ENTRE DEUX SESSIONS
DU CONCILE
CHRETIENS ET COMMUNISTES
par GILBERT MURY
Supplément aux Cahiers
du Communisme n° 5 Mai 1964
[Gilbert Mury, 1920-1975, spécialiste des questions religieuses au Parti Communiste Français, il est en 1964 secrétaire du Centre d'études et de recherches marxistes dirigé par Roger Garaudy. Se ralliant aux thèses du parti communiste chinois, il rompra avec le PCF deux ans plus tard. NDLR]
En automne prochain s’ouvrira la troisième session du Concile.
Dans quel esprit se déroulera-t-elle ? Il est d'autant plus malaisé de
le savoir que la deuxième session a été marquée par un net
ralentissement des travaux de l'Assemblée, à tel point que certains
milieux
catholiques se sont montrés fort désenchantés, sinon inquiets. Pourtant, les
trois premières semaines s étaient déroulées dans un climat
d'optimisme. Le nouveau pape Paul VI avait franchement affirmé sa volonté de
poursuivre l'oeuvre de Jean XXIII. II avait placé à la direction des
travaux les « modérateurs », pour la plupart libéraux. Son
discours
d'ouverture avait créé une impression favorable parmi les observateurs
non-catholiques. Sa décision de réformer l'administration centrale du
Vatican, profondément réactionnaire, pesait comme une menace sur des
hommes comme le redoutable cardinal Ottaviani et semblait les
condamner à la prudence.
Cependant,
cette deuxième session, à la différence de la première, avait à passer
des déclarations de principe aux décisions pratiques et concrètes. La
difficulté se faisait sentir d'adopter des mesures applicables dans les conditions
extrêmement différentes les unes des autres où se trouvent les
diverses régions peuplées de catholiques. A la faveur de telles
incertitudes, le cardinal Ruffini, Mgr. Carli et divers porte-parole
de l'Espagne et
de l'Asie sous protectorat américain passèrent à la contre-attaque.
La principale bataille fut livrée à propos de la collégialité épiscopale,
c'est-à-dire de la thèse selon laquelle la souveraineté, dans l'Eglise,
appartient à l'ensemble des évêques associés au pape. Les adversaires de
cette collégialité prétendaient défendre la doctrine établie par le premier
Concile du Vatican et selon laquelle tous les pouvoirs religieux sont
concentrés entre les mains du seul Souverain Pontife. C'était, en
réalité, défendre les intérêts de la curie romaine conservatrice qui, sous le
nom du pape, entendait administrer l'ensemble du monde
catholique. Les libéraux ne purent faire prévaloir leurs thèses qu'en
incorporant à leur texte trente déclarations d obéissance au Vatican,
dans un
document de deux pages. Encore le vote obtenu devait-il être contesté
par les intégristes pour des raisons de forme. Dans Je même
sens, les évêques espagnols ont pris la tête de l'opposition à un schéma qui
réservait seulement à la Vierge Marie une place subordonnée
dans un texte consacré à l’Eglise. On sait que, traditionnellement, la
dévotion particulière à la Vierge est liée à une attitude réactionnaire.
De même, ils ont entrepris d'empêcher le vote d'un chapitre sur la
liberté religieuse, destiné à condamner toute atteinte au libre choix du
culte par les individus. Or, les autorités franquistes
persécutent les
protestants. Les choses devaient aller si loin que, à la veille du
dernier jour de la session, deux documents anonymes signés « catholicus »
— d'origine intégriste — étaient
largement diffusés parmi les évêques,
l'un condamnant la liberté religieuse, l'autre appelant à l'antisémitisme.
De même un document, signé par 200 prélats
réclamait une nouvelle
condamnation du communisme.
La majorité du
Concile et le pape Paul VI lui-même ont, jusqu'ici, fait front à
cette contre-offensive réactionnaire. Ils ont laissé ouvertes les
perspectives tracées par Jean XXIII. A la veille de la troisième session du
Concile, il n'en est que plus nécessaire, devant cette situation nouvelle, de
rappeler quelle est la doctrine constante du marxisme à l'égard du
christianisme, sans rien dissimuler de l’
incompatibilité entre la foi
chrétienne et l'athéisme, sans rien retrancher de la pensée propre aux classiques
du matérialisme dialectique, pensée profondément tolérante et respectueuse
des convictions qu'elle ne partage pas. Notre hostilité et
notre mépris s'adressent à la réaction sous toutes ses formes, cléricale ou
non cléricale. Notre recherche d'un dialogue amical, et au besoin
scientifique, avec les chrétiens de toute observance n'est pas l'effet d'un hasard,
elle exprime une position de principe.
LA
RELIGION EST-ELLE UNE SURVIVANCE ?
Le
développement de l'unité d'action avec les travailleurs
chrétiens ne
saurait être séparé d'une explication franche sui
la conception
marxiste de la religion et sur le rôle que le marxisme léninisme
lui reconnaît
dans le cadre du monde contemporain, en particulier
des pays
capitalistes évolués et des pays socialistes.
Les racines
sociales de la vie religieuse ne se situent pas, à nos
yeux, dans le
domaine de la connaissance. Les croyances les plus
diverses à
travers l'histoire se sont constamment fondées sur les conditions
de l'existence
quotidienne, telles qu’elles résultent des rapports - réels
entre l’homme
et la nature d'une part, entre l'homme et les hommes
d'autre part.
Une telle analyse est, assurément, incompatible avec la
conviction,
inséparable de la foi, que des puissances surnaturelles ont
permis à des êtres
privilégiés d'apporter à nos semblables Une vérité
révélée d'en
haut. Le marxisme est un humanisme radical, c'est-à-dire
qu'il exclut
l'hypothèse selon laquelle le développement de notre espèce,
dans sa lutte
pour la domination de la matière, serait ordonné à
quelque
providence extérieure et supérieure au monde humain. II n'est
pas inutile de
préciser que si les thèses du R.P. Teilhard de Chardin
peuvent être
l'objet d'un dialogue fructueux, dans la mesure où elles
proposent comme
objectif à l'humanité la conquête de son unité réelle
dans
l'abolition des contradictions antagonistes, en revanche, aucun
rapprochement
n'est concevable avec l'opinion selon laquelle un principe
spirituel,
«personne et amour», serait présent à l'intérieur du
monde pour en
orienter toute l'évolution.
Mais les
analyses marxistes-léninistes ne sont pas davantage compatibles
avec la
démarche idéaliste, quoique laïque, aux termes de laquelle
la religion se
définirait tout simplement comme une erreur, comme une
défaillance du
savoir, ou même comme une monstrueuse aberration
de
l'intelligence. Si le fait religieux se manifeste dans l'histoire avec une
telle puissance
de réalité, c'est que, tout en se situant dans la sphère
de la
superstructure, il reflète effectivement, à chaque moment du devenir,
une réalité
concrète. Toute là question est alors de déterminer quelle
est cette
réalité, et à quelle étape de la marche vers une société sans
classe ce
fondement matériel de la croyance et du culte sera arraché
du monde
humain. II est clair que la réponse donnée à une telle
interrogation
comporte des conséquences pratiques d'une importance
décisive pour
l'action. S'il apparaissait, par exemple, que toute foi
n'est d'ores et
déjà, en raison du progrès technique, qu'une simple
survivance, une
habitude rituelle de répéter certains gestes ou certaines
phrases vidées
de signification, notre seule tâche à l'égard du christianisme
se réduirait à
une propagande antireligieuse, suffisamment
active pour le
rayer de la surface de notre pays. De même, s'il était
possible
d'affirmer que, dans la seule perspective du passage au socialisme,
la
collectivisation des moyens de production se traduit par l'abolition
de la
principale base sociale de la croyance, il pourrait être
utile de
s'entendre avec les catholiques ou les protestants dans la
bataille pour
une démocratie véritable, mais il deviendrait illusoire
de s'interroger
plus avant sur les problèmes que pose la construction
d'un monde
socialiste d'abord, communiste ensuite dans le cadre d'une
nation où les
athées ne sont pas seuls présents.
Les racines de
la vie religieuse, dans une perspective marxiste,
doivent être
examinées historiquement.
Sans doute,
cite-t-on fréquemment la célèbre formule selon laquelle
« la religion
est l'opium du peuple ». II semble qu'en s'exprimant ainsi, le
fondateur du
matérialisme dialectique considère l'ensemble des croyances
et des cultes,
à travers tout le devenir de notre espèce, comme un fait
unique
justiciable d'une critique unique. En réalité, cette maxime «est
empruntée à l'Introduction
à la critique de la philosophie du droit de
Hegel.
Et il serait dangereux d'oublier qu'à cette date Marx n'a pas
encore
élaboré sa pensée originale. Selon le témoignage d'Engels, à
cette
époque il était toujours sur les positions du grand matérialisme
allemand
Feuerbach qui présentait l'aliénation religieuse dans un rapport
non
historique à l'essence de l'homme.
Toutefois,
dès 1843, Marx se refuse à simplifier la
représentation
de « la
forme sacrée » de I aliénation humaine. Sa définition est
beaucoup
plus riche que ne le suggère une simple phrase à I'emporte-pièce,
et les
conséquences pratiques qu'il en tire méritent déjà de retenir
l'attention.
« La
détresse religieuse, écrit Marx, est, pour une part, l'expression
de la
détresse réelle et, d'autre part, la protestation contre la détresse
réelle.
La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un
monde
sans coeur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où
l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple. »
Ainsi,
Marx met-il l'accent sur les deux aspects contradictoires et,
dans
des circonstances définies, antagonistes, de la vie religieuse.
L'expression
de la détresse réelle s'oppose à la protestation contre
la
détresse
réelle. La première n'est qu'un reflet passif et résigné de la
misère
à laquelle les hommes sont réduits par l'insuffisance des forces
productives
et des rapports sociaux. La seconde traduit une attitude
subjectivement
révolutionnaire, une aspiration sans issue ou sans clarté
scientifique
à la destruction des limitations et des injustices auxquelles
l'homme
est soumis. Ne retenir que l'un ou l'autre aspect de cette
contradiction,
c'est glisser de la dialectique dans une conception métaphysique
du
monde humain, c est s enfermer dans une logique abstraite
de la
séparation absolue des contraires. C'est renoncer au marxisme.
En
outre, le jeune Marx esquisse ici une sociologie de la religion
sur
laquelle il sera nécessaire de s'appuyer en la replaçant dans une
perspective
historique. L'unité de l'expression et de la protestation n'est
possible
que dans la confusion d'une expérience douloureuse et humainement
incontestable
: celle d'un monde à l'intérieur duquel les hommes
sont
séparés les uns des autres par une structure réifiée et réduits
à
formuler, dans un langage mystifié, leur aspiration à un dépassement
des
structures d'oppression dont ils demeurent prisonniers. De même,
se
trouve ici en germe la conception selon laquelle la religion prolonge,
au
niveau des superstructures, des conditions réelles d'existence qui
interdisent
à l'individu de comprendre ses relations avec la société où
il
baigne, avec les êtres humains dont il est entouré et, par conséquent,
avec
cette nature au contact de laquelle il vient à travers l'action de In
collectivité
toute entière.
Dans
une telle perspective, dire que la religion est « l'opium du
peuple
», la qualifier aussitôt de « bonheur illusoire du peuple », c'est
évidemment
désigner par cette comparaison avec l'opium non un sommeil
profond
et stupide, mais un rêve capable de traduire en images
assurément
fantastiques une exigence profonde, enracinée dans la contradiction effective
entre l'homme et la situation inhumaine où il est placé.
Certes,
c'est une tâche essentielle que d'aider notre espèce à se libérer
«des
fleurs imaginaires» ; cependant, le jeune Marx distingue déjà que
le
problème décisif reste de « rejeter les chaînes » réelles. « La critique
du ciel
se transforme par là en critique de la terre », en critique agissante
et
révolutionnaire qui se situe, en fin de compte, au niveau de l'obligation
« de
renverser tous les rapports sociaux qui font de l’ homme
un être
humilié, asservi, abandonné, méprisable. »
Ainsi
Marx qui, en 1843, n est pas
encore en possession d'une
méthode
d analyse historique de nature à le délivrer de I illusion de
Feuerbach,
croit toujours à la présence d une « essence du christianisme», et même d’une «
essence de la religion ». En ce sens, il
demeure
prisonnier d'une perspective métaphysique puisque l'essence est
éternelle,
qu'elle ne change pas. Mais les travaux ultérieurs de Marx et
d'Engels
retiendront l'essentiel de la dialectique entre expression et protestation,
c'est-à-dire
qu'ils analyseront les faits religieux en respectant
leur
infinie diversité, en mettant l'accent sur la différence de leur rôle
à
différentes époques. En même temps, ils le feront toujours avec le souci
de
montrer comment opèrent, dans chaque situation particulière, les deux
composantes
de l'acceptation du monde et de l'aspiration à un changement
révolutionnaire.
ANIMISME ET RELIGION
Les
racines sociales objectives de l’aliénation religieuse
se
situent, selon les classiques du matérialisme dialectique et,
en
particulier, selon Lénine, dès les origines de l’humanité. En d'autres
termes,
les croyances et même les rites sont antérieurs à la division des
groupes
humains en classes antagonistes dont les unes oppriment les
autres.
II serait par conséquent incompréhensible qu il suffise de supprimer
l'exploitation
de l'homme par l'homme pour abolir la religion.
Les
primitifs imaginaient, derrière les forces mystérieuses et redoutables
de la
nature, l'agitation d'esprits capables d'utiliser les choses et les
bêtes,
voire l'orage ou la forêt pour le bonheur ou le malheur de
l’
homme. C'est ici que se définit l'animisme, c'est-à-dire la conviction
que les
âmes se cachent derrière les réalités matérielles. Si on veut
comprendre
une telle imagination, que l'on songe à ces joueurs voués
à se
représenter la chance, ou la malchance comme des forces vaguement
humaines,
capables de gouverner la distribution des cartes.
Il
serait naïf d'admettre qu'aujourd'hui l'animisme a disparu, dans
la
mesure où il constitue non pas un ensemble de superstitions élémentaires,
liées à
l'incapacité technique de l’humanité primitive, mais
le
reflet idéologique extrêmement divers du rapport réel entre l'homme
et une
nature dont il ne s'est pas rendu maître.
Il ne
suffit pas toujours d'une découverte scientifique pour résoudre
de tels
problèmes. En France, l’exemple le plus retentissant de cette
persistance
de l'angoisse, en présence du monde matériel et malgré une
information
scientifique considérable pour son temps, nous est donné
par
Pascal, à la fois mathématicien, physicien et philosophe.
Au XVIIe
siècle, la découverte de l'espace infini où le soleil n'est
qu un grain de
poussière, l’abandon de la vieille vision du monde selon
laquelle ce
même soleil tournait autour de la terre engendrent, chez
d'excellents
esprits, une épouvante qui reproduit à un niveau supérieur
l'angoisse
primitive devant l'orage. Sans ramener à cet aspect particulier
toute la pensée
de Pascal, il est nécessaire d'évoquer cet aveu célèbre :
« Le silence
des espaces infinis m'effraie ». C’ est en présence de cet
univers immense
et redoutablement étranger aux rêves, aux exigences,
aux aspirations
de l’homme, que l'auteur des Provinciales en vient à
faire appel à
l'ordre supérieur de la charité, de l'amour métaphysique, de
la croyance en
Dieu.
Dira-t-on que
Pascal et le XVIIe siècle sont oubliés ? II faudrait
quelque naïveté
pour négliger, par exemple, la présence à la dernière
Semaine de la
Pensée marxiste de chercheurs éminents qui, en physique,
en biologie, en
paléontologie représentent une valeur incontestable et
n'en demeurent
pas moins fidèles à leur foi.
Cette situation
de fait, à laquelle l'athéisme marxiste ne se résigne
pas
définitivement, mais qu'il constate comme une donnée irrécusable, à
l'heure
actuelle, ne s'explique pas par des défaillances individuelles, par
des sottises ou
des compromissions. Elle correspond au fait indubitable
que l'homme
demeure en partie impuissant devant la nature et qu'il est
incapable de
surmonter bien des obstacles comme la mort. Non qu'il
s'agisse
d'attendre une science ou une technique parfaite, c'est-à-dire
inaccessible,
pour accéder à un niveau de vie sociale où la religion
s'évanouira d
elle-même. II faut pourtant considérer que l'heure n'est
pas encore
venue où la relation de l'homme à la nature pourrait apparaître
à tous comme
celle d'un dominateur à un objet dominé. Pas
davantage la
maîtrise des interactions entre le cerveau et l'organisme
total,
l'avancée victorieuse du progrès technique n'ont-elles atteint un
niveau qui nous
autorise à définir la religion comme une survivance,
en ce sens que
l'animisme serait totalement déraciné. Et une telle observation
se situe au
plan des sciences physiques ou biologiques, des
techniques
mécaniques, chimiques, médicales, etc., c'est-à-dire qu'elle
demeure
applicable au monde socialiste comme au monde capitaliste.
Comme l'écrit
Engels, « toute religion n'est que le reflet fantastique,
dans le cerveau
des hommes, des puissances extérieures qui dominent
leur existence
quotidienne, reflet dans lequel les puissances terrestres
prennent la
forme de puissances extra-terrestres. Aux origines de
l'histoire, ce
sont d'abord les puissances de la nature qui sont sujettes
à ce reflet...
Mais bientôt, à côté des puissances naturelles, entrent
également en
action des puissances sociales, puissances qui se dressent
en face des
hommes, tout aussi étrangères et, au début, tout aussi inexplicables...que les
forces de la nature. » (Anti-Dùhring)
LES
RACINES SOCIALES
Ainsi, voyons-nous
apparaître un nouveau
contenu de
l'expérience religieuse, déterminé par la nature historique
des relations
nouées par les hommes avec leurs semblables, dans le cadre
de structures
données. La division de la société en classes antagonistes
joue nécessairement
ici un rôle important. Mais elle n'est pas seule à
intervenir — en
particulier dans le christianisme : « A un stade plus
avancé encore
de l'évolution, tous les attributs naturels et sociaux des
dieux multiples
sont reportés sur un seul Dieu tout-puissant, qui n'est
lui -même à son
tour que le reflet de l'homme abstrait » — précise
Engels.
Le passage de
la croyance en plusieurs dieux à la foi en un seul
Dieu
s'accomplit en effet, dans l'histoire du monde gréco-latin, sous
le signe du
christianisme. Cette religion permet de reconnaître une
divinité
unique, commune aux habitants des régions les plus éloignées et
les plus
différentes de l'empire romain. Elle fait éclater les particularismes
locaux, de même
que les échanges économiques entre des provinces
lointaines
supposent qu'il existe quelque chose de commun à
toutes les
marchandises venues des quatre coins de l'univers connu.
Ce quelque
chose de commun, c'est leur valeur d'échange. Et cette
valeur n'est
autre que la quantité de travail humain nécessaire pour
produire telle
marchandise. Ainsi, le commerce des choses renvoie-t-il à
ces caractères,
présents chez tous les hommes, qui leur rendent possible
et nécessaire
de travailler, de produire, de transformer la nature.
Pourquoi
l'homme abstrait — c'est-à-dire cet ensemble de caractères
communs à tous
les hommes — se reflète-t-il fantastiquement dans une
image
religieuse, au lieu d être connu dans sa réalité ? C'est que le
caractère de la
marchandise — être l'oeuvre de l'homme — n'est pas
manifeste,
évident. Elle ne saute pas aux yeux. Elle se dissimule
derrière la
forme monétaire de l'échange : j'achète et je vends une paire
de chaussures
en contrepartie d'une somme d'argent que je donne ou
que je reçois.
L'homme est là, en fait, comme le producteur réel d'un
bien réel.
Mais, entre l'homme et le produit de son activité, s'interpose
l'argent. Si la
religion chrétienne transcrit dans le langage du mythe
la réalité
effective des rapports humains, c'est que de tels rapports ne sont
pas clairement
connus et compris par ceux qui les vivent. C'est pourquoi
elle est la
forme sacrée où s'exprime le plus naturellement la
réalité d'une
société où les échanges matériels se réalisent par l'intermédiaire
de la monnaie.
Le christianisme est la religion spécifique d un
monde où
l'économie demeure marchande.
On s'explique
ainsi pourquoi, contrairement à une légende entretenue
par l'aile la
plus réactionnaire de l'Eglise catholique, le Moyen
Age, surtout
jusqu'au XIIe siècle,
a été le lieu d une véritable défiguration
du
christianisme, de plus en plus envahi par les vieilles croyances
païennes. Le
recul massif des échanges commerciaux s'accompagnait
d'un retour à
l'adoration de plusieurs dieux. Chaque petite communauté
avait le sien.
Un éminent historien, Marc Bloch, a bien mis l'accent
sur le rôle des
saints, protecteurs des petites paroisses, comme autant
de dieux,
inférieurs certes au Dieu supérieur, mais plus proche et, par
conséquent,
plus efficaces que lui. Bien entendu, le pouvoir politique
de l'Eglise
grandit au Moyen Age, mais la foi qu'elle enseigne est très
différente de
celle du christianisme primitif.
Ce n'est pas un
hasard si le XIIIe siècle voit s'amorcer
le mouvement.
d'abord timide,
puis plus accentué dès le xve siècle, d'un nouveau développement
de l'économie marchande, mouvement qui est accompagné
d’un effort,
manifeste dans la Réforme protestante, pour revenir aux
sources du
christianisme. Très lentement, avec la double difficulté
qu'engendraient
son alliance avec la noblesse et la royauté, d'une part,
la force de la
tradition dans ses institutions, d autre part, I’Eglise catholique
allait, elle
aussi, s'engager dans cette voie du retour aux origines,
c'est-à-dire du
retour à la fonction de reflet idéologique d une économie
marchande.
Telle est, en particulier, la signification de l'actuel Concile.
Le duel, en
apparence sans portée pratique, entre les tenants de la
tradition — c
est-à-dire des croyances élaborées peu à peu, surtout au
Moyen Age — et
les tenants de la Révélation — c'est-à-dire d'un effort
pour enraciner
le contenu de la foi dans les textes hérités du christianisme
primitif — est
une lutte entre les survivances d'une Eglise féodale
et la reprise
des thèmes adaptés à une société dominée par la loi de
la valeur, qui
régit à long terme le mouvement des prix et la marche
des échanges.
Sur tous ces
points, Marx est en plein accord avec Engels. Il formule
très clairement
cette unité de vues dans le Capital, lorsqu’ il fait du
christianisme
le reflet religieux adéquat d un monde réel où le produit
du travail
revêt habituellement la forme de la marchandise (tome I,
page 91).
Au demeurant,
une réflexion historique sur le christianisme n'en
saurait retenir
uniquement le trait spécifique. Le christianisme, par certains
de ses
caractères, s'apparente à l'ensemble des religions apparues
après la
disparition de la communauté primitive. II est à la fois — pour
reprendre les
termes de l'Introduction à la Critique de la philosophie
du
droit de Hegel — expression de la détresse réelle
et protestation
contre la
détresse réelle. Engels a constamment souligné, dans ses travaux
sur le
christianisme primitif, sur la guerre des paysans, etc., l'importance
particulière du
contenu protestataire de cette religion : dans les
conditions
propres à l'Empire romain, dont la puissance écrasait les
peuples
opprimés, le peuple juif par exemple, mais surtout les classes
exploitées,
notamment les esclaves, ou dépossédées, comme les petits
propriétaires
terriens expropriés et refoulés dans les villes, il était difficile
aux victimes de
secouer effectivement le joug. Force était bien de
remettre à Dieu
le soin de la vengeance, comme le montre, en particulier,
L’Apocalypse.
Toutefois, dès
cette époque, se dessine une tendance non seulement
subjectivement
révolutionnaire, mais aussi objectivement capable de
s'engager dans
l'insurrection. Lorsque l’Eglise chrétienne évoluera, grandira,
on verra se
partager les fidèles : les uns s’en tiendront à l’expression
résignée de la
souffrance des pauvres et, par voie de conséquence, rassureront
les puissants
et les riches. Les autres en viendront, non plus à
déposer entre
les mains d'un Dieu bien lent à se manifester la responsabilité
du combat, mais
à se soulever eux-mêmes dans une lutte dont
les formes
oscillent entre deux extrêmes souvent associés : la recherche
du martyre et
le soulèvement armé dont l'efficacité victorieuse sera
l’oeuvre commune des croyants et de la divinité.
Les montanistes et les
circoncellions
iront très loin dans ce sens.
Tout au long du
Moyen Age, et plus ouvertement lorsque le retour
à l’économie
marchande aura permis la résurrection du christianisme
primitif, les
hérésies, comme le montre Engels, seront la forme idéologique
de
l'insurrection. Aux XVe et XVIe
siècles, les anabaptistes de Thomas
Munzer
conduiront une guerre héroïque et sans chances objectives
de succès, mais
qui suffirait à établir la nécessité d'une réflexion
historique sur
la religion ou, plutôt, les religions, tantôt frein de toute
revendication
sociale, tantôt drapeau du combat contre l'injustice. Sans
doute serait-ce
tomber dans une erreur idéaliste que de présenter les
croyances
anabaptistes comme l'élément moteur et agissant de leur combat
réel : celui-ci
s'enracinait dans la situation objective des paysans.
Sans doute un
tel christianisme ne pouvait-il servir de guide scientifique
aux combattants
: il demeurait étranger à toute connaissance rigoureuse
ou
expérimentale. II ne serait pas moins périlleux de tomber dans un
matérialisme
mécaniste en contestant, d'une part, le lien entre cette
idéologie et
les conditions effectives d'existence propres aux paysans
insurgés, d
autre part, la puissance subjective énorme de ces convictions
religieuses,
leur capacité de mobiliser les masses, de les animer au combat,
de leur donner
l'optimisme militant nécessaire à une lutte difficile. Lorsque
une idéologie
s'empare des multitudes, elle devient une force matérielle.
Sa fonction
dépend de circonstances historiques concrètes. Elle
n'est pas
nécessairement déterminée par le caractère illusoire de
l'idéologie.
C'est pourquoi
l'étude scientifique de la religion suppose un examen
attentif des
querelles entre doctrinaires que le matérialiste est parfois
spontanément
porté à juger négligeables. Engels montre comment, au
XVIe
siècle, le christianisme se scinde en trois courants : le
catholicisme
lié à la
féodalité déclinante, le protestantisme bourgeois esquissé par
Luther et
affermi par Calvin, l'hérésie révolutionnaire des citadins
pauvres et
surtout des paysans, soulevés à l'appel de Munzer. II serait
facile de
montrer que le même schéma était déjà applicable, bien des
années
auparavant, en Angleterre, puis en Bohême. Nous avons déjà vu
comment, au
temps de l'Empire romain, des scissions, des hérésies du
même ordre
déchirèrent le christianisme. Dira-t-on que les anabaptistes,
en lesquels
Engels reconnaissait les ancêtres du mouvement communiste,
répandaient "
l'opium du peuple" au sens que des théoriciens trop
pressés
attachent encore aujourd'hui à une semblable métaphore ?
La religion de
Munzer, écrit Engels, « voulait que les conditions
d'égalité du
christianisme primitif soient... reconnues comme normes pour
la société
civile. De l'égalité des hommes devant Dieu, elle faisait
découler
l'égalité civile et même, en partie déjà, l’égalité des fortunes.
Pour Munzer, le
royaume de Dieu n'était pas autre chose qu'une société
où il n'y
aurait plus aucune différence de classes, aucune propriété
privée, aucun
pouvoir d'Etat étranger, autonome, s'opposant aux membres
de la société
». Dieu devient une force, un appel, une personnification
de l'élan
protestataire des insurgés. Sa fonction se trouve fidèlement
exprimée par
l'inscription que les révoltés de 1513
portent comme un
drapeau : «
Seigneur, soutiens ta justice divine ». Dieu et sa justice
s'incarnent
dans le combat des hommes.
SITUATIONS
HISTORIQUES CONCRETES
Il serait
étrange d'imaginer que, pour avoir joué,
en des
circonstances historiques données, le rôle d'expression subjective
de l'action
révolutionnaire, le christianisme demeure toujours et partout
voué à ce rôle
glorieux. Notre propre expérience suffirait à démontrer
qu'il n'en est
rien : de Vichy à la V e République, du
franquisme espagnol
au salazarisme
portugais, les régimes les plus réactionnaires se sont
constamment
présentés comme les champions de la civilisation occidentale
et chrétienne.
Les évêques français n'ont pas plus que les autres tenté
de s’opposer à
cette interprétation, même si aujourd’hui, dans les conflits
sociaux, ils
ont tendance à prendre le parti des revendications économiques
des
travailleurs, malgré l'attitude réactionnaire du pouvoir
personnel.
Mais il est
impossible d'admettre l'affirmation selon laquelle cette
orientation
réactionnaire serait nécessairement et à jamais celle de tout
le
christianisme. II est absurde de raisonner comme si, désormais, le
choix laissé
aux croyants par l'évolution du monde se limitait à une
option entre
l'hypocrisie et la négation du progrès.
Tout d'abord,
les faits sont là pour interdire une telle interprétation.
L'encyclique Pacem
in terris n'est assurément pas un monument d'esprit
révolutionnaire,
mais elle administre la preuve que la religion contient
en elle du
mouvement pour aller plus loin.
Sur quatre
plans principaux, elle a marqué un bouleversement des
positions de
l'Eglise.
Elle incite les
catholiques et « tous les hommes de bonne volonté >
à lutter
concrètement contre la guerre, pour la fin de toutes les expériences
d'armes
nucléaires, pour la destruction généralisée de ces armes.
En France, sa
publication a marqué une très nette élévation du niveau
de
participation des croyants au Mouvement de la paix.
L'Encyclique
condamne explicitement le colonialisme, en dépit du
caractère
clérical d'Etats demeurés fidèles au colonialisme classique :
l'Espagne et le
Portugal.
Elle revendique
pour la doctrine politique de l'Eglise un caractère
« vraiment
démocratique » et, pour historiquement surprenante que soit
cette
affirmation, elle n'en est pas moins pratiquement positive et elle
a puissamment
contribué à l'hostilité à peine déguisée du pouvoir gaulliste
envers le texte
de ce véritable manifeste de Jean XXIII.
Pacem
in terris contient enfin une protestation véhémente contre
les
conditions de
vie imposées aux travailleurs. L'action revendicative se
trouve dépeinte
sous des couleurs favorables. Les droits réels à la protection
contre le
chômage, la maladie et la misère sont affirmés.
Certes,
l'existence même du capitalisme n'est pas mise en cause.
Le droit à la
propriété privée des moyens de production est demeuré
soustrait à la
critique. Mais il suffit de mesurer la distance parcourue
pour comprendre
qu'il n'est pas scientifiquement possible d'enfermer le
christianisme
dans des limites infranchissables, de déclarer qu'il peut
aller jusqu ici
seulement et non plus loin. Toute pensée dialectique
saisit l’histoire dans son devenir et discerne le nouveau, l'inédit sous
l'ancien. II
faudrait croire au miracle pour s'imaginer l'Eglise bouleversant
ses
institutions dans un élan capable d'emporter d'un seul coup
tous les
obstacles. II faudrait accepter une vision religieuse de la religion
pour la figer
dans une éternité indifférente au mouvement réel de
l'histoire.
Sur le plan
philosophique comme sur le plan politique, l'encyclique
Pacem
in terris manifeste une vigoureuse capacité d'adaptation
du
christianisme
au monde moderne — capacité dont il convient, bien
entendu,
d'évaluer à la fois l'importance et les limites en fonction de
la situation
réelle qui se trouve ici reflétée en termes idéologiques. C'est
ainsi que ce
texte est adressé à « tous les hommes de bonne volonté »,
croyants ou
incroyants et se place, par conséquent, sur le terrain d'une
morale
d'intention universelle, qui se refuse à établir une ligne de
démarcation
infranchissable entre les fidèles de l'Eglise romaine et le
reste de l'humanité. D'où résulte la nécessité de présenter l'homme, non
comme un être
faible et coupable, mais comme un sujet agissant et
digne de
respect. Lorsque Jean XXIII cite les Psaumes de la Bible, c est
pour faire
choix d'un texte qui exalte notre espèce « de peu inférieure
aux anges » et
« couronnée de gloire et d'honneur ». Le péché originel,
la dégradation
morale des créatures incapables d'accéder au bien sans
le concours du
Créateur avaient constamment été utilisés par la réaction
cléricale comme
moyen de justifier idéologiquement la lutte contre toute
entreprise
politique optimiste, contre tout effort de libération de l'homme.
Celui-ci était
déclaré pervers, indigne et incapable de se conduire lui-même.
II est clair
qu'un christianisme de ce genre exprime la détresse réelle
et s’ y résigne.
Au contraire, un christianisme qui met l'accent sur la
grandeur de
notre destin proteste contre la détresse réelle et incite les
croyants à
dépasser le vieux désordre capitaliste.
Ce n'est donc
pas un élan individuel de générosité irréfléchie qui
portait Jean
XXIII à lever les interdits, à permettre ces rencontres entre
chrétiens et
communistes qu’ interdisaient ses prédécesseurs. Dès l'instant
où l'Eglise
renonce à déclarer qu’ elle présente au monde la seule
doctrine
susceptible de guider une action moralement bonne, il ne lui
est plus
possible de dresser une muraille entre ses fidèles et les autres
hommes. A vrai
dire, depuis le XIXe
siècle, les papes avaient prétendu
à la fois que
leur enseignement devait être accepté par tous au nom
d'une loi
naturelle et que les croyants pouvaient seuls agir droitement
par l'effet
d'une grâce surnaturelle. La contradiction est aujourd'hui
levée.
DE
NOUVEAU LE CONCILE
Sans doute le
retentissement même de l'encyclique
Pacem
in terris a-t-il porté un certain nombre d'esprit
libéraux,
voire de
marxistes, à imputer au seul Jean XXIII toute la responsabilité
des changements
intervenus dans l'Eglise. Dès lors, le débat engagé
entre la libre
pensée traditionnelle et un rationalisme plus soucieux
d'entrer dans
le détail des évolutions vivantes a pu paraître se limiter
à cette
interrogation : Jean XXIII était-il de bonne foi ? Paul VI le continuera-
t-il ? Ou, dans
le meilleur des cas, les prélats du Concile sont-ils
plus ou moins
conservateurs ?
Certes, il
n'est nullement question de sous-estimer les mérites personnels
de Jean XXIII
dans la rupture avec un héritage féodal, ni
d'oublier que
le caractère de Paul VI, très différent de son prédécesseur,
aura
certainement une influence réelle dans le déroulement de I histoire
de l'Eglise.
Enfin, ce n'est nullement s'en tenir à l'anecdote que de
relever
l'existence de divers courants parmi « les Pères conciliaires » ;
l’aile «
droite » intégriste s'oppose violemment à une « gauche » elle-même
divisée : les «
spirituels » sont les plus modérés. Ils groupent un grand
nombre d'évêques
français décidés à poser des principes généreux et
pourtant plus
prudents lorsqu'on en vient aux problèmes pratiques.
D'autres, au
contraire, notamment dans le clergé latino-américain, s'engagent
plus avant dans
la voie d un renouvellement en profondeur sur
les questions
sociales aussi bien que religieuses. Mais cette division
elle-même, dans
la mesure où elle se traduit en termes sociologiques,
nous renvoie à
des événements d'un ordre différent et moins uniquement
placés sur le
terrain idéologique. C'est le mouvement réel des masses
qui s"inscrit
aujourd'hui dans le relatif libéralisme du Concile, libéralisme
qui reflète la
pression exercée par l’évolution du monde moderne
sur une
croyance antique. Certes, les « princes de l'Eglise » réunis à
Rome ont
constamment précisé qu'ils n'entendaient rien changer à
« la vérité
éternelle de la doctrine » — et seulement en modifier la présentation pour la
rendre accessible aux croyants du XXe siècle. Mais une
telle volonté
de réforme, même patiente et limitée, signifie qu'une modification est
intervenue dans le rapport des forces sociales intérieures
à l’Eglise. Ce
n'est pas un hasard si la Curie romaine, essentiellement
composée d'une
bureaucratie éloignée de la vie réelle des masses et très
liée, en
revanche, aux forces les plus réactionnaires (impérialisme international
et surtout
régimes arriérés d'Espagne et d'Italie du Sud) s'est
appuyée sur les
évêques représentant ces mêmes zones de semi-développement, alors que l'aile
marchante du Concile se composait de deux
éléments : les
évêques représentant des régions où les conditions de
l'existence
moderne placent les foules chrétiennes au contact du progrès
technique et de
la classe ouvrière, d'une part, et, d'autre part, dans le
tiers-monde,
les représentants de l'Afrique et de l'Amérique latine
confrontés à un
énorme mouvement des masses. La pensée marxiste.
(a formation
des ligues paysannes, la pénétration rapide d un protestantisme,
vite devenu
national, imposent à l'ensemble des évêques la
prise en
considération des aspirations populaires. Sans doute, serait-il
naïf d imaginer
une correspondance mécanique entre les exigences révolutionnaires des opprimés
et les intentions de leurs représentants ecclésiastiques.
II n'en reste
pas moins qu’à travers les multiples transpositions
idéologiques se
retrouvent nécessairement des contradictions profondes.
La diversité
même des interventions du clergé dans les événements
du Brésil
montre la complexité de la situation réelle, mais aussi
du lien entre
cette situation et son reflet idéologique. Or, c’est au
moment même où
le poids énorme du tiers-monde se fait le plus
directement
sentir sur la politique et même I économie internationales
que ses
porte-parole s'expriment le plus courageusement, fut-ce en
termes
mystifiés et dans une assemblée religieuse. C'est au moment même
où le
cléricalisme rural, c'est-à-dire le mode de vie des populations
soumises à un
clergé autoritaire dans le cadre d'une pratique religieuse
unanime, recule
à travers I’Europe catholique avec le souvenir du passé
féodal que l'épiscopat français, par exemple, voire certains prélats de
I’Italie du
Nord, se trouvent placés devant la nécessité de revoir leurs
positions.
Bref, conformément à l'enseignement classique du marxisme-léninisme, la
conscience des hommes reflète leur vie réelle.
Sans doute,
est-ce là le langage d'un incroyant. Mais, dans une
certaine
mesure, les croyants eux-mêmes sont amenés à reconnaître
l'existence de
ce lien entre la pratique sociale et les attitudes intellectuelles,
fussent-elles
théologiques. Quand Mgr. Ancel rend compte des
travaux
conciliaires dans La Semaine religieuse du diocèse de Lyon
(16-12-1962), il note que « les évêques se trouvent
dans des situations
pastorales très
différentes ». Selon qu'ils agissent « dans des régions profondément chrétiennes...
ou dans des régions où il y a un grand nombre
de
non-catholiques..., dans des régions qui n'ont pas été soumises à de
grandes
transformations... ou... dans des régions en pleine évolution ».
Et il ajoute :
« II est impossible que ces évêques aient les mêmes
réactions. »
Certes, la
poussée des masses s'exprime tout autrement dans un
concile et dans
un parlement. Un évêque n'est pas élu par ses fidèles, il
est leur chef.
Mais, même de façon lente, détournée, presque secrète,
l’évolution des
croyants s’inscrit progressivement dans les structures
ecclésiales.
FOI
ET SOCIETE
En France, par
exemple, l’Eglise catholique s’est
longtemps
considérée comme une puissance essentiellement rurale et
dont l’implantation dépendait étroitement de la force des traditions.
Jusqu'à la
deuxième guerre mondiale, cette situation, déplorée au demeurant
par certains
chrétiens, ne semblait pas pouvoir être modifiée : la
foi religieuse
paraissait désespérément précaire là où elle dépendait d’une
adhésion
personnelle et réfléchie. Au contraire, l'obéissance et l'automatisme,
la répétition
monotone des gestes hérités du passé mettaient
les fidèles
bretons ou vendéens à l'abri de toute attitude critique, de
toute
orientation vers une gauche vite identifiée à l'athéisme. Les meilleures
terres de foi
se trouvaient dans des régions comme le bas-Léon
agricole. Là,
rappelle un sociologue catholique, M. Lebras, « la conservation
des campagnes
Iéonardes s'explique par la survivance de, cadres
traditionnels :
un clergé nombreux et enraciné, avec de grands curés
très puissants,
une noblesse qui a disputé au clergé l'influence politique,
mais concourt
avec lui au maintien des pratiques, des familles solides,
avec une
aristocratie paysanne..., beaucoup de paroisses restent relativement isolées
».
De même, dans Problèmes
missionnaires de la France rurale (tome I,
p. 21), le chanoine Boulard et les
R.R. P.P. Achard et Hémard observent
que le petit
paysan, fidèle aux exemples reçus « a sucé la religion
avec le lait ;
elle ne se pratique pas, on pratique, comme les parents,
parce qu on a
commencé tout petit à pratiquer avec eux et auprès
d'eux ».
En somme, à ce
stade, la religion n'est pas une idéologie, elle est
une manière de
vivre, un ensemble de gestes et de conduites. Nos trois
auteurs
insistent sur le fait que Dieu, dont dépend l'abondance des
récoltes,
puisqu'il est maître des forces naturelles, est traité comme le
propriétaire du
sol par le fermier : en échange d'un loyer d'aumônes et
d'observances
rituelles, il doit assurer le salut dans l'autre monde et
l'abondance
dans celui-ci. Non seulement l'unanimité de la pratique religieuse
écarte le
risque des ruptures individuelles avec la tradition, mais
encore cette
attitude d'obéissance et de crainte, dénoncée par les observateurs catholiques
eux-mêmes, se traduit par une convenance réciproque entre le conservatisme
social et politique, d'une part, le conservatisme du culte et des moeurs,
d'autre part.
Certes, tous
les croyants ne sont pas alors concentrés dans les
compagnes ;
dans les villes, la bourgeoisie, naguère voltairienne, fréquente
volontiers les
églises et y retrouve des petites gens dont beaucoup
sont très
dépendants à son égard. En dépit de cette composition sociale
fréquemment
conformiste, le milieu chrétien des cités donne naissance
à des
mouvements plus hardis et pourtant vite brisés par un clergé peu
soucieux de
rompre ses liens avec le patronat bancaire et industriel,
comme avec le
cléricalisme rural. Il n'est pas excessif de dire que, jusque
vers 1959, le catholicisme urbain
n'a pas réussi à échapper à l'emprise
du
conservatisme venu à la fois d'en haut, c'est-à-dire de l'influence des
classes
dirigeantes, et d'en bas, c'est-à-dire du poids spécifique des
masses
paysannes traditionnelles.
Cependant, la
situation allait se trouver profondément modifiée dans
les villes et
bientôt dans les campagnes : en provoquant un nouvel effondrement des fortunes
moyennes, la deuxième guerre mondiale, porte un
coup très dur à
la base traditionaliste du catholicisme urbain. De plus
en plus, le
grand nombre des croyants sont, dans les villes, des employés
et des
fonctionnaires, c'est-à-dire des salariés qui tirent leurs ressources
de la vente de
leur force de travail, même s'ils ne produisent pas de
biens
matériels. Certes, une longue évolution, une lente dégradation du
patrimoine des
classes moyennes avait commencé dès avant 1914. En
outre, le
brassage social des grandes villes modernes, l'imprégnation du
milieu chrétien
par la science et la technique, la triple influence exercée
par la
naissance des pays socialistes, le mouvement des peuples coloniaux
et l'action, en
France, de la classe ouvrière ont pesé dans le même sens
que l'évolution
sociale objective des couches moyennes. II faudrait montrer
en détail
quelles répercussions idéologiques a eues, par exemple, sur
de jeunes
catholiques naïvement convaincus du rôle missionnaire de la
France
outre-mer, l'effort du Vatican pour se désolidariser du colonialisme
classique. Et
ce n'est qu'un aspect particulier d'un problème beaucoup
plus vaste :
l'affaire des prêtres ouvriers n'a revêtu une telle importance
que dans la
mesure où les employés et fonctionnaires chrétiens
se
considéraient, eux-mêmes, comme liés, par-delà leurs collègues non
chrétiens, à la
classe ouvrière elle-même.
Cette
transformation du monde catholique des villes va se greffer
sur la
véritable révolution industrielle qui bouleverse les campagnes
françaises les
plus traditionnelles. En quinze ans, de 1944
à 1959, la
puissance
mécanique et chimique de l'agriculture s'est trouvée multipliée
par vingt. Du
même coup, le cléricalisme rural routinier a dû subir
l’assaut, non
d'un mouvement athée peu ou point organisé à travers les
campagnes, mais
d une forme rénovée de croyance religieuse sous la
conduite de la Jeunesse
agricole chrétienne et du Mouvement familial
rural.
Ce sont des éléments venus de ces organisations qui ont pris
la tête des Centres
d'études des techniques agricoles et des Coopératives
d’utilisation
du matériel agricole. En dépit d'insuffisances évidentes
qui devaient se
répercuter au Centre national des jeunes agriculteurs,
il ne saurait
être question de confondre les éléments vivants et dynamiques
engagés dans
une telle action avec des croyants routiniers,
enfoncés dans
la superstition du passé, hostiles à toute orientation vers
une vie plus
moderne.
En somme, le catholicisme
urbain, jusqu'alors pôle dominé dans
sa
contradiction avec le cléricalisme rural, devient le pôle dominant.
Une telle
analyse est nécessairement simpliste et incomplète. Elle
a du moins le
mérite d'être confirmée par l'ensemble des recherches
sociologiques
entreprises avec l'autorisation de l’épiscopat, et selon des
méthodes
incontestablement scientifiques au niveau de l'exploration des
faits —
l'élaboration théorique à partir des résultats présentant des différences
inévitables,
selon qu'elle est l’oeuvre d'un marxiste ou d'un non-marxiste.
En somme, il
apparaît que le passage du capitalisme libéral à
l'impérialisme
d'abord, puis le passage de l'impérialisme au capitalisme
monopoliste
d'Etat ont entraîné des modifications profondes dans la composition sociale des
masses chrétiennes. II faudrait donc accepter une
vue religieuse
de la religion pour admettre que la superstructure ait pu
demeurer
identique à travers une évolution historique objective aussi
profonde. Les
croyants eux-mêmes le reconnaissent, bon gré, mal gré. Ils
résolvent le
problème en déclarant que l’Eglise est une institution à
la fois humaine
et divine et affirment qu'elle change dans la mesure
où elle est
humaine — la part divine se restreignant à tel point que des
discussions
authentiques peuvent s’engager sur un plan réellement scientifique, comme ce
fut le cas lors du débat que j'ai eu l'occasion d'avoir à
Bruxelles avec l’abbé Houtart, secrétaire du centre international de
sociologie
religieuse. [v. aussi:ICI. ndlr]
Bien entendu,
une telle démarche est étrangère à l’aile droite du -
catholicisme, à
l'intégrisme ; elle ne l'est pas moins à un anticléricalisme
bourgeois fondé
sur un rationalisme abstrait pour lequel existe, une fois
pour toutes, «
la religion », force maléfique, éternellement identique à
elle-même. Dans
de nombreux débats, des contradicteurs appartenant à
cette famille
de pensée opposent des textes datant de 1830
ou des prises
de position
politique remontant à l'époque où la France était un
Royaume, à l'analyse de la situation actuelle dans sa réalité vivante.
Au fond d'une
telle attitude se dissimule la certitude métaphysique que
rien ne change
en ce monde, que rien ne se transforme, que l’être est
définitivement
ce qu'il a été une fois. Un tel raisonnement est évidemment
aussi
incompatible avec la pensée dialectique que la croyance en
l’origine
divine de la religion.
Au demeurant,
les tenants de ce matérialisme mécaniste manifestent
leur hostilité
au marxisme en rejetant l'apport décisif d'Engels à l'histoire
des religions.
Engels, dont on sait l'hostilité implacable envers les églises
du XIXe
siècle, tout entières orientées vers la sanctification de l'ordre
établi et des
injustices sociales, n'en a pas moins plus particulièrement
choisi d
étudier le christianisme dans des périodes où il était, soit subjectivement révolutionnaire,
soit capable d animer un mouvement objectivement dirigé contre la tyrannie de
la classe dominante.
A l'exemple
d'Engels, il nous faut nous interroger, non sur la
nature
intemporelle de l'idéalisme religieux, mais sur sa réalité actuelle
dans les
conditions historiques où nous sommes placés et en fonction
d’un double
critère : la composition sociale du catholicisme et l’idéologie
dont il se
réclame aujourd’hui.
Observons tout
de suite que la politique de la main tendue revêt
tout son sens
dans la mesure où elle s adresse à des employés, à des
fonctionnaires,
à des paysans-travailleurs dont les intérêts objectifs
coïncident avec
ceux de la classe ouvrière dans la lutte contre le capitalisme
monopoliste.
L'évolution de la C.F.T.C. est tout à fait frappante: cette confédération tire
son origine d un syndicat d’employés.
Elle s'est tout
d'abord réclamée d'une totale collaboration des classes.
Mais, au fur et
à mesure qu'elle se développait, il lui a fallu renoncer
de plus en plus
explicitement à une telle pratique. Et la combativité
accrue des
masses lui a rendu progressivement impossible toute référence
à la doctrine
sociale de l'Eglise et à l'entente systématique avec le patronat.
En d'autres
termes, la pratique a modifié la théorie à tel point
que la C.F.T.C.
s'est progressivement éloignée du M.R.P., sur la gauche,
et se trouve
aujourd'hui à la recherche d'un moyen d'expression politique
propre. Ce
réformisme chrétien ne manque pas d’agressivité, même si,
à
l'échelon
confédéral, il répugne encore à l'unité d’action avec la C.G.T.,
unité dans
laquelle il est cependant déjà très engagé au niveau des fédérations
et, bien
entendu, des entreprises.
Parmi les
paysans, en dépit de l'influence exercée par le C.N.J.A.
des remarques
analogues peuvent être faites. Ses syndicats d'exploitants
bretons
recherchent manifestement l'alliance de I ensemble des syndicats
ouvriers dans
la plupart des départements de l'Ouest.
Parmi les
intellectuels, le bouleversement n'est pas moins profond,
et il est plus
directement observable sur le plan idéologique. C'est ainsi
que la
pénétration foudroyante des conception du R.P. Teilhard de
Chardin, dans
les groupes d'étudiants catholiques, mérite qu'on s'y
arrête. Le R.P.
Teilhard affirme l’évolution des espèces en biologie et
toute sa
philosophie demeurerait incompréhensible en dehors de cette
référence de
l'évolution.
Or I’un des
grands reproches que l'on a pu faire au christianisme du
XXE siècle
est d'avoir rejeté toute hypothèse d'évolution — et encore en
1950 l'encyclique Humani Generis formulait les
plus expresses réserves
à cet égard.
Comme elle l'avouait naïvement, admettre l'évolution, c est
faire un pas
vers le communisme puisque, si tout change, y compris
les espèces
vivantes, il devient bien difficile d'admettre que seule la
société humaine
ne change pas et qu’il existera éternellement des riches
et des pauvres.
Mais,
précisément dans la mesure où les progrès scientifiques et
l'accélération
effective de l'histoire ont rendu impossible à bon nombre
de chrétiens de
s’enfermer dans le refus de l’évolution biologique, il est
indispensable d’examiner
attentivement toutes les conséquences de ce
fait nouveau.
On sait que, peu avant l’ouverture du Concile, la Sacrée
Congrégation du
Saint-Office, c'est-à-dire l'Inquisition, avait condamné
Teilhard. On
sait aussi que l'ouverture du Concile fut marquée par le
désaveu
pontifical de cette condamnation. Ce sont là des données qu'il
serait absurde
de négliger.
Le catholicisme
que nous rencontrons, en France et en 1964,
est
une force
sociale dans laquelle se trouvent des salariés et des paysans travailleurs qui
se distinguent de la classe ouvrière, les uns par leur
caractère non
productif, les autres par" le fait qu’ils sont propriétaires de
leurs propres
moyens de production. Les uns et les autres ont des intérêts
objectifs qui
rejoignent ceux de la classe ouvrière. Ces masses sont
déchirées par
de profondes contradictions politiques et idéologiques. La
politique de «
la main tendue » a pour effet le plus direct d'amener les
esprits les
plus avancés à comprendre leur solidarité de fait dans la
pratique avec
les marxistes athées.
Une telle
transformation n'a pu se faire à l’intérieur de l’Eglise que
dans la mesure
où les institutions ecclésiastiques n'ont plus aujourd'hui
le même contenu
qu'hier : certes, les liens entre le haut clergé et la
haute
bourgeoisie demeurent évidents. Mais le haut clergé n’est pas tout
puissant, en ce
sens qu'il ne peut bloquer une évolution sans risquer de
perdre toute
influence sur les hommes engagés dans cette évolution.
Lorsque les
représentants les plus officiels de l'Eglise s'interrogent sur
leurs
responsabilités dans ce qu ils appellent l’« apostasie » de la classe
ouvrière, ils
expriment, à leur manière, le sentiment qu’il n’est pas possible
de ramer trop
vigoureusement à contre-courant. En somme, la transformation
objective des
masses catholiques se reflète aussi dans l'effort
tardif et
partiel de réorientation auquel consentent l’épiscopat et le
Vatican.
Mais, dès lors,
les obstacles, même subjectifs, à la participation des
masses
catholiques au combat pour la démocratie d'abord, pour le
socialisme
ensuite, se
trouvent pour une part levés. Comme nul ne doute
que la
condamnation du monde moderne dans le Syllabus de Pie X
ait été abolie
par Pacem in terris de Jean XXIII, il devient tout à fait
clair que
l'affirmation répétée aujourd'hui encore du droit de propriété
privée des
moyens de production n'est nullement un dogme immuable.
Dans des dizaines de réunions publiques, j'ai vu des
croyants et même
des
ecclésiastiques se poser très franchement la question. Précisément
parce que la
réalité des changements historiques s'impose à toutes les
consciences,
l'histoire apparaît comme l’oeuvre de l'homme lui-même. Le
croyant tend à
faire de la grâce, de l'intervention divine, une sorte de
don purement
intérieur, et à se comporter pratiquement en homme purement
homme. Cette
force secrète qui l'anime et qu’il appelle Dieu cesse
d’être pensée
par lui comme un motif insurmontable de refuser toute
solution
révolutionnaire.
Nul moins qu'un
marxiste ne s'en montrera surpris. Le christianisme
primitif était
déjà animé par cette volonté impétueuse de justice sociale
et d'égalité humaine
qu'Engels a longuement soulignée dans des textes
classiques. Or,
auprès de qui ce christianisme primitif a-t-il trouvé
audience ?
Implanté tout
d'abord dans les villes où prédominait l'économie
marchande, il
recrutait ses adhérents dans des couches sociales composées
« d'hommes
libres déchus, gens de toute espèce, semblables aux mean
Whites (1)
aux aventuriers et aux vagabonds européens des villes maritimes,
coloniales et
chinoises, ensuite d'affranchis et surtout d'esclaves,
sur les
latifundia ( 2 ) d'Italie, de Sicile et
d'Afrique, d'esclaves, dans les
districts
ruraux des provinces, de petits paysans de plus en plus asservis
par les dettes.
II n'y avait abolument pas de voie commune d'émancipation
pour tant
d'éléments divers. Pour tous, le paradis perdu était
derrière eux.
Tous rêvaient
d'un passé où la société et l'Etat se confondaient
plus ou moins :
l'homme libre de naguère avait connu la cité indépendante
où sa classe
tout entière, à l'exclusion des esclaves, était associée
au pouvoir
politique. La plupart des travailleurs assujettis à des maîtres,
avaient été,
eux ou leurs parents, faits prisonniers de guerre alors qu'ils
connaissaient
la vie relativement libre et communautaire des barbares.
« Pour le petit
paysan, la société gentilice et la communauté du sol »
forment l'objet
de sa nostalgie.
(1) Misérables Blancs des Etats esclavagistes du Sud. Engels fait
allusion à la région
méridionale des Etats-Unis, là où subsistaient, à la date où il
écrit, 1894, à côté des
anciens esclaves noirs des masses nombreuses de pauvres Blancs.
(2) Grandes propriétés agricoles.
Dans quelle
mesure retrouvons-nous une situation analogue chez les
petits
exploitants ruraux menacés d'être chassés de leurs terres, les fils
de commerçants
et d'artisans devenus employés ou fonctionnaires, les
héritiers des
ex-propriétaires d'entreprises de médiocre envergure, désormais
voués aux
professions libérales et intellectuelles, qui composent les
masses
catholiques d’aujourd’hui ? La même nostalgie d'un passé révolu
le même regret
d'un prestige social et d'une indépendance économique
abolis, la même
puissance à formuler leur espoir dans le cadre de la
crise présente
vont-ils se manifester ?
Certes,
l'idéologie du christianisme primitif rencontre aujourd'hui
trop de succès
dans ces groupes sociaux pour qu'il soit possible de parler
d'une simple
coïncidence. Au moment où l'impérialisme, en particulier
sous sa forme
de capitalisme monopoliste d'Etat, transforme en salariés
les couches
moyennes naguère indépendantes et menace l'autonomie
des exploitants
agricoles par la concentration des terres, l'orientation
subjectivement
révolutionnaire des premiers fidèles retrouve un terrain
propice.
Cependant, le
passage de la subjectivité révolutionnaire à une action
effective s
opère seulement dans la mesure où cette nostalgie impuissante
rencontre
autour d'elle et en dehors d'elle des conditions objectives assez
favorables pour
se transformer en un effort pour réaliser historiquement
la justice. Le
christianisme insurrectionnel, analysé par Engels dans
la
Guerre des paysans, se distingue de celui des premiers
fidèles de
Jésus par une
beaucoup plus grande ressemblance entre les conditions
sociales de ses
adhérents et donc par une aptitude beaucoup plus profonde
à une
convergence des entreprises politiques. Ce sont des caractères
que nous
retrouvons, aujourd'hui encore, parmi les employés et
fonctionnaires
d une part, parmi les petits et moyens exploitants agricoles,
d'autre part,
qui composent l'essentiel des masses catholiques.
Comment
expliquer autrement, d’ailleurs, le procès de désaliénation
partielle qui
se déroule actuellement à l'intérieur de la religion romaine
et qui lui
permet de retrouver quelque chose de l'inspiration primitive ?
Certes, des
incroyants peuvent considérer qu'ils ne sont pas directement
concernés par
les modifications introduites à l'intérieur de l'Eglise.
Est-il vrai
qu'il soit indifférent de voir les fidèles célébrer leur culte
en français et
non en latin, ou supprimer progressivement les classes de
cérémonies, c
est-à-dire les privilèges propres aux riches de bénéficier
d'un luxe
particulier dans les mariages et les enterrements religieux ?
A l'intérieur
du Concile, les intégristes réactionnaires ont livré une
véritable
bataille d'obstruction afin d'empêcher le vote de textes favorables
aux cérémonies
en langue populaire. Mieux ou pis, alors même
qu'un scrutin
avait eu lieu, ils ont profité de l’intervalle entre deux sessions
pour obtenir de
Paul VI la promulgation d'un décret ou « motu
proprio », qui
permettait de retarder indéfiniment l'application des décisions
prises. II a
fallu une protestation énergique des épiscopats libéraux
pour obtenir
que ce texte soit modifié et respectée la volonté du Concile.
De même, en
dépit du caractère manifestement odieux de la discrimination
faite, devant
la mort, entre le pauvre enterré à la sauvette
et le riche
conduit à sa dernière demeure au son des grandes orgues, les
résistances
ouvertes ont été si évidentes que la grande presse politique
y a fait écho.
C'est qu’en
effet la messe dite en langue populaire et face au public
signifie que le
prêtre renonce à s’enfermer dans le mystère sacré pour
revenir parmi
les hommes. Une telle réforme se trouve étroitement liée
à l’autonomie
croissante des fidèles à l'égard du clergé dans tous les
domaines de la
vie personnelle et politique. On ne s’étonnera donc pas
qu’un des
leaders intégristes, le cardinal Siri, se soit opposé à cette mesure,
lui qui
protestait contre l’égalité montante entre fidèles et ministres du
culte, alors
que leurs relations devaient, disait-il, rester celles des soldats
aux officiers
dans une armée bien disciplinée.
De même, un
jésuite, le R.P. Pin, a observé que les salariés en
particulier les
employés, protestent énergiquement contre la pluralité
des classes de
mariage et d’enterrement. Ils entendent restaurer dans
l'Eglise l’égalité tant voulue par les premiers chrétiens. Mais la logique
d’une telle
démarche est double : dans la mesure où le Concile leur
donne
satisfaction, ces hommes continueront sans doute à pratiquer leur
culte. Dans la
mesure où ils s opposent à l’injustice, fut-elle religieuse,
un premier pas
est fait dans la direction qui mène à la protestation
contre l’injustice
réelle.
II serait
assurément possible d’épiloguer indéfiniment, de s'interroger,
sans jamais
conclure, sur la perspective de voir passer de tels chrétiens
à l’action
effective en faisant abstraction du monde où ils sont historiquement
placés. Une
telle controverse serait sans objet, puisque ce
monde existe et
qu’une analyse scientifique doit en tenir compte. Il n’est
pas seulement
un milieu extérieur où les chrétiens se trouveraient
plongés
artificiellement. II est un milieu nourricier, constitutif de leur
personnalité,
inséparable de leurs réactions, fussent-elles spécifiquement
religieuses
dans leur forme. Tout se tient à l'intérieur d’une totalité en
mouvement,
fût-elle déchirée par les contradictions. Or le monde moderne
est celui où la
classe ouvrière s’affirme comme la grande force
mobilisatrice
de l'ensemble des masses exploitées. Et, pour les mêmes
raisons, le
marxisme est, selon le mot d'un philosophe nullement communiste,
« l’horizon
intellectuel des hommes de notre temps ». Il en résulte
que la
subjectivité révolutionnaire des masses chrétiennes en mouvement
trouve autour d’elle
à la fois une puissance historiquement capable de
transformer le
monde, et une science des réalités collectives susceptible
d'éclairer la
situation du capitalisme déclinant, voire de montrer par
quels chemins
une action généralisée le conduira à sa perte. En d’autres
termes, la
subjectivité révolutionnaire, loin d’être isolée et coupée de
l’action
effective, est sollicitée d’aboutir à la révolution réelle.
Il serait
absurde d'admettre pour autant que le catholicisme tout
entier
constitue, en France et en 1964, une
institution objectivement progressiste.
C’est que, en
effet, l'héritage du passé féodal est loin d’être
liquidé dans toutes
nos provinces ; c'est que, en outre, l'appartenance
objective du
haut clergé à la haute bourgeoisie et la solidarité de fait
entre le
Vatican et le néo-colonialisme américain contrebalancent, dans
la plus large
mesure, la poussée généralisée des masses croyantes et
incroyantes
vers la libération, avec son double reflet culturel et idéologique.
L’accent est
mis ici sur les faits nouveaux, les moins connus, du
public, et non
sur des réalités déjà anciennes qu'il faudrait rappeler avec
la même
insistance si quelques-uns étaient tentés de les oublier.
II ne s'agit
donc pas de présenter le catholicisme comme une réalité
unique,
homogène, non contradictoire. En lui s affrontent une structure
puissamment
réactionnaire et un courant venu de la base, objectivement
orienté vers la
démocratie et le socialisme. II faudrait se crever les yeux
pour ne pas
voir que la dictature exercée par le haut clergé se trouve
aujourd’hui
partiellement tenue en échec par la convergence d'événements
historiques au
nombre desquels il faut compter la diminution du
nombre des
prêtres et, corrélativement, la poussée de l'Action catholique.
Entre les
forces ainsi engagées dans le conflit, la question est
toujours de
savoir où s'établira les compromis, à quelle distance des
positions
extrêmes tenues par les uns ou par les autres. Bien entendu,
c'est là, pour
une large part, une bataille dont l'issue dépend des croyants
eux-mêmes,
mais, depuis que le mythe du communisme « intrinsèquement
pervers » a été
brisé, notre responsabilité a singulièrement grandi en
la matière : un
geste de sectarisme, une publication inopportune, une
interprétation
à la fois révisionniste et dogmatique d'un texte de Marx
en 1843, des mesures imprudentes
ou dictées par une analyse inexacte
conduisent
nécessairement à un renforcement brusque et massif des
positions
intégristes les plus réactionnaires et à une rupture d'équilibre
en faveur des
éléments du haut clergé les plus liés à l'impérialisme.
La convergence
objective entre l'abandon des principes marxistes-léninistes,
d'une part, et
les forces réactionnaires d'autre part, est une
donnée
permanente de la bataille idéologique. Comme l'observe Lénine
dans son
article De l'Attitude du parti ouvrier à l'égard de la religion :
« Ce serait une
grosse erreur de croire que la modération apparente
du marxisme à
l'égard de la religion s'explique par des considérations
dites
tactiques, comme le désir de ne pas effaroucher, etc. Au contraire,
la ligne
politique du marxisme, dans cette question également, est
indissolublement
liée à ses principes philosophiques. »
De même, Lénine
affirme dans sa brochure Aux Paysans pauvres :
« II faut que
chacun ait pleine liberté, non seulement d embrasser la
religion qu'il
veut, mais aussi de propager n'importe quelle religion et
de changer de
religion. II ne doit être permis à aucun fonctionnaire de
s'enquérir de
la religion de qui que ce soit, celle-ci étant affaire de
conscience, nul
ne doit s'y immiscer ». C'est la reprise de la thèse
marxiste
traditionnelle selon laquelle la religion est affaire privée à
l'égard de
l'Etat.
En va-t-il de
même lorsqu'on passe du régime capitaliste au régime
socialiste ?
Certaines formes de la pensée et de la pratique religieuse
naîtront-elles
ici encore sur le terrain de la vie quotidienne ?
Une telle
question est d'autant plus importante que la réponse
conduit les
marxistes à évaluer la période durant laquelle ils seront
amenés à
coopérer avec des chrétiens.
Tout d'abord,
une véritable séparation de l'Eglise et de l'Etat, de
l'Eglise et des
puissances économiques peut seulement être menée à
bien sous le
signe de la dictature du prolétariat : « La dictature du prolétariat
doit détruire
jusqu'au bout les liens qui existent entre les classes
exploiteuses,
propriétaires fonciers et capitalistes, d'une part, et l'organisation
de la
propagande religieuse d'autre part. » (Lénine, OEuvres,
tome 29, p. 107). II va de soi que la rupture des liens entre
l'institution
ecclésiastique
et les institutions politiques et économiques du capitalisme
portera un coup
décisif aux formes et aux aspects les plus retardataires
de la pensée
cbrétienne, en même temps que lui seront retirés des moyens
matériels
d'action sans commune mesure avec sa présence réelle dans la
nation. II
semble bien d'ailleurs que bon nombre de croyants ne trouvent
que des
avantages à la disparition de privilèges aussi suspects.
En outre,
l'existence du capitalisme, donc de la propriété privée
des moyens de
production, est incontestablement une des sources du
sentiment
d'impuissance qui trouve une expression idéologique dans la
religion. Comme
l'écrit Lénine, « l'ouvrier conscient d'aujourd'hui, formé
par la grande
industrie usinière, instruit par la ville, écarte avec mépris
les préjugés
religieux, laisse le ciel aux prêtres et aux Tartufes bourgeois
et s attache à
la conquête d'une meilleure existence sur la terre » (article
du 16-12-1905).
Mais c'est
évidemment au « sombre fanatisme » sous la forme de
croyance
religieuse que s'adresse cette dénonciation — et Lénine le
précise dans le
même article. II invite le Parti ouvrier à soutenir «jusqu'au
bout les
revendications des éléments honnêtes et sincères du
clergé ». En
d'autres termes, comme Marx et Engels, Lénine analyse
toujours, non
la religion en général, mais telle ou telle religion particulière
dans des
circonstances historiques données. II faut donc se
demander si la
destruction d'un régime de classes entraîne une rénovation
de la foi
chrétienne ou sa disparition.
D'une part, les
racines de l'animisme n'ont certainement pas disparu:
il faudrait d'énormes progrès de la science et de la technique
il faudrait d'énormes progrès de la science et de la technique
pour effacer
toute trace de la domination exercée par la nature sur
l'homme et, par
conséquent, pour faire de l'humanisme radical, du
marxisme, le
reflet immédiat de la vie spontanée. Tant que le travail
et le savoir
n'auront pas surmonté les obstacles auxquels ils se heurtent,
aujourd'hui
encore, le matérialisme dialectique restera une théorie scientifique
dont la vérité
ne sera accessible qu'au prix d'une rupture avec
les simples
apparences. Derrière celles-ci, il faudra toujours, selon la
formule de
Marx, un effort pour déceler « le lien interne et nécessaire
entre les
phénomènes ».
Dans les
campagnes, en dépit des progrès de la technique, un tel
animisme
demeure nécessairement plus fort que dans les villes et, en
U.R.S.S., la
distinction entre le régime de propriété des entreprises
kolkhoziennes
et celui des entreprises complètement collectivisées ne
peut que
perpétuer la possibilité d'aliénation.
D'autre part,
toute économie marchande, monétaire, dominée par la
loi de la
valeur, dissimule le caractère radicalement actif de l'homme
et de son
travail constitutif de l'objet derrière l'apparence réifiée de la
marchandise.
Comme le christianisme, avec son
culte de l'homme
abstrait, est
l'expression idéologique de cette aliénation, on s'expliquerait
mal qu’il
puisse disparaître avant elle. Comme la suppression de l’argent
ne peut
intervenir qu'au stade du communisme achevé, même cette
racine,
spécifiquement sociale, de la croyance religieuse continue d exister
durant toute la
construction du socialisme, voire durant la transition
du socialisme
au communisme.
Enfin, toute
aliénation religieuse n'est pas nécessairement le reflet
D’une
aliénation économique. Les croyances du Moyen Age exprimaient,
de la manière
la plus directe, les structures politiques de la société.
On pourrait
multiplier les exemples de ce genre pour montrer que
la domination
exercée par l’Etat sur la société est génératrice de l'illusion
religieuse. Or, l’existence de l’Etat est indispensable pour affirmer
la dictature du
prolétariat et la prévalence des intérêts du peuple sur
ceux des
citoyens, encore incapables d'accéder à une morale socialiste. La
domination de l’Etat signifie que la répression demeure nécessaire et, par
conséquent, que
la liberté n'a pas encore atteint le stade le plus élevé,
celui de la
fusion entre l’égoïsme et la participation à la vie collective.
C’est pourquoi
l'expérience immédiate de la contrainte politique peut
encore se
traduire dans un langage religieux.
La suppression
de l'exploitation de l’homme par l'homme représente
donc une étape
importante dans la destruction des réalités qu'expriment
les croyances
sur un plan subjectif. Cependant, toute aliénation n'est
pas pour autant
supprimée — il serait facile de montrer comment les
contradictions
entre la ville et la campagne, le travail manuel et le travail
intellectuel,
l'Etat et la société, se traduisent dans le vocabulaire de la
foi.
Les marxistes
sont donc avertis par leur propre doctrine qu’il leur
faudra, durant
de longues décades, vivre dans le même univers que des
chrétiens.
Voilà qui n'empêche nullement d'affirmer que l'institution ecclésiastique se
trouverait profondément transformée par la rupture des
liens avec le
pouvoir politique et économique. En effet, si l’Eglise catholique
joue, au total,
un rôle de frein dans l'évolution de la situation
révolutionnaire
du monde moderne, c'est bien en raison de tels liens.
L'exemple des
hérésies progressistes du monde antique ou féodal, celui
des conquérants
musulmans et dés bâtisseurs calvinistes de la Hollande
moderne sont là
pour montrer qu'il n'existe aucune fatalité de paresse,
ou
d'indifférence à la vie sociale, dans l'essence même d'une religion
pensée dans
n'importe quel contexte historique. En réalité, le renversement
du capitalisme
laissera place dans la conscience spontanée des
masses à
l'émergence de contradictions et d aliénations diverses dont
il importe peu
qu'elles revêtent une forme religieuse ou non-religieuse.
Le progrès vers
la vérité du marxisme est inséparable de I évolution dans
la pratique.
Dans la mesure où les racines sociales de la pensée religieuse
existent
toujours, la disparition d'une église s'accompagnerait de la
prolifération
inquiétante de sectes millénaristes, comme celles qui interdisent
de donner des
soins aux malades pour s'en remettre à la Providence divine. Engels, en 1874, se moquait déjà des
réfugiés blanquistes
qui croyaient
pouvoir supprimer la religion au lendemain de la prise du
pouvoir, alors
que ne sont nullement abolies les sources réelles du fait
religieux. II
montrait le caractère absurde de « cette revendication de
transformer
les hommes en athées par ordre du mufti » (3)
Et si, en raison
de leur importance numérique prépondérante, l’accent
est mis ici
surtout sur les catholiques, rien ne serait plus absurde
que d oublier
les protestants qui sont, dans le Gard en particulier, partie
intégrante des
forces de gauche, et les israélites que le souvenir des persécutions nazies
pousse souvent vers les forces de progrès. Cette analyse
s’applique à
l'ensemble des croyants de la tradition judéo-chrétienne.
Faut-il en
conclure que la propagande athée, rationaliste, est pour
autant inutile
en régime socialiste ? Assurément non : d'une part, la
disparition de
certaines sources de l'aliénation religieuse crée un terrain
favorable, non
à la disparition de la foi, mais à la réduction du nombre
des croyants.
D'autre part, la rationalisation croissante des structures
collectives et
des rapports entre l'homme et la nature se traduit par la
rationalisation
croissante de la pensée religieuse. Dans un cadre capitaliste,
les éléments
les plus avancés définissent déjà leur volonté
d’intégrer à
leur foi l'humanisme scientifique et l'humanisme moral. Ce
mouvement
profond n’est déjà plus marginal, même s’il n est pas majoritaire.
Le passage au
socialisme le renforcerait manifestement. II serait
assez vain de
se refuser à voir un progrès dans une telle évolution, alors
qu’elle
substitue aux aspects réactionnaires de I’évasion hors du monde
réel, une
conception militante du salut déclaré inséparable d'une action
constructive et
conquérante sur la terre. Un tel mouvement s est trouvé
symbolisé, chez
les catholiques, par l’oeuvre de Teilhard de Chardin ;
il se retrouve
chez de nombreux chrétiens qui s'interdisent toute représentation du destin de
l'homme au-delà de la mort, toute utilisation
de l'image d'un
autre monde comme justification de la passivité sur
cette terre. A
la conception métaphysique du tout ou rien, de l'aliénation
religieuse
totale, présentée comme seule alternative à un athéisme
total, il est
temps de substituer la conception historique et marxiste
d'une désaliénation
progressive.
Durant la
période de construction du socialisme et du communisme,
se poursuivra
donc une coopération pratique avec des croyants actifs,
un dialogue
amical sans équivoque ni compromission, conformément à
la thèse de
Lénine : « L'unité de cette lutte réellement révolutionnaire
de
la classe opprimée pour se créer un paradis sur la terre, nous importe
plus
que l'unité d'opinion des prolétaires sur le paradis du ciel. »
(3) Le mufti : chef du pouvoir religieux. Ici : par ordre du mufti signifie
donc « par
une décision dictée par l'idéologie sans analyse scientifique du réel
».