Dans
son « Adresse inaugurale au Congrès de l'Internationale» (21 octobre 1864),
Marx, évoquant le mouvement des coopératives de production, souligne « la
valeur de ces grandes expériences sociales... Ce n'est pas par des arguments
mais par des actions qu'elles ont prouvé que la production sur une grande
échelle et en accord avec la vie moderne peut être exercée sans l'existence de
la classe des maîtres employant celle des exécutants; que les moyens de
travail, pour porter fruit, n'ont pas besoin d'être monopolisés ni d'être
détournés en moyen de domination
et d'exploitation des travailleurs ».
Marx,
en exaltant ce grand exemple, marque ses limites :
1° En
régime capitaliste, la coopérative de production peut « reproduire les défauts
du système », c'est-à-dire que les sociétaires propriétaires collectifs
peuvent, à leur tour, exploiter le travail de salariés non membres de la coopérative
;
2° le
pire danger, selon Marx, c'est l'intervention de l'État capitaliste qui, sous
prétexte d'aider la coopérative par ses subventions, la place sous son contrôle
et
l'intègre à son système. Dans sa polémique contre le « capitalisme d'État » de
Lassalle, Marx critique âprement le « Programme de Gotha » (1875) du parti
socialiste
allemand qui réclamait pour les coopératives l'aide de l'État : les sociétés
coopératives, écrit alors Marx, « n'ont de valeur qu'autant qu'elles sont des créations
autonomes des travailleurs et ne sont protégées ni par le gouvernement ni par
la bourgeoisie » ;
3°
enfin, ce serait une illusion de croire que l'on peut ainsi créer des îlots de
socialisme dans un système capitaliste. Le socialisme ne peut être réalisé au détail
: « Pour que les masses laborieuses soient affranchies, déclarait encore Marx
dans son « Adresse inaugurale de 1866 », la coopération devrait prendre une
ampleur nationale. » Ce système coopératif réalisé à l'échelle nationale et
réglant toute la production, c'est le socialisme d'autogestion. C'est le
communisme tel que le concevait Marx d'après le modèle de la Commune de Paris
qui avait décidé de faire fonctionner en autogestion ouvrière les entreprises
abandonnées par leurs propriétaires. Marx écrit alors : « Si la production
coopérative ne doit pas rester une feinte et un piège ; si elle doit remplacer
le système capitaliste ; si des associations coopératives unies doivent régler
la production nationale selon un plan commun, la prenant ainsi sous leur propre
contrôle et mettant fin à l'anarchie constante et aux convulsions périodiques
qui sont la fatalité de la production capitaliste, que serait-ce, messieurs,
sinon du communisme, du très possible communisme? » (La Guerre civile en France,
p.56.)
En
dépit de l'exégèse néo-stalinienne des textes, l'autogestion, loin d'être
« bavardage », est la visée première du marxisme.
« bavardage », est la visée première du marxisme.
La
Commune de Paris en fut la première ébauche historique.
Tout
l'appareil d'État est à Versailles. Avec les possédants. Paris est vidé de son patronat et de ses
politiciens professionnels. Alors que le parlementarisme, par son système de
délégation de pouvoir, mettait le gouvernement, comme le note Marx, « sous le
contrôle direct de la classe dirigeante », la Commune réalise un gouvernement «
pour le peuple et par le peuple », sans médiation d'un parlement ou d'un parti.
« Les
proudhoniens dominent le Comité central de la Commune », comme l'écrivent
Bruhat, Dautry et Tersen. Ils en constituent les deux tiers. Et toutes les
mesures
de la Commune, sauf la création du Comité de salut public inspirée par la
minorité blanquiste, sont prises dans l'esprit proudhonien :
—
démocratie directe, c'est-à-dire non pas transfert d'autorité mais distribution
d'autorité ;
— autogestion
économique ;
—
fédéralisme politique.
Pour
quiconque ne lit pas l'histoire de la Commune en stalinien (c'est-à-dire en
confondant la dictature du prolétariat avec la dictature d'un parti
s'identifiant par
postulat
au prolétariat), la Commune de Paris a ébauché la première «démocratie
socialiste » : la dictature du
prolétariat, c'est la forme
que prend nécessairement la démocratie
socialiste devant une agression contre-révolutionnaire
de l'intérieur ou de l'extérieur. La
Vendée et Coblentz ont rendu nécessaire la dictature jacobine, comme
les Versaillais et Bismarck la dictature des Communards,
comme la contre-révolution et l'intervention étrangère ont rendu nécessaire la
dictature bolchevique.
L’alternative, Roger
Garaudy, pages 223 à 225