18 août 2010

Monothéisme du marché ou foi en l'unité de la vie ?

Une guerre de religion, insidieuse et mortelle, domine cette fin du XXème siècle.
De son issue dépend l'avenir et l'existence même du XXIème siècle.
D'un côté le
monothéisme du marché, qui atomise et affronte des individus, des groupes et des nations en une guerre de tous contre tous, appelée "libre concurrence". La "croissance" des appétits rivaux, des inégalités, des violences. L'entropie, dérive vers la mort par la croissance du désordre.
De l'autre:
la foi en l'unité de la vie. Une autre vision du monde qui donne à la vie de chacun son sens: un monde qui n'est pas fait de nécessité et de hasard, c'est-à-dire de ce qui n'est pas humain.
Pour être homme nous avons besoin de cette foi, quel que soit le nom qu'on donne au Dieu auquel elle s'adresse, et même si on lui refuse ce nom.
Car il s'âgit du même éveil:
  -  concevoir un autre bonheur que d'augmenter son pouvoir d'achat en oubliant que l'autre moitié du monde n'a pas ce dégradant privilège;
  -  ne pas accepter l'
unité hégémonique des dominations, avec ses nationalismes d'exclusion, ses intégrismes, ses inégalités, et le chaos des violences qu'ils engendrent, mais travailler à l'unité symphonique du monde où chacun apporte sa propre culture et sa foi.

L'Occident, maître aujourd'hui du monde, et donc premier responsable de ses dérives, a commis deux erreurs d'aiguillage:
  -  après que Jésus eut ouvert la brèche qui défatalisait l'histoire, revenir, avec Paul puis Constantin, aux dieux anciens de la puissance, garants, en leur extériorité souveraine, des dominations terrestres;
  -  après un effort, en lui ôtant ce joug, pour rendre à l'homme son autonomie crétrice, la Renaissance a recréé d'autres servitudes. Le déchaînement simultané du colonialisme et du capitalisme exigeait une raison instrumentale, technique, dont ils avaient besoin pour maîtriser la nature et les hommes. Alors pesa sur le monde un autre destin, non plus imposé par la providence d'un Dieu, mais par le règne de cette
"raison" mutilée de sa dimension essentielle: la recherche des fins. D'une "science" devenant une religion des moyens.
Mais ils ne savent pas qu'ils ont changé d'opium.
Les grands pontifes du monothéisme du marché, avec l'efficace clergé de leurs technocrates ordinanthropes (c'est-à-dire ne se posant jamais la question du sens et des fins), sont devenus les maîtres du monde par la puissance des armes, de l'argent, et des medias. Ils nous conduisent, par une logique aveugle d'inégalité croissante des hommes et d'épuisement de la nature, à l'avortement programmé du XXIème siècle.

Est-ce une utopie de les affronter ?
L'éveil de la foi ne s'impose jamais par les armes, les croisades ou les inquisitions. La levée commence dans la conscience des hommes avant les grandes explosions populaires.
Ce n'est pas une utopie prédicante ou moralisante car les armements les plus sophistiqués, les machines, les instruments de torture ou de conditionnement médiatique, sont manipulés par des hommes et lorsqu'une certitude se casse dans la tête ou le coeur de ces hommes, ces armes tombent de leurs mains. En ce dernier siècle, des guerres du Vietnam à celle d'Algérie, ou de l'impuissance de la plus puissante armée du Shah d'Iran devant un peuple aux mains nues, les exemples ne manquent pas de victoires imprévues du plus faible. Imprévues pour les stratèges militaires ou politiques parce que la foi n'entre pas dans leurs circuits électroniques.
A l'échelle des millénaires, le bouddhisme "
éveilla" sans combat le plus vaste des continents; la foi des martyrs de Jésus, avant sa captation constantinienne, se répandit sous le talon de fer de l'empire romain; la foi de quelques milliers de disciples du prophète Mohammed, malgré la puissance numérique et technique infiniment supérieure des empires de la Perse et de Byzance, déferla en quelques années de la mer de Chine à l'océan Atlantique.
Comme il est dit dans les sagesses et la foi de tous les mondes, dans les mêmes termes, des Védas à l'Evangile: le Royaume est déjà là, "
au dedans de nous et en dehors de nous".

Ce livre n'a d'autre but que d'appeler chacun à prendre conscience qu'il est personnellement responsable - sans délégation possible à un parti, un Etat ou une Eglise - de l'avènement possible de ce "Royaume", et à se lever, contre les dérives de la décadence, pour passer du non-sens au sens, de la mort à la résurrection.


Roger Garaudy, extrait de Avons-nous besoin de Dieu ?, Fin de la conclusion intitulée "La reconquête de l'espoir", Ed. Desclée de Brouwer, Paris, 1993, pp 205 à 207.