Nous avons tous, un jour, fait le
rêve de vivre.
Pour les hommes, à une guerre qui
nous a transformés en soldats.
Pour les femmes à la difficulté de
mener de front leurs maternités et leur vie professionnelle.
A un travail qui nous a réduits à nos
fonctions quand il n'a pas fait de nous des robots.
Pour certains au chômage qui les a
rendus désespérément inutiles.
Jusqu'au jour où nous avons eu la
tentation de nous dire : çà ne sert à rien d'essayer ; on ne peut rien y
changer.
Ce jour là, nous avons commencé à
mourir.
Nous avons commencé à grossir les
rangs de ceux qui se sont enfermés
dans le cercle de ce qui est, qui se
sont habitués à l'idée qu'il n'y a rien à faire,
que l'on ne peut rien changer.
Les uns se font alors une vie tant
bien que mal confortable, mais sans
réussir à se tromper eux-mêmes : ils
sentent bien la marge entre le rêve d'hier
et la réalité quotidienne
d'aujourd'hui.
D'autres ont essayé de sortir de la
cage à coups de pieds, usant de la
violence comme d'un chemin pour aller
au bout de leur rêve, et, au moins
pour n'être pas seuls. Après tout, si
l'équilibre de la terreur est la règle des
rapports entre les peuples, pourquoi
ne pas en faire aussi la règle des rapports
entre les individus ?
Si la concurrence et la loi du plus
fort sont le fondement de notre société
de croissance, pourquoi ne
serait-elle pas le fondement de la société tout court ?
Contre cette violence, qui n'est que
l'application à la vie individuelle de ce qui
est le principe même de nos sociétés,
la police et les tribunaux ne peuvent rien.
Ce qu'il faut changer c'est la
société qui vit, ou plutôt qui meurt, de cette loi
maudite.
Ceux qui ne croient qu'à la police et
aux prisons pour faire régner la loi et
l'ordre, ceux-là aussi ont commencé à
mourir.
C'est pour tous ceux-là, qui ont
commencé à mourir, que nous faisons :
"Appel aux Vivants".
Ce n'est pas le langage de la
politique me direz-vous ?
Etes-vous bien sûr de situer ainsi la
politique à hauteur d'homme ?
La politique commence quand les
autres commencent à exister pour nous.
A exister non pas comme des
obstacles, des concurrents ou des rivaux, mais
comme ceux qui peuvent nous aider à
réaliser la plus belle part de nous mêmes.
C'est là, la dimension communautaire
de notre vie.
Et, bien sûr, nous ne la déploierons
pas tout seuls.
Nous n'y arriverons que si chacun
compte sur les autres pour l'aider.
Pour l'aider à ne pas abandonner, à
ne pas se résigner à une vie qui n'aurait pas
de sens.
Ce n'est plus la bande. C'est la
communauté.
La bande est un moyen de se défendre
contre les autres.
La communauté n'est dirigée contre
personne : elle est ce dont chacun a
besoin pour ne pas renoncer au rêve
qui grandit en lui et qui seul peut donner
un sens à sa vie.
La communauté devient nécessaire le
jour où l'on prend conscience que
seul on glisserait facilement sur la
pente qui nous amènerait à renier notre foi
en l'avenir, à nous renier
nous-mêmes, le jour où nous avons besoin de
quelqu'un qui nous dise non pas ce
que nous avons à faire, mais à prendre
conscience de ce que librement nous
avons un jour voulu faire de notre vie.
Alors chacun retrouve dans la
communauté ce rêve que chacun porte en
lui comme une graine qu'on croit
morte au creux des vies d'individus isolés.
Alors nous commençons à vivre, chacun
sentant que d'autres ont besoin
de mon rêve, comme j'ai besoin du
leur, pour les réaliser tous ensemble.
Ce ne sont peut être que de pauvres
communautés : chacune, au départ,
ne vaut guère mieux que chacun de
ceux qui la composent. Mais nous savons
déjà que nous avons quelque chose à
faire ensemble. Et cela seul suffit pour
nous faire avancer, pour nous faire
prendre en charge notre propre avenir.
Car il ne s'agit pas de prêcher :
l'on ne peut pas changer le monde sans se
changer soi-même sans participer,
activement, en militant, à la transformation
du monde.
C'est cela la dimension proprement
politique de la vie. Elle n'est séparée
d'aucune autre : et surtout pas de la
foi : une politique à hauteur d'homme
commence, comme la foi, lorsque
chacun a conscience d'être personnellement
responsable de l'avenir de tous.
Cette dimension communautaire de
notre vie politique, et cette
dimension de foi de notre vie
personnelle sont inséparables.
Elles transforment le sens même de la
politique et de la vie en ne les
séparant plus.
L'une et l'autre deviennent non plus
des aliénations et des routines, mais
des décisions créatrices.
Voter alors, c'est bien plus que
voter, c'est à dire déléguer et aliéner son
pouvoir à des partis, des élus ou des
chefs qui vous promettent : "Votez pour
nous, et nous ferons le reste".
La politique, c'est au contraire se prendre en
charge, inventer une nouvelle manière
de vivre dans sa vie personnelle
comme dans les rapports sociaux.
Et ceci par quatre décisions
fondamentales :
1°) Prendre conscience de ce qu'il y
a de radicalement nouveau dans nos
vies et dans notre histoire à l'aube
de ce IIIème millénaire,
- dans nos rapports avec la nature et
avec les hommes,
- dans nos rapports avec notre vie et
notre mort.
2°) Prendre position dans nos
rapports avec l'avenir :
- qu'allons-nous faire de 1980 ?
- qu'allons-nous faire des vingt
dernières années de ce siècle ? Ou bien
que vont-ils faire de nous ?
3°) Faire un choix fondamental de
société :
- assassiner l'avenir de nos enfants
et de nos petits enfants et de nos
petits enfants par la volonté de
puissance et de jouissance de notre seule
génération,
- ou bien établir entre nous et la
nature, entre nous et les autres êtres
humains, entre nous et le futur, des
rapports nouveaux qui permettent de
perpétuer et d'ennoblir la vie.
4°) Etablir enfin un projet politique
concret dont chaque point visera à
changer tous les rapports humains
pour en faire des rapports proprement
humains.
I. La
prise de conscience de ce qu'il y a de radicalement nouveau dans
notre vie
et dans notre histoire en cette fin du XXème siècle.
Il y a au moins deux problèmes
irréductiblement nouveaux dans notre
situation d'hommes, et qui sont
indivisiblement des problèmes politiques et
des problèmes de foi: le problème de
la mort et celui de la vie.
1°) Le problème de la mort n'est plus
seulement celui de l ' i n d i v i du mais
celui de l'espèce : pour la première
fois dans l'histoire des hommes, i l est
techniquement possible de détruire
toute trace de vie sur la terre : avec les
stocks d'armes nucléaires existant
actuellement aux Etats-Unis, en Union
Soviétique, et déjà dans une
vingtaine d'autres pays l'on peut mettre fin à
l'épopée humaine commencée i l y a
des millions d'années et transformer
notre planète en un astre mort,
poursuivant, comme la lune, sa course solitaire
et glacée à travers l'espace.
2°) Le problème de la vie se pose
dans les mêmes termes. Il n'est plus
seulement celui de l'individu mais
celui de l'espèce : pour la première fois
dans l'histoire des hommes, à
l'échelle planétaire, nous détruisons la nature
plus vite qu'elle ne se renouvelle et
se reproduit : en 70 ans nous avons détruit
la moitié de l'humus sur 1/3 des
terres cultivées. La production de la pêche a
baissé de 11 % dans le monde entre
1970 et 1975. Si nous continuons dans cette
voie nous assassinons nos petits
enfants.
Certains qui, aujourd'hui encore,
exaltent le progrès et le pouvoir sans fin
de la technique, raisonnent encore
comme des hommes des siècles passés,
comme des hommes préhistoriques :
- ils raisonnent comme au temps où il
s'agissait, pour survivre, de
défendre l'homme contre les menaces
de la nature,
- alors qu'aujourd'hui il s'agit,
pour survivre, de défendre la nature
contre les menaces de l'homme, de ses
techniques et de ses industries.
Il en est de même sur le plan
militaire : en ce domaine, raisonner en
homme préhistorique c'est spéculer
sur la tactique et la stratégie comme au
temps où, l'extension des empires et
des expéditions militaires étaient limitées
par le fait qu'au fur et à mesure que
les lignes d'attaque s'allongeaient, l'envoi
des hommes, des armes et des
équipements devenait de plus en plus difficile. Il
en a été ainsi pendant plus de
cinquante siècles, mais, depuis les années
soixante, à partir du moment où
furent fabriqués des missiles portant à plus de
20.000 kilomètres, c'est-à-dire
d'atteindre n'importe quelle cible à partir de
n'importe quelle base, toute la
technique militaire ancienne était périmée par
cette arme du Jugement dernier. Son
usage par quiconque, et les réactions en
chaîne qu'il susciterait, conduirait
à la destruction du monde :
Aujourd'hui une pensée qui ne soit
pas préhistorique, c'est une pensée
qui juge et transforme le présent non
dans son rapport avec le passé, mais dans
son rapport avec l'avenir.
II.
Comment inventer un avenir à visage humain ?
Telle est la deuxième question que je
voulais poser.
L'avenir n'est pas ce qui sera, mais
ce que nous ferons.
Il n'y a nulle symétrie entre le
passé et l'avenir : le passé est ce qui est déjà
fait ; un seul possible s'est
réalisé, et c'est pourquoi, lorsque nous regardons
derrière nous, nous pouvons avoir
l'illusion que la nécessité domine puisque
des libertés ont été transformées en
destins.
L'avenir, par contre, étant ce qui
nous reste encore à faire, se présente à
nous comme un éventail de possibles.
L'avenir n'est pas à explorer et à
découvrir, comme l'Amérique avant
Christophe Colomb. L'avenir n'est pas
un scénario déjà écrit et dans lequel
un rôle nous serait déjà programmé.
Se trouve donc d'avance disqualifiée
la méthode d'extrapolation de la
"futurologie" positiviste
américaine, à la manière d'Herman Kahn et de ces
Instituts qui mènent une véritable
guerre préventive contre l'avenir, qui
tentent de coloniser l'avenir par le
présent et le passé.
Le "Club de Rome",
notamment dans son premier rapport, celui de
Meadow sur les limites de la
croissance, dépasse déjà ce positivisme pur : i l
nous décrit les dérives
catastrophiques du monde actuel si nous n'intervenons
pas pour qu'il en soit autrement.
Mais le "Club de Rome",
s'il a fait d'utiles mises en garde contre les
dangers de notre modèle de
croissance, ne pose jamais le problème
fondamental : celui des finalités du
système. C'est pourquoi n'émerge pas de
ses travaux un grand projet d'avenir
: l'on s'efforce, à coups d'ordinateurs, de
prévenir les "ratées" du
moteur qui s'emballe, mais on ne songe à aucun
moment à le remplacer au nom d'une
vision profonde de l'homme et de son
avenir. C'est un rapiéçage de
l'ancien et non la création d'un autre avenir.
Notre conception est radicalement
différente :
A mon sens le véritable problème de
la "prospective", comme l'appela
Gaston Berger, ce n'est pas :
qu'est-ce qui va arriver ? (en sous-entendant plus
ou moins : si nous n'intervenons pas
pour qu'il en soit autrement) mais :
quelles seront les conséquences, pour
l'avenir, de nos décisions d'aujourd'hui.
Poser ainsi le problème c'est
répondre à la haute exigence de nos étudiants
de 1968 : l'imagination au pouvoir !
en présentant pour tous nos problèmes les
différentes options possibles et les
conséquences qui en découleront. Sans quoi
nous ferons de la
"futurologie" l'une de ces prétendues "sciences humaines"
dont la méthode positiviste évolue
dans un monde de "faits" dont l'homme
est absent.
Pour changer radicalement cette
société technocratique sans homme et
sans Dieu, dérivant vers un
gigantisme de machines, d'institutions et
d'organisations qui programment
l'avenir de chaque individu et détruisent la
planète, l'explosion de 1968, même si
elle fut vaincue et récupérée, a ouvert
une brèche : ce que la jeunesse
étudiante ou ouvrière criait alors dans les rues,
est devenu aujourd'hui l'affaire de
tous : l'ordre établi et ses institutions ne
peuvent plus éviter d'être mis en
question : quelle est la finalité de l'entreprise
? la finalité de l'école ? de l'armée
? de l'Eglise ? de l'Etat ?
Pourquoi ? Pourquoi ? La question ne
peut plus être éludée.
Il existe désormais une force
potentielle capable d'opérer une mutation
radicale de nos sociétés.
Les questions sont posées par des
millions de gens sous une forme
balbutiante et angoissée. Le problème
est d'exprimer clairement l'exigence qui
s'affirme confusément dans les masses
immenses, d'exprimer l'espérance et la
force qui est en tous.
Quelle est cette exigence lancinante
qui ne peut trouver jusqu'ici son
expression ni dans nos entreprises
économiques, ni dans nos institutions
politiques, ni dans nos écoles, nos
églises ou nos partis, et dont la puissance
jeune et saine, va se dévoyer parfois
dans la drogue, la fuite dans l'exotisme, la
moto, le bruit ou la violence ?
Des milliers de femmes et d'hommes
refusent le rôle qui leur est assigné
dans nos sociétés de croissance
aveugle où le travail comme les loisirs, la
consommation comme la production, la
culture comme la morale, ont
programmé leur vie.
La révolution française de 1789, en
opposition à des hiérarchies
héréditaires d'essence féodale,
mettait au premier plan le droit à l'égalité. La
gigantesque mutation en cours met au
premier plan le droit à la différence, le
droit à la particularité, le droit
d'être soi-même et non pas ce qu'une société
nous impose d'être.
Il ne s'agit nullement d'une
revendication anarchiste ou égoïste. Tout au
contraire : l'attraction exercée par
les sagesses orientales de l'hindouisme, du
bouddhisme zen ou du Tao, est plus
qu'une manière de sortir du rôle imposé,
de le fuir et de le défier, son moi
profond, à l'école d'un Orient qui enseigne
que le petit moi est un illusion et
que l'humain et le divin ne font qu'un.
En son fond ce mouvement est celui
d'un renouveau de la foi. Les églises
et les temples sont déserts parce
qu'ils ne savent pas découvrir les nouvelles
questions, et ne savent donner que de
vieilles réponses dans un vieux langage
en lequel les jeunes ne trouvent plus
de sens, un renouveau sans précédent de
la foi est en train de s'opérer : il
n'y a pas aujourd'hui de crise de la foi, mais
crise de la culture dans laquelle
s'est trop longtemps exprimée cette foi, la
culture occidentale, gréco-romaine,
puis scientiste et technocratique avec le
gigantisme écrasant de ses modes de
production et de ses bureaucrates.
Ce gigantisme aveugle détruit à la
fois l'homme et sa planète. C'est le sens
profond de la protestation
écologique, car l'écologie est par excellence, un mode
de résistance à cette désintégration
: à un moment où la nature nous apparaît
moins comme une grande machine que
comme un grand organisme et une
grande pensée, il est de plus en plus
coupable de ne pas voir que la nature
entière est le corps de l'homme, et
que le gigantisme technocratique détruit en
même temps l'homme et la nature,
l'homme et son environnement, car tout
dans la nature est organiquement lié
et l'homme fait pleinement partie de ce
tout.
La revendication du droit à la
différence et à la particularité n'est pas non
plus sur le prolongement de
l'individualisme bourgeois qui est un sous
produit de la société de concurrence
et de marché. L'affirmation de soi n'est au
contraire possible que par la
relation entre deux êtres différents et leur
fécondation réciproque. Le besoin
croissant de communauté, de véritable
communication humaine n'est possible
que dans une société qui n'est plus un
conglomérat d'individus abstraits,
vidés de leur particularité et définis
seulement par leur fonction, atomisés
par la concurrence, banalisés dans ses
chaînes de production, de supermarché
ou de télévision. Un véritable rapport
humain et une communauté véritable ne
sont possibles que par l'unité
symphonique de femmes et d'hommes qui
n'ont pas été mutilés de leur
dimension proprement humaine, de leur
droit à la différence et à la création.
C'est un même cri d'angoisse et de
révolte qui s'élève de notre jeunesse à
qui l'on refuse le droit à la
différence et à qui l'on ne propose pas une vie qui
ait un sens, du Tiers Monde à qui
l'on refuse l'identité culturelle et les
perspectives d'un développement
autonome, et de la nature profanée épuisée
dans ses ressources rares et
défigurée par nos pollutions.
Comment répondre à ce cri ?
Et d'abord, que va-t-il se passer si
nous continuons à nous comporter
comme nous le faisons ?
Le problème clé est celui de
l'énergie car à toutes les époques de l'histoire
la manière dont une société se
procure son énergie conditionne pour une large
part les structures économiques,
politiques, sociales et même spirituelles de
cette société, depuis la découverte
du feu jusqu'à celle du collier d'attelage du
cheval, de la machine à vapeur à la
centrale nucléaire.
Je ne veux pas m'étendre sur la
signification du nucléaire militaire.
Du nucléaire civil je ne traiterai
pas à partir de la possibilité d'accidents
graves, qui ne sont aucunement
exclus, mais simplement de ce qu'elle
implique en fonctionnement normal.
Et d'abord de la pollution politique
qu'il implique : les risques de sabotage
ou de détournements de matières
fissiles et de terrorisme sont tels, même en
temps de paix, que ce système conduit
nécessairement à un régime de
surveillance policière de chaque
citoyen. C'est ce que dans mon livre, "Appel
aux Vivants", j'ai résumé en
disant : choisir le nucléaire c'est préparer le
goulag.
Ce réseau de Centrales nucléaires est
si vulnérable que l'un des plus
brillants généraux français a pu dire
qu'un bombardement de l'une de ces
Centrales, même conventionnel (du
type de ceux de la dernière guerre
mondiale) aurait des conséquences
aussi graves qu'une bombe d'Hiroshima,
non pas par explosion (car une
centrale nucléaire n'explose pas, sauf lorsqu'il
s'agit de surrégénérateurs comme
Superphoenix qui est une menace
permanente pour Genève comme pour
Lyon) mais par dissémination
d'effluents radioactifs. Si bien
qu'un pays disposant d'un réseau de centrales
nucléaires aussi délirant que celui
du plan français, est militairement
indéfendable.
L'option nucléaire aggrave aussi très
profondément la tension Nord-Sud,
car les investissements dans le
nucléaire réduisent à un minimum dérisoire les
recherches sur les autres formes
d'énergies, celle précisément qui pourraient
aider le Tiers Monde, notamment
l'énergie solaire.
Ajoutons qu'en dehors de ces
différents aspects de la pollution politique
du nucléaire, même en fonctionnement
normal, l'accumulation des effluents
radioactifs, soit par inhalation
directe, soit par concentration dans les chaînes
alimentaires, augmente le nombre de
cancers, comme cela a été établi pour le
Centre français de la Hague et pour
le centre d'Hanford par le Professeur
Mancuso et Madame Alice Steward, sans
compter les mutilations génétiques
entraînant des fausses couches et des
enfants anormaux.
C'est dire que la contamination
progressive et généralisée de la biosphère,
constitue un véritable attentat
contre l'avenir de l'espèce humaine.
A ce niveau l'angoisse de l'écologie
prend toute sa signification tragique.
L'écologie est une dimension
fondamentale de l'homme : celle de son
rapport avec la nature, qui ne peut
être séparé du rapport avec l'homme, et du
rapport avec la foi en l'avenir ;
elle est une composante majeure d'un projet
global, et lui donner sa légitime
dimension politique c'est l'intégrer à un projet
global, à toute une
"mutation" de civilisation, seul capable de vaincre les forces
de mort.
Là, est le problème central du proche
avenir : le renouveau viendra non
d'un parti politique ou d'une
coalition mais d'un réveil de la foi dans laquelle
la politique ne sera pas un domaine
séparé produisant lui-même ses propres
fins, comme le nationalisme au temps
de Machiavel ou la croissance aveugle
aujourd'hui, mais une dimension de
l'homme, intégrée à d'autres dimensions
: telles que la politique (le rapport
avec les autres hommes), ou la foi (quelle
qu'en soit la source), c'est-à-dire
le rapport avec la transcendance, avec la
possibilité permanente de rompre avec
notre passé.
Le fatalisme a ceci de maléfique
qu'il suffit d'y croire pour qu'il devienne
vrai : si je crois qu'un phénomène
est fatal je n'entreprends rien pour
l'empêcher et i l devient
effectivement fatal.
Plaçons -nous maintenant dans la
seconde hypothèse : contre tous les
choix politiques qui aujourd'hui nous
conduisent à la mort, nous décidons de
défendre notre avenir et celui de nos
enfants.
Nous avons acquis la certitude que
c'est possible.
Il n'y aura pas de changement réel si
l'on ne met pas au premier plan les
vrais problèmes, ceux dont dépendent
notre vie et notre mort : ceux de la
croissance et de l'atome, et si
chacun ne se considère pas comme
personnellement responsable du destin
de tous.
Il y a dans chaque parti comme dans
chaque église des vivants et des
morts. Nous appelons les vivants à
réveiller les morts.
Seule cette immense levée de tout un
peuple peut nous arracher à la
logique de la mort et rendre possible
des choix nouveaux sur des objectifs
précis.
Déjà de remarquables contributions
ont été apportées à l'élaboration d'une
"autre politique".
J'appelle : "autre politique" une politique qui ne soit pas
seulement une technique d'accès au
pouvoir et de maintien au pouvoir, mais
au delà de ces visées dérisoires et
rampantes, une politique "à hauteur
d'homme", c'est-à-dire une
réflexion sur les buts de la société global et sur les
moyens à mettre en oeuvre, au niveau
de l'économie, de la politique, de la
culture, pour que chacun, femme ou
homme, participe aux choix de ces fins et
aux décisions prises pour les
atteindre.
Ces contributions ont été apportées
notamment par les mouvements
féminins, et je pense qu'il y a là le
germe d'une mutation sociale telle que
l'humanité n'en a pas connu depuis
6.000 ans, depuis la fixation au sol des
nomades et la naissance de
l'agriculture. Depuis lors ont régné sans partage,
dans les rapports sociaux, les
valeurs dites "viriles" : celles du combat, de la
rivalité, de la guerre de tous contre
tous, avec ses égoïsmes et ses violences.
Les valeurs les plus hautes, celles
de la communauté, de la générosité, de
l'amour dans tous les sens du terme,
ont été refoulées bafouées, assujetties, en
même temps que les femmes, qui en
étaient porteuses, étaient confinées dans
la famille, sans que leur soit donnée
la possibilité de les faire triompher dans
l'ensemble des rapports sociaux
puisque les principaux postes dirigeants leur
étaient refusés.
Il n'y aura de mutation véritable que
lorsque les femmes auront
pleinement leur place aux leviers de
commande de l'économie et de la
politique comme de la culture.
Une autre contribution décisive a été
apportée par les écologistes lorsqu'ils
ont, les premiers, pris conscience
que, pour la première fois dans son histoire,
"l'homme s'est donné les moyens
de consommer les ressources plus vite que
la nature ne les produit ou ne les
renouvelle, et d'entamer le "capital" terrestre,
c'est-à-dire les ressources non
renouvelables de la "planète" comme ils
l'écrivaient dans leur Manifeste. Ils
ont les premiers poussé le cri d'alarme en
montrant qu'une telle attitude envers
la nature mettait l'espèce humaine en
danger de mort. Naturellement on les
traite d'utopistes et René Dumont
brandit comme un drapeau ce qu'on lui
jetait comme une insulte, dans son
livre : "L'Utopie ou la
mort".
Aujourd'hui, même pour ceux qui ont
cru longtemps n'avoir le choix
qu'entre les voies traditionnelles,
des milliers de femmes et d'hommes,
cherchent à sortir de l'impasse où
ils ont été entraînés : contre un Etat sans
visage et des partis sans message,
tous centralisateurs et bureaucratiques à
outrance, tous dominateurs et
aliénants, ces femmes et ces hommes, veulent
construire un avenir à visage humain,
reconnaissant la valeur de la différence,
et tendant à recréer, à la base, dans
les entreprises, dans les régions, dans chaque
communauté, un tissu social
désintégré par le centralisme comme par
l'individualisme, et qui ne peut
naître que si l'on crée les conditions
économiques, politiques, culturelles,
pour que chaque femme et chaque
homme intervienne à tous les niveaux
comme créateur et comme responsable,
dans l'autodétermination des fins et
l'autogestion des moyens.
III. Le
choix fondamental, aujourd'hui, est celui du modèle de croissance,
avec ses
conséquences mortelles :
- la production d'énergie nucléaire,
- l'armement atomique.
En ce qui concerne la croissance i l
est peu de notion aussi absurde que celle
de PNB, de "Produit National
Brut" sur lequel elle est fondée.
Le PNB c'est le total obtenu par
l'addition des dépenses de consommation,
des investissements privés, et des
dépenses de l'Etat.
Le PNB ne tient compte que de ce qui
se paye en argent. De telle sorte par
exemple, comme le note Denis de
Rougemont, que si chaque ménagère allait
faire le ménage de sa voisine et
était rétribuée par elle, et réciproquement, le
PNB du pays augmenterait d'un tiers.
Mieux encore, le PNB et le taux de
croissance s'accroissent de tous nos
malheurs : si par exemple demain
matin 2 millions d'accidents d'automobiles
se produisaient le PNB monterait en
flèche en additionnant les factures des
carrossiers, des prothésistes, des
cliniques et des chirurgiens.
Et c'est vers ce taux de croissance
que marchent économistes et politiciens,
les yeux fixés sur lui comme ceux des
rois mages vers l'étoile de Bethléem.
Cette croissance est le Dieu caché de
nos sociétés et la publicité en est la
liturgie démentielle.
Elle détruit la terre et l'avenir des
hommes.
C'est au nom de cette conception de
la croissance que les peuples
occidentaux, par le colonialisme
d'abord, par les multinationales ensuite, ont
créé le sous-développement et les
famines du Tiers Monde, en épuisant à leur
seul profit les ressources rares de
la planète.
Si nous continuons dans cette voie,
nous occulons le Tiers Monde à
l'extermination et à la révolte.
Alors que la Commission de l ' O NU
sur la faim dans le monde a révélé à
Ottawa qu'en 1978 cinquante millions
d'êtres humains, dont 17 millions
d'enfants sont morts de faim dans le
monde, alors que les 16 nations les plus
riches du monde ont dépensé 400
milliards de dollars en armements, ce qui
représente l'équivalent du budget
total des pays de la moitié la plus pauvre du
monde. Qui peut raisonnablement
penser que 400 millions d'occidentaux (dont
1/3 d'ailleurs n'atteint pas le
minimum vital), pourront poursuivre
impunément le festin de la croissance
cernés par 2 milliards d'affamés dont la
moitié ont moins de 25 ans ?
Un autre comportement et un autre
choix sont possibles. Une autre
option exige que nous rompions avec
la conception occidentale de nos rapports
avec la nature, avec la société, avec
l'avenir et avec le divin.
D'autres rapports ont été conçus et
vécus par d'autres civilisations, celles
qui furent niées ou détruites par
l'individualisme et la volonté de puissance
des conquérants occidentaux de la
Renaissance : celles des Indiens d'Amérique,
de l'Afrique Noire, de l'Islam, de
l'Asie.
J'en voudrais donner un exemple :
Lors d'un débat, en Afrique, la
question fut posée :
"A qui appartient la terre
?"
Un ami africain noir répondit :
"La terre appartient à une communauté
immense dont certains membres sont
déjà morts, certains vivent actuellement,
d'autres ne sont pas encore
nés".
Et il ajoutait : "Nous sommes
responsables de tout et de tous !"
Cet homme n'était ni chrétien, ni
musulman, mais ce que nous appelons
d'ordinaire : animiste. Mais c'est là
ce que j'appelle un "homme de foi", car
pour lui la vie c'est plus que ma
vie, je suis responsable de la totalité de la vie
et cette responsabilité ne s'arrête
pas à mon petit moi et à ma petite mort.
Mais si nous sommes inspirés,
chrétiens ou non, par la vision de la vie de
notre homme de foi, nous sommes tenus
de nous poser des questions très
concrètes : est-ce que nous avons le
droit, pour le pétrole, pour la nourriture ou
d'autres ressources, de dilapider au
profit d'une seule génération les richesses
engrangées dans la terre ou la mer
depuis des millions d'années ? Nous
devons choisir une attitude : ou bien
puiser sans vergogne dans les stocks non
renouvelables, nous comportant ainsi
en pirates chasseurs de trésors, avec tout
ce que cela implique de conflits,
d'affrontements, de violences de toutes sortes
entre les pirates rivaux,
d'exploitation, de misère, de faim et de mort pour les
peuples victimes de ce pillage, ou
bien, au lieu de puiser dans les stocks non renouvelables, nous insérer dans
les flux pratiquement inépuisables de la terre.
du soleil, des eaux et des vents pour
ne pas laisser à nos enfants et à tous les
peuples un monde invivable.
Rien ni personne ne peut nous
dispenser de ce choix.
Nous en viendrons bientôt, sous peine
de mort, à rechercher l'énergie en
nous-mêmes en redécouvrant la seule
énergie spécifiquement humaine : le
pouvoir de choisir les finalités, le
sens, les valeurs de la vie.
La décision de donner la priorité aux
choix de cette énergie-là constituera
la plus grande et peut-être la seule
véritable révolution de la société
industrielle.
IV. Nous
ne sommes ni des critiques sans action ni projet, ni des utopistes
rêveurs.
Nous ne sommes pas des partisans de
la "croissance zéro".
Nous ne demandons pas de laver le
linge à la main.
Mais nous avons, par exemple, acquis
la certitude qu'il est dès maintenant
possible d'avancer un projet
technique permettant de mettre fin au chômage.
Il s'agit de favoriser délibérément
l'esprit d'entreprise dans les branches
d'industrie les plus utiles pour la
Nation, les plus créatrices d'emploi et les plus
capables de limiter nos importations.
J'ai dans mon livre montré en détail
comment avec les crédits
actuellement affectés au nucléaire
l'on pourrait produire autant d'énergie, et
créer en France 2 millions d'emplois
en trois ans.
En investissant, à la fois dans les
entreprises d'économie d'énergie, dans la
production d'énergies renouvelables,
celles de l'eau dont toutes les ressources,
en France, sont loin d'être
exploitées, celles du soleil sous toutes ses formes, et,
notamment la production de méthane
par fermentation de déchets organiques,
le chauffage des grandes villes par
les nappes d'eau chaude qui sont dans le sol.
Pour atteindre ce résultat et
stimuler la création de milliers d'entreprises
de ce genre disséminées sur tout le
territoire et créer des emplois sur place, l'on
peut agir par encouragement fiscal en
détaxant les entreprises ou les
particuliers n'utilisant pas les
énergies non renouvelables (pétrole, nucléaire,
charbon), par dissuasion fiscale en
traquant les gaspillages d'énergie et en les
surtaxant, par exemple les transports
routiers à longue distance.
Et surtout, avoir un plan à long
terme d'investissement fondé sur une
émission de "monnaie liée",
liée à la création de ces entreprises prioritaires, au
lieu de s'enfermer dans la cage de
l'économie classique, doctrinaire, qui nous
conduit à la hausse des prix et à
l'augmentation du chômage parce qu'elle ne
tient compte que de ce qui
"apparaît" sur le marché, sans se demander si les
marchandises produites sont utiles,
inutiles, ou même nuisibles (telles, par
exemple, que l'armement).
Les entreprises à taille humaine
ainsi créées permettraient des modes de
gestion dans lesquelles le
travailleur ne serait plus un rouage dans une
immense machinerie anonyme, mais
pourrait participer à l'autodétermination
des fins.
Etablir un statut favorisant le
développement de coopératives de
production et de consommation et
l'articulation entre les deux permettrait,
comme je le montre dans mon
"Appel aux Vivants", dans le secteur
alimentaire, par exemple (Migros en
Suisse en a fait la preuve) de réduire de 20
% le prix des denrées fondamentales
tout en assurant aux producteurs agricoles
la garantie d'une vente équitable
grâce à la pression exercée sur les
intermédiaires parasites spéculant au
détriment du producteur comme du
consommateur.
Il est dès maintenant possible, pour
changer fondamentalement les
rapports sociaux :
- de créer une nouvelle croissance
qui ne soit plus la croissance broyeuse
des hommes et de leur liberté, une
nouvelle croissance qui ne conduise plus à
un prétendu "équilibre"
nucléaire de la terre principale menace contre la paix
et la sécurité des peuples. Une
croissance non plus quantitative mais
qualitative, semblable à celle qu'une
mère rêve pour son enfant et chacun de
nous pour ceux qu'il aime. Une
croissance au sens où l'entendait Saint
Grégoire de Nysse lorsqu'il écrivait
: "Dieu c'est l'éternelle découverte de
l'éternelle croissance".
- d'ouvrir l'Europe au monde et
d'abord au Tiers Monde, en se mettant à
l'écoute des autres cultures, car les
problèmes posés par le modèle occidental de
croissance sont posés à l'échelle
planétaire et ne seront résolus que par une
concertation planétaire avec les
peuples, les cultures et les sagesses de trois
mondes. C'est l'une des conditions
primordiales d'une paix véritable, c'est-àdire
sans injustice et sans domination.
- de transformer radicalement
l'éducation en ne lui donnant plus pour
objet d'adapter l'homme aux besoins
de l'ordre existant mais d'inventer le
futur : i l faut pour cela apprendre
à l'enfant, que le monde n'est pas une réalité
toute faite, inexorable, mais une
oeuvre à créer.
- de décentraliser les pouvoirs afin
de donner vie aux régions, aux
collectivités locales, aux
communautés de base (groupements féminins, centres
de culture et de sport, unions de
consommateurs ou d'usagers), afin que chaque
problème soit résolu au niveau où il
se pose et non pas, invariablement, au
niveau des bureaucraties centralisées
et sans visage.
- d'établir avec la nature d'autres
rapports - qui ne seraient plus
irresponsables - afin de sauvegarder
le milieu nécessaire à l'épanouissement
humain, y compris de notre propre
corps, et de ne pas laisser à nos enfants un
monde vidé de ses ressources rares et
saccagé par nos pollutions.
Dans cette vois nous avons la
possibilité de rendre à notre peuple la
maîtrise de son avenir, de nous
arracher aux dérives mortelles de la croissance
aveugle et de l'atome, de n'être plus
livré aux doctrinaires et aux technocrates
au service des multinationales du
pétrole et de l'uranium.
Pour sortir de l'ornière nos pays
occidentaux n'ont pas besoin d'un
Bonaparte, mais de milliers de Gandhi
éveilleurs : d'hommes et de femmes