La religion du [XXIe] siècle, la foi dans le sens de la vie et de
l'histoire, et le moteur de notre action communautaire et responsable pour
construire un monde un, ne se
développera pas dans le prolongement des actuelles religions institutionnelles
prétendant toutes au monopole de la vérité définitive et totale et refusant la
diversité des perspectives culturelles des autres religions dont la foi vise la
même transcendance, qui, par définition, est sans commune mesure avec nos
concepts.
Emilio Vedova. Au-delà de septembre. 1985 |
La
conception judéo-chrétienne de création, par exemple, renforce la philosophie
grecque de la domination, de l'ordre éternel des «idées» de Platon ou de la
hiérarchie des concepts et des êtres d'Aristote.
Dieu créant
le monde une fois pour toutes (que ce soit en six jours ou en un seul bang), il
est sacrilège de prétendre modifier cet ordre éternel. Paul de Tarse a importé
dans le christianisme cette vision linéaire de l'histoire qui était celle des
Hébreux (une histoire allant de la création et de la chute à l'âge messianique
de la restauration collective d'Israël, ou de la rédemption personnelle
survenue dans l'extériorité de la grâce) celle que définit Paul : «Dieu
fait en vous le vouloir et le faire ; vous n'y êtes pour rien» (Phil., II.
13). Paul est ainsi le fondateur de la théologie de la domination. Il a marqué
de son empreinte toute l'histoire de l'Église jusqu'aux actuelles «théologies
de la libération» s'efforçant de retrouver le message libérateur et
contestataire de Jésus et sa «levée» parmi les pauvres à qui il apportait en
priorité la «bonne nouvelle» de leur humanité plénière, contre les interdits et
les soumissions imposées par les grands prêtres de toutes les religions et de
tous les temps.
L'Islam a,
lui aussi, son saint Paul, avec Hanbal et ses héritiers spirituels despotiques
ou intégristes.
Ces
déchéances dogmatiques et inquisitoriales des religions, par leur alliance avec
les pouvoirs, et la justification idéologique qu'elles apportaient aux
dominations, ne doivent pas nous faire oublier un éveil premier ni leur
désignation des fins dernières, à condition qu'elles ne s'excluent pas
mutuellement mais au contraire retrouvent la vie dans leur fécondation
réciproque et humble. Car l'exclusion de cette dimension transcendante de la
vie, qui est l'âme de toute foi, a conduit à un chaos pire encore que les
croisades et les Inquisitions. Contre-religion qui n'ose pas dire son nom, le monothéisme du marché a conduit à la
cassure du monde entre le Nord et le Sud, et, sur le globe entier, entre ceux
qui ont et ceux qui n'ont pas, à une jungle où s’affrontent les volontés de
croissance et les volontés de puissance des individus et des États.
Pour mesurer
le degré de barbarie du système, il suffit de rappeler qu'après cinq siècles de
colonialisme, en 1994, quatre-vingts pour cent des ressources naturelles de la
planète sont contrôlées et consommées par vingt pour cent de la population
mondiale. Cela entraîne, dans les pays non-occidentaux, par la faim ou la
malnutrition, quarante mille morts par an. C'est-à-dire que le modèle de
croissance de l'Occident coûte au monde l'équivalent en morts d'un Hiroshima tous les deux jours.
L'on ne
saurait imaginer de preuve plus irrécusable que si les hommes ne visent à
aucune transcendance au delà de leurs désirs individuels, cette dérisoire et
menteuse liberté n'aboutit qu à l'écrasement des faibles par les forts et à la
guerre de tous contre tous. L'on ne saurait non plus donner preuve plus
irrécusable de la supériorité de la perspective de Marx sur celle d'Adam Smith.
Selon Adam Smith si chacun poursuit son intérêt individuel l'intérêt général
sera satisfait. Une «main invisible», disait-il, réalise cette harmonie.
Marx
reconnaissait au contraire que le capitalisme créerait de grandes richesses –
et il ne lui ménageait pas, dans Le
Capital, son admiration pour ce dynamisme – mais il créera plus encore
d'inégalité et de misère : une polarisation croissante de la richesse aux
mains d'une minorité et l'aliénation et le dénuement de multitudes : le
monde cassé d'aujourd'hui entre le Nord et le Sud et entre ceux qui ont et ceux
qui n'ont pas, est une éclatante vérification de ses prévisions.
Ce que nous
avons tenté de faire vivre, hier sous le nom de dialogue des cultures entre
marxistes et chrétiens, puis de dialogue des civilisations entre l'Occident et
l'Orient, ne peut être que l’œuvre de tous, dans une écoute mutuelle, avec la
certitude fondatrice de tout dialogue : que chacun des partenaires a
quelque chose à apprendre de l'autre, et qu'il est prêt, par conséquent, à
remettre en cause ses propres certitudes pour aller vers une vérité, toujours
aussi lointaine et inaccessible qu'un horizon, mais toujours plus englobante,
je veux dire plus universelle et plus aimante.
Alors
seulement chacun, recevant, par sa participation à la communauté, les moyens
économiques, politiques et culturels de son plein épanouissement, sentira se
lever en lui, au-delà des hommes préhistoriques et aliénés que nous sommes
encore, «l'authentique communauté des vivants».
L'entrée de
l'homme dans une histoire proprement humaine commence avec la réalisation de la
règle d'or qui, de Lao Tseu à Héraclite, est l'âme de toutes les sagesses et de
la foi : Être un avec le tout.
Celle de
Jésus, comme des Upanisads, de Lao Tseu et de Cankara, des prophètes d'Israël
comme des soufis de l'Islam, de saint François d'Assise comme de Gandhi ou de
Martin Luther King, et, à travers toutes les théologies de la libération nées
des communautés de base : « le
poème commencé de l'Univers ».
Roger Garaudy
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