En décembre 1989 et janvier 1990, Roger Garaudy, se rapprochant du Parti Communiste Français dont il a été exclu vingt ans auparavant, propose à Roland Leroy, membre du Bureau Politique (la plus haute instance) du PCF et Directeur du quotidien L'Humanité de lancer le débat sur la mutation politique qu'il juge nécessaire et même vitale en publiant un article dans ce journal. . Le 31 décembre il lui envoie une première mouture de cet article: 16 pages dactylographiées. Intitulé Trente ans d'erreur. Tout à repenser, cet article est - reconnaissons le - inacceptable par la direction du parti telle qu'elle est à l'époque.[CETTE VERSION, avec un préambule d'une page EST A VOTRE DISPOSITION, SUR DEMANDE VIA LE FORMULAIRE DE CONTACT DU BLOG, AU FORMAT PDF]. Ce texte est précédé d'une lettre manuscrite datée du 31 décembre 1989 que nous reproduisons:
Sans réponse ou peut-être à la demande de Roland leroy qui aurait pu réclamer une version plus courte ou expurgée (je l'ignore), le 9 janvier 1990 il porte ou fait remettre à celui-ci une deuxième mouture de 8 pages dactylographiées précédées d'un court préambule. C'est cette version que nous vous proposons de découvrir ci-dessous au format word.
Une troisième lettre suivra le 17 janvier plus spécialement reliée aux évènements en cours à l'Est (l'Union soviétique approche de sa fin). Elle fera l'objet d'une publication séparée dans quelques jours.
Ces textes conservent tout leur intérêt, pas seulement historique mais surtout politique, et les luttes actuelles pour refonder une politique d'émancipation (luttes contre la Loi-Travail, Nuits debouts, Convergence des Luttes, Aéroport de Nantes, Intermittents, etc) leur confèrent à mon avis valeur de cadre possible pour une réflexion globale.
En Amérique les Etats-Unis mettent le Panama à feu et
Une troisième lettre suivra le 17 janvier plus spécialement reliée aux évènements en cours à l'Est (l'Union soviétique approche de sa fin). Elle fera l'objet d'une publication séparée dans quelques jours.
Ces textes conservent tout leur intérêt, pas seulement historique mais surtout politique, et les luttes actuelles pour refonder une politique d'émancipation (luttes contre la Loi-Travail, Nuits debouts, Convergence des Luttes, Aéroport de Nantes, Intermittents, etc) leur confèrent à mon avis valeur de cadre possible pour une réflexion globale.
A.R
Membre
du Parti
Communiste français et fier de l'être
pendant
37 ans , membre de son Comité Central pendant 25 ans et
de
son Bureau Politique pendant 12 ans , j'ai eu ma part de
responsabilité
dans les erreurs commises avant 1970 , date à
laquelle
j'ai été exclu pour avoir proposé un projet de mutation
du
Parti dans une perspective qui n'était pas sans analogie avec
la
démarche actuelle de Gorbatchev
Lettre ouverte au Parti
Communiste Français
TRENTE
ANS D’ERREURS. TOUT A REPENSER.
Le
monde entier est malade.
Dans
le Tiers-Monde, par le jeu combiné de la dette
et
des échanges inégaux , 50 millions d' êtres humains meurent
chaque
année de faim et de malnutrition, c'est à dire que la
richesse
de 1'Occident impose aux anciens colonisés 1'équivalent
de deux Hiroshima par jour.
de deux Hiroshima par jour.
En Amérique les Etats-Unis mettent le Panama à feu et
sang
pour chasser un dictateur corrompu qu'ils ont eux-mêmes
imposé
quand il était un agent docile, et ils subventionnent au
Salvador
les assassins du peuple et de ses théologiens de la
libération.
A
1'Est de 1'Europe le socialisme paye le prix de
ses
perversions, du long divorce du socialisme et de la liberté
Ses
principales perversions sont au nombre de 3 :
1°)
Un alignement sur la conception quantitative de la
croissance,
caractéristique du monde capitaliste. Le socialisme
a
ainsi perdu sa spécificité: une économie ordonnée à des fins
humaines.
2°)
Une planification confondue avec une gestion centralisée,
bureaucratique et autoritaire.
bureaucratique et autoritaire.
3°)
La socialisation confondue avec une étatisation
qui
conduisit 1'économie au chaos et la liberté au cachot.
Dans
ce contexte mondial le Parti Communiste français,
se
révélant aussi incapable que les autres partis politiques de
pense
r le monde dans son unité, n'a pas fait une autocritique
permettant
de jouer son rôle face à ceux qui voient dans les
bouleversements
de 1'Est, 1'effondrement du socialisme et non
l‘ effondrement de ses
perversions.
Ce
dogmatisme a rendu ses dirigeants aveugles aux mouvements
de
1‘ histoire présente. Par exemple, 1‘incompréhension du
fait
qu'à notre époque aucun problème ne peut être résolu
dans
le cadre national a conduit à la faute capitale: le ralliement,
en
1977, à 1'illusoire "dissuasion nucléaire", qui
intégrant
, une fois de plus, le P.C.F . au soi-disant "consensus"
des
partis, lui faisait perdre sa légitimité historique comme
force
d'arrachement aux mensonges officiels, et comme force
de
proposition pour préparer un avenir à visage humain.
Des
millions de français ont trouvé dans le communisme l’espérance d'une autre
société
, d' une autre existence, et le sens de leur vie.
Il
fut un temps , avant 1956 , ou 20 % des
français
votaient
communiste avec 1'espoir "de lendemains qui chantent".
L'
invasion de la Hongrie, en 1956 , en éloigna un tiers . A
la
veille de 1968, malgré cette chute, devant la carence des
autres
partis, les communistes retrouvaient la confiance de
près
de 18% des français. La cécité de la direction du Parti,
en
1968 , conduisit à une nouvelle chute, désormais constante:
12%en
79 , 6% en 84 , 3,7 % en 89.
Il
n'est plus temps de redresser ou de sauver l e
Parti.
Sauvons 1' espérance dont il fut porteur: celle de
sortir
de la jungle de 1' économie de marché et de créer un
socialisme
défini par ses fins :" Une société, disait Marx,
où
le libre épanouissement de chacun soit la condition du libre
épanouissement
de tous."
Cette
volonté de changer la vie implique une triple
mutation:
de 1'économie, de la politique, de la culture.
La
mutation de 1'économie est d'abord la clé du
changement
du mode de vie. Elle ne peut s'opérer ni par une
rupture
violente imposée "d'en haut", ni par une prédication
morale,
mais par une reconversion, entreprise par entreprise,
pour
aller vers un autre modèle de croissance fondé sur la
satisfaction
de besoins réels.
La
reconversion n‘ est pas seulement le moyen necessaire
pour
changer le mode de vie d'un peuple en donnant un sens
humain
à son économie; elle est aussi la seule méthode efficace
de
lutte contre le chômage.
Le
nucléaire et 1'armement sont les deux mamelles
du
chômage
pour une raison simple: ils exigent le plus d'investissements
par
emploi créé. C’est ainsi que la reconversion du
nucléaire
civil permettrait, avec le même investissement financier,
scientifique et technique, de produire la même
quantité
d'énergie
en créant un million d'emplois. (Rapport Crémieux.)
La
reconversion permet de créer un véritable tissu
social
car elle exige la participation créatrice de chacun se
sentant
responsable de tous dans cette remise en cause des
finalités
de la production et des services, et la recherche des
moyens
d'un réemploi des techniques à des fins humaines.
Cette
reconversion pour n' être ni anarchique, ni
tyrannique,
exige, comme le préconise Gorbatchev, une articulation
entre
le marché et le plan, entre 1'esprit d 'entreprise et 1'esprit communautaire,
permettant
à moyen terme de les conjuguer. C'est le contrat,
c'est
à dire une méthode par laquelle orienter et diriger ne
consiste
plus à donner des ordres, mais à fixer des objectifs.
A
tous les niveaux: des tâches d'une équipe dans 1'entreprise
jusqu'à
la planification centrale.
Ainsi
seulement 1'on pourra échapper au faux dilemne
entre
un individualisme de jungle et un totalitarisme de termitière.
La mutation politique exige une conception claire de
la
démocratie.
1
- Il n'est pas possible d'identifier la démocratie
avec
1'économie de marché, car le "libéralisme" du renard
libre
dans le poulailler conduit aux pires inégalités et à l a
mainmise
de 1'argent sur le pouvoir politique, ce qui est
aux
antipodes de la démocratie. La politique économique la plus
"libérale"
du monde, veillant à assurer le jeu sans limite de
1’économie
de marché, c’est celle de Pinochet, au Chili, où
tout
le poids de la dictature politique est au service d'un
marché
sans entraves.
2
- Il n’ est pas possible
d'identifier la démocratie
avec
la pluralité des partis.
Y
a-t- il pluralisme aux Etats-Unis lorsque les partis
républicain
et démocrate sont indiscernables par leurs projets et
leurs
programmes ? Ils constituent "le parti unique" de l a
dictature
anonyme de l'argent, présentant tous les stigmates
de
l a décadence: record de la criminalité, de la drogue, des
suicides
d'adolescents, de la corruption par les "lobbies",
des
interventions économiques ou militaires aux côtés des dictatures
les
plus corrompues.
En
France que signifie 1'affrontement de partis dont
aucun,
de la "droite" à la "gauche », n’est porteur d'un
véritable
projet d'avenir, et qui, des deux côtés, à l'intérieur
de
la "droite" comme de la "gauche", donnent le
spectacle
de guerres de personnes et de factions, amnistiant
eux-mêmes,
en toute complicité, leur corruption, pour faire
de
leur politique une simple course au
pouvoir. Le niveau de
déchéance
du débat politique en France apporte la
preuve: Le
système
des partis est désormais une forme d'organisation politique périmée.
3 - La "démocratie
libérale" n'est pas un obstacle
à la victoire du fascisme: Hitler n'est pas arrivé au pouvoir
à la victoire du fascisme: Hitler n'est pas arrivé au pouvoir
par
un coup d’Etat : il y est parvenu très
"démocratiquement",
en obtenant, dans la très "libérale"
République
de Weimar, la majorité électorale lui donnant
lëgalement le pouvoir.
lëgalement le pouvoir.
Définie
par ses fins, la démocratie, réelle et non
formelle,
c’ est une société qui crée les
conditions, économiques,
politiques, culturelles pour que chaque
enfant, chaque
femme,
chaque homme, puisse déployer pleinement toutes les
possibilités
qu'il porte en lui.
Définie
par ses moyens, la démocratie est une
société
créant
les conditions, à tous les niveaux de la vie sociale, de
la
"participation" de chacun à 1'élaboration des décisions
dont
dépend son destin.
La
démocratie est pluraliste.Non pluralisme de clique ou de
clan,
avec tout ce que cela implique d'endoctrinement idéologique,
de démagogie et de caporalisation, mais
pluralisme de familles
spirituelles enrichissant chacune leur vision
de 1'avenir
par
la fécondation réciproque de 1' échange et du dialogue.
Une
mutation par laquelle la "société civile", le
peuple,
prend en main son destin, n'est pas une utopie: des
exemples
récents, à 1‘Est de 1'Europe, ont montré comment
des
peuples entiers, même corsetés par les Etats et les partis
les
plus fortement structurés, ont changé, de façon décisive,
leurs
régimes politiques. Depuis longtemps déjà, en Amérique
Latine,
des "communautés de base", sur 1' expérience desquelles
sont
nées les "théologies de la libération", ont réussi , en
dehors
des partis, en dehors de 1'Etat, sans lui, et parfois
contre
lui, à réorganiser, à partir de la base, leurs rapports
sociaux
et leur mode de vie.
C’est à une initiative de ce genre que nous faisons
appel:
recréer un tissu social et politique en dehors des partis,
sans eux, et, s'il le faut, contre eux. Tous.
Car tous
portent
les stigmates de la même déchéance, de la même absence
de
projet,de la même politique-spectacle, où le citoyen
n'a
aucun moyen de participer à 1'action.
Dans
cette désaffection générale pourquoi le Parti
Communiste
a-t-il connu 1'effondrement le plus marqué ?
Parce
que, pour un parti conservateur, veillant à
maintenir
ce qui est, un projet n'est pas nécessaire: un
"empirisme
organisateur" suffit. Mais pour un parti se disant
"révolutionnaire",
promettant de changer le monde, 1'absence
de
projet signifie la mort, la perte de légitimité historique.
C’est
de quoi sont morts, par exemple, les partis
communistes
polonais, hongrois, roumains. C'est de quoi meurt
le
Parti Communiste français.
Comment
créer un nouveau réseau de résistance au non-sens
dans ce monde occidental dont la puissance
technique aveugle
risque
de conduire à un suicide planétaire ?
Des
"communautés de base" - il est
vrai moins conscientes
de leurs visées lointaines que celles
d'Amérique Latine -
existent
chez nous sous la forme de mouvements associatifs ( communautés
d’aide,
organismes de défense, centre s coopératifs,
associations
culturelles), qui ont pour caractère commun, à des
degrés
divers, d'échapper :
-
aux lois du marché ,
-
à la bureaucratie autoritaire de 1'Etat,
-
à la manipulation médiatique.
C'est
à partir de là que 1'avenir peut être construit.
L'objectif
premier est d’aller vers des Etats Généraux des
mouvements
associatifs, non pour centraliser et diriger, mais
pour
fédérer les espérances et échanger les expériences.
Les
divers partis - de gauche ou de droite - n'ont vu
en
ces associations que des moyens d'accroître leur clientèle
par la démagogie des promesses. Le Parti
Communiste ne
traite
avec ses alliés que pour en faire des courroies de transmission
de son influence.
Pour
libérer les initiatives de la base, les partis
de
conservation sociale (de droite ou de gauche) poursuivront
leur
pourrissement dans 1'indifférence croissante d'un peuple.
Mais
pour qu'une "renaissance" soit possible, qu'un mouvement
réel soit porteur d'un nouveau projet, il faut
qu'en donne
l’
exemple le parti qui en a trahi 1’espérance.
Il
ne s'agit pas seulement d'exiger la démission de
la
direction qui 1'a conduit au tombeau. C’est une condition
nécessaire,
mais non suffisante.
Un
nouveau congrès, de nouveaux dirigeants, une
organisation
plus démocratique, ne suffiraient pas à animer
une
renaissance. La formation d'un "Mouvement de
renaissance" ne doit être ni la création
d'une nouvelle
orthodoxie, ni le prolongement d'une ancienne
dissidence.
Nul
de ceux qui sont décidés à participer à cette mutation
radicale ne doit être écarté qu'il s'agisse de
militants de ce
Parti qui recèlent des trésors de dévouement et de
sacrifice, d'anciens
militants, de membres de mouvements
associatifs, d'hommes
et
de femmes venus d'autres partis et conscients de la
vanité
de ces partis, mais tous unis, au delà de leurs divergences,
par la même volonté de préparer la Charte
nouvelle de la
Renaissance
et de prendre en mains leur propre destin.
Un
"Comité national provisoire de la Renaissance"
aurait
pour tâche première de préparer les Etats Généraux, qui
éliraient
eux non une «direction» mais un Comité permanent
de
coordination pour garantir à la fois 1'unité du but
et
1'autonomie de chaque communauté .
Dès
l e départ doivent être parties prenantes de l'initiative
et
du Comité des chrétiens qui ont connu, avec le
Concile,
leur "perestroïka", qui s'appelait "aggiornamento",
au
temps du Pape Jean, des écologistes, des non-violents, des
immigrés
aspirant, dans 1’esprit de Mohammed Iqbal, à la
revivification
de leur religion, des athées , dont le rôle
est
salutaire:
par son refus de 1'idolâtrie religieuse, 1'athéisme
témoigne
de la volonté de 1'homme de se dépasser et de donner
lui-même
un sens à sa vie. Sa foi en 1'homme n'est pas
rivale
de ce que d'autres appellent la foi en Dieu. Son doute
aide
la foi à ne pas céder au dogmatisme et à
s' intérioriser.
C’est
en quoi consiste la mutation de la culture:
contre
toute prétention à détenir la vérité absolue, prétention
qui
conduit à 1'inquisition, contre toute prétention au monolithisme
et
à 1'exclusivisme d'un rôle dirigeant, contre tout ethnocentrisme
occidental,
engager un véritable dialogue des
civilisations
pour concevoir et vivre, grâce à leur fécondation
réciproque
, de nouveaux rapports, plus humains, avec la nature,
les
autres hommes et l 'avenir.
Et
surtout, pour prendre conscience par
cette ouverture à 1'autre
que
le monde est un.
Aucun
problème aujourd'hui ne peut être résolu dans un
cadre
national ou partiel. L'on ne peut plus raisonner en termes
de
"eux" et "nous". "Nous", tout le bien. « Eux »
l'empire
du
mal.
A
1' étape présente de 1'histoire, une universelle
interdépendance,
des économies, des cultures, des angoisses
et
des espérances nous oblige à prendre conscience de cette
unité
fondamentale: hommes de droite ou de gauche, de 1’Est
ou
de 1'Ouest, du Nord et du Sud, nous nous perdrons tous ensemble
ou
nous nous sauverons tous ensemble.
Roger
Garaudy. 9 janvier 1990. Archives de l'auteur