04 septembre 2016

Colloque abrahamique de Cordoue (février 1987)



R. Garaudy à Cordoue devant la Tour de la Calahorra ,
siège de la Fondation créée en 1987(actuelle Fondation
Paradigma Cordoba).
Photo Gonzales-1988
Qu'est-ce que les hommes de foi de la tradition abrahamique (chrétiens, juifs, musulmans) ont en commun, quel peut être leur apport pour résoudre les problèmes vitaux de notre temps ?
Telle fut la question posée lors du  Colloque abrahamique de Cordoue , du 12 a u 15 février 1987
 
Le but de la rencontre n'était pas de polémiquer sur des thèses théologiques
mais de définir ce que les croyants de la foi abrahamique ont en commun, et
surtout ce qu' ils doivent faire ensemble.
L'orientation était ferme après cinq siècles d'hégémonie sans partage de la
civilisation occidentale, le monde est aujourd'hui menacé d'une crise
mortelle, qui s'exprime, sur le plan de la culture, par :
- l'individualisme, c'est-à-dire : l'homme, et non Dieu, est le centre et la
mesure de toutes choses ; ceci conduit à des affrontements de jungle entre
les volontés de puissance, les volontés de jouissance, les volontés de
croissance, des individus, des groupes et des nations, et, entre eux à des
"équilibres de la terreur".
- Le positivisme, c'est-à-dire une science et une technique séparées de ta
sagesse (réflexion sur les fins) et de la foi (conscience des limites et des
postulats de la raison) La "foi abrahamique" (des Juifs, des chrétiens, des
musulmans) peut apporter réponse à ces défis mortels pour notre
civilisation.
- le sens de la communauté, c'est-à-dire la conscience que chacun est
responsable de tous les autres (Le contraire de l'individualisme)
- le sens de la transcendance, c'est-à-dire la conscience de valeurs absolues
l'humanité est une parce que Dieu, son Créateur, est UN (Le contraire du
positivisme désintégrateur et niant que la vie ait un sens, un sens global et
des fins.)
Des conséquences pratiques immédiates en découlent :
1/ L'économie, pour être au service de l'homme, ne peut pas partir du
postula occidental l'"homo oeconomicus", qui est seulement producteur et
consommateur, et mû par son seul intérêt. C'est faire abstraction de la
dimension spécifiquement humaine, c'est-à-dire divine, de l'homme la
transcendance. Il est nécessaire, de ce point de vue, de faire, sur le plan
théorique, la critique des manuels d'économie politique (par exemple celui
de Samuelson, Prix Nobel), et, sur le plan pratique proposer une alternative
aux "échanges inégaux" entre Nord et Sud abolir la dette du Tiers Monde.
L'exiger serait un génocide pour 2/3 du monde : une faillite sans précédent
pour les nantis.
2/ la Politique tout comme la science pour la science (scientisme}, et la
technique pour la technique (technocrate), une politique considérant la prise
du pouvoir ou la conservation du pouvoir comme une fin en soi, conduit
au chaos et à l'écrasement de l'homme. Il nous appartient à tous de rétablir
le sens de la «guidance" divine ».
Ce ne sont là que des exemples, car un effort analogue doit être fait dans
tous les domaines de la culture.
Ce "Colloque de l'unité de la foi abrahamique" n'était dirigé ni contre les
autres religions, n i contre les autres sagesses.
Il s'agit, au contraire, d'un point de départ. Ceux des membres des trois
composantes de la foi abrahamique qui se sont rencontrés à Cordoue se
préparent à un oecuménisme véritable, plus vaste coopérer avec les autres
religions et sagesses qui veulent, comme nous, participer à la vie de
l'absolu, et même avec les humanismes non-religieux ayant, comme nous,
la préoccupation de faire prévaloir les exigences de l'humanité dans sa
totalité contre les intérêts partiels des individus, des groupes où des nations.

Faire revivre ce message de l'unité et de l'universel, n'est pas faire se lever
un mirage sur la terre des songes.
Ce rêve est aujourd'hui inscrit dans la pierre, dans le "Centre culturel de la
Tour Calahorra" de Cordoue, pont entre l'Orient et l'Occident, où revivent
et disent leur message les grandes figures d'Averroès, de Maïmonide,
d'Alphonse X, et d'Ibn Arabi, et où est évoquée l'apogée de la civilisation
andalouse.
L'apport le plus fécond de l'Islam en Occident, de l'Islam en Andalous, tel
qu'il s'exprima chez les plus hauts génies qui l'illustrent ; c'est de n'avoir
pas confondu le message universel du Coran avec les traditions et les
folklores de telle ou telle partie de la communauté musulmane.
Le message du Coran est universel : l'Islam n'y apparait jamais comme une
religion parmi d'autres, comme une religion nouvelle née au Vllème
siècle, mais comme la religion fondamentale et première, depuis que Dieu a
« insufflé en l'homme de Son Esprit », depuis Adam, et dont Abraham,
Moïse, Jésus, Mohammad, furent des Apôtres.
Pour n'avoir pas perdu le sens de cette universalité, l'Islam, en Andalous, a
pu faire participer Juifs et chrétiens à l'élaboration de cette culture dont cet
Islam universel est l'âme.
Cette espérance peut-elle renaître?
Cette renaissance n'est pas seulement possible. Elle est nécessaire.
Car la Renaissance, qui était une radieuse promesse, en Espagne, au XIIème
siècle, avait une orientation inverse de celle du XVIème siècle italien, du
XVIIème siècle anglais, du XVIIIème siècle français, et des deux derniers
siècles de l'Occident.
Elle ne se caractérisait pas, comme l'autre, par une atrophie de la dimension
transcendante de l'homme. A u contraire, elle était, à l'encontre de tous les
exclusivismes religieux, la prise de conscience de l'universalité du divin.
Cet esprit meurt, au XIIème siècle, avec la mort, en exil, du plus grand des
philosophes Juifs, Maïmonide, en 1204 ; avec la mort, en exil, du "Cheikh
AL Akbar" des musulmans, Ibn Arabi, en 1240 avec la mort, en 1284,
d'Alphonse le Sage, déposé dans la guerre civile entre rois "catholiques".
Cette renaissance avortée, si nous savons en faire revivre l'esprit, peut, en
cette fin du 2ème millénaire, apporter réponse aux problèmes majeurs de
notre temps.
Tel est le but principal de notre Rencontre Abrahamique et de la Fondation
que nous venons d'inaugurer à la Tour Calahorra faire aujourd'hui revivre
la conception plénière de la raison, qui fut celle de l'Andalous au temps de
son apogée.
Une raison qui ne sépare jamais la science expérimentale et mathématique,
de la sagesse réfléchissant sur le but de la recherche scientifique, et de la foi
par laquelle nous prenons conscience des limites et des postulats de cette
science et de cette sagesse.
De la réponse aux problèmes moraux posés aujourd'hui par le nucléaire, la
manipulation génétique, la militarisation de l'espace, la croissance
économique cancéreuse de modèle occidental, dépend la survie même de
l'humanité.
Une science et une technique séparées de la sagesse et de la foi nous
conduiraient à un suicide planétaire.
Il appartient aux hommes de foi, unis, de rappeler que l'homme, mutilé de
sa dimension transcendante, est voué à la mort, et d'apporter des
propositions constructives.
Cela suppose que nous luttions, chacun sur notre front, contre les
intégrismes qui n'épargnent aujourd'hui aucune communauté religieuse.
J'entends par intégrisme la tendance à confondre notre foi avec la forme
culturelle ou institutionnelle qu'elle a pu prendre à telle ou telle étape de
son histoire.
Le message du Coran est universel. Le réduire aux traditions propres d'une
époque ou d'un peuple, c'est défendre un folklore, pas une foi.
Aucune de nos communautés n'est aujourd'hui exempte de tendances
tribales ou exclusivistes.
Retrouver, pour répondre aux défis de notre temps, le message d'Abraham,
qui nous est commun, tel fut l'esprit dominant de notre rencontre, tel est
celui de la Tour Calahorra, dont le but est, essentiellement, de rappeler la fin
dernière de toute société humaine donner à chaque homme, à chaque
femme, à chaque enfant, tous les moyens, économiques, politiques et
culturels, pour lui permettre de déployer pleinement toutes les possibilités
que Dieu a mises en lui.

Roger GARAUDY