire, c'est à dire fondée
sur une conception de l'homme comme
personnellement responsable et
créateur à tous les niveaux de l'économie, de
la politique, de la culture ; sous la
forme des conseils - ouvriers au niveau des
entreprises, de communautés de base
au niveau des organismes de contrôle et
de gestion de la consommation, des
prix, des transports, des services ; de centre
d'initiative au niveau de la culture,
de l'éducation, des sports ou des arts.
Toutes ces revendications étaient
finalement sous-tendues par un même
acte de foi que le Père CHENU, en son
éternelle jeunesse, formulait ainsi en
1975 : "L'homme se fonde dans le
mouvement même par lequel i l nie son
individualité en s'ouvrant à la
communauté de l'univers".
A partir de là seulement peut se
poser le problème fondamental de notre
époque :
QUELLE FOI ? POUR QUEL SOCIALISME ?
I. QUELLE FOI ?
La critique radicale de ceux que Paul
RICOEUR appelait les "maîtres du
soupçon": MARX, NIETZSCHE,
FREUD, a rendu le plus grand service à la foi
chrétienne en la débarrassant du Dieu
de CONSTANTIN et du Dieu frigide des
philosophes, du Dieu de la Saint
Alliance complice de toutes les dominations.
Ils ont fait place nette pour un
renouveau du christianisme.
- Il était bon qu'il fut dit
clairement que le Dieu du théisme traditionnel,
conçu à l'image d'un roi, d'un maître
de la morale ou d'un concept
métaphysique, n'a rien à voir avec la
foi chrétienne : que la foi chrétienne
n'impose pas comme un préalable la
croyance en un tel Dieu dont Jésus-Christ
ne serait plus qu'une illustration
historique.
- Il n'y a plus désormais un Dieu
pour colmater les lacunes de notre
savoir ni pour nous consoler de no
faiblesses.
Ainsi seulement il n'est pas possible
de confondre la foi avec une
idéologie, c'est à dire une doctrine
de justification de l'ordre existant.
La foi n'est pas une conception du
monde mais d'abord une manière de se
tenir devant le monde et d'agir dans
le monde.
La foi ne peut être confondue avec la
croyance.
La croyance pose seulement la
question : est-elle vraie ou fausse ?
La foi est au contraire un choix
vital entre la vie et la mort, entre
l'esclavage et la libération.
- ou bien, m'abandonner aux dérives
immanentes de mon histoire
personnelle ou sociale,
- ou bien me mettre debout, ne pas
accepter mon acquis et mon passé
comme un destin que je dois subir,
mais au contraire prendre le risque
d'ouvrir un nouveau chemin.
Je ne puis pas parler de Dieu tel
qu'il est en soi, mais seulement de ce qu'il
est par rapport à nous : "Tout
ce que je dis de Dieu c'est un homme qui le dit",
nous rappelait Karl BARTH. Je ne puis
rien connaître ni dire de Dieu en dehors
de ce qui nous en a été révélé par la
Parole, la vie, la mort, et la Résurrection de
Jésus Christ. Tout le reste est
littérature et mauvaise mythologie.
Quelle est donc cette foi que nous
révèle et nous inspire Jésus-Christ ?
1°) La foi est d'abord la rupture, la
transcendance, et l'expérience de la
rupture, de
la libération.
Ce qu'il y
a de plus exaltant et de plus déroutant dans les actes et les
paroles de
JESUS, c'est qu'il n'est jamais là où nous l'attendons. Nous
attendons
toujours d'une parole ou d'un acte qu'ils soient sur le prolongement
de nos
instincts biologiques, de nos désirs, de nos intérêts, de notre histoire
individuelle,
de notre culture ou de nos lois.
Or, le
trait le plus saisissant de la vie et de la mort JESUS-CHRIST, c'est
qu'elles
échappent à tous les conditionnements biologiques, psychologiques ou
sociaux.
C'est une vie qui n'est jamais faite de routine, où rien n'est
simplement
la résultante du passé, mais où tout est libre choix, arrachement à
1 egoïsme
ou à la coutume, décision neuve, émergence poétique de l'homme.
Vivre, je
ne dis pas selon "la loi" du CHRIST, mais selon ce que
j'appellerai
la "poétique" du CHRISTX c'est
prendre conscience que ma nature
est de
pouvoir dépasser la nature, prendre conscience que chacun de mes actes,
que chacun
des événements dont je suis témoin, auquel je participe, que ma
vie
personnelle comme la société où l'histoire dans laquelle je vis, ne sont pas
des
maillons dans une chaîne de causes et d'effets : ils sont ce qu'ils sont par
rapport à
la fin dernière à laquelle ils sont confrontés et qui leur donne leur
signification
; c'est le sens profond de l'annonce d'un "Royaume" par le
CHRIST.
Il ne
s'agit pas de situer ce Royaume quelque part dans l'espace lointain ou
dans le
futur, comme n'importe quelle utopie, mais d'en éprouver l'exigence
proche
comme si tout ce que je croyais important dans le monde et dans mes
tâches
allait s'effondrer dans un moment qui vient, et comme si j'avais à
réviser
tous mes jugements et tous mes comportements en fonction de cette
réalité
plus profonde, plus qu'imminente puisque le Royaume est déjà là, au
dedans de
nous et en dehors de nous. Un Royaume qui n'a plus la justice pour
loi, mais
l'amour pour principe.
La foi
émerge lorsque de me poser seulement la question du "comment"
et que je
me demande "pourquoi".
Lorsque je
m'interroge sur les fins et non plus seulement sur les moyens.
- C'est une
remise en question fondamentale de mes buts personnels et
sociaux.
- Cet acte
de foi casse le cercle de mes habitudes et de mes certitudes.
Quand un homme politique cesse de
s'intéresser seulement aux moyens
de prendre le pouvoir ou de le
conserver, mais se pose la question des fins de la
société globale et des possibilités à
inventer pour faire émerger à la base, en
chaque homme, le choix de ces fins et
la participation effective à leur
réalisation, alors le politique
devient prophète.
Quand un artiste cesse de
s'intéresser seulement à l'affirmation de sa
singularité individuelle et à
l'organisation de sa carrière et de son succès à
partir de sa virtuosité technique,
mais lorsqu'au contraire i l se met à l'écoute,
pour devenir la conscience d'une
communauté, lorsqu'il fait de son oeuvre
non un reflet du réel, mais qu'au
contraire, par l'expérimentation des possibles
il aide cette communauté à prendre
conscience de son projet, de son espérance.
de son avenir, alors l'artiste
devient un créateur.
Quand un amoureux vit son amour, non
comme moyen de prendre, mais
comme acte de donner, de donner non
pas du sien mais de soi, de donner sa
vie jusqu'à préférer la vie de
l'autre à la sienne propre, alors i l apprend,
comme écrivait RUZBEHAN de CHIRAZ :
" A déchiffrer, dans le livre de
l'amour humain le langage de l'amour
divin". L'amoureux devient mystique.
Mais cette rupture, cette
transcendance, ce n'est pas encore la foi.
2°) La
foi c'est l'acte de se vider soi-même
C'est l'expérience du vide et de la
"nuit obscure" de SAINT-JEAN de LA
CROIX.
Réduire au silence les désirs qui
aboient trop fort en moi ; m'arracher aux
dictatures de mon milieu social ;
effacer les images qui m'éblouissent sans
m'éclairer ; me séparer des mots et
des concepts qui ont été faits pour
manipuler les choses.
_ Cet acte de faire le vide,
d'évacuer le "petit moi" de se vider de soi, cet
acte que les théologiens chrétiens
appelaient la "Kénose", cet acte dont les
"quatre vérités saintes" de
BOUDDHA, dans le Sermon de Bénarès nous ont
montré le chemin, dont la méditation
ZA - Z E N nous donne l'expérience, cet
acte de dépouillement est la seule
introduction possible à "l'éveil" à une vie
nouvelle. (Le nom même de BOUDDHA
signifie "l'éveillé").
Cette vie nouvelle est d'abord la
conscience que je ne me suffis pas à moimême,
que je n'existe que dans mon rapport
à l'autre et ou tout autre, selon la
formule fulgurante d'un spirituel
byzantin du XlVème siècle, CALISTE :
"J'aime, donc je suis".
Nous sommes ici loin de la pauvreté
cartésienne du "Je pense donc je
suis", réduisant l'homme au seul
individu et l'esprit à la seule intelligence.
Un soufi
musulman du XlIIème siècle le CHEIKH ABU SAID a découvert
ce qu'il
appelle le secret de Satan. Satan dit : "Si tu dis "moi", tu
deviens
semblable à
moi."
L'expérience
fondamentale ici est celle de la Croix, qui rompt avec toutes
les images
traditionnelles de Dieu : puissance, beauté, raison, justice.
Reconnaître
Dieu dans ce pendu, ce raté, cet exclus, ce désespéré, si faible
d'être
abandonné des hommes puisque personne n'a esquissé même un geste
pour le
défendre et que ses compagnons les plus proches le renient, si faible
d'être
abandonné même de son Père, qu'avant le dernier cri de douleur que lui
arrachera
la mort, il posera la dernière et déchirante question : "Pourquoi m'astu
abandonné
?" Toute l'expérience de la foi est essai de réponse à cette
interrogation
dernière et torturante qui permet à chacun :
- de vivre
divinement sa vie d'homme, c'est à dire de la vivre avec la
totale
responsabilité de son propre destin et de sa propre histoire ?
- L'acte de
foi, ce n'est pas une réflexion sur la Croix, c'est vivre cette
expérience
terrible et libératrice de la Croix.
Au delà
seulement commence le nouveau chemin, au delà de la
Résurrection
du CHRIST. Car le CHRIST n'est pas mort. Il a été tué. Des
hommes ont
choisi de le tuer. Et il a choisi de mourir. Et cet acte et ce choix
donnent
tout son sens à sa Résurrection : sa mort n'était pas une mort
naturelle.
Elle est le choix d'une vie nouvelle. Sa Résurrection n'est pas le
retour à
une vie naturelle biologique, mais le commencement d'une vie
nouvelle.
3°) La foi c'est l'acte d'accueillir cette vie
nouvelle l'invasion de cette force
et de cette joie.
La foi,
c'est l'expérience des sources.
La foi
n'est pas l'expérience de mes limites, mais au contraire l'expérience
du pouvoir
imprévisible de dépasser mes limites. Pas l'expérience d'un
manque,
mais celle d'un surcroît. Elle est au centre et non pas aux frontières,
disait
BONNHOEFER.
MALRAUX
évoque le moment de l'attaque, ©ù lorsque le soldat a franchi
le parapet,
il est déjà au delà de sa propre vie. Il écrit dans "L'Espoir" que
c'est :
"le
moment où les morts se mettent à chanter".
Peut être
est-ce là une forme paradoxale de l'expérience, la grâce et de la
Résurrection.
La transcendance est un don de l'autre,
mais elle n'est pas une force
extérieure:
Dieu ne parlera jamais si nous ne lui
prêtons pas notre bouche, i l n'agira
jamais si nous ne lui prêtons pas nos
mains, mais cette parole, ou cet acte d'au
delà la Crucifixion ne sont plus ma
parole, ni mon acte. Ils ont leur semence au
delà de moi.
JESUS-CHRIST lui-même n'est pas un
magicien, un faiseur de miracles.
Chaque fois que l'imprévisible et
l'impossible surgissent i l dit : "C'est ta foi qui
t'a sauvé !"
Il n'aide et ne sauve personne
"de l'extérieur", comme on tire de l'eau un
noyé, malgré lui et sans lui .
Il nous communique, par la contagion
de l'esprit, une force qui passe par
moi, sans avoir sa source en moi.
La Résurrection du CHRIST et la nôtre
ne sont pas un événement
biologique ou historique. C'est un
événement de la foi, la naissance à une vie
nouvelle qui n'est plus mesurable
dans le temps des horloges ou des
astronomes. Une vie nouvelle dominée
par cette certitude joyeuse qu'il n'y a
pas de situation sans issue ni sans
espérance. Nous avons entendu l'appel de la
Bonne Nouvelle : est possible, et, en
même temps, nous avons reçu la force de
répondre à cet appel, car
JESUS-CHRIST ne vit pas en nous seulement à la
manière dont MOZART revit en chaque
musicien qui le joue ou l'écoute.
Il n'est pas seulement souvenir,
nostalgie ou espérance mais force
vivante.
Alors commence pour moi la vie
nouvelle : celle qui est rayonnante de la
présence de l'Esprit, non pas comme
une richesse que j'ai - comme on possède
un trésor -, mais comme une
possibilité toujours prête à me donner la force de
dépasser tous mes déterminismes, ou
aussi à se retirer de moi et à
m'abandonner à mes dérives.
II. QUEL SOCIALISME ?
Quelles peuvent être les incidences
de ce renouveau de la foi, à tous les
niveaux de la vie sociale, sur
l'organisation de l'économie, de la politique et de
la culture de nos sociétés ?
Ce serait aujourd'hui une erreur
semblable à celle du passé que de
prétendre déduire des évangiles un
programme politique à la manière de la
"Politique tirée de l'écriture
sainte" de BOSSUET ou une forme d'organisation
sociale comme on l'a tenté si souvent
depuis un siècle, sous le nom de
"doctrine sociale de
l'Eglise" se référant invariablement à de prétendues "lois
naturelles" comme par exemple
celle de la propriété - qui n'ont rien à voir
avec la nature, car elles sont un
produit de l'histoire, et rien à voir avec la foi
qui se situe au delà de la nature et
de l'histoire.
Il ne s'agit donc pas de sacraliser
aujourd'hui les révolutions, les régimes
ou les mouvements qui se réclament
d'elle comme on a trop souvent, dans le
passé, sacralisé les
contre-révolutions et les régimes d'oppression.
Les "théologies de la
libération", en Amérique Latine notamment celle du
Père Gustavo GUTTIEREZ ont eu le
mérite de réaliser une grande inversion
dans la méthode même de la théologie
: non pas à partir de textes évangéliques
pour en déduire une politique, mais
au contraire partir des luttes réelles des
hommes pour leur libération et en
déchiffrer le sens à la lumière de l'Evangile.
Il distingue trois niveaux de
libération :
1°) La lutte pour la libération des
classes exploitées et des peuples
opprimés ;
2°) L'histoire, comme mouvement de
libération de l'homme et
révolution culturelle permanente ;
3°) La libération de l'homme à
l'égard du péché.
Ces trois niveaux sont étroitement
liés car, souligne le Père GUTTIEREZ,
le péché n'est pas seulement affaire
personnelle. Il y a donc, comme le disait le
Pape Pie XI : "une dimension
politique de la charité".
Or, en Amérique Latine, dans les
campagnes et dans les taudis des
faubourgs des villes, des millions
d'hommes n'ont pas des conditions de vie
dignes de l'homme : l'homme n'y peut
pas être un homme, c'est à dire un
créateur à l'image de Dieu ; et dans
les villes et dans les couches dirigeantes,
c'est la jungle des concurrences, des
individualismes affrontés pour la richesse
ou le pouvoir. A tous les niveaux,
l'homme et l'image de Dieu sont ainsi
bafoués et défigurés. L'homme est
privé de ses deux dimensions essentielles, de
ses attributs divins : la création et
l'amour.
Le Père GUTTIEREZ écrit : "Notre
continent vit en permanence en état de
"péché objectif".
Or, ce "péché objectif", ce
péché historique n'est pas seulement le fait de
l'Amérique Latine ; il y apparaît
avec éclat parce qu'il s'agit de pays sous-développés
où de larges masses sont condamnées à
la misère et où les couches
dirigeantes sont entièrement
intégrées au modèle occidental de croissance.
Mais toutes nos sociétés
occidentales, depuis la Renaissance avons nous
dit, n'ont cessé d'osciller entre une
individualisme de jungle ou un
totalitarisme de termitière, et nous
sommes aujourd'hui, en présence d'une
désingégration du tissu social.
Comment recréer un tissu social à
partir d'un authentique renouveau de
la foi ?
Répétons-le une fois encore, il ne
s'agit pas de formuler ainsi un
programme politique, mais de définir
les conditions humaines de l'invention
d'un avenir à visage humain.
1°) A u
niveau de l'économie
dont l'entreprise est la cellule de base, nos
sociétés n'ont connu jusqu'ici que
deux formes d'entreprises : privées ou
étatiques. Dans les deux cas un
système hiérarchique s'est imposé opposant des
Etats-Majors, qui ont seul pouvoir de
décision, et une base confinée dans les
seules tâches d'exécution, si bien
que le travail, pour la grande majorité des
travailleurs, est mutilé de ses
dimensions humaines : le choix des fins et
l'organisation des méthodes et des
moyens.
L'entreprise est ainsi meurtrière
pour chaque travailleur personnellement
mais aussi pour la société dans son
ensemble, car, chaque entreprise n'ayant pas
d'autre but que sa propre croissance,
la société constituée par de telles cellules
de base est vouée, elle aussi, à une
croissance aveugle, anarchique, cancéreuse, à
une croissance sans finalité humaine.
Aborder le monde économique du point
de vue de la foi, ce n'est pas
préconiser telle ou telle forme
d'entreprise, mais au nom des mêmes exigences
humaines et divines de création et
d'amour nou inviter à une
expérimentation sociale excluant
qu'une société soit fondée sur un système de
concurrence ou de monopole dont
l'individualisme égoïste exclut par principe
le rapport d'amour. Il ne peut pas y
avoir de capitalisme à visage humain. Mais
est exclu aussi tout système se
contentent de substituer une hiérarchie à une
hiérarchie et maintenant le
travailleur de base dans la même aliénation, c'est à
dire que le socialisme ne peut être
défini seulement par ses moyens : tels que la
socialisation des moyens de
production - condition nécessaire mais non
suffisante - mais par ses fins qui
sont, comme le disait MARX, la création de
structures de l'économie, de la
politique et de la culture telles que chaque
enfant qui porte en lui le génie de
MOZART puisse devenir MOZART.
L'expérimentation sociale de nouveaux
modèles d'entreprises est si peu
utopique qu'elle est déjà préconisée,
parfois même appliqué. Sous de multiples
formes l'objectif est le même : créer
des entreprises qui ne soient ni privées, ni
étatiques, mais communautaires, c'est
à dire où les décisions majeures ne
relèvent ni des apporteurs de
capitaux, ni d'un Etat-Major politique. Est
communautaire une entreprise où les
quatre problèmes fondamentaux de
l'entreprise :
- Qu'est-ce que nous allons faire
ensemble ?
- Comment allons-nous organiser le
travail ?
- Selon quelles règles sera réparti
le fruit du travail sont résolus par
l'ensemble de ceux qui travaillent
dans l'entreprise.
Des expériences de ce genre ont été
faites sous les formes les plus diverses,
soit à l'initiative des travailleurs,
soit à l'initiative de chefs d'entreprise. Elles
tendent toutes à définir l'entreprise
non comme une association de capitaux
louant le travail des hommes, mais
comme une association d'hommes louant
des capitaux. Une telle
expérimentation engage dans une voie où, à la limite,
chacun peut devenir responsable et
créateur, et où le principe d'organisation
n'est plus fondé sur un rapport de
forces, mais sur une communauté en
laquelle peut naître un nouveau tissu
social.
Une telle conception de l'entreprise
constitue une forme de transition : ce
n'est pas une entreprise socialiste
puisque le capital y est rétribué, mais ce n'est
déjà plus le capitalisme classique
puisque les détenteurs de capitaux n'ont plus
le privilège de diriger ou de
désigner les dirigeants.
L'on passe ainsi d'une entreprise
d'actionnaires à une entreprise de
partenaires.
L'objectif est donc de créer les
conditions d'une expérimentation et d'une
innovation sociales telles que, de
proche en proche, chaque travailleur dès le
niveau économique, puisse prendre en
mains son propre destin.
2°) A u
niveau politique
le problème se pose de manière analogue :
comment éviter la rupture entre des
centres de décision exerçant leur dictature
sur le pays sans contrôle des masses,
et masses elles-mêmes écartées de toute
responsabilité et de toute initiative
propre.
Cela suppose un changement radical de
la définition de la politique qui est
en général un art de régner, un art
d'accéder au pouvoir ou de s'y maintenir.
Alors que la politique est avant tout
une réflexion sur les fins de la société
globale, et la mise en oeuvre de
méthodes permettant à la base d'élaborer ces
fins et de participer à leur
réalisation. Le principe demeure le même : faire de
chaque homme un homme, c'est à dire
un créateur.
La première condition à réaliser pour
faciliter l'émergence d'une pluralité
de projets par lesquels un peuple
devient le sujet créateur de sa propre histoire
et non un objet manipulé par en haut,
c'est que n'existe aucune exclusive à
l'égard des mouvements, des partis,
des syndicats ou des hommes qui
proposent à la nation leur projet.
Aucun pays ni à l'Ouest ni à l'Est, ni au Nord
ni au Sud ne peut se réclamer de la
démocratie la plus élémentaire s'il ne
réalise pas cette première condition.
Le critère de jugement pour tout régime,
c'est sa méfiance ou au contraire sa
foi en l'homme et en la semence divine
qu'il porte en lui.
La propre des démocraties créées par
les révolutions bourgeoises avec leur
régime parlementaire et leur système
des partis c'est de se fonder sur la
délégation de pouvoir et l'aliénation
de pouvoir. Toute initiative de la base est
ainsi exclue par le Parlement et les
partis : votez pour nous, et nous ferons le
reste.
C'est ainsi que dans toutes les
prétendues démocraties libérales, où
n'émerge des élus et des dirigeants
aucun projet autre que le maintien et le
prolongement du modèle actuel de
croissance, de l'ordre établi, d'un
nationalisme périmé, et d'une
stratégie délirante du nucléaire, l'on assiste à un
blocage des institutions par le jeu
de ce que j'ai appelé ailleurs l'entropie—
politique, c'est à dire une
répartition marécageuse des suffrages où un parti ou
une coalition l'emporte par 51 %
contre 49 %, comme il apparaît en France, en
Italie, en Allemagne, en Angleterre,
en Suède ou aux Etats-Unis. Ce n'est pas
un hasard historique mais une
conséquence structurelle du système de
délégation et d'aliénation de pouvoir
inventé par la bourgeoisie i l y a deux
siècles et qui est aujourd'hui
incapable de répondre à nos problèmes et à nos
besoins.
Pour inverser ce mouvement de
confiscation des initiatives de la base, le
problème est, ici encore, au niveau
politique comme au niveau économique,
de créer les conditions d'une
expérimentation permettant à des communautés
volontaires diverses de prendre le
contrôle de la gestion de leurs affaires dans
un quartier, une ville, une région,
comme dans une entreprise ou une
université.
Sur le plan politique, comme sur le
plan économique et social,
l'élimination progressive des
décisions bureaucratiques, à partir d'une
multitude d'expériences de base,
permettra de substituer de plus en plus, au
législatif, imposé d'en haut, le contractuel
concerté à la base.
3°) A u
niveau de la culture
le souci de libération dont la foi chrétienne est
la source, exige également une
inversion radicale dans la définition et le but de
l'éducation.
Jusqu'ici l'enseignement a eu
essentiellement pour but d'adapter l'enfant
ou l'étudiant aux besoins économiques
et politiques du système établi. Or, dans
la perspective ouverte par la foi,
l'éducation a pour objet essentiel de préparer
les jeunes à l'invention du futur.
Cela suppose un changement radical
des structures et du contenu de
l'éducation.
Pour ne parler, ici que du contenu et
pour se contenter d'en énumérer les
grandes lignes, disons que les
programmes devraient être conçus de telle
manière :
- que la pratique des arts et de
l'esthétique (c'est à dire la réflexion sur
l'acte créateur) y occupe au moins
autant de place que l'enseignement des
sciences et des techniques ;
- que la prospective (c'est à dire la
réflexion sur les fins et sur l'avenir) y
occupe au moins autant de place que
l'histoire ;
- enfin et surtout que l'initiation
aux cultures non-occidentales (aux
cultures de l'Asie, de l'Islam, de
l'Afrique, de l'Amérique Latine) occupe au
moins autant de place que celle de la
culture occidentale.
Car c'est seulement par ce Dialogue
des Civilisations que peuvent être
conçus et vécus, pour l'avenir :
- de nouveaux rapports entre l'homme
et la nature qui ne réduisent plus
la nature à n'être qu'un réservoir et
un dépotoir, qui ne soient plus des
rapports de conquête mais d'amour ;
- des rapports entre l'homme et
l'homme qui ne condamnent plus
l'homme à être
"unidimensionnel" (simplement producteur et
consommateur) et qui recréent un
tissu social désintégré par l'individualisme
et détruit par le totalitarisme, en
instaurant un rapport communautaire qui est
l'aspect social de l'amour ;
- des rapports de l'homme avec son
avenir et avec le sacré qui ne seraient
plus simple extrapolation
technologique mais émergence poétique de l'homme
continuant sa propre création, et
prenant conscience que c'est son rapport avec
l'autre et avec le tout autre qui
font de lui un homme avec ses dimensions
essentielles, divines, de la création
et de l'amour.
Telles sont, à mon sens, les
conditions premières à réaliser pour articuler
en un seul tout la foi chrétienne et
la libération de l'homme, et pour ouvrir la
voie à une politique de l'espérance.
Roger Garaudy (Archives de l'auteur. vers 1979-1980)
Roger Garaudy (Archives de l'auteur. vers 1979-1980)