23 août 2019

Djelfa, archives et témoignages

Contribution à l’histoire du camp de Djelfa, archives et
témoignages (de Roger Garaudy à Max Aub)
par Bernard Sicot - EXTRAITS
In:
Exils et migrations ibériques au XXe siècle, n°3, 2009. Sables d’exil. Les républicains espagnols dans les camps d’internement au Maghreb (1939-1945) pp. 146-216

L’article source est à lire ici EN ENTIER :
https://www.persee.fr/doc/emixx_1245-2300_2009_num_3_3_862


Aux commencements
Créé en mars 1941, le Centre de séjour surveillé de Djelfa fut placé
sous la responsabilité du commandant de réserve Jules César
Caboche2 et, après sa fermeture en juin 43, transformé en camp
pour prisonniers de guerre. Destiné à héberger des « internés
administratifs », il reçut d’abord, brièvement, des communistes
français puis des étrangers (certains comptabilisés comme juifs),
anciens membres des Brigades internationales et républicains
espagnols en majorité. Ces derniers provenaient d’Oranie3, mais
aussi des camps d’internement d’Algérie et même de France,
conformément à la volonté des autorités vichystes d’éloigner de
métropole environ 5 000 « meneurs extrémistes irréductibles4 »,
français et étrangers. Dans ce but, entre mars 41 et août 42, une
dizaine de convois furent organisés, mais ne touchèrent que 1 390

1 Pour les sources de ce travail, voir « Annexe I »
2 Déjà sur place en mars 41, après la courte période de commandement du
capitaine Chabrol, Caboche exerça officiellement ses fonctions du 7 avril de la
même année au 23 juin 43.
3 Où ils étaient arrivés d’Alicante et de sa région à la fin de la Guerre civile et où
des arrestations de républicains espagnols, ordonnées par Weygand, eurent lieu
durant l’été 41. Les archives du CAOM conservent quelques listes d’Espagnols
transférés d’Oran à Djelfa avec, au total, 93 noms ; voir « Annexe I ».
4 Lettre de Darlan au ministre secrétaire d’État à la Guerre, 17 février 1941,
( voir annexe 1.

personnes5. Le septième, par exemple, qui conduisit l’écrivain
espagnol Max Aub6 jusqu’à Djelfa à la fin novembre 41, concernait
des prisonniers du camp du Vernet d’Ariège : un groupe de « 76
étrangers indésirables7 », composé en principe de 38 Allemands, 14
ex-Autrichiens (sic), 8 Hongrois, 4 ex-Tchécoslovaques (sic), 1
apatride, 8 Roumains et 3 Espagnols8. Bien encadré, ce groupe
devait partir du Vernet le 24 novembre et rejoindre Port-Vendres
afin d’embarquer à destination d’Alger où l’arrivée était prévue le
27.
Aub a évoqué cette traversée jusqu’à Alger, dans les cales du cargo
Sidi Aïssa9 :
Nous partîmes de Port-Vendres à la tombée de la nuit, sortis du port on
nous retira les menottes. Un médecin français, déporté, demanda qu’on
nous autorisât à monter sur le pont par groupes de cinq, par groupes de
dix. Il ne lui fut même pas répondu. Nous ne pouvions voir que l’éclat
des baïonnettes de l’infanterie de marine qui montait la garde en haut de
l’écoutille. Les côtes d’Espagne devaient être visibles. Nous étions deux
Espagnols dans l’expédition, nous aurions aimé voir la terre espagnole,
moi je la sentais passer à mes côtés, physiquement. Trois jours après
nous arrivâmes à Alger, merveille mauve au petit matin. On nous
enferma dans un vieux bastion, on nous alimenta correctement. Jusqu’à
ce moment nos bagages avaient été transportés (je ne peux voyager sans

5 Denis PESCHANSKI, La France des camps. L’internement, 1938-1946, Paris,
Gallimard, 2002, p. 308.
6 Né à Paris en 1903, décédé à Mexico en 1972.
7 « Convois à destination de l’Algérie » (AN).
8 Note pour le directeur du personnel et de l’administration de la police, Vichy,
15 novembre 1941, signée : « Le Directeur de la Police du Territoire et des
Étrangers » (AN). Ces chiffres, et celui qui concerne la totalité du groupe (76),
pourraient ne correspondre qu’à des prévisions. Le rapport de l’inspecteur
général des camps après son passage en Algérie, au printemps 1942, ne fait état
que de 68 détenus parvenus à Djelfa le 28 novembre 1941 (AN). Pour Aub, ils
étaient soixante-dix : « Deux Espagnols, le reste des Allemands, des Tchèques,
des Hongrois, des Polonais » (« Camp de Djelfa, Algérie », voir « Annexe I »).
9 Et non Sidi Aïcha, bien improbable en arabe.

livres, de plus je transportais pas mal de vêtements et mes manuscrits).
[…] À six heures du matin on nous fit mettre en rangs pour aller à la
gare […]10
Après seize heures de train, à l’arrivée à Djelfa dans l’hiver et la
nuit des hauts plateaux, prend place l’épisode de l’abandon des
valises, trop lourdes pour des hommes fatigués qui, passant alors
sous le commandement implacable de l’adjudant Jean Gravelle,
reçoivent l’ordre de rejoindre le camp au pas de gymnastique,
bagage à l’épaule. Aub proteste :
– Je ne peux pas porter mes bagages.
– Laissez-les. J’en ai rien à cirer. Mais personne viendra les chercher.
Compris ? En avant, racaille.
J’abandonnai mes bagages, avec une seule mallette sur l’épaule je
commençai à marcher. Cent mètres plus loin, plusieurs, moins décidés,
excessivement chargés, commencèrent à s’arrêter. L’homme au béret les
faisait avancer à coups de cravache. Plusieurs tombèrent et à grand
renfort de coups de pied il les obligea à poursuivre. La route se vit semée
de valises. […]
Passant à côté de moi il me gratifia d’un coup de cravache au visage et
brisa mes lunettes. Sur le sol, à tâtons, je cherchai les verres. Ce n’était
pas le commandant du camp, mais son adjudant, il s’appelle Gravelle11.
Trois ou quatre kilomètres plus loin nous arrivâmes au fort de Cafarelli,
dans le noir on nous enferma dans de grandes pièces, nous nous
étendîmes sur le sol12.
Djelfa n’était alors qu’un obscur toponyme du djebel algérien. En
1930 la population n’atteignait pas 3 000 habitants. Elle n’en avait
sans doute guère plus au début des années quarante. Son
contingent militaire, son éloignement des grands centres urbains,

10 « Camp de Djelfa, Algérie » (doc. cité.)
11 Jean Gravelle, adjudant, « inspecteur chef » responsable de la police du camp
(CAOM).
12 « Camp de Djelfa, Algérie », doc. cité. Appartenant à l’armée, le fort Caffarelli
fonctionnait un peu comme une annexe du camp. Aub écrit généralement,
contre l’usage, « Cafarelli ».

son isolement sur les plateaux qui bordent le Haut-Atlas, au
terminus de la voie ferrée venant d’Alger via Blida, la pauvreté de
ses sols quasi désertiques, en faisaient (comme au XIXe siècle) un
lieu doté d’une sorte d’extraterritorialité, propice au bannissement
et à l’établissement d’un camp de prisonniers13.
Deux personnalités majeures ont témoigné de leur séjour dans le
camp de cette localité : Aub qui, outre plusieurs récits, a produit un
témoignage littéraire de première importance, Journal de Djelfa
[Diario de Djelfa], recueil de quarante-sept poèmes choisis parmi
une centaine écrits au camp entre le 28 novembre 1941 et le 18 mai
1942 (quelques-uns sont reproduits en annexe)14 et Roger Garaudy
interné dans les toutes premières semaines de la vie du camp avec
500 autres communistes, bientôt transférés à la redoute de
Bossuet15 (Dheya) et remplacés par 195 étrangers en provenance
de celle-ci16.
Le bref témoignage de Garaudy évoque d’abord l’état initial du
camp, un campement rudimentaire dans un environnement naturel
hostile. Mais il en vient vite à un épisode héroïque qui l’intéresse.
Bravant l’interdiction, les prisonniers français en partance pour
Bossuet saluent les nouveaux arrivants espagnols et ex-brigadistes

13 « Extraterritorialité » : terme emprunté à Georges Steiner par Annette
WIEVIORKA (Auschwitz, 60 ans après, Paris, Laffont, 2005, p. 12.) Sur cet aspect de
Djelfa, voir Danièle IANCU-AGOU, « Être expulsé ou interné à Djelfa aux siècles
derniers (1893-1942) », in Revue du monde musulman et de la Méditerranée, nº 115-
116, 2007, p. 271.
14 Pour les témoignages littéraires d’Aub sur Djelfa, voir « Annexe I ».
15 Le 18 avril 41 selon Paul D’HÉRAMA (Tournant dangereux. Mémoires d’un déporté
en Afrique du Nord (1944-1945), p. 119, voir « Annexe I ») ; le 29, d’après le billet
de train collectif établi pour 491 passagers (CAOM).
16 Bernard Lecache, après avoir été interné à Bossuet, puis à Djenien-Bou-Rezg,
fit un séjour d’environ six mois à Djelfa, du 22 mai au 2 décembre 1942 (cf.
Emmanuel DEBONO, « Bernard Abraham Lecache, président fondateur de la
Ligue internationale contre l’antisémitisme. (Paris, 16 août 1895-Cannes, 16 août
1968) », Archives juives 2007/1, nº 40, p. 140-144). Il ne semble pas avoir laissé de
témoignage écrit sur son internement.

en sifflant « Allons au-devant de la vie17 », encourant ainsi de
graves représailles :
Le commandant, écumant de rage, nous ordonne de nous taire et nous
prévient qu’à la troisième sommation il fera tirer sur quiconque n’est pas
rentré se coucher sous les tentes. Personne ne bronche et notre chant
prend une ampleur triomphale. Cravache en main, l’officier donne l’ordre
de tirer18. […]
Malgré les menaces et les coups que le commandant porte à nos gardiens
arabes, les mitrailleuses se taisent toujours. Tous les hommes sont restés
debout. Pas un n’a accepté de se coucher pour échapper à la rafale. Ce
temps, long comme des dizaines de vie, s’éteint dans le silence. Ce n’est
déjà plus qu’une vaguelette joyeuse sur le sable d’une plage19.
Garaudy reviendra sur cet épisode, notamment dans Mon tour du
siècle en solitaire20. Il donnera alors, de l’attitude des gardiens, une
explication à teneur religieuse bien difficile à vérifier : « Ces
inconditionnels de Dieu nous ont fait vivre : il est contraire à
l’honneur de guerriers musulmans du Sud qu’un homme armé tire
sur un homme désarmé. Ils avaient, avant nous, l’expérience de la
transcendance vécue21», interprétation qui semble concorder
davantage avec l’évolution des préoccupations philosophicoreligieuses
de l’auteur qu’avec ce que l’on peut savoir des gardiens
algériens du camp à cette époque, spahis prêtés par l’armée,

17 La plus répandue des chansons du Front populaire dont elle est devenue le
symbole ; paroles de Jeanne Perret, musique de Chostakovitch.
18 Parole d’homme, p. 12 ; voir « Annexe I ».
19 Ibid. p. 16.
20 Mon tour du siècle en solitaire. Mémoires, p. 64-66 ; voir « Annexe I ». Aussi bien
dans cet ouvrage que dans Parole d’homme, Garaudy reprend et développe un
premier récit de 1946, où l’événement n’est pas interprété dans un sens
philosophico-religieux, paru dans Antée. Journal de Daniel Chénier, p. 58-59 (voir
Annexe I.)
21 Ibid. p. 66.
goumiers ou douaïr recrutés localement22. Quoi qu’il en soit, le
drame ne s’est pas produit, ce qui explique l’absence de trace dans
les archives de ce qui ne fut sans doute qu’une manoeuvre
d’intimidation de la part de Caboche. Hyperbolisé par
l’interprétation qu’en donne l’écrivain-philosophe, cet épisode
témoigne d’abord de la force morale des prisonniers et de la
solidarité des gardiens à leur égard, face à l’oppresseur commun.
Aub fera allusion à diverses reprises à cette communauté de
sentiment. Mais le récit de Garaudy souligne aussi la tension
extrême que pouvait créer l’excessive raideur du commandement
exercé par Caboche, campé, comme dans la plupart des
témoignages, « cravache en main23 ».
André Moine (qui donne en outre quelques détails sur le fort
Caffarelli où fonctionnèrent un temps les services administratifs du
CSS, également lieu de transit vers le camp proprement dit, parfois
d’accueil pour les malades, mais surtout mitard pour les
prisonniers punis, « le Collioure de là-bas24 »), confirme à quelques
détails près, avec Lucio Santiago, Paul d’Hérama et Roger Codou,
l’épisode rappelé par Garaudy : solidarité des gardiens,
mitrailleuses, chant qui s’élève (« L’internationale » pour L.

22 Les douaïr, « musulmans mobilisables, engagés pour un service auxiliaire de
police (en arabe : un deïra, des douaïr) » (D’HÉRAMA, op. cit., n. 1, p. 94) ; « corps
spécial de troupes indigènes » (PESCHANSKI, op. cit., p. 269). Ils semblent avoir
rapidement remplacé les spahis.
23 Parole d’homme, op. cit., p. 12. Un autre exemple de tension extrême, avec
menace des mitrailleuses, est fourni par Demusois et Martel. Suite à leur visite
au fort Caffarelli, ils reproduisent une déclaration des prisonniers soviétiques
opposés à leur propre transfert au fort : « […] la Direction nous posa plusieurs
ultimatums, puis appela la troupe, et fit braquer sur nous les mitrailleuses »
(rapport du 25 mars 1943 ; voir « Annexe I »).
24 Félix Gurucharri, in Federica MONTSENY, p. 68, voir « Annexe I » ; du même
témoin, quelques lignes plus lyriques : « Caffarelli, prison immonde, tombe de
beaucoup d’hommes, etc… », ibid., p. 75. « Collioure » : allusion métonymique à
la forteresse tristement célèbre (voir Grégory TUBAN, Les séquestrés de Collioure,
Perpignan, Mare Nostrum, 2003.)

Santiago25), force et victoire morales des internés, sont des
éléments communs aux quatre témoignages. Ces témoins
concordent aussi pour rappeler que ce fut aux premiers internés,
français, qu’il incomba de commencer l’installation du camp, à
environ un kilomètre de Djelfa : aménagement de « plates-formes
horizontales [pour] installer les marabouts », d’« abris pour les
cuisines roulantes » et de « tranchées pour les feuillées » , car
« pour le moment il n’y a qu’une clôture de fils de fer barbelés au
flanc d’un coteau exposé à tous les vents. Nous admirons la
prévoyance des autorités militaires locales : d’abord les fils de fer
de clôture, ensuite les habitations26 ».

L’ordinaire d’un camp
Outre ses témoignages littéraires, ce sont cinq textes non
fictionnels27 d’Aub qui, avec les documents d’archives, permettent
d’élaborer quelques savoirs sur ce qui était officiellement, bel
euphémisme administratif, le « centre de séjour surveillé » de
Djelfa.

A
UTRES TÉMOIGNAGES :
CODOU, Roger, Le Cabochard. Mémoires d’un communiste 1925-1982,
Paris, Maspero, 1983, p. 151-154.
D’HÉRAMA, Paul, Tournant dangereux. Mémoires d’un déporté en
Afrique du Nord (1944-1945), La Rochelle, Imprimerie Jean
Foucher, 1957, p. 81-121 (vraisemblablement le témoignage
français le plus complet sur les débuts du camp du camp de
Djelfa).
GARAUDY, Roger, Antée. Journal de Daniel Chénier, Paris, Éditions
hier et aujourd’hui, 1946, p. 58-59.
Parole d’homme [1975], Paris, Robert Laffont, coll. Actuels, 1980,
p. 11-17.
Mon tour du siècle en solitaire. Mémoires, Paris, Robert Laffont, 1989,
p. 64-66.
GUIJARRO, Frédéric [Federico] et CHAUPIN, Paul, in André
Moine, Déportation et Résistance en Afrique du Nord (1939-1944), Paris,
Éditions sociales, 1972, p. 195-196.
GURUCHARRI, Félix, in Federica Montseny, Pasión y muerte de los
españoles en Francia, Toulouse, Ediciones “Espoir”, 1969, p. 67-76.
KLAJMIC, Leib, « Written report on conditions in Djelfa camp (N.
Africa) », in Release them to fight on. Report of the International Brigade
Association Conference held on april 3rd, 1943, s. é., 1943, p. 10-11.
LUBELSKI, Benjamin, « Aux confins du Sahara, entre Juifs » , in
Danièle Iancu-Agou, « Être expulsé ou interné à Djelfa aux siècles
derniers (1893-1942) », Revue du monde musulman et de la Méditerranée,
nº 115-116, 2007, p. 276-282.
[…]
S
ARGA, Josep, « Un autre Mauthausen » [« Un altre Mauthausen »],
revue Presencia, 377, 7 juin 1975, courrier adressé au directeur de la
publication.
VARGAS RIVAS, Antonio, Guerra, revolución y exilio de un
anarcosindicalista, Almería, éd. de l’auteur, 2008, II parte “Exilio”,
chapitre 2 “El maldito campo de concentración de Djelfa-Argelia”,
s. p. Les pages antérieures font référence au séjour de l’auteur aux
camps Suzzoni et Morand.

ANNEXE II
Journal de Djelfa**
Textes choisis et traduits par Bernard Sicot
IN MEMORIAM
Écorchés vifs, par tout le camp,
quatre Arabes avec un Sergent
tente après tente vont flairant,
et préviennent ; ils cherchent les feux.
Déjà le mercure descend
au-dessous de moins dix degrés,
et l’ouragan multipliant
par plus de cent le froid qu’il fait.
Déjà, relevée par le vent,
la neige redevient nuage,
d’un souffle sombre, noir et blanc.
Pie par le dégel, des collines
aux épaules grises et tranquilles,
plus désertes que le désert,
d’un monde perdu sont l’échine,
monde où le temps ne compte guère.


* Cf. Max Aub, Journal de Djelfa, Perpignan, Ed. Mare Nostrum, 2009,
édition bilingue, étude préliminaire et notes de Bernard Sicot.

Écorchés vifs, par tout le camp,
quatre Arabes avec un Sergent
cherchent des foyers sous les tentes :
« Interdiction de faire du feu »,
le bois appartient à l’État
et vaut plus que les prisonniers !
Le vol des oiseaux s’amenuise
de barbelés en barbelés.
Formant sous la tente une grappe
six ex-hommes sont entassés.
Misère couvrant la misère,
c’est par terre ils sont couchés.
Des haillons recouvrent leurs os.
Ce qu’ils avaient ils l’ont volé
et vendu pour un peu de pain.
Engendrés par le pus français,
fils de gale et de la prison,
tous ces squelettes de douleur,
couverts de poux, d’excoriations,
ont pour manteau un froid féroce.
La peur seule habite leur monde.
Leurs os n’offrent plus de chaleur.
Et la mort vient en réclamant
bien avant l’aube, dès trois heures.
Aucun ne la voit arriver
– du coup de froid au coup de faux
ne peut passer le fil très fin
qui sépare un degré d’un autre –,
et au hasard elle en prend un :
mais sans pouvoir le refroidir.
Avec l’haleine du matin
ils remarquent tous quelque chose.
Ils observent sa bouche en vain ;
se regardent les uns les autres.
202
L’un lui pique son gilet brun,
l’autre sa ceinture de chanvre.
Vert, « le Madrilène » prévient :
« Ce type a passé l’arme à gauche. »
Et voyant qu’il ne bouge point
dans son enclos d’un autre camp,
bûche sculptée par le destin,
au regard indéfinissable,
un moribond propose enfin :
« Eh, toi, et si on le brûlait ? »
Écorchés vifs, par tout le camp,
quatre Arabes avec un Sergent.
3-1-42
[…]


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