21 décembre 2014

La révolution islamique d'Iran vue par Garaudy (1)

Islam et modernité selon l’Imam Khomeini
Par Roger Garaudy


(Texte des années 1980)

Pour comprendre la Révolution islamique initiée par l'Imam KHOMEINI et la conception de la modernité sur laquelle elle se fonde, il faut d'abord avoir conscience de sa spécificité. Ne pas essayer de l'insérer dans la série des révolutions occidentales. Cette révolution ne ressemble à aucune autre. La Révolution française était une révolution politique qui transféra le pouvoir d'Etat de la noblesse de sang à la hiérarchie de l'argent.

De même la Révolution russe transférait le pouvoir économique de la bourgeoisie au prolétariat.

La Révolution islamique est à la fois une révolution économique et politique, comme les précédentes, mais ce qui l'en distingue radicalement, c'est qu'elle est dirigée contre toute une conception de l'homme et de la civilisation qui régnait en Occident depuis des siècles et qui se considérait, comme la seule « modernité » possible.

Dans les manuels d'histoire de l'Occident l'on fait commencer les « temps modernes » à ce qu'il est convenu d'appeler « la Renaissance », c'est à dire la naissance simultanée du capitalisme et du colonialisme.

Cette modernité constitue d'abord une rupture de l'Occident avec toutes les autres cultures du monde. L'année 1492 a, de ce point de vue, une signification symbolique. C'est d'abord la chute de Grenade, du dernier royaume musulman d'Europe et, en même temps, l'invasion et la destruction des civilisations autochtones d'Amérique après l'arrivée de CHRISTOPHE COLOMB. Puis suivirent, pendant cinq siècles, les invasions coloniales en Afrique et en Asie, avec les mêmes caractéristiques d'agression militaire, d'exploitation économique, de négation et de destruction des cultures et des spiritualités autochtones.

Désormais l'Europe se considère comme porteuse de la seule culture possible et créatrice de la seule « modernité » possible. Nous pouvons caractériser cette modernité par trois postulats :

1-La prétention de l'homme de régir le monde en excluant toute réalité et toute finalité divines.

2-La domination du marché comme seul régulateur (à la place de DIEU) de toutes les relations humaines entre les individus comme entre les nations. Dans ce système, où chacun est le concurrent et le rival de tous les autres : « l'homme est un loup pour l'homme », dira l'un des idéologues du système (HOBBES ).

3-La nature n'est qu'un réservoir, tenu pour inépuisable, de « matières premières » et un dépotoir pour les déchets de notre production et de notre consommation. C'est ce que DESCARTES résume ainsi : « devenir maîtres et possesseurs de la nature ».

La Révolution islamique d'Iran se fonde sur des principes radicalement différents et s'enracine dans une des plus vieilles civilisations du monde. Son initiateur l’Imam KHOMEINI est l'expression de cette culture plusieurs fois millénaire.

Une tradition prophétique y appelait à la « commanderie du Bien et du Mal ». Déjà dans l'épopée de FIRDOUSI étaient exaltées les vertus de l'héroïsme et des martyrs .

L'Islam, dans son expression la plus universelle reconnaissant, comme l'enseigne le Coran, les Prophètes antérieurs de tous les peuples, comme messagers du même DIEU, ne pénétra pas en Iran comme une foi étrangère mais sous la forme la plus proche de sa pureté primitive « coranique » (NAHJUL BALAGHA. 78).

Déjà avec le Calife ALI les perversions principales de l'Islam introduites par MU'AWIYAH avaient été combattues :

1 D'abord la fausse doctrine de la prédestination. S'il y avait prédestination, écrivait ALI (NAHJUL BALAGHA 78), "les notions de récompense et de châtiment n'auraient plus de sens ni les promesses et les avertissements d'ALLAH, puisque l'action de l'homme serait déterminée de toute éternité par un destin inévitable alors qu'ALLAH a ordonné à son peuple d'agir par volonté libre et responsable ». Mais ceux que KHOMEINI appellera les théologiens de la domination (Fuqaha es Sulta ) avaient introduit de faux hadiths pour combattre les musulmans pieux qui s'indignaient du despotisme et des débauches de MU'AWIYAH en prétendant que le Prophète avait dit : « Si vous avez un tel dirigeant c'est que DIEU l'a voulu. Vous devez donc lui obéir et faire la prière derrière lui. »

2 Contre la richesse ostentatoire condamnée déjà dans la Coran :
(« lorsque je veux détruire une cité, j'y donne le pouvoir aux riches »). ALI exaltait l'exemple d'ABU DHARR, défenseur de l'aspect révolutionnaire de l'Islam, et la priorité donnée à la protection du pauvre, rappelant que le Prophète avait dit d'ABU DHARR : « il n'y a pas sous le ciel et sur la terre de porte parole plus fidèle qu'ABU DHARR ...dans mon peuple ABU DHARR est semblable à JESUS, fils de MARIE par son esprit de renoncement et sa piété. » (ALI, Sermon 129)

3 L'exercice de l'ijtihad. Le Coran et l'exemple du Prophète avaient rappelé les principes éternels de la sharia : ceux qu'il avait transmis à ABRAHAM, à MOISE, à JESUS à MOHAMMED (Sourate 42, verset 13) laissant aux disciples la responsabilité d'appliquer ces principes immuables aux conditions historiques de chaque époque et de chaque peuple (ce qui constitue le fiqh). Le Prophète avait donné lui même exemple dans 200 versets législatifs du Coran (sur 6.000), comme chaque Prophète avant lui l'avait fait pour son temps « pour chaque époque un livre » (Coran XII, 38). Ainsi était donné, après la mort du Prophète, qui avait été à la fois le porteur de la Parole et 1’exécuteur du Message, l'exemple (le l’articulation entre la transcendance et l'histoire, entre la sharia (la « voie » immuable et universelle désignée par DIEU), et son application à des conditions historiques toujours nouvelles, qui est de la responsabilité des hommes. C'est ainsi que l'Imam KHOMEINI exerçait son rôle de « guide », sans exclure aucune connaissance ni aucune technique du monde moderne, à condition qu'elle s'inscrive dans la voie désignée par DIEU, servant ainsi à l'épanouissement de l'homme et de tout homme et non à sa destruction. Ainsi était balayée la calomnie selon laquelle l'Islam aurait été l'ennemi des sciences et des techniques alors qu'il en fut, pendant des siècles le moteur et le promoteur. Balayée aussi par la méthode de l'Imam KHOMEINI la propagande haineuse, en Occident, pour faire de l'Islam un synonyme de violence et de terreur.

Car l'Imam KHOMEINI n'a pas seulement rappelé les fins d'une véritable révolution, il en a aussi défini les moyens . Et ce sont ceux de la non violence et de la foi de tout un peuple dans la fécondité du martyre.

L’exempte le plus typique de cette attitude nouvelle est son attitude à l’égard de l’armée, en laquelle le SHAH croyait posséder un pouvoir invincible, avec les « immortels » de sa garde.

L’IMAM KHOMEINI avait une autre conception de la force. Il eut l’audace salvatrice de la voir, non dans les armes elles mêmes, mais dans la conscience intérieure ( le « wujdan » de soufi) des soldats .

Toutes ses directives dans la période d’affrontement sont inspirées par ce principe: « n’attaquez pas les poitrine des soldats, mais leur coeur. » El les désertions se multiplièrent.

Cette « non-violence », comme autrefois celle de GANDHI contre la puissance militaire et économique alors la plus forte du monde, porta ses fruits.

Il y eut certes des morts, et l’IMAM KHOMEINI disait : « le sang de chaque martyr réveillera un millier de vivants. » C’est ainsi qu’un peuple aux mains nues l’emporta sur cette armée réputée si puissante.

Les stratèges militaires et politiques du monde entier, qui évaluaient la force selon les seuls critères matériels de la puissance de feu et de la logistique, s’y sont tous trompés, car ils ignoraient que les armes, si puissantes soient-elles, ce sont des hommes qui le manient, et que lorsque quelque chose se casse dans la tête ou le coeur des hommes, ces armes tombent de leurs mains? Pour ces stratèges, la foi n’entre pas dans le circuits électroniques de leurs ordinateurs.

La voie occidentale menant à une impasse, la voie islamique ne consiste pas à s'isoler dans ses traditions et à répéter les formules des grands juristes qui ont résolu les problèmes de leur temps mais pas les problèmes du nôtre. Nous devons imiter leur méthode qui consistait, à partir des principes éternels et universels de la « Sharia » (la voie de DIEU) à trouver la législation (fiqh) qui permettrait de les appliquer à chaque période de l'histoire.

Le Coran nous enseigne que « DIEU ne cesse de créer et recréer » (X,4), et qu'il est présent en toute chose nouvel le (IV, 19). Nous ne pouvons, devant cette création toujours nouvelle, rester inertes et croire que nous pouvons résoudre les problèmes de notre époque en répétant ce que des « ulémas » conservateurs nous imposent depuis des siècles en prétendant fermer la porte de l'Ijtihad et en garder le monopole.

Pour créer une « modernité » qui ne soit pas la modernité occidentale, ASSADABADI propose de revenir à l’Islam vivant, permettant de créer un « fiqh » vivant à partir des principes universels et éternels de la Sharia".

Ce fut la voie suivie par le grand GHAZALI. Ses oeuvres, et, notamment sa « REVIVIFICATION DES SCIENCES DE LA RELIGION » (Ihya Ulum al DIEU), rendent à l'Islam sa dimension d'intériorité spirituelle, cultivée part les grands soufis tels qu'ATTAR ou ROUMI (Le chapitre 36 de son « YHYA » sur 1’amour) en montre la profondeur. Les pratiques rituelles ne sont qu'un moyen pour « polir le miroir du coeur » pour préparer une action juste au service de DIEU et de la Communauté. C'est cette priorité de l'action qu'enseignait l'Imam KHOMEINI lorsqu'il aimait à dire que l'Islam est pour un huitième affaire de cérémonies et pour sept huitièmes une action dirigeant la Communauté selon les valeurs islamiques qu'il résume en ceci : « liberté et justice... »

L'oeuvre de l'Imam KHOMEINI est ainsi une apogée de celles des plus grands rénovateurs de la pensée islamique, depuis la « REVIVIFICATION » de GHAZALI jusqu'à la « Reconstruction de la pensée religieuse de l'Islam » de MOHAMMED IQBAL.

L'Imam KHOMEINI mettait en pratique le message fondamental d'un Islam vivant, seul capable de présenter une alternative à la fausse « modernité » occidentale fondée sur une religion qui n'ose pas dire son nom : le monothéisme du marché, où ce qu'un idéologue de l'impérialisme américain LUTTWAK appelle « la loi divine du marché », régler toutes les relations sociales entre les individus comme entre les nations .

Cette pratique conduit à la cassure du monde entre le Nord et le Sud, et, dans les pays dits « développé», entre ceux qui ont et ceux qui n'ont pas, en donnant aux plus forts, sous prétexte de « libéralisme économique » la « liberté » de dévorer les plus faibles.

Une telle « modernité », si elle triomphait pleinement conduirait l'humanité toute entière à un suicide planétaire, à la fois par les explosions de révolte de ceux que le monothéisme du marché conduit à la mort par la faim au rythme actuel d'un Hiroshima tous les deux jours.

Dès le début du siècle dernier de grands réformateurs, comme ASSADABADI, avaient décelé les sources du mal et dénoncé les méfaits de ses dérives.

Dans le numéro 10 de sa Revue "AL URWAT AL WIDHGA", il demandait aux musulmans de ne pas accepter la fausse science élaborée par des ulémas conservateurs au cours des siècles .

Dans le numéro 17, distinguant les principes éternels de la sharia de ses applications dans un « fiqh » différent avec chaque époque et chaque peuple, il appelait tous les musulmans à retrouver le dynamisme créateur de l'Islam à l'époque de sa naissance et de ses apogées.

ASSAD ABADI montrait que l'Islam vivant et créateur que nous révèle le Coran ne pouvait s’accommoder ni d'une imitation de l'Occident, ni d'un simple repliement sur le passé.

L'histoire du XX ème siècle a prouvé la vérité de cette vision :

L'imitation de l'occident. L’exemple le plus typique et le plus catastrophique est celui de MUSTAPHA KEMAL en Turquie qui voulut en faire un membre de l'Europe en y important les notions purement occidentales du nationalisme et du rationalisme mutilé d'AUGUSTE COMTE ennemi acharné et sournois de toute religion .

Le repliement sur le passé et l'abandon aux fuqahas du pouvoir fut sinistrement illustré par l'attitude des Cheikh d'Al Azhar proclamant sainte la guerre contre Israël pour accorder ensuite une Fatwa à SADATE, déclarant que c'était une tâche sacrée de faire une paix séparée avec Israël. C'est ce type d'opportunisme qui suscita les sarcasmes de KHOMEINI contre ces théologiens de la domination qui avaient rompu avec la grande tradition d'ASSAD ABADI et de MOHAMMED ABDOU.

C'est à partir de telles conceptions de l'Islam que l'Imam KHOMEINI a inauguré une authentique révolution islamique au sens où déjà le Prophète selon ABOU DHARR disait: « Il y a trois choses qui appartiennent à la société comme un TOUT et ne peuvent être accaparées par aucun individu: le feu , l'herbe et l'eau. » Ce qui en termes actuels désigne l'industrie et la propriété foncière.

A partir de là peut être définie une authentique modernité s'opposant terme à terme aux trois postulats par lesquels nous avons défini la modernité occidentale:

1 - Le tawhid, c'est à dire non seulement l'affirmation de l'unicité de DIEU et de l’unité du monde qu'il a créé. C'est à dire que concrètement chaque homme et chaque communauté n'a de devoir que la soumission à ce DIEU par le service de la communauté planétaire des hommes .

2 - A l'inverse de l'individualisme faisant de l'individu le centre et la mesure de toute chose et instituant ainsi une jungle mercantile où chaque homme est le concurrent et le rival de tous les autres, une véritable communauté universelle dont chaque membre a conscience d'être personnellement responsable du destin de tous les autres .

3 - A l'égard de la nature. Celle ci ne peut être considérée comme un réservoir et un dépotoir inertes mais comme un ensemble de signes (ayat) un langage que DIEU nous parle en nous rendant responsables de la conserver, de la respecter et de la faire fructifier.

Ainsi seulement et c'est en quoi peut se résumer l'essentiel de l'apport de l'Imam KHOMEINI peut se fonder une nouvelle et authentique modernité.


[A lire à la suite un texte dactylographié de Roger Garaudy sur le même sujet:http://rogergaraudy.blogspot.fr/2014/12/la-revolution-islamique-diran-vue-par.html ]