30 juillet 2016

Existentialisme et transcendance



L’existentialisme a des rapports brutaux avec la transcendance.

«Toute philosophie qui place au centre de sa réflexion l’existence humaine dans sa dimension concrète et individuelle» [«La philosophie de A à Z», sous la direction de Laurence Hensen-Love, Hatier, 2011, p. 166]  peut être rattachée à l’existentialisme. L’angoisse, qui découle de la recherche vaine d’un sens à l’existence, est l’affect [Affect : du latin «affectus» (état affectif, disposition). Etat affectif élémentaire, agréable ou pénible. Op. cit. p.16]  commun de ces différentes philosophies.


Pour Kierkegaard (1813-1855), fondateur du courant existentialiste chrétien, l’angoisse ne peut trouver de solution ou de dissolution que dans une absolue transcendance où l’homme individuel et l’homme générique n’ont d’autre rôle à jouer que de se jeter dans le vide à l’hypothétique rencontre de la divinité. Si le pari de Pascal quand à l’existence ou non de Dieu était au fond optimiste, comme nous le verrons plus loin, celui de Kierkegaard est surtout désespéré. Avec cependant, nous le verrons plus loin également, une petite lueur au fond du puits.

Pour Jean-Paul Sartre, carte d’existentialiste athée en poche, à la suite d’Heidegger (1889-1976), «l’homme est une passion inutile» [En conclusion de «L’Etre et le Néant»]. Il n’a d’avenir que dans l’à-venir ; le sujet n’existe que comme projet, donc l’être-sujet, incorporé à un présent-néant, n’existe pas vraiment.  Dans la glaciale introduction qu’il écrit en 1960 à «Aden Arabie» de son ami Nizan [Paul Nizan (1905-1940). Ecrivain : «Aden Arabie» (1931): «J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie» (première phrase du roman), «La conspiration» (1938). Pamphlétaire : «Les chiens de garde» (1932)], Sartre décrit ce naufrage dans le néant: «Quand l’angoisse survit à l’adolescent, quand elle devient le secret profond de l’adulte et le ressort de ses décisions, l’infirme connaît ses plaies : sa terreur de ne vivre bientôt plus reflète simplement son horreur d’avoir encore à vivre.» [Jean-Paul Sartre, «Introduction» à «Aden Arabie», Maspero, 1960, p. 21]   
 Paradoxe pour Sartre, la vie serait une passion quasiment christique. Mais, dans l’enfer de la vie quotidienne, il n’est nul dieu au ciel, nul paradis dans le regard des autres.  L’existentialiste- qu’il s’affirme en philosophe ou qu’il s’ignore en simple «quidam» - est seul avec son angoisse, son désespoir, et, bienheureux est-il, s’il peut faire émerger, pour un temps, de ce marécage la fleur sauvage d’un but individuel de vie. «Bonjour tristesse» [«Bonjour tristesse», roman de Françoise Sagan, 1954] et adieu transcendance !

Développé entre deux massacres mondiaux et leurs séquelles, l’existentialisme est «l’arôme spirituel» de ce terrible 20ème siècle.[Je détourne ainsi une formule appliquée par Marx à la religion: «La religion est la théorie générale de ce monde, […] sa logique sous une forme populaire,  son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément cérémoniel, son universel motif de consolation et de justification. Elle est la réalisation chimérique de l’essence humaine parce que l’essence humaine ne possède pas de réalité véritable. Lutter contre la religion, c’est donc, indirectement, lutter contre ce monde-là, dont la religion est l’arôme spirituel». Marx, «Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel», Introduction. Cité par M. Rubel dans «Karl Marx. Philosophie», Gallimard, Folio Essais, 1982, éd. 1994, pp. 89-90]. Mais il serait injuste de ne pas porter au crédit des existentialistes, notamment contre le scientisme [Scientisme: croyance en une valeur absolue du progrès scientifique, dérivée du positivisme d’Auguste Comte (1798-1857) qui ne se préoccupe que des lois du comment et non des causes premières]  alors dominant – y compris dans le marxisme – et le psychologisme, l’affirmation de l’importance de la subjectivité de chaque être humain pris individuellement.

Alain Raynaud 
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