Une étude d’un grand intérêt théorique et politique vient de
paraître en français, présentée par M. Roger Garaudy. Il s’agit du « testament de Varga »
rédigé en 1964, année de la mort de son auteur. Il est suivi d’une
série de textes de Lénine, auxquels se réfère Varga dans son étude. Le
tout — la présentation, le testament, les textes de Lénine — constitue
une importante contribution à la connaissance de l’Union soviétique et à
la critique de son régime actuel (1).
Economiste averti, Eugène Varga a été le premier à prévoir la crise économique mondiale de 1929. Il a écrit lui-même et dirigé une série de travaux sur les économies mondiale et soviétique. Ses analyses personnelles ont été à plusieurs reprises désavouées publiquement et ses livres retirés de la circulation. Rendu prudent par ces faits, il s’est tenu, du vivant de Staline, sur une prudente réserve. Critiqué, il n’a pas hésité à reconnaître ses prétendues erreurs, ce qui ne lui a pas évité la disgrâce, mais lui a permis de survivre à son redoutable « protecteur ».
Même après le dégel, Varga n’a pas osé trop s’engager dans la déstalinisation ; tout en approuvant la plupart des initiatives de M. Khrouchtchev, il s’est montré réticent quant à certaines de ses réformes improvisées. Il est mort pendant l’année de la disgrâce de M. Khrouchtchev ; c’est seulement quatre ans après sa mort, en 1968, que son « testament » a a été diffusé par la revue clandestine Phénix, circulant sous le manteau à Moscou.
L’authenticité de ce texte n’a jamais été contestée par les dirigeants soviétiques, qui ont préféré ignorer son existence. Un exemplaire du « testament » a été saisi par les services de sécurité lors d’une perquisition opérée chez le général Grigorenko. Un autre exemplaire a été apporté en France par un vieux bolchevik lors d’un voyage à l’étranger. Ce n’est ni un livre ni un article, mais ce qu’on appelle en U.R.S.S. un « konspect », c’est-à-dire l’esquisse d’un livre qui n’a jamais été rédigé.
On est frappé par le décalage entre l’extrême réserve de l’auteur dans ses publications officielles et ce texte où, laissant de côté les précautions habituelles, il remet en cause, avec une audace singulière, tous les tabous et fait, à la veille de mourir, le bilan critique du régime qu’il a servi fidèlement durant quarante-quatre ans On peut dire qu’il se rattrape de la longue période de conformisme où, sous peine de disparaître, il écrivait souvent le contraire de ce qu’il pensait. Le prudent, trop prudent Varga — mais qui oserait le blâmer ? — se défoule dans son dernier écrit, où, enfin, il peut dire ce qu’il considère comme « la vérité ; toute la vérité ».
Deux facteurs contribuent à l’importance de cet ouvrage ; le premier, c’est l’analyse des théories successives de Lénine sur le passage au socialisme en Russie ; le second, c’est une critique corrosive du régime soviétique qu’il considère comme une « caricature du communisme ». Ses critiques apportent assez peu d’éléments nouveaux. D’autres avant lui les ont formulées. Mais elles émanaient des opposants ou des adversaires ; on pouvait, et on ne manquait pas, les traiter de partisanes et partiales.
Le fait qu’un vieux communiste, qui n’a jamais fait de l’opposition, se libère la conscience et confirme avec éclat ce qui a été dit à propos des déformations bureaucratiques et des clivages sociaux en U.R.S.S. donne à cette prise de position un poids particulier. Car c’est l’un des dignitaires soviétiques, ayant accès à peu près à toutes les sources, qui énonce un jugement extrêmement sévère non seulement sur ce qui existe en U.R.S.S., mais aussi sur l’avenir du régime qu’il a contribué à consolider.
C’est seulement à la suite de la victoire commune remportée par l’alliance des ouvriers et des paysans que le prolétariat révolutionnaire des villes et des campagnes pourrait se fixer comme nouvel objectif d’instaurer sa dictature et d’entreprendre la construction du socialisme. Dans cette perspective, le passage de la révolution bourgeoise paysanne à la révolution prolétarienne aurait pu couvrir toute une période historique.
Ce premier schéma a été abandonné par Lénine dans les thèses d’avril 1917, qui préconisaient la conquête du pouvoir par les Soviets et l’instauration de la dictature du prolétariat. Le tournant décisif a été pris en fonction de l’analyse des événements internationaux. Lénine considérait que la révolution socialiste était imminente dans les pays capitalistes évolués et que la révolution en Russie devait briser l’anneau le plus faible de la chaîne de l’impérialisme mondial, ouvrant l’ère des guerres et des révolutions. C’est pourquoi il croyait que le passage au socialisme pouvait s’accomplir plus rapidement en Russie avec l’aide du prolétariat au pouvoir dans les pays industriels.
Ce deuxième schéma s’est révélé irréalisable puisque, non seulement du vivant de Lénine, mais quarante-six ans plus tard, la révolution socialiste n’a eu lieu dans aucun pays occidental, alors que des révolutions de type soviétique ont triomphé dans des pays dont le niveau de développement, sauf en Tchécoslovaquie et en Allemagne orientale, était égal ou inférieur à celui de la Russie.
Se rendant compte du retard de la révolution en Occident, Lénine a esquissé, peu avant sa mort, une troisième voie que Varga définit comme la « voie russe de passage au socialisme ». Lénine a affirmé qu’il n’était pas obligatoire d’attendre que les forces productives atteignent un niveau déterminé de développement pour entreprendre l’édification du socialisme ; qu’on pouvait renverser l’ordre habituel des choses et, pour sortir d’une « situation sans issue », commencer par prendre le pouvoir afin de rattraper le niveau de production et de culture des pays évolués. Ce schéma s’appliquait non seulement à la Russie, placée entre l’Occident et l’Orient, mais à d’autres pays sous-développés.
Il avait précisé que la coopération volontaire, favorisée par des avantages économiques et fiscaux, devait permettre d’entraîner, au bout de vingt à trente ans, les petits producteurs agricoles dons la voie du socialisme. Ainsi à la célèbre formule : « Le socialisme c’est le pouvoir des Soviets plus l’électrification », Lénine a ajouté celle, moins connue : « La coopération, plus la culture, c’est tout ce qu’il faut pour réaliser le socialisme. »
Ce troisième schéma n’a pas eu un sort meilleur que les précédents. La coopération volontaire ne progressant que lentement à la campagne, Staline lui a substitué la collectivisation forcée, en imposant aux paysans l’adhésion aux kolkhozes. Il a, en même temps, accéléré les rythmes du développement industriel, après avoir rompu avec Boukharine qui voulait intégrer progressivement les koulaks dans le socialisme en accordant la priorité à l’industrie légère.
Varga, tout en désavouant les formes de répression employées par Staline, condamne l’opposition de droite et de gauche, déclare que l’activité des opposants pouvait être dangereuse pour l’Etat soviétique. Il affirme que les premiers plans quinquennaux ont permis, au prix de lourds sacrifices, de créer une industrie moderne, lourde et d’armement, ce qui a sauvé l’U.R.S.S. lors de l’invasion nazie.
Contrairement à Lénine, Staline n’a jamais cru au dépérissement de l’Etat. Varga lui donne raison, puisque les mesures envisagées par Lénine ont été inapplicables en Russie. Il est vrai que l’ancien appareil de l’Etat tsariste a été brisé au sommet, mais à la base les anciens fonctionnaires, profitant de leur expérience administrative, se sont vite infiltrés dans les nouvelles institutions, en y apportant l’ancien style de direction et en dépossédant les Soviets, souverains en théorie, de la réalité du pouvoir. Au lieu de fonctionnaires élus et révocables, payés au salaire moyen d’ouvrier, comme l’avait prévu Lénine, les bureaucrates pratiquement inamovibles, touchant des traitements élevés, se sont très vite rendus indépendants de leurs mandants.
Cette explication nous paraît un peu courte, pour cette simple raison que ces éléments déclassés n’ont joué qu’un rôle marginal dans la révolution d’Octobre, que leur nombre était relativement restreint et que la nouvelle bureaucratie soviétique se recrutait en grande majorité dans le prolétariat et l’intelligentsia révolutionnaires.
Selon Varga, trois types de l’Etat soviétique étaient possibles. Celui de la démocratie économique, préconisée par l’opposition ouvrière, qui voulait confier la gestion de l’économie au congrès des producteurs, groupés en syndicats. Lénine a traité, à tort, croyons-nous, cette tendance d’anarcho-syndicaliste. Il lui reprochait de mettre en question le rôle dirigeant du parti et du prolétariat, en confondant les travailleurs salariés avec les petits producteurs autonomes.
Il opposait à ce projet celui du « centralisme démocratique » consacrant le rôle dirigeant du parti dans l’Etat, les syndicats ouvriers ne devant pas participer à la gestion de l’économie, leur intervention directe dans ce domaine étant jugée néfaste. C’est seulement dans quinze à vingt ans que les syndicats pourraient prendre en main la gestion. Il signalait que l’ « Etat ouvrier présentait une déformation bureaucratique » et que « les syndicats devraient pendant des dizaines d’années défendre les intérêts matériels et moraux du prolétariat contre leur propre Etat ».
Le troisième type de l’Etat soviétique, qui s’est imposé, est celui du « centralisme bureaucratique » qui réduit les syndicats au rôle de courroies de transmission des consignes du parti, ce dernier étant lui-même dessaisi de ses prérogatives au profit d’un appareil échappant à son contrôle. Encore du vivant de Lénine, la tendance bureaucratique l’a définitivement emporté tant dans la gestion de l’économie que dans la direction de l’Etat. Lénine croyait que la bureaucratisation de l’appareil soviétique était un phénomène passager et qu’on pouvait le contrecarrer, grâce à la révolution culturelle, en élevant le niveau de vie et de connaissance des travailleurs, en augmentant progressivement le rôle des syndicats ouvriers et des coopératives paysannes. « Aucune de ces espérances de Lénine ne s’est réalisée... Sous un rapport comme sous un autre, Lénine a vraiment été, déclare Varga le « rêveur du Kremlin » (p. 57).
Tandis qu’il rêvait, dans l’isolement dû à une impitoyable maladie, d’un redressement devenu impossible, Staline, maître tout-puissant de l’appareil du parti, préparait l’éviction de tous ceux qui s’opposaient à sa politique et à sa personne.
Varga attribue les causes de ce processus à la « voie russe de passage au socialisme », découlant de la situation révolutionnaire de 1917. Selon lui, la révolution d’Octobre avait un caractère ambigu, elle n’était que partiellement socialiste, elle était en même temps une révolution bourgeoise paysanne. La victoire était due à la conjonction de ces deux révolutions. Une fois au pouvoir, les bolcheviks étaient obligés de relever les ruines, de développer l’industrie et de répandre l’instruction élémentaire des masses. Ils ne pouvaient le faire qu’en ayant recours à un centralisme impitoyable et à l’ « accumulation socialiste primitive », en prélevant une part très élevée du produit national en vue des investissements. Varga emprunte cette théorie à l’économiste trotskiste Eugène Préobrajenski, disparu en 1937.
Alors que « les travailleurs reçoivent le salaire minimum qui, en raison des prix élevés, leur permet à grand-peine de joindre les deux bouts... la bureaucratie supérieure du parti et de l’Etat, y compris les militaires, ainsi que les travailleurs de la science et de l’art qui ont fait carrière », sont surpayés.
« Dans l’agriculture, la situation est encore pire. La direction stalinienne a placé les kolkhozes sous le régime permanent des réquisitions collectives et de la gestion forcée... Souvent, le volume des livraisons en nature était si énorme qu’il excédait les possibilités des kolkhozes, si bien que la rétribution du travail était dérisoire, parfois même insignifiante... La direction stalinienne a ruiné les kolkhozes... et a enlevé à de nombreux kolkhoziens tout intérêt pour le travail » (p. 70).
« Les rapports économiques réels dans l’industrie et l’agriculture sont entrés en contradiction criante avec l’idéal du communisme et le programme du Parti... écrit-il plus loin. Les privilégiés de la nomenclature et leurs familles disposent de moyens excessifs parce qu’ils s’approprient, en vertu d’un code juridique secret, une certaine partie de la plus-value... »
Cependant, « le trait le plus dangereux dans l’activité de cette aristocratie n’est pas son penchant pour les abus personnels, mais son incapacité générale à gouverner véritablement le pays. En raison même de leur nature bureaucratique.
Les dirigeants du parti font preuve de plus en plus d’inertie et de conservatisme... Ils se plongent dans la paperasserie administrative, évitent toute initiative novatrice en matière d’organisation, enterrent les inventions techniques les plus précieuses.... Cela coûte terriblement cher à la société, à l’Etat et à toute la population... Cela nuit souvent au prestige de l’U.R.S.S. à l’échelle mondiale. L’exemple le plus saisissant de ces méfaits a été la négligence criminelle avec laquelle la direction stalinienne s’est préparée à la guerre », ajoute Varga.
« Le pays est gouverné par un parti politique organisé bureaucratiquement. Cela a entraîné la dégénérescence totale de la forme du ’’pouvoir des Soviets’’. Les élections des députés se transforment en une pure formalité, privée de tout contenu, en une parodie de la démocratie soviétique... Non seulement les citoyens ’’sans parti’’ mais aussi les membres de la base du parti sont privés pratiquement de tout droit politique... Depuis longtemps, le pays connaît la dictature d’un cercle étroit de hauts dirigeants du parti » (p. 77).
Varga ne consacre que peu de place à la répression, mais il exprime là-dessus son avis avec une totale franchise. « L’appareil policier d’enquête et d’instruction a arrêté un dixième environ des citoyens.... Bien qu’il y ait eu, dans les cachots et camps de concentration de Staline, beaucoup moins de tortionnaires et de sadiques que dans les camps hitlériens, on peut affirmer qu’il n’existait aucune différence de principe entre eux. Beaucoup d’ex-tortionnaires sont toujours en liberté et touchent de confortables retraites » (p. 79). Le récit de Martchenko (2) montre que nombreux sont ceux qui poursuivent leur sinistre activité dans les camps de travail correctif et que leur comportement à l’égard des prisonniers a très peu changé.
« Une idéologie unique exclut et réprime toutes les autres. Le droit de réunion et de déclaration publique n’appartient qu’au parti, n’est régenté que par lui ; toute liberté de parole est refusée. L’idéologie dominante ignore les principes de la recherche et de l’esprit critique. Il est interdit, sous peine de dures représailles, de critiquer le régime existant. Le temps des discussions publiques de 1920 paraît totalement fabuleux. Tout ceci transforme l’idéologie dominante en un dogme officiel infaillible. Cette idéologie dogmatisée est imposée aux masses et à la jeunesse. La propagande officielle provoque fatalement chez de nombreux citoyens l’indifférence, le scepticisme et parfois même le cynisme. Il y a longtemps que la ’’déidéologisation’’ affecte de plus en plus la société. »
Varga stigmatise « la suffisance, l’arrogance et la perversion des nombreux privilégiés et des membres de leurs familles ». La presse a parlé de pourriture à propos de ces jeunes pervertis par une richesse excessive et qui les conduit parfois au crime. « A l’opposé, la misère des travailleurs les incite souvent à améliorer par le vol le niveau de vie trop bas et entraîne leur déchéance morale. Quant aux couches moyennes... elles accusent l’absence d’esprit démocratique et de sens civique. »
Varga essaye d’expliquer cette décadence de la société soviétique par le fait que « le peuple russe n’a pas connu, n’a pas vécu la phase normale des rapports capitalistes. Le monde bourgeois russe n’était pas ’’intérieurement achevé’’, et il était naturel qu’il commençât à affleurer à la surface dans le monde socialiste, dons la mesure où le permettaient les principes de la production socialiste et de la vie commune. Le retour à ce monde est évidemment impossible, affirme Varga. Toutefois, refoulé au fond du cœur, il se manifeste à l’occasion et entrave profondément le développement de la nouvelle société ».
Varga constate que « tous ces traits nocifs se sont formés et développés durant les trente années de la direction stalinienne ». Il reconnaît que des changements importants étaient intervenus après la mort de Staline. Mais le régime social n’a pas changé. « Le pouvoir d’Etat appartient toujours à l’aristocratie bureaucratique du parti. Ni les syndicats ni les autres organisations, quelles qu’elles soient, ne prennent part à la gestion de la production. Le contraste entre l’aisance matérielle excessive de l’aristocratie dirigeante et le salaire extrêmement bas de la majorité des ouvriers, employés et kolkhoziens, subsiste toujours. »
Cette immuabilité découle, selon lui, de causes intérieures et extérieures. Les premières sont dues au fait que l’ « aristocratie bureaucratique ne veut pour rien au monde renoncer à son pouvoir illimité... Les tentatives faites par Khrouchtchev pour restreindre, même partiellement, le bien-être matériel des privilégiés de la nomenclature n’a donné aucun résultat substantiel ». Varga attribue les causes extérieures du maintien des principes staliniens à l’apparition à l’avant-scène du monde capitaliste des Etats-Unis, qu’il qualifie de « grande puissance agressive ». Il ignore délibérément le caractère conservateur et oppressif de la politique étrangère de l’U.R.S.S.
« Un tournant réalisé par le sommet s’impose afin de modifier la situation existante. Il est impossible d’espérer une initiative de la base, accoutumée à la soumission... Tant qu’on ne commencera pas à combattre les terribles perversions de la démocratie soviétique, le communisme sera impossible en Union soviétique, dans vingt comme dans cent ans. Dans ces conditions, le seul régime possible sera une parodie du communisme » (p. 87).
Telle est la conclusion de Varga. Elle est pessimiste, car, en absence d’une initiative venant de la base, il compte sur un tournant pris au sommet, tout en admettant le conservatisme résolu des couches privilégiées. C’est donc l’éclatement des milieux dirigeants, dû à une « situation sans issue », comme ce fut le cas de la Tchécoslovaquie, qui permettra peut-être, dans un avenir imprévisible, de mettre fin à ce que Varga appelle la « parodie du communisme » en Union soviétique.
Economiste averti, Eugène Varga a été le premier à prévoir la crise économique mondiale de 1929. Il a écrit lui-même et dirigé une série de travaux sur les économies mondiale et soviétique. Ses analyses personnelles ont été à plusieurs reprises désavouées publiquement et ses livres retirés de la circulation. Rendu prudent par ces faits, il s’est tenu, du vivant de Staline, sur une prudente réserve. Critiqué, il n’a pas hésité à reconnaître ses prétendues erreurs, ce qui ne lui a pas évité la disgrâce, mais lui a permis de survivre à son redoutable « protecteur ».
Même après le dégel, Varga n’a pas osé trop s’engager dans la déstalinisation ; tout en approuvant la plupart des initiatives de M. Khrouchtchev, il s’est montré réticent quant à certaines de ses réformes improvisées. Il est mort pendant l’année de la disgrâce de M. Khrouchtchev ; c’est seulement quatre ans après sa mort, en 1968, que son « testament » a a été diffusé par la revue clandestine Phénix, circulant sous le manteau à Moscou.
L’authenticité de ce texte n’a jamais été contestée par les dirigeants soviétiques, qui ont préféré ignorer son existence. Un exemplaire du « testament » a été saisi par les services de sécurité lors d’une perquisition opérée chez le général Grigorenko. Un autre exemplaire a été apporté en France par un vieux bolchevik lors d’un voyage à l’étranger. Ce n’est ni un livre ni un article, mais ce qu’on appelle en U.R.S.S. un « konspect », c’est-à-dire l’esquisse d’un livre qui n’a jamais été rédigé.
On est frappé par le décalage entre l’extrême réserve de l’auteur dans ses publications officielles et ce texte où, laissant de côté les précautions habituelles, il remet en cause, avec une audace singulière, tous les tabous et fait, à la veille de mourir, le bilan critique du régime qu’il a servi fidèlement durant quarante-quatre ans On peut dire qu’il se rattrape de la longue période de conformisme où, sous peine de disparaître, il écrivait souvent le contraire de ce qu’il pensait. Le prudent, trop prudent Varga — mais qui oserait le blâmer ? — se défoule dans son dernier écrit, où, enfin, il peut dire ce qu’il considère comme « la vérité ; toute la vérité ».
Deux facteurs contribuent à l’importance de cet ouvrage ; le premier, c’est l’analyse des théories successives de Lénine sur le passage au socialisme en Russie ; le second, c’est une critique corrosive du régime soviétique qu’il considère comme une « caricature du communisme ». Ses critiques apportent assez peu d’éléments nouveaux. D’autres avant lui les ont formulées. Mais elles émanaient des opposants ou des adversaires ; on pouvait, et on ne manquait pas, les traiter de partisanes et partiales.
Le fait qu’un vieux communiste, qui n’a jamais fait de l’opposition, se libère la conscience et confirme avec éclat ce qui a été dit à propos des déformations bureaucratiques et des clivages sociaux en U.R.S.S. donne à cette prise de position un poids particulier. Car c’est l’un des dignitaires soviétiques, ayant accès à peu près à toutes les sources, qui énonce un jugement extrêmement sévère non seulement sur ce qui existe en U.R.S.S., mais aussi sur l’avenir du régime qu’il a contribué à consolider.
Trois théories de Lénine
Varga distingue trois théories de Lénine sur le chemin du socialisme en Russie. La première, qui date de 1905, marque déjà l’originalité de sa pensée. La révolution à venir sera bourgeoise et démocratique, elle aura pour objectif d’abolir l’autocratie et de supprimer les survivances féodales. La bourgeoisie, capitulant devant le tsarisme par crainte du prolétariat, c’est le prolétariat, allié à la paysannerie, qui doit pousser jusqu’à ses extrêmes limites la révolution bourgeoise, empêcher que les paysans ne s’engagent dans la « voie prussienne » de compromis avec l’aristocratie foncière, promouvoir la « voie américaine » des fermiers libres, mettant fin à la grande propriété foncière d’origine féodale.C’est seulement à la suite de la victoire commune remportée par l’alliance des ouvriers et des paysans que le prolétariat révolutionnaire des villes et des campagnes pourrait se fixer comme nouvel objectif d’instaurer sa dictature et d’entreprendre la construction du socialisme. Dans cette perspective, le passage de la révolution bourgeoise paysanne à la révolution prolétarienne aurait pu couvrir toute une période historique.
Ce premier schéma a été abandonné par Lénine dans les thèses d’avril 1917, qui préconisaient la conquête du pouvoir par les Soviets et l’instauration de la dictature du prolétariat. Le tournant décisif a été pris en fonction de l’analyse des événements internationaux. Lénine considérait que la révolution socialiste était imminente dans les pays capitalistes évolués et que la révolution en Russie devait briser l’anneau le plus faible de la chaîne de l’impérialisme mondial, ouvrant l’ère des guerres et des révolutions. C’est pourquoi il croyait que le passage au socialisme pouvait s’accomplir plus rapidement en Russie avec l’aide du prolétariat au pouvoir dans les pays industriels.
Ce deuxième schéma s’est révélé irréalisable puisque, non seulement du vivant de Lénine, mais quarante-six ans plus tard, la révolution socialiste n’a eu lieu dans aucun pays occidental, alors que des révolutions de type soviétique ont triomphé dans des pays dont le niveau de développement, sauf en Tchécoslovaquie et en Allemagne orientale, était égal ou inférieur à celui de la Russie.
Se rendant compte du retard de la révolution en Occident, Lénine a esquissé, peu avant sa mort, une troisième voie que Varga définit comme la « voie russe de passage au socialisme ». Lénine a affirmé qu’il n’était pas obligatoire d’attendre que les forces productives atteignent un niveau déterminé de développement pour entreprendre l’édification du socialisme ; qu’on pouvait renverser l’ordre habituel des choses et, pour sortir d’une « situation sans issue », commencer par prendre le pouvoir afin de rattraper le niveau de production et de culture des pays évolués. Ce schéma s’appliquait non seulement à la Russie, placée entre l’Occident et l’Orient, mais à d’autres pays sous-développés.
Il avait précisé que la coopération volontaire, favorisée par des avantages économiques et fiscaux, devait permettre d’entraîner, au bout de vingt à trente ans, les petits producteurs agricoles dons la voie du socialisme. Ainsi à la célèbre formule : « Le socialisme c’est le pouvoir des Soviets plus l’électrification », Lénine a ajouté celle, moins connue : « La coopération, plus la culture, c’est tout ce qu’il faut pour réaliser le socialisme. »
Ce troisième schéma n’a pas eu un sort meilleur que les précédents. La coopération volontaire ne progressant que lentement à la campagne, Staline lui a substitué la collectivisation forcée, en imposant aux paysans l’adhésion aux kolkhozes. Il a, en même temps, accéléré les rythmes du développement industriel, après avoir rompu avec Boukharine qui voulait intégrer progressivement les koulaks dans le socialisme en accordant la priorité à l’industrie légère.
Varga, tout en désavouant les formes de répression employées par Staline, condamne l’opposition de droite et de gauche, déclare que l’activité des opposants pouvait être dangereuse pour l’Etat soviétique. Il affirme que les premiers plans quinquennaux ont permis, au prix de lourds sacrifices, de créer une industrie moderne, lourde et d’armement, ce qui a sauvé l’U.R.S.S. lors de l’invasion nazie.
Contrairement à Lénine, Staline n’a jamais cru au dépérissement de l’Etat. Varga lui donne raison, puisque les mesures envisagées par Lénine ont été inapplicables en Russie. Il est vrai que l’ancien appareil de l’Etat tsariste a été brisé au sommet, mais à la base les anciens fonctionnaires, profitant de leur expérience administrative, se sont vite infiltrés dans les nouvelles institutions, en y apportant l’ancien style de direction et en dépossédant les Soviets, souverains en théorie, de la réalité du pouvoir. Au lieu de fonctionnaires élus et révocables, payés au salaire moyen d’ouvrier, comme l’avait prévu Lénine, les bureaucrates pratiquement inamovibles, touchant des traitements élevés, se sont très vite rendus indépendants de leurs mandants.
Le triomphe du « centralisme bureaucratique »
Ici, Varga introduit une théorie qui lui est propre en expliquant la terreur et les abus survenus après la conquête du pouvoir, par la participation active à la révolution des éléments pauvres déclassés, une sorte de lumpen-prolétariat (prolétariat en haillons) qui, s’engageant à fond dans la lutte contre la réaction et ne disposant d’aucun critère de classe, ont exagéré les consignes toujours dans le sens de la répression et de la violence. C’est à ces « enragés », à ces déclassés excessifs que Varga attribue l’échec quasi immédiat de la démocratie soviétique et le triomphe des méthodes terroristes et autoritaires.Cette explication nous paraît un peu courte, pour cette simple raison que ces éléments déclassés n’ont joué qu’un rôle marginal dans la révolution d’Octobre, que leur nombre était relativement restreint et que la nouvelle bureaucratie soviétique se recrutait en grande majorité dans le prolétariat et l’intelligentsia révolutionnaires.
Selon Varga, trois types de l’Etat soviétique étaient possibles. Celui de la démocratie économique, préconisée par l’opposition ouvrière, qui voulait confier la gestion de l’économie au congrès des producteurs, groupés en syndicats. Lénine a traité, à tort, croyons-nous, cette tendance d’anarcho-syndicaliste. Il lui reprochait de mettre en question le rôle dirigeant du parti et du prolétariat, en confondant les travailleurs salariés avec les petits producteurs autonomes.
Il opposait à ce projet celui du « centralisme démocratique » consacrant le rôle dirigeant du parti dans l’Etat, les syndicats ouvriers ne devant pas participer à la gestion de l’économie, leur intervention directe dans ce domaine étant jugée néfaste. C’est seulement dans quinze à vingt ans que les syndicats pourraient prendre en main la gestion. Il signalait que l’ « Etat ouvrier présentait une déformation bureaucratique » et que « les syndicats devraient pendant des dizaines d’années défendre les intérêts matériels et moraux du prolétariat contre leur propre Etat ».
Le troisième type de l’Etat soviétique, qui s’est imposé, est celui du « centralisme bureaucratique » qui réduit les syndicats au rôle de courroies de transmission des consignes du parti, ce dernier étant lui-même dessaisi de ses prérogatives au profit d’un appareil échappant à son contrôle. Encore du vivant de Lénine, la tendance bureaucratique l’a définitivement emporté tant dans la gestion de l’économie que dans la direction de l’Etat. Lénine croyait que la bureaucratisation de l’appareil soviétique était un phénomène passager et qu’on pouvait le contrecarrer, grâce à la révolution culturelle, en élevant le niveau de vie et de connaissance des travailleurs, en augmentant progressivement le rôle des syndicats ouvriers et des coopératives paysannes. « Aucune de ces espérances de Lénine ne s’est réalisée... Sous un rapport comme sous un autre, Lénine a vraiment été, déclare Varga le « rêveur du Kremlin » (p. 57).
Tandis qu’il rêvait, dans l’isolement dû à une impitoyable maladie, d’un redressement devenu impossible, Staline, maître tout-puissant de l’appareil du parti, préparait l’éviction de tous ceux qui s’opposaient à sa politique et à sa personne.
Le rôle de l’aristocratie bureaucratique
Remarquons que cette analyse de Varga se rapproche davantage de celle de Kuron et Modzelewski, qui considèrent comme couche dominante les dirigeants du parti, que de celle de Djilas, qui confond, sous le vocable de la « nouvelle classe », tous les privilégiés du régime, qu’ils détiennent ou non le pouvoir politique. Pour Varga l’aristocratie bureaucratique est beaucoup moins nombreuse que l’ensemble des couches privilégiées de la société soviétique.Varga attribue les causes de ce processus à la « voie russe de passage au socialisme », découlant de la situation révolutionnaire de 1917. Selon lui, la révolution d’Octobre avait un caractère ambigu, elle n’était que partiellement socialiste, elle était en même temps une révolution bourgeoise paysanne. La victoire était due à la conjonction de ces deux révolutions. Une fois au pouvoir, les bolcheviks étaient obligés de relever les ruines, de développer l’industrie et de répandre l’instruction élémentaire des masses. Ils ne pouvaient le faire qu’en ayant recours à un centralisme impitoyable et à l’ « accumulation socialiste primitive », en prélevant une part très élevée du produit national en vue des investissements. Varga emprunte cette théorie à l’économiste trotskiste Eugène Préobrajenski, disparu en 1937.
Alors que « les travailleurs reçoivent le salaire minimum qui, en raison des prix élevés, leur permet à grand-peine de joindre les deux bouts... la bureaucratie supérieure du parti et de l’Etat, y compris les militaires, ainsi que les travailleurs de la science et de l’art qui ont fait carrière », sont surpayés.
« Dans l’agriculture, la situation est encore pire. La direction stalinienne a placé les kolkhozes sous le régime permanent des réquisitions collectives et de la gestion forcée... Souvent, le volume des livraisons en nature était si énorme qu’il excédait les possibilités des kolkhozes, si bien que la rétribution du travail était dérisoire, parfois même insignifiante... La direction stalinienne a ruiné les kolkhozes... et a enlevé à de nombreux kolkhoziens tout intérêt pour le travail » (p. 70).
« Les rapports économiques réels dans l’industrie et l’agriculture sont entrés en contradiction criante avec l’idéal du communisme et le programme du Parti... écrit-il plus loin. Les privilégiés de la nomenclature et leurs familles disposent de moyens excessifs parce qu’ils s’approprient, en vertu d’un code juridique secret, une certaine partie de la plus-value... »
Cependant, « le trait le plus dangereux dans l’activité de cette aristocratie n’est pas son penchant pour les abus personnels, mais son incapacité générale à gouverner véritablement le pays. En raison même de leur nature bureaucratique.
Les dirigeants du parti font preuve de plus en plus d’inertie et de conservatisme... Ils se plongent dans la paperasserie administrative, évitent toute initiative novatrice en matière d’organisation, enterrent les inventions techniques les plus précieuses.... Cela coûte terriblement cher à la société, à l’Etat et à toute la population... Cela nuit souvent au prestige de l’U.R.S.S. à l’échelle mondiale. L’exemple le plus saisissant de ces méfaits a été la négligence criminelle avec laquelle la direction stalinienne s’est préparée à la guerre », ajoute Varga.
« Le pays est gouverné par un parti politique organisé bureaucratiquement. Cela a entraîné la dégénérescence totale de la forme du ’’pouvoir des Soviets’’. Les élections des députés se transforment en une pure formalité, privée de tout contenu, en une parodie de la démocratie soviétique... Non seulement les citoyens ’’sans parti’’ mais aussi les membres de la base du parti sont privés pratiquement de tout droit politique... Depuis longtemps, le pays connaît la dictature d’un cercle étroit de hauts dirigeants du parti » (p. 77).
Varga ne consacre que peu de place à la répression, mais il exprime là-dessus son avis avec une totale franchise. « L’appareil policier d’enquête et d’instruction a arrêté un dixième environ des citoyens.... Bien qu’il y ait eu, dans les cachots et camps de concentration de Staline, beaucoup moins de tortionnaires et de sadiques que dans les camps hitlériens, on peut affirmer qu’il n’existait aucune différence de principe entre eux. Beaucoup d’ex-tortionnaires sont toujours en liberté et touchent de confortables retraites » (p. 79). Le récit de Martchenko (2) montre que nombreux sont ceux qui poursuivent leur sinistre activité dans les camps de travail correctif et que leur comportement à l’égard des prisonniers a très peu changé.
« Une idéologie unique exclut et réprime toutes les autres. Le droit de réunion et de déclaration publique n’appartient qu’au parti, n’est régenté que par lui ; toute liberté de parole est refusée. L’idéologie dominante ignore les principes de la recherche et de l’esprit critique. Il est interdit, sous peine de dures représailles, de critiquer le régime existant. Le temps des discussions publiques de 1920 paraît totalement fabuleux. Tout ceci transforme l’idéologie dominante en un dogme officiel infaillible. Cette idéologie dogmatisée est imposée aux masses et à la jeunesse. La propagande officielle provoque fatalement chez de nombreux citoyens l’indifférence, le scepticisme et parfois même le cynisme. Il y a longtemps que la ’’déidéologisation’’ affecte de plus en plus la société. »
Varga stigmatise « la suffisance, l’arrogance et la perversion des nombreux privilégiés et des membres de leurs familles ». La presse a parlé de pourriture à propos de ces jeunes pervertis par une richesse excessive et qui les conduit parfois au crime. « A l’opposé, la misère des travailleurs les incite souvent à améliorer par le vol le niveau de vie trop bas et entraîne leur déchéance morale. Quant aux couches moyennes... elles accusent l’absence d’esprit démocratique et de sens civique. »
Varga essaye d’expliquer cette décadence de la société soviétique par le fait que « le peuple russe n’a pas connu, n’a pas vécu la phase normale des rapports capitalistes. Le monde bourgeois russe n’était pas ’’intérieurement achevé’’, et il était naturel qu’il commençât à affleurer à la surface dans le monde socialiste, dons la mesure où le permettaient les principes de la production socialiste et de la vie commune. Le retour à ce monde est évidemment impossible, affirme Varga. Toutefois, refoulé au fond du cœur, il se manifeste à l’occasion et entrave profondément le développement de la nouvelle société ».
Varga constate que « tous ces traits nocifs se sont formés et développés durant les trente années de la direction stalinienne ». Il reconnaît que des changements importants étaient intervenus après la mort de Staline. Mais le régime social n’a pas changé. « Le pouvoir d’Etat appartient toujours à l’aristocratie bureaucratique du parti. Ni les syndicats ni les autres organisations, quelles qu’elles soient, ne prennent part à la gestion de la production. Le contraste entre l’aisance matérielle excessive de l’aristocratie dirigeante et le salaire extrêmement bas de la majorité des ouvriers, employés et kolkhoziens, subsiste toujours. »
Cette immuabilité découle, selon lui, de causes intérieures et extérieures. Les premières sont dues au fait que l’ « aristocratie bureaucratique ne veut pour rien au monde renoncer à son pouvoir illimité... Les tentatives faites par Khrouchtchev pour restreindre, même partiellement, le bien-être matériel des privilégiés de la nomenclature n’a donné aucun résultat substantiel ». Varga attribue les causes extérieures du maintien des principes staliniens à l’apparition à l’avant-scène du monde capitaliste des Etats-Unis, qu’il qualifie de « grande puissance agressive ». Il ignore délibérément le caractère conservateur et oppressif de la politique étrangère de l’U.R.S.S.
« Un tournant réalisé par le sommet s’impose afin de modifier la situation existante. Il est impossible d’espérer une initiative de la base, accoutumée à la soumission... Tant qu’on ne commencera pas à combattre les terribles perversions de la démocratie soviétique, le communisme sera impossible en Union soviétique, dans vingt comme dans cent ans. Dans ces conditions, le seul régime possible sera une parodie du communisme » (p. 87).
Telle est la conclusion de Varga. Elle est pessimiste, car, en absence d’une initiative venant de la base, il compte sur un tournant pris au sommet, tout en admettant le conservatisme résolu des couches privilégiées. C’est donc l’éclatement des milieux dirigeants, dû à une « situation sans issue », comme ce fut le cas de la Tchécoslovaquie, qui permettra peut-être, dans un avenir imprévisible, de mettre fin à ce que Varga appelle la « parodie du communisme » en Union soviétique.
Victor Fay
Journaliste, ancien militant communiste en Pologne, puis en France où il rejoint le Parti socialiste. Il est décédé en 1991.