Marx remarquait, dès les
débuts de la
démocratie représentative
en Europe, qu'en
vérité les gouvernements
ainsi désignés par le
suffrage n'étaient que
des fondés de pouvoir
du Capital. Ils l'étaient
pourtant bien moins
qu'aujourd'hui ! C'est
que si la démocratie est
représentation, elle
l'est d'abord du système
général qui en porte les
formes. Autrement dit :
la démocratie électorale
n'est représentative
qu'autant qu'elle est
d'abord représentation
consensuelle du
capitalisme, renommé
aujourd'hui « économie de
marché ». Telle
est sa corruption de
principe, et ce n'est pas
pour rien qu'à une telle
« démocratie », Marx,
ce penseur humaniste, ce
philosophe des
Lumières, pensait ne
pouvoir opposer qu'une
dictature transitoire,
qu'il appelait la dictature
du prolétariat. Le mot
était fort, mais il
éclairait les chicanes de
la dialectique entre
représentation et
corruption.
Au vrai, c'est la
définition de la démocratie
qui pose problème. Tant qu'on
sera persuadé,
comme les thermidoriens
et leurs descendants
libéraux, qu'elle réside
dans le libre jeu des intérêts
de groupes ou d'individus
déterminés, on
la verra s'abîmer,
lentement ou promptement
selon les époques, dans
une corruption sans
espoir. C'est que la
démocratie véritable, s'il
faut conserver, ce que je
crois1 1, ce concept, est
tout autre chose. Elle
est l'égalité devant l'Idée,
devant l'Idée politique.
Par exemple, pendant
longtemps, l'Idée
révolutionnaire, ou communiste.
C'est la ruine de cette
Idée qui identifie la
« démocratie » à la
corruption générale.
L'ennemi de la démocratie
n'a été le
despotisme du parti
unique (le mal nommé
« totalitarisme »)
qu'autant que ce despotisme
accomplissait la fin
d'une première séquence
de l'Idée communiste. La
seule vraie question
est d'ouvrir une deuxième
séquence de
cette Idée, qui la fera
prévaloir sur le jeu des
intérêts par d'autres
moyens que le terrorisme
bureaucratique. Une
nouvelle définition, et
une nouvelle pratique, en
somme, de ce qui
fut nommé « dictature »
(du prolétariat).
Alain Badiou, "De quoi Sarkozy est-il le nom ?"
Nouvelles Editions Lignes, 2007, pages 122-123