L’hystérie
politicienne, raciste et médiatique, a fait de trois foulards une affaire d’Etat.
Sont entrés en scène, comme des acteurs de tragédie, les mots-spectres, encore chargés de frissons, de hantises, et de haine d’un autre âge : intégrisme et laïcité, Islam et immigration, le foulard devenant « tchador », puis « prosélytisme », et, au terme du crescendo, drame pour l’identité française.
Qu’y a-t-il au départ de ce délire ? A Creil comme à Montfermeil, un acte de discrimination raciale : a-t-on jamais reproché à une écolière de porter à son cou une croix, ou une étoile de David, signes extérieurs de leur appartenance religieuse ?
Une jeune fille maghrébine préfère, en gymnastique, porter un pantalon plutôt qu’un short, on le lui refuse et lui reproche, dés lors, de ne plus assister à ce cours. A-t-on jamais sanctionné un enfant de religion juive pour son absence à l’école le samedi ?
Il faut d’abord, suggère un haut prélat, interroger l’enfant sur la signification qu’il donne à ce voile avant de l’autoriser à le porter.
Que l’enfant se pose lui-même des questions sur ses propres symboles, que le chrétien s’interroge sur le sens de sa croix, c’est leur problème, comme musulman ou comme chrétien, mais ce ne peut être un préalable inquisiteur.
Pour ma part -, mais ce n’est qu’une opinion personnelle -, je n’aime ni qu’on impose le voile, comme je l’ai vu en Arabie Saoudite, ni qu’on l’arrache aux étudiantes à l’entrée de l’Université, comme je l’ai vu en Turquie. Je ne souhaite ni une France saoudisée, ni une France turquisée. Dans ce débat, certains semblent aujourd’hui pencher vers la turquisation ! Avec d’étranges propos de justification : le voile comme symbole d’aliénation et d’asservissement de la femme. Puis-je rappeler à ce haut prélat, que ce voile était celui de Marie, comme en témoigne toute l’iconographie chrétienne, et qu’il est depuis des siècles celui des religieuses. Une féministe, à la télévision, a affirmé que l’interdiction du voile dépassait le cadre de la laïcité et de l’école : il s’agissait, dit-elle, de « défendre la dignité de la femme ». Va-t-on interdire aux religieuses de porter leur voile ?
A mes cours, à l’Université, assistaient des religieuses dans le costume de leur ordre, et j’aurais considéré comme inadmissible qu’on le leur interdise. A ma connaissance tous mes collègues, quelles que soient leurs options politiques ou religieuses, ont manifesté le même respect.
Que vient faire la laïcité en tout cela ?
Les dirigeants de l’extrême droite intégriste qui défilaient en tête des manifestations de 1984 pour accabler l’école publique sous prétexte qu’elle n’accordait pas « la liberté d’expression religieuse », sont aujourd’hui ceux qui crient le plus fort pour l’interdire. Etranges défenseurs de la « laïcité » !
Une telle discrimination ne peut que nourrir les fanatismes des deux bords : si « l’intégration » exige la destruction de l’identité culturelle, on accule les immigrés au choix entre l’intégration et l’intégrisme, - encouragé par l’intolérance.
L’on confond, semble-t-il, cous le nom de « laïcité », deux choses distinctes. D’une part une conception des rapports entre deux institutions : l’Eglise et l’Etat ; la solution « laïque » fut une conquête de la liberté. D’autre part une conception des rapports entre deux dimensions de l’homme : la politique et la foi. La « laïcité » consiste alors à respecter les choix et non à faire de l’athéisme une religion d’Etat. Si la laïcité consistait à réprimer la foi, elle serait aussi oppressive qu’une religion d’Etat réprimant la foi ou l’irréligion des autres.
La laïcité, c’est le respect de la différence. Elle est enrichissante pour tous par le dialogue et l’échange.
C’est dans cette perspective humaine que se pose le problème de l’immigration : la différence de l’autre est-elle une menace ou un enrichissement ?
Pourquoi, par exemple, mutilerait-on la culture de l’enfant en le privant de la connaissance des grands textes religieux de l’humanité : du prophète Esaïe à la Bhagavad Gita, de l’Evangile au Coran ? Ces textes sont-ils moins nécessaires à l’ouverture de nos horizons culturels que l’Iliade, la Chanson de Roland, ou Voltaire ? Au nom de quel sectarisme peut-on les bannir ?
La laïcité n’est pas la réduction appauvrissante au plus petit dénominateur commun, excluant de parti pris certaines interrogations, ou certaines levées de l’homme. Elle n’est pas négation de l’autre, mais lieu de dialogue et de fécondation réciproque.
L’autre homme, en sa différence, c’est ce qui me manque pour devenir plus humain.
Sont entrés en scène, comme des acteurs de tragédie, les mots-spectres, encore chargés de frissons, de hantises, et de haine d’un autre âge : intégrisme et laïcité, Islam et immigration, le foulard devenant « tchador », puis « prosélytisme », et, au terme du crescendo, drame pour l’identité française.
Qu’y a-t-il au départ de ce délire ? A Creil comme à Montfermeil, un acte de discrimination raciale : a-t-on jamais reproché à une écolière de porter à son cou une croix, ou une étoile de David, signes extérieurs de leur appartenance religieuse ?
Une jeune fille maghrébine préfère, en gymnastique, porter un pantalon plutôt qu’un short, on le lui refuse et lui reproche, dés lors, de ne plus assister à ce cours. A-t-on jamais sanctionné un enfant de religion juive pour son absence à l’école le samedi ?
Il faut d’abord, suggère un haut prélat, interroger l’enfant sur la signification qu’il donne à ce voile avant de l’autoriser à le porter.
Que l’enfant se pose lui-même des questions sur ses propres symboles, que le chrétien s’interroge sur le sens de sa croix, c’est leur problème, comme musulman ou comme chrétien, mais ce ne peut être un préalable inquisiteur.
Pour ma part -, mais ce n’est qu’une opinion personnelle -, je n’aime ni qu’on impose le voile, comme je l’ai vu en Arabie Saoudite, ni qu’on l’arrache aux étudiantes à l’entrée de l’Université, comme je l’ai vu en Turquie. Je ne souhaite ni une France saoudisée, ni une France turquisée. Dans ce débat, certains semblent aujourd’hui pencher vers la turquisation ! Avec d’étranges propos de justification : le voile comme symbole d’aliénation et d’asservissement de la femme. Puis-je rappeler à ce haut prélat, que ce voile était celui de Marie, comme en témoigne toute l’iconographie chrétienne, et qu’il est depuis des siècles celui des religieuses. Une féministe, à la télévision, a affirmé que l’interdiction du voile dépassait le cadre de la laïcité et de l’école : il s’agissait, dit-elle, de « défendre la dignité de la femme ». Va-t-on interdire aux religieuses de porter leur voile ?
A mes cours, à l’Université, assistaient des religieuses dans le costume de leur ordre, et j’aurais considéré comme inadmissible qu’on le leur interdise. A ma connaissance tous mes collègues, quelles que soient leurs options politiques ou religieuses, ont manifesté le même respect.
Que vient faire la laïcité en tout cela ?
Les dirigeants de l’extrême droite intégriste qui défilaient en tête des manifestations de 1984 pour accabler l’école publique sous prétexte qu’elle n’accordait pas « la liberté d’expression religieuse », sont aujourd’hui ceux qui crient le plus fort pour l’interdire. Etranges défenseurs de la « laïcité » !
Une telle discrimination ne peut que nourrir les fanatismes des deux bords : si « l’intégration » exige la destruction de l’identité culturelle, on accule les immigrés au choix entre l’intégration et l’intégrisme, - encouragé par l’intolérance.
L’on confond, semble-t-il, cous le nom de « laïcité », deux choses distinctes. D’une part une conception des rapports entre deux institutions : l’Eglise et l’Etat ; la solution « laïque » fut une conquête de la liberté. D’autre part une conception des rapports entre deux dimensions de l’homme : la politique et la foi. La « laïcité » consiste alors à respecter les choix et non à faire de l’athéisme une religion d’Etat. Si la laïcité consistait à réprimer la foi, elle serait aussi oppressive qu’une religion d’Etat réprimant la foi ou l’irréligion des autres.
La laïcité, c’est le respect de la différence. Elle est enrichissante pour tous par le dialogue et l’échange.
C’est dans cette perspective humaine que se pose le problème de l’immigration : la différence de l’autre est-elle une menace ou un enrichissement ?
Pourquoi, par exemple, mutilerait-on la culture de l’enfant en le privant de la connaissance des grands textes religieux de l’humanité : du prophète Esaïe à la Bhagavad Gita, de l’Evangile au Coran ? Ces textes sont-ils moins nécessaires à l’ouverture de nos horizons culturels que l’Iliade, la Chanson de Roland, ou Voltaire ? Au nom de quel sectarisme peut-on les bannir ?
La laïcité n’est pas la réduction appauvrissante au plus petit dénominateur commun, excluant de parti pris certaines interrogations, ou certaines levées de l’homme. Elle n’est pas négation de l’autre, mais lieu de dialogue et de fécondation réciproque.
L’autre homme, en sa différence, c’est ce qui me manque pour devenir plus humain.
Roger Garaudy
Témoignage chrétien, 20 Novembre 1989
Témoignage chrétien, 20 Novembre 1989
[Le passage en italique a été légèrement remanié dans la forme car amputé
dans l’original . AR]