[...] Telle que, par exemple, celle d'une France
éternelle,
anachroniquement et rétrospectivement reconstruite en
anachroniquement et rétrospectivement reconstruite en
projetant l'actuel hexagone dans le passé, et la dotant,
avant
même l'existence d'unpeuple français, des attributs d'une
personnalité agissante en fonction d'un but, quelle que soit
d'ailleurs l'origine mythique assignée à cet acteur.
Notre pays a toujours existé ou
préexisté à sa réalité actuelle.
L'histoire de France de Lavisse, comme autrefois celle de
Michelet, ont servi de moule à la
fabrication du mythe, et,
malgré l'immense progrès de l'école
des Annales , le moule n'est
pas entièrement brisé.
«Il y a deux mille ans la France
s'appelait la Gaule.... Dans la suite,
la Gaule changea de nom. Elle
s'appela la France. »
Peu importe si
le rassemblement des terres qui
constituent aujourd'hui la
France, fut l'oeuvre d'une série de
guerres, de conquêtes, de
massacres des hommes et des cultures.
Cette déité fantasmatique a tous les
caractères d'un personnage
poursuivant: un but bien déterminé :
la réalisation de
Le point de départ est hasardeux et
dépend du pouvoir du
Goya. Eau forte .1820. Les désastres de la guerre |
moment.
De toute façon la France est éternelle
: elle descend de DIEU.
Pendant des siècles ses rois, de droit
divin par leurs ancêtres
bibliques, incarnèrent à eux seuls la
France et ses ambitions
conquérantes. A en croire Jean
Lemaire de Belge vers 1510
dans son livre Illustrations de
Gaule et singularités de Troie,
les rois de France sont
descendants de Samothes, quatrième fils
de Japhet, lui-même fils de Noé. En
un mot la France remonte
à Adam lui-même, sinon à Dieu. Mais à
cela s'ajoute un
riche héritage gréco-romain : un membre
de cette famille
royale proscrit s'est enfui en Asie,
a fondé Troie, apportant la
civilisation gauloise à la Grèce et à
Rome.
Dans les Grandes chroniques de
France, écrites à la fin du XIII
ème siècle, à l'abbaye de
Saint-Denis, le premier Roi de France
était Pharamon (qui figure encore
dans une réédition de 1838
de l'histoire de France de Ragois.)
Dans sa Franciade, dédiée au Roi
très chrétien Charles IX,
Ronsard, reprend cette mythologie de
l'origine troyenne de la
monarchie française avec ses
fondateurs légendaires :
Francion, Pharamon, etc.... Cette
mythologie a ses variantes ;
par exemple l'opposition d'une plèbe
issue des gallo-romains,
et d'une aristocratie franque (c'est
à dire d'origine germanique)
dont le débat ne sera tranché qu'avec
la Révolution
française, mettant fin à cette
querelle en remplaçant les privilèges
du sang par ceux de l'argent.
Ce rappel de la mythologie nationale
n'est pas une diversion
car la conception mythologique des
histoires nationales
continue à opérer des ravages dans
les esprits et dans les
corps des peuples.
La France, même après les massacres
des juifs, des chrétiens
de Byzance, ou des musulmans de
Jérusalem, même après
l'extermination des cathares, après
que le pieux Roi Saint
Louis fit porter aux juifs la rouelle
(morceau d'étoffe jaune en
forme de roue - pas encore d'étoile).
La France où sévirent la
Saint-Barthélémy, les dragonnades de
Louis XIV, la férocité de
la répression vendéenne sous la
Révolution, les tueries européennes
de Napoléon (qui n'en reste pas moins
un héros
national alors qu'il a laissé la France plus
petite qu'il ne l'avait
trouvée), lorsqu'elle construit un Empire
colonial à coups de
massacres et sans parler de la
participation à la guerre de
l'Opium en Chine, ou du négoce des
esclaves noirs sur tous
nos ports de l'Atlantique, reste le
soldat de Dieu et du Droit.
Ce glorieux passé est la
justification officielle du racisme colonialiste
telle qu'en fit la théorie, à
l'Assemblée nationale, Jules
Ferry, (J.O. du 28 juillet 1885 (J.O)
:
« Il faut dire ouvertement qu'en
effet les races supérieures ont un
droit vis à vis des races
inférieures. »
Cette France reste éternellement le soldat
de DIEU ou du
Droit, suivant qu'il s'agit de fêter le
baptême de Clovis en
1997 ou de célébrer, sur le mode de
l'odieux et du grotesque,
le deuxième centenaire de la
Révolution française, en n'en
retenant qu'une Déclaration de papier
qui excluait du droit de
vote les 3/4 des français.
Cette mythologie de la nation n'est
d'ailleurs pas une spécialité
française, qu'il s'agisse, pour
l'impérialisme anglais massacreur
de l'Inde, magnifié par Rudyard
Kipling comme fardeau
de l'homme blanc, de la sauvagerie nazie au nom de la
supériorité aryenne , des spoliations, des expulsions, et
des
répressions féroces de l'Etat
d'Israël au nom de la promesse
tribale d'un Dieu.
Au nom du destin manifeste des
États- Unis, dont les premiers
envahisseurs puritains d'Angleterre
assimilaient les Indiens
aux Amalécites de Josué justifiant le
vol des terres aux
Indiens, leur refoulement ou leurs
massacres.
L'on peu contempler encore, en
bordure des ruines du Forum
de Rome, les cartes de l'Empire
romain par lesquelles
Mussolini, qui prétendait en être
l'héritier, justifiait ses carnages
africains jusqu'en Ethiopie.
L'utilisation de l'entité abstraite
d'une France éternelle préexistant
à son peuple et à son histoire, qu'il
s'agisse de Clovis,
de Jeanne d'Arc ou de la Fête de la
Fédération présidée par
Lafayette, peut justifier tous les
crimes jusqu'au moment où
renonçant à la mythologie en faveur
de l'histoire, on reconnaisse
en la France de 1998, une création
continue faite du
mélange de vingt races et dont la culture s'est enrichie de
l'apport
de chacune, qu'il s'agisse, par
exemple, des troubadours
d'Occitanie inspirés, comme le notait
Stendhal, des conceptions
de l'amour et de la poésie des poètes
arabes de
l'Andalous, de l'Espagne voisine, du
cycle breton des épopées
du Roi Arthur, des cultures
méditerranéennes des grecs et des
romains, ou des influences
germaniques, de la musique à la
philosophie, par les marches de
l'Est qui ont bouleversé et enrichi
la culture française.
Cette critique historique mettant fin
aux entités métaphysiques
de la mythologie, a une importance
capitale pour
résoudre aujourd'hui les fausses
querelles sur la citoyenneté et
sur l'immigration.
Fausse querelle, celle de la
citoyenneté, fondée sur le droit du
sol ou le droit du sang, comme si
l'appartenance à une communauté
dépendait de facteurs extérieurs à
l'homme et à sa
sensibilité : être né en un lieu
déterminé ne dépend aucunement
de moi et ne saurait donc être une
raison de fierté ou
d'humiliation.
Quant au droit du sang il repose
sur un autre facteur indépendant
de ma volonté : comme, pour un
animal, d'être éléphant
ou grenouille.
Le seul lien, proprement humain,
d'une communauté proprement
humaine, c'est la participation à un
projet commun et la
contribution à la réalisation de ce
projet, patrimoine commun
de l'humanité considérée comme un
tout. Chaque peuple, par
sa culture originale, participe à
l'humanisation de l'homme, à
sa véritable croissance et développement
en humanité.
Il en est de même du problème de l'immigration
qui ne peut
être, selon les règles génératrices
d'inégalités croissantes du
monothéisme du marché, une question
d'exclusion de
concurrents sur le marché du travail
et du marché tout court,
mais une question de dialogue où
chacun prend part, pour
élargir la vision de l'homme et du
projet humain de chacun
(par exemple, échange et partage du
sens de la communauté
des uns et du sens de la personne de
l'autre, dans une lutte
commune contre un individualisme de
jungle ou un totalitarisme
de termitière.)
De même, échange et partage pour
échapper à la fois à une
conception dogmatique de la religion
prétendant régenter la
société entière, et d'un laïcisme
excluant la recherche des fins
dernières, afin de lutter ensemble
pour l'unité de la foi et pour
la fécondation réciproque des
cultures et des institutions dans
lesquelles cette foi est vécue.
La place de l'histoire dans
l'éducation doit donc être radicalement
transformée.
Il ne peut plus s'agir de la
transmission, par les manuels scolaires,
se succédant et se recopiant les uns
les autres à partir
de deux ou trois modèles variant dans
leur présentation mais
obéissant tous à la même logique,
d'une pensée-unique, des
mythes sur l'origine ou la genèse historique
de la nation formant
des citoyens à la pensée-unique du
politiquement correct.
Ces mythes sont de plus en plus
nocifs, au fur et à mesure
qu'on approche de la situation
contemporaine, depuis les
tabous de la Première guerre mondiale où les
soldats du droit
réalisaient une union sacrée contre
les ennemis héréditaires.
Après la deuxième guerre mondiale, et
le tribunal de
Nuremberg, où était interdite toute
évocation des causes
génératrices du monstre nazi (depuis
le traité de Versailles
rendant son ascension possible,
jusqu'en 1933 où i l devint, le
plus démocratiquement du monde, le
tyran de son peuple),
avec le soutien du monde capitaliste
tout entier qui, à partir
de 1933, voyait en lui le meilleur « rempart
contre le bolchevisme».
Il fut salué comme tel par Churchill, comme par les chefs
Il fut salué comme tel par Churchill, comme par les chefs
de l'Église allemande, (et, à leur
suite, de toutes les églises qui
appelaient, après sa victoire, à la collaboration
des peuples. En
France comme en Allemagne, en Italie,
en Espagne et dans
toute l'Europe.)
Après sa défaite l'histoire fut
rendue plus incompréhensible
encore en attribuant (par un culte
de la personnalité à l'envers)
tous les malheurs du monde au délire
obsessionnel raciste
d'un Hitler fou, ce qui était le
fruit d'une longue gestation :
depuis les traités de Versailles,
puis les fournitures d'argent et
d'acier par tous les banquiers du
monde, de l'Angleterre, de
la France, des États-Unis, puis les
concessions politiques (dont
Munich est le symbole et les accords
germano- soviétiques,
conséquence défensive contre ceux qui
voulaient l'orienter
vers l'Est), jusqu'aux collaborateurs
sionistes (alliés naturels
d'Hitler contre les Allemands de
confession juive : les premiers
voulaient aider, par la création d'un
État d'Israël puissant,
à « vider l'Europe de ses juifs »
(Judenrein), ce qui était le
rêve d'Hitler, alors que
l'Association des allemands de religion
juive voulaient rester en Allemagne,
demandant seulement
le respect de leur religion et de
leur culture. C'est contre
eux (95 % de la communauté juive
contre 5 % de sionistes) que
s'acharnèrent les nazis.
Dès lors l'histoire mettait en oeuvre
de nouveaux tabous : la
collaboration des sionistes par les
accords bancaires de la
Haavara pour lesquels, en échange du
départ de quelques
millionnaires juifs et de leur
fortune, ils promettaient de lutter
contre le blocus de l'Allemagne nazie
; les propositions de
coopération militaire des groupes
armés de la bande Stern et
d'Itzac Shamir, avec l'armée
hitlérienne, en raison de leur
communauté de vue ; l'échange abject
proposé par Hitler et
accepté par les dirigeants sionistes
en 1944, de 1 million de
juifs contre 10 000 camions (à
condition qu'ils ne servent que
sur le front de l'Est). Hitler et les
alliés ne rêvaient que d'une
paix séparée par l'entremise des sionistes. (Voir
Yehuda Bauer.
Juifs à vendre (Ed. Liana Levi. 1996. pp. 87,227 et
80 et 88)
Sur ce chapitre de la falsification
délibérée de l'histoire
contemporaine (depuis la chute
d'Hitler) la conclusion fut formulée
explicitement en 1990, par une loi
scélérate, dite loi
Gayssot, qui, en complicité avec le Président
de l'Assemblée,
Laurent Fabius, légalisa la
répression de toute histoire critique
des crimes hitlériens en imposant,
comme un tabou, toute critique
des décisions du Tribunal de
Nuremberg dont le
Président même, le Juge américain
Jackson, reconnaissait
qu'il était le « dernier acte de
la guerre » et qu'il n'était donc pas
tenu « aux règles juridiques des
tribunaux ordinaires en matière de
preuves. »
Le colonialisme culturel
A l'époque du colonialisme européen
il est significatif que
l'histoire est celle de la conquête légitime
de nouveaux territoires
pour apporter la Civilisation aux
barbares.
Toute invasion ou agression coloniale
est alors légitimée au
nom de la civilisation, et la résistance
des peuples colonisés,
spoliés et massacrés, est
invariablement appelée terrorisme.
L'histoire scolaire, c'est à dire,
essentiellement celle de
l'Occident, ne peut avoir,
évidemment, que deux sources,
comme l'Occident lui-même :
judéo-chrétienne et grécoromaine.
En 1975, Preisswerk et Merrot,
étudiant 30 manuels scolaires
les plus utilisés (3 allemands, 6
anglais, 11 français, 2 portugais,
8 russes) se bornaient à un seul
problème : celui de la
déformation nationaliste des manuels
d'histoire et
son colonialisme
intellectuel faisant de l'histoire « une
histoire de
l'Occident avec des annexes
concernant d'autres peuples »
(Ethnocentrisme et histoire. (1975) Ed. Anthropos). La perspective
ethnocentrique prenant pour critère
du progrès, de la
modernité, le seul pouvoir technique sur la
nature et les
hommes, permet d'établir un palmarès
où l'Europe arrive en
tête, non seulement avec le droit
mais le devoir d'élever les
Primitifs à son niveau de perfection. Même
lorsqu'un manuel
dit : « A leur arrivée dans le pays
les Européens y trouvèrent une
brillante civilisation », ils ne trouvent brillant que
ce qui répond
à leurs propres critères.
L'on est loin, ici, de l'admirable
humilité scientifique, ou plus
simplement, de l'objectivité et de
l'universalité dont Levy-
Strauss donne l'exemple dans Race
et histoire :
« l'Antiquité confondait tout ce qui
ne participait pas de la culture
grecque (puis gréco- romaine) sous le
nom de "barbare" ; la civilisation
occidentale a utilisé le terme de
"sauvage" dans le même
sens ;... sauvage, qui veut d i r e
"de la forêt "évoque un genre de vie
animale , par opposition à la
"culture" »
(p. 20)
L'invasion de l'Algérie et les
déclarations du Maréchal
Bugeaud en sont un exemple typique.
Le 14 mai 1840, Bugeaud annonçait à
la Chambre des députés
« Il faut une grande invasion en
Afrique qui ressemble à ce que faisaient
les Francs , à ce que faisaient les
Goths. »
Devenu gouverneur de l'Algérie, en
application de ce principe,
il adresse aux chefs de la résistance
algérienne cette sommation:
« Soumettez-vous à la France .... Dans le cas contraire
« Soumettez-vous à la France .... Dans le cas contraire
j'entrerai dans vos montagnes , je
brûlerai vos villages et vos maisons,
je couperai vos arbres fruitiers ,
et, alors, ne vous en prenez
qu'à vous seuls, je serai, devant
Dieu, parfaitement innocent de ces
désastres. » {Moniteur Algérien , 14 avril 1844)
Programme de vandalisme et de meurtre
réalisé, de point en
point, par ses subordonnés tels que
le futur Maréchal de
Saint-Arnaud : « On ravage, on
brûle, on pille, on détruit les maisons
et les arbres » (Saint-Arnaud : Lettres du
Maréchal de
Saint-Arnaud, à toutes les pages du
recueil).
Les Lettres d'un soldat
du Colonel de Montagnac nous
apprennent, de la région de Mascara :
« Nous poursuivons l'ennemi,
nous lui enlevons femmes, enfants,
bestiaux, blé, orge ».
Et il
ajoute : « Le Général Bedeau,
autre perruquier de première qualité,
châtie une tribu des bords du
Chélif... leur enlève de force femmes,
enfants et bestiaux ». Le Comte d'Hérisson, dans La
chasse à
l'homme (p. 133-347-349) nous décrit les
opérations de la
colonne à laquelle il était attaché :
« Les oreilles indigènes valurent
longtemps 10 francs la paire, et
leurs femmes demeurèrent un
gibier parfait. »
Tous ces textes et bien d'autres,
montrant que les Bâtisseurs
d'Empires procédèrent par crimes de guerre et
crimes contre l'humanité,
ne figurent dans aucun manuel
scolaire où l'on préfère
apprendre aux enfants les couplets
attendrissants sur la casquette
du père Bugeaud19
Il ne s'agit pas d'exhumer des
souvenirs cadavériques : ces
mythes sanglants continuent d'exercer
une influence déterminante
sur les comportements actuels,
façonnés par ces mensonges
historiques.
[…]
Deux exemples expriment la prétention
caricaturale de l'efhnocentrisme
occidental : le récit officiel des
batailles de
Marathon et de Poitiers comme manifestations exemplaires
de la victoire de l'Occident contre
les barbaries de l'Orient.
Pour démystifier Marathon il
suffirait pourtant de ne pas se
contenter de répéter la version
d'Hérodote contre laquelle
Plutarque nous met en garde, en
rappelant qu'elle avait pour
but « de flatter les athéniens pour
en avoir une grande semence de
deniers. »
Thucidide ramenait l'événement à sa
vraie grandeur en ne lui
consacrant que 2 lignes dans sa Guerre
du Péloponèse. Ce qui
n'empêche pas, en 1968, l'un des
meilleurs spécialistes de
l'hellénisme à la Sorbonne, François
Chamoux, d'écrire dans
son livre sur La civilisation
grecque (p.100) qu'il s'agissait là
d'une victoire décisive de l'Occident
contre l'Orient : « les
grecs, écrit-il, ne combattaient pas
seulement pour eux-mêmes mais
p o u r une conception du monde qui
devait devenir plus tard le bien
commun de l'Occident. »
Un autre éminent spécialiste, le
Professeur Robert Cohen, écrit
dans son livre : La Grèce et
l'hellénisation du monde antique,
à propos des expéditions d'Alexandre
: « L'histoire de la Grèce,
se confond, pour toujours, avec celle
de l'Univers. »
(p. 396.)
A l'époque d'Alexandre existaient
déjà depuis longtemps, les
Hymnes Védiques, les Upanishads et le
Bouddha, la Chine de
Lao Tseu et de Confucius, et bien
d'autres peuples qui ignoraient
l'existence d'Alexandre et de sa
légende. Mais l'optique
de l'Occident limite le monde à son
propre horizon.
Ce qui fait oublier, en nous, deux
réalités historiques essentielles:
-1° - que cette escarmouche était si
peu décisive, qu'un siècle
après Marathon, en 386, un simple
gouverneur perse d'Ionie,
Tiribaze, dictait, au nom du grand
roi, ses volontés, aux délégués
d'Athènes, de Sparte de Corinthe,
d'Argos et de Thèbes.
Xénophon, dans ses Helléniques (Livre V,
chap. 1), nous
apprend que les grecs se
pressèrent à son invitation ". Le diktat
du Roi des Perses, Artaxercès, disant
: « il est juste que les
villes d'Asie soient à lui, ceux qui
n'accepteront pas cette paix je leur
ferai la guerre sur terre et sur mer.
» Les
envoyés rapportèrent
ces conditions à leurs Etats
respectifs. Tous jurèrent de les
ratifier.
Isocrate commente : « Maintenant
c'est lui (le Barbare) qui règle
les affaires des grecs ...ne
l'appelons-nous pas le Grand Roi comme
si nous étions ses captifs. » (Panégyrique p. 120-121.)
A l'autre extrémité de l'Occident
l'on trouve le pendant du
complexe de Marathon avec celui de la bataille de
Poitiers
présentée comme un déferlement de la barbarie
asiatique sur
l'Occident.
Dans l'histoire de France dirigée par
Ernest Lavisse, au chapitre
des Carolingiens, on parle de
Poitiers comme ailleurs de
Marathon : « La bataille de
Poitiers est une date mémorable de
notre histoire... Un chroniqueur
nomme les soldats francs, les
Européens, et, en effet, en ce jour où il fut
décidé que la Gaule ne
deviendrait pas sarrasine comme
l'Espagne, c'est bien l'Europe que
les Francs défendirent contre les Asiaiques
et les Africains. »
Défaite si peu décisive que, deux ans
après, en 734, ce que
Levi-Provençal appelle les raids ou
les incursions (qui n'ont
rien à voir avec une invasion massive
du type de celle des
Huns, trois siècles avant) atteignent
Valence sur le Rhône et
tiennent solidement Narbonne.
Là encore ce ne sont pas des
historiens «professionnels» qui
ont détruit cette autre version du
mythe de l'opposition manichéenne
de la civilisation occidentale contre
les barbares.
Dans la Vie en fleur , Anatole
France écrit : « Monsieur Dubois
demanda à madame Nozière quel était
le jour le plus funeste de
l'Histoire de France. Madame Nozière
ne le savait pas. «C'est, lui
dit monsieur Dubois, le jour de la
bataille de Poitiers, quand , en 732,
la science, l'art et la civilisation
arabes reculèrent devant la barbarie
franque. »
Je garderai toujours en mémoire cette
citation qui m'a fait
expulser de Tunis en 1945 pour
propagande antifrançaise ! Il
était interdit d'affirmer que la
civilisation arabe dominait largement,
jusqu'au XlVème. siècle, la
civilisation européenne !
L'écrivain Blasco Ibanez explique,
dans A l'ombre de la cathédrale,
que « la régénération de l'Espagne
n'est pas venue du Nord,
avec les hordes barbares, mais du
Midi avec les Arabes conquérants.»
Parlant de la civilisation arabe, il écrit : « A peine née,
Parlant de la civilisation arabe, il écrit : « A peine née,
elle a su assimiler le meilleur du
judaïsme et de la science byzantine.
Elle a apporté avec elle la g r a n d
e tradition hindoue, les reliques
de la Perse et beaucoup de choses
empruntées à la Chine mystérieuse.
C'était l'Orient pénétrant en Europe
comme les Darius et les
Xerxès, non par la Grèce qui les
repoussait afin de sauver sa liberté,
mais par l'autre extrémité, par
l'Espagne, qui, esclave de rois théologiens
et d'évêques belliqueux, recevait à
bras ouverts ses envahisseurs.
» Blasco Ibanez ajoute encore : « En
deux années, les
Arabes s'emparèrent de ce que l'on
mit sept siècles à leur reprendre.
Ce n'était pas une invasion qui
s'imposait par les armes, c'était une
société nouvelle qui poussait de tous
côtés ses vigoureuses racines. »
Déjà Levi-Provençal, dans son Histoire
de l'Espagne musulmane
avait réduit l'événement militaire à
sa juste dimension :
il lui consacre une vingtaine de
lignes dans un ouvrage de
plusieurs tomes.
Mais il fallut attendre le dernier
tiers du XX ème siècle pour
qu'un «amateur» espagnol, Ignacio
Olaguë, se livrant à une
analyse minutieuse des sources,
montre que le texte le plus
proche des événements et le plus
exploité, était la chronique
de l'Abbaye de Moissac qui joue, en
l'occurrence, le même
rôle, pour la bataille de Poitiers,
que celui d'Hérodote pour
celui de Marathon.
Dans son livre La revolucion
islamica en Espana (défigurée
dans une prétendue traduction française
qui en retire les références
essentielles) Olaguë analyse comment
est née la légende,
recréée, plusieurs siècles après
l'événement, lors des invasions
- réelles cette fois - des
Almoravides et des Almohades
qui jalonnent les phases du recul de
l'Islam en Espagne.
Les rois catholiques ont développé le
thème qui a survécu
jusqu'à la fin du XX ème siècle.
Quant à Charles Martel, son rôle de
sauveur de l'Occident se
dégage plus clairement lorsqu'on
l'insère dans le contexte de
l'époque.
- 1 - Ce sauveur de la France et
de l'Occident, après son escarmouche
victorieuse contre le commando arabe
d'Abderahman, en 732, a complété ses
exploits contre les barbares
musulmans, en se lançant à la
conquête de l'Aquitaine,
de la Bourgogne, puis de la Provence
restée jusque là romaine.
- 2 - L'écrasement définitif des sarrasins
est tel que plusieurs
siècles après, les arabes sont encore
à Narbonne. Ils sont
maîtres de la Provence avec leur base
principale à Fréjus. Ils
remontent la vallée du Rhône comme en
témoigne la
Cathédrale du Puy dont la façade
porte encore des inscriptions
en caractères koufiques.
En ce qui concerne l'éveil il
conviendrait de se souvenir, par
exemple, que, plusieurs siècles après
Poitiers, le centre culturel
de Cordoue réveille l'Europe
de sa longue dormition intellectuelle:
non seulement en lui transmettant les richesses
non seulement en lui transmettant les richesses
anciennes de la Chine, de l'Inde, de l'Iran,
mais même son
propre patrimoine, celui par exemple
des grecs. C'est dans les
commentaires d'Aristote d'Ibn Roshd,
(Averroes) et en polémiquant
avec son oeuvre qu'Albert le Grand et
Saint-Thomas
d'Aquin développèrent leur système,
et que se développera,
VAverroïsme l a t i n à l'Université de Paris, avec Siger
de
Brabant, comme à Oxford et au XV éme
siècle en Italie, avec
Pic de la Mirandole.
Les cartes d'Idrissi de Ceuta (XII
ème siècle) qui fit ses études
à Cordoue, créeront pour Roger IL de
Sicile, pour passer de la
sphéricité de la terre à la
planisphère, les méthodes de projection
semblables à celle de Mercator,
quatre siècles plus tard,
et qui permettront les grandes
découvertes.
Les traités de chirurgie
d'Abulcassis, né au Xème siècle à
Cordoue, firent autorité pendant cinq
siècles, dans toutes les
Facultés de médecine de l'Occident, à
Montpellier comme à
Palerme, à Paris ou a Londres.
Roger Bacon (1561 - 1627) considéré
en Europe comme l'introducteur
de la science expérimentale (faire
une hypothèse
mathématique et construire un
dispositif expérimental pour
la vérifier), dans la cinquième
partie de son Opus Majus procède
à un démarquage, parfois même à une
simple traduction
de l'Optique du savant
Égyptien Ibn Hayttam et reconnaît luimême
ses emprunts : « La philosophie,
écrit-il , est tirée de l'Arabe
et aucun Latin ne pourrait comprendre
comme il convient les
sagesses et les philosophies s'il ne
connaissait pas les langues dont
elles sont traduites. » (Metalogicus IV, 6)
Cet esprit d'unité règne dans toutes
les sciences où excellaient
les savants arabes : de la physique
et de l'astronomie, à la biologie
et à la médecine :
La clé de voûte de la culture
islamique, dans tous les
domaines de la théologie, et de la
philosophie aux sciences et
aux arts c'est l'idée de l'unité.
Cette unité fondamentale (tawhid)
ne se limite pas à l'affirmation que
Dieu est unique.
Le tawhid n'est pas de l'ordre
du fait mais du faire. Il ne fonde
pas une philosophie de l'être, comme
celle des grecs, mais au
contraire une philosophie de l'acte.
C'est ce qui permit le renouvellement
de toutes les sciences.
Si l'on renonce à l'illusion qui consiste
à considérer l'Europe
comme le centre de toute l'histoire,
l'on doit donc reconnaître
que, du VlIIème au XlVème siècle, il
n'existe pas un trou noir,
mais que s'y épanouit au contraire
une civilisation arabo-islamique
l'une des plus brillantes de l'histoire.
Ibn Arabi de Murcie (Espagne) -
(1165-1241) conduit vers son
terme cette philosophie de l'acte,
opposée aux philosophies
grecques, (platoniciennes ou
aristotéliciennes) de l'être.
Rien ne commence avec une réalité
déjà faite, donnée, qu'elle
soit sensible ou intelligible, mais
par l'acte créateur incessant
de Dieu.
Son problème fondamental est de
montrer comment l'homme
peut participer à cet acte de
création d'un monde toujours en
naissance.
La vision dynamique du monde, dans le
Coran, découle de
cette incessante action créatrice de
Dieu. Il est le Vivant (II,
255 ; III, 2, etc.) ; « Le
Créateur par excellence, Celui qui ne cesse
de créer. » (XXXV, 81) ; Celui « qui est
présent en chaque chose
nouvelle » (LV, 29). Cette création continuée
maintient en existence
(II, 255) toute chose. Contrairement
à la Genèse (II, 2), Il
ne connaît ni cesse ni repos (II,
255). «Il commence la création et
la recommence » (X, 4).
La théorie islamique de la
connaissance, qui part de l'acte
créateur, ne sera reprise que
plusieurs siècles après, dans la
philosophie occidentale, notamment
par Kant et son
Imagination transcendantale et, plus encore, par Gaston
Bachelard, qui en recherche
l'histoire.
L'essentiel de l'apport de la science
islamique ce n'est pas seulement
la méthode expérimentale et une
impressionnante
quantité de découvertes, c'est
d'avoir su lier la science, la
sagesse et la foi.
Loin de limiter l'action de la
science qui remonte de cause en
cause, la sagesse s'élève de
fin en fin, de fins subalternes à des
fins plus hautes afin que la science
ne serve pas à la destruction
ou à la mutilation de l'homme mais à
son épanouissement
en lui fixant des fins humaines. Car
la science expérimentale
et mathématique, ne nous fournit pas
les fins de cette
action puissante. La sagesse,
réflexion sur les fins, est un autre
usage de la raison. Celui que
l'Occident a laissé s'atrophier :
la philosophie ni la théologie n'y
jouent plus ce rôle complémentaire
de la science qui donne des moyens,
avec la sagesse
qui recherche les fins.
La raison occidentale,
confinée dans la rechercher des moyens
considérés comme des fins en soi conduit
le monde à la destruction
par la manipulation sans sagesse de
l'atome, du missile
et du gêne.
- La foi est la troisième dimension d'une
raison plénière : ni la
science, dans sa recherche des
causes, ni la sagesse dans sa
recherche des fins n'atteignent
jamais une cause première ni
une fin dernière. La foi commence
avec une prise de conscience
lucide de cette limite de la raison
et de la sagesse. Elle
devient le postulat nécessaire à leur
cohérence et à leur union :
cette foi n'est pas une limite ou une
rivale de la raison. La foi
est une raison sans frontière.
Conclusion
: le rôle
de l'histoire, dans l'éducation, doit être
radicalement changé : la recherche
des sources doit remplacer
le colportage des mythes.
Ce qu'il est convenu d'appeler le
monde colonial jusqu'au
milieu de XX éme siècle, le Tiers-Monde
au temps des deux
blocs affrontés de l'Est et de
l'Ouest, et d'une manière
constante les pays sous-développés
(selon les critères occidentaux
du développement) n'apparaissent dans
les manuels
scolaires et dans la presse que par
les menaces à la sécurité
des envahisseurs, qu'il s'agisse des
westerns américains où le
bon indien ne peut être que mort ou
collabo, ou des palestiniens,
chassés de leurs terres volées, ou
massacrés par balles
lorsqu'ils n'ont plus d'autre armes
que les vieilles pierres de
la terre de leurs ancêtres. Là
encore, comme au temps du colonialisme
et de l'hitlérisme, la résistance à
l'occupant est appelée
terrorisme. Israël exige sa sécurité
alors qu'il menace celle
de tous ses voisins en occupant leurs
frontières (au mépris de
toute loi internationale et des
condamnations platoniques des
Nations Unies, et en élaborant un
programme de désintégration
de tous les États voisins de
l'Euphrate au Nil.
Il y a là une démarche typiquement
colonialiste : le fondateur
du sionisme, Théodore Herzl, écrivait
déjà, il y a un siècle :
« Nous serons un bastion avancé de la
civilisation occidentale contre
la barbarie de l'Orient » tout comme Huntington théoricien du
Pentagone, un siècle après celui du
sionisme, dans son Choc
des civilisations oppose la civilisation judéo-
chrétienne à la collusion
islamo-confucéenne.
Le schéma mythologique est le même et
les formules jumelles
unissent l'expulsion et le massacre
des Indiens par les
États-Unis, et l'expulsion et le
massacre des palestiniens par
les sionistes d'Israël dont la
politique pratique la même politique
d'apartheid et d'expansion coloniale
que leur souteneur
américain.
Le même refus de l'autre et du
dialogue fécondant des cultures,
des civilisations, inspire depuis des
siècles, de Josué à
Jules César, de Pizarre à Natanayu,
les chasseurs d'hommes,
mythiques ou historiques de
toutes les Croisades, de tous les
colonialismes, de toutes les
dominations et de toutes les
guerres.
L'histoire, toujours écrite par les
vainqueurs, a toujours appelé
victoire de la civilisation et du
droit, la victoire du plus
fort.
Le baptême officiel de cette
mythologie se substituant à ce qui
mériterait le nom d'histoire,
recouvre une autre imposture :
celle qui fait des peuples et des
civilisations non-occidentales,
des appendices de l'histoire de
l'Occident qui n'entrent dans
l'histoire que lorsqu'ils sont découverts
par lui. L'histoire qui
nous est transmise par les manuels
scolaires n'est que l'histoire
de l'Occident avec ses annexes
concernant d'autres peuples
dont l'étude est affaire de
spécialistes, au Collège de France
ou à 1' École des langues
orientales. L'élève de l'école primaire
ou du lycée a quelques chapitres à
lire sur Marco Polo en Asie,
Savorgnan de Brazza ou Faidherbe en
Afrique, mais rien sur
la Chine, d'où vinrent toutes les
découvertes scientifiques qui
permirent la Renaissance de
l'Europe, sur les empires Songhai
qui firent de Tombouctou l'un des
plus grands centres de
recherche mathématique, ou sur la
civilisation des Mayas
dont l'astronomie créait un
calendrier plus précis que le grégorien,
avec plusieurs siècles d'avance.
L'ethnocentrisme de l'Occident est
tel que, par exemple, nos
manuels scolaires et nos
encyclopédies font de Gutemberg
l'inventeur de l'imprimerie que les
chinois pratiquaient quinze
siècles avant, de Harvey le
découvreur de la petite circulation
au XIX ème siècle, alors que Ibn El
Nafis, né en 1210,
médecin arabe, quatre cents ans avant
Harvey et trois cents
ans avant Michel Servet, avait donné
la description simple et
le schéma dessiné de ce parcours du
sang dans son
Commentaire d'Avicenne.
Toute invasion ou agression coloniale
est alors légitimée au
nom de la civilisation et la
résistance des peuples colonisés,
spoliés et massacrés est invariablement appelée terrorisme.
Roger Garaudy, L’avenir mode d’emploi, pages 122 à 140