Les réactions de Bernard CLAVEL au livre de
Roger GARAUDY:
"Mon tour du siècle en
solitaire".(MEMOIRES, Editions Robert Laffont, 1979)
Il semble que, dans un premier temps du
moins, on parle peu du nouveau livre de Roger GARAUDY:"Mon tour du siècle
en solitaire".
Alors,je m’interroge sur les raisons du
silence dont on voudrait envelopper ces pages que je viens de dévorer.
Photo Abdersen Ulf/SIPA |
En notre époque où la bêtise triomphe si
souvent, aurait-on peur de 1’intelligence? Alors qu'il ne passe guère de
semaine sans qu'on nous révèle une trahison de confiance, une escroquerie, une
vilenie à tous les niveaux et dans n’importe quelle classe de la
société,redouterait-on les grandes consciences ? L'an dernier, Casamayor, autre
esprit supérieur et autre âme pure et noble, nous a quittés sans que son départ
fasse 1'ombre du bruit que provoque un orteil foulé chez un joueur de ballon.
Beaucoup le croyaient mort depuis longtemps alors qu'il n'avait jamais cessé de
publier des livres importants.
Roger Garaudy est aujourd'hui musulman. Ce chrétien marxiste s'
embarque sur un vaisseau dont il sait d'avance qu'il ne sera pas d'accord
longtemps avec 1'armateur ni avec le capitaine. Mais, là comme ailleurs, ce que
Garaudy espère tout au fond de son coeur si souvent blessé, c’est sauver 1'équipage.
Car cet homme de foi est avant tout un
amoureux de 1'homme. Et c'est bien là le paradoxe d'une existence comme la
sienne, que son amour des êtres ait si souvent réussi à faire le vide autour de
lui.
A la première lecture de ces pages, nous
sommes étonnés par 1' itinéraire et les étapes qui le jalonnent. Staline,
Gaston Bachelard, Fidel Castro, Jean-Paul Sartre, Dom Helder Camara, Paul
Eluard, Maurice Thorez, Picasso, Kadhafi, Krouchtchev, De Gaulle, Pablo
Neruda... Quel étonnant carnet d'adresses ! Quel peintre de notre époque oserait
rêver pareille galerie de modèles !
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Le problème avec Garaudy c'est qu'il se sent
à 1'aise avec tout le monde parce qu'il est d'une nature qui fonce tête baissée
dans la confiance. Mais les dérives le réveillent. Alors il s'en va. Pas
toujours en claquant la porte, parfois sans rien dire, souvent après avoir vidé son
sac. Comme ce fut le cas, en février 1970, lorsqu'au terme d'un discours de
vérité, il quitta la salle du XIX ème Congrès du Parti Communiste dans un silence
de mort. Scène qu'il raconte de manière bouleversante et qui m'a rappelé Jean
Guéhenno quittant, en 1945, le Comité National des Ecrivains dont il avait été
1'un des fondateurs au temps du risque, et lançant à Aragon: "Regardez-moi
bien, car vous ne me verrez plus !"
Cher Garaudy, vous avez largement dépassé le demi-siècle
d’action militante et vous découvrez qu'en enfer, les saints sont toujours
accueillis comme des chiens dans un jeu de quilles.
Ce que vous n'avez cessé de chercher d'une
église à 1'autre, de la Résistance à la Chambre des députés, de la mansarde des
prêtres-ouvriers à 1'Abbé Pierre, des prisons aux camps de concentration, ce
sont des frères. Homme de fraternité avant tout, vous croyez toujours avoir
découvert 1'entrée du Paradis Terrestre, vous vous y engouffrez le coeur
battant.
On voudrait que ce texte se trouve chez tous
les gens qui s’interrogent sur le monde et son futur. Oui, il faut
"inverser les dérives actuelles !"
1943, après 33 mois de déportation |
Certes, vous avez rencontré des êtres tirés
du même fagot que vous. J'en ai déjà cité quelques uns et j'y ajoute
Bollardière avec qui, comme vous, je me suis senti en toute fraternité. Mais
combien de Sharon pour un Bollardière,combien de Hitler pour un Gandhi , de
Mayol de Luppé pour un Père Lelong ? De Barbie pour un Martin Luther King ?
Vous espérez, en terminant votre livre, que les
peuples du monde finiront par prendre conscience que la survie de 1' espèce est
au prix de la destruction des pires armements et qu'ils 1'exigeront. C’est
exactement ce que je souhaite aussi de tout mon être, ce à quoi je travaille avec
les pauvres armes dont dispose 1'homme de bonne volonté; mais la soif de
violence de ces peuples dont vous parlez est telle, elle est si bien attisée en
permanence par ceux qui vivent de la fabrication et du commerce des armes, que je
nous vois, vous et moi, au rang des naïfs.
Il est vrai que je ne suis pas soutenu, dans
mon espérance, par la foi qui vous porte et qui, sans doute, contribue à donner
à votre voix ces intonations profondes et nobles qui nous bouleversent.
Votre livre m'a fait passer deux journées
enrichissantes et fort troublantes. Elles laisseront des traces en moi et votre
livre va prendre place sur 1'étagère où se trouvent mes plus précieux
compagnons de route.
[Le titre est de l'administrateur du blog]