Le pragmatisme du marché ou la mort de l’homme
par Camille Loty Malebranche
Du
plus lucide des constats, le pragmatisme économique est en soi, la
dictature dévorante du rentable, la rage tyrannique de la rentabilité
primant l'homme, dans l'imposition des exigences de performance sans
limite du marché.
Disons-le
d’emblée, nous abordons ici le pragmatisme comme mode de vie utilitaire
de la société contemporaine. Il ne s’agit pas du pragmatisme
gnoséologique qui cherche les meilleures méthodes d’accès aux
connaissances ou du pragmatisme psychologique qui veut réduire les
difficultés à l’approche d’un problème à résoudre mais de l’idéologie
capitaliste avec son obsession du but et du profit économique qui
doivent ponctuer toute action humaine sinon cette action ne vaudrait pas
la peine d’être entreprise. Le pragmatisme est la vision d’une société
où prédomine l’idéologie de l’individualisme sauvage et déshumanisant
qui sert la performance et la prospérité du vendeur et fait la réussite
matérielle par la production du rentable. Il s’agit, en effet, de la
violence obsessive du rentable à tout prix, qui empreint l’idéologie
sociale contemporaine jusqu’à la pathologie, jusqu’à la négation totale
de l’homme aux dépens de qui se fait le succès aveugle du marché.
Véritable pulsion morbide du lucre et de l’utilité immédiate, le
pragmatisme altère toute l’action humaine qu’il prive de projection
lointaine et transcendante. La réification systémique, haineuse de
l’homme procède ainsi d’un mode de pensée pour qui tout est rentabilité
et où le profit doit avoir la primauté. La haine de l’essence
pluridimensionnelle de l’homme comme toute condition haineuse, est
pauvreté d’être de qui hait. Le système économique haineux de l’homme
constitue, dans ces conditions, un néant phagocytant l’être par toutes
sortes d’ersatz, tout en proposant à l’individu un rictus mécanique des
représentants de l’institution sociale sans se soucier de la personne
humaine qu’elle pose et perçoit en tant que rouage biologique du devoir
de performance et de consommation pour la prospérité de l’oligarchie
ploutocratique. Oligarchie tyrannique qui, pourtant, singe la démocratie
avec bruit et fureur. Là, le sens, cette attraction et impulsion de
l’aventure humaine, se retrouve subverti dans la marche au supplice de
toutes les dimensions non vendables de l’existence. Et le pire dans ce
Babel où prévaut la manipulation, c’est la prétendue morale sociale
conservatrice qui voudrait faire croire que des valeurs existent dans
cette jungle d’agressivité matérialiste ! Cette attitude duelle de
proxénète prêcheur d’une société gibbeuse et grossière de ses lourdeurs
pragmatiques, assène la plus terrible manipulation à l’entendement et au
bon sens collectif dont elle se fait l’ombre simiesque !
La société pragmatique, altération perverse du rapport à soi.
Behaviouriste
et réificatrice, la société pragmatique taille l’homme à la mesure des
besoins du profit de l’establishment. Idolâtrie du Mammon de la finance,
simonie de l’être sacré de l’homme crucifié au pressoir du
financiarisme, ce stade contemporain de prédominance de la virtuelle
finance boursière dans l’économisme actuel, l’homme en devient la
dernière chose qui importe au système social suspendu aux basques du
marché des bourses.
L’image perdue de l’humanité...
D’un
point de vue métaphorique, l’action qui se déploie dans l’histoire
individuelle ou sociale est considérée comme le miroir de la conscience
de l’homme et de la société. Cette conscience, faut-il le rappeler, se
construit dans les contingences de l’histoire individuelle et sociale,
et par les nécessités de réponses des individus et catégories sociales
au conditionnement systémique et historique. Conscience actuellement en
crise dans l’ordre axiologique où les valeurs oublient le primat que
devrait avoir la personne humaine. Crise spéculaire qui est déchirement
intérieur combien traumatique de l’homme privé de sa propre image
ontologique méconnaissable et quasi inapte à assumer ses prétentions à
l’humanité ! C’est un suicide systémique de l’humain qui ravage le
traumatisé perdant toute balise et s’en remettant aux forces mêmes de
son effacement dans la structure sociale dominante. C’est aussi une
entraliénation car l’aliénation ici comme souvent, va du corrupteur au
corrompu, du bourreau à la victime, puisque l’establishment
ploutocratique - perdant toute humanité - définit une société
monstrueuse par son matérialisme extrême qui s’identifie à lui,
l’establishment bêtement pris au lasso du marché qu’il déifie. Vieille
occurrence qui voit le maître esclave de son ordre esclavagiste ! Mais
en même temps se profile la masturbation sur l’horreur du possédant chez
le non possédant qui, semblable à un voyeur taré au trou de la serrure
où il est spectateur des ébats malsains de sado-maso en action, crie
qu’il a joui de la déviance qu’il contemple par dénaturation !
L’entraliénation est l’aliénation dominante des « grands » manifestant
leurs propres tares ontologiques de prédateurs économiques esclavagistes
et l’aliénation dominée qu’est la réponse positive au mal, réponse
reproductive de la hideur pathologique et mortifère de l’ordre
idéologique de la consommation chez les victimes !
L’allégorie
du miroir commence, devons-nous le rappeler, dans l’histoire humaine
par la légende. Le premier homme se serait pour la première fois miré
dans la source coulant au paradis des origines et y aurait, émerveillé,
contemplé son visage ! Chez les grecs, Narcisse, ébloui de son reflet,
se noya dans la fontaine à force de perdre conscience du danger de l’eau
qui le reflétait. Malgré l’apparente mort, le mythe hellénique nous
rapporte que de cette noyade du mirant contemplatif, poussa la fleur
Narcisse. Comme si la contemplation, même excessive, même maladive, en
imprégnant un individu fut-ce en le submergeant, finit par l’esthétiser,
le propulser au rang de fleur. Mais le pragmatisme contemporain enlève à
l’homme l’estime autocentrée, la contemplation de sa nature. Car l’une
des pires misères sociales de l’homme d’aujourd’hui est de devoir
conquérir « son être » par le postiche de la possession de biens et la
disposition de services offerts sur le marché. Terrible subordination de
l’ontologique à l’économique ! Tout le mal social : mégalomanie,
complexe d’infériorité, criminalité, suicide, frustration ou
triomphalisme, tient hélas, en majeure partie de cette calamité
existentielle du décentrage de l’homme dont le rapport à soi est
exproprié par le système. Ainsi, le capitalisme porte la palme des
expropriations... Après avoir exproprié les colonisés et les esclaves de
leurs pays, de leurs terres de leurs biens, de leur nom, de leur force
de travail ; après avoir exproprié l’ouvrier de son temps et de son
corps ; le marché implacablement pragmatique et impassible quant à
pluridimensionnalité humaine, exproprie « l’homme souverain et
individualiste » d’aujourd’hui de son rapport à l’être en interférant
infernalement jusque dans le rapport à soi de l’homme de la « Post
modernité ». Ici, le pragmatisme post moderne - ce prédicat
chronologique flou qui réfère à notre époque de discours écologique et
communautaire où la société civile tente de jouer un rôle moralisateur
dans la conscience sociale - procède d’un principe ancien voire
primitif : celui de l’incitation à l’instinct de prédation qui est chez
l’homme. Instinct haïssable parce que générateur de cette déviance
originelle combien démente vis-à-vis de la propriété : l’irrationnel et
illusoire désir de posséder autre chose que soi, de conquérir l’être par
l’avoir !
Copyright © CAMILLE LOTY MALEBRANCHE - Blog INTELLECTION - 2016
http://intellection.over-blog.com/
VOUS POUVEZ COMPLETER CETTE LECTURE PAR DE NOMBREUX TEXTES DE GARAUDY AUTOUR DU THEME CENTRAL DE LA LUTTE CONTRE LE "MONOTHEISME DU MARCHE", par exemple celui-ci , trés synthétique : http://rogergaraudy.blogspot.fr/2010/08/monotheisme-du-marche-ou-foi-en-lunite.html
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