L'histoire ne relève pas des tribunaux
A quoi s'acharne le négationnisme ? A nier la réalité des intentions d'Hitler, de la mise en oeuvre de son programme d'extermination, des méthodes et des moyens utilisés, du résultat. C'est le crachat sur les morts, l'offense à la mémoire, l'insulte à la vérité. C'est le ricanement sinistre de Darquier de Pellepoix : « A Auschwitz, on n'a gazé que les poux ! »
Déterminer les origines de
l'antisémitisme, resituer la création et l'évolution des camps dans le contexte
du régime et de la guerre, comparer les diverses formes prises dans l'Histoire
par les politiques d'extermination, établir les responsabilités de
tous, y compris des démocraties en guerre, dresser la comptabilité exacte des
victimes, analyser les conséquences qui résultent depuis plus de cinquante ans
de la tentative nazie d'extermination des juifs et d'élimination de Tziganes,
des handicapés, des homosexuels, des communistes, des Slaves et de tout ce qui
était dissident ou autre... Tout cela relève des droits et de la mission même
des chercheurs et des commentateurs. En toute liberté.
Et qu'on n'aille pas prétendre
que, sur cette période, sur ce sujet, tout est dit, connu, ou figé, alors même
que chaque jour et chaque controverse nous prouvent le contraire. Par quelle
raison, ce chapitre confus et atroce de l'Histoire serait-il seul
susceptible d'échapper à toute révision? Le temps qui passe, la prise en
considération d'éléments négligés, la découverte de documents ignorés,
permettent l'approfondissement des connaissances, débouchent sur des perspectives
différentes et des jugements modifiés. Les historiens sont autant de Pénélopes
qui reprennent et reprisent indéfiniment la tapisserie que tissent le présent
et le passé dans les sensibilités individuelles et collectives.
L'Histoire ne vit et ne progresse
que dans et par le débat, la discussion, la remise en cause. La difficulté,
dans la matière qui nous occupe, est qu'elle brûle encore. De là que toute
proposition de révision, si modeste soit-elle, est aussitôt soupçonnée, parfois
à tort, parfois avec raison, de « point de détail » en « point de détail »,
d'ouvrir la voie à une mise en doute insupportable. Dans un contexte où la
passion prévaut sur la raison et où la crainte d'une condamnation sociale et
judiciaire peut effectivement inciter les contestataires à la prudence, voire à
la dissimulation, tout discours révisionniste est aussitôt présenté comme en
pensant plus encore qu'il n'en dit, tenu pour le paravent du négationnisme et
confondu avec celui-ci. C'est le cache-sexe de la bête immonde. Le livre de
Roger Garaudy (*), par exemple, est ardemment révisionniste : il n'est pas
négationniste. Ce livre n'est ni condamné ni saisi. Il n'en est pas moins à peu
près introuvable et plusieurs organes de presse, la semaine dernière, se sont
étonnés qu'il soit disponible dans certaines librairie et ont demandé qu'il
soit retiré de la vente, exigence qui semble avoir été suivie d'effet.
S'agissant de cette période de l'Histoire, on a pris l'habitude de régler par
une censure officieuse ou par les tribunaux ce qui relèverait normalement de
l'indifférence ou de la réfutation. Nous sommes ici sur un terrain soustrait au
droit et au sens commun. S'agit-il vraiment d'histoire, ou de politique et de
morale ? De science ou de religion ?
Le crime est si énorme et si
récent, les souffrances si vives, les ressentiments si violents, la pression si
forte qu'un pays qui se dit démocratique a adopté dans divers domaines des lois
d'exception et, s'agissant du droit à l'expression, délibérément
restrictives des libertés, puisqu'elles font d'une opinion et de sa publication
un délit. A un crime sans équivalent, on a opposé des sanctions spécifiques.
Pour compréhensible et respectable que soit un tel principe, il procède d'une
démarche erronée et aboutit à des conséquences ingérables, je veux dire
incompatibles avec des droits d'autre part reconnus comme fondamentaux. Ce
n'est que dans les Etats totalitaires de type moderne ou archaïque que le parti
ou l'Eglise, ayant élaboré une doctrine officielle, confient à la police et à
la justice la mission de la défendre et de pourchasser l'hérésie. Interdire
tout débat sur des questions qui relèvent de la connaissance c'est soumettre la
science au dogme. Demander à des magistrats de punir l'erreur c'est les transformer en
inquisiteurs.
S'il venait à un auteur l'idée de
nier le massacre de la Saint-Barthélemy, de le justifier, de le minimiser ou de
le « comprendre », les historiens traiteraient-ils son livre autrement que par
un haussement d'épaules ou une volée de bois vert? Quel scientifique aurait
l'idée de traîner devant une cour de justice l'un de ceux qui croient que la
Terre est plate et que le Soleil est son satellite ? Cette idée lui viendrait-elle
à l'esprit, ne comprendrait-il pas qu'une condamnation donnerait à un hurluberlu
le statut sinon la stature de Galilée ?
DOMINIQUE
JAMET
Hebdomadaire L'Evènement du Jeudi du 27 juin 1996