A la
veille du XXIe siècle,
la mort vient d'arrêter le plus grand coeur du monde: Yehudi Menuhin a exprimé,
dans le langage le plus universel, celui de la musique, ce qu'il y a de plus
intime et de plus grand en chacun de nous: le désir et l'appel de l'unité
humaine.
Il
fallait un grand artiste, visionnaire et créateur, pour nous dire qu'on peut
vivre autrement.
Ce fut
son dernier message, celui de sa vie entière, au nom de l’universalisme des
grands prophètes d'Israël.
Quand
il fut nommé Lord par la reine d'Angleterre, Yehudi Menuhin eut l'audace et la
grandeur d'ouvrir, devant la Chambre des pairs, le débat fondamental de notre
époque que les hommes
politiques n'abordent jamais: il montra que tous nos problèmes économiques,
politiques, pédagogiques, étaient d'abord des problèmes religieux : ils
posaient la question préjudicielle
de la fin dernière de nos vies personnelles comme de notre commune histoire.
Dans le
monde fut imposée une idéologie occidentale selon laquelle l'économie et la
science avec sa technostructure doivent régner, occultant ce problème central,
certains prétendaient voir « la fin de l'histoire ». Or ce monothéisme du marché
et cette technostructure nous conduisent à la faillite d'un « monde cassé »
entre une minorité de plus en plus étroite de
nantis et une majorité croissante d'affamés, de chômeurs, ou d'exclus, et à la
destruction de la nature par l'épuisement des ressources naturelles ou à leur
pollution.
Une
telle conception du monde implique que l'homme n'est qu'un faisceau de besoins
naturels ou artificiels que le marché et la technique pourraient satisfaire.
Le
grand message salvateur de Yehudi Menuhin, dominant ce vacarme insensé, ne
pouvait demeurer enfoui dans la poussière d'un Journal Officiel ou des Archives
de la BBC.
Ce document
public unique devrait faire vibrer le coeur de millions d'hommes, comme
autrefois les cordes de son violon, pour l'éveil de tous ceux qui pensent que
la vie a un sens divin et qu'ils ont pour tâche de l'accomplir.
Il
appartient à tous ses héritiers spirituels, à tous ceux qui l'ont aimé,
d'essayer, avec crainte et tremblement, d'apporter à son appel au moins de
partielles et provisoires réponses, afin que cette voix chantant seule sur la
montagne, éveille des rumeurs dans l'ombre des vallons.
Défense du sacré. Par Yehudi
Menuhin (*)
La vie
n'a pas été créée dans sa plénitude une fois pour toutes. Seuls les
fondamentalistes peuvent croire cela, et c'est pourtant dans les Écritures. On
a donc besoin d'une nouvelle religion
fondée à la fois sur les valeurs et les vertus éternelles -sur le concept
d'unité totale - impliquant l'interdépendance de toutes les parties
(continuité, éternité, infinité). Et sur l'inévitable
et perpétuel changement, l'adaptation à l'énergie en mouvement avec ses
exigences d'équilibres toujours nouveaux entre des vitesses, des températures,
des directions, des
pesanteurs, des pressions, des espaces, sans cesse changeants. Une religion en
harmonie avec la science et l'expérience contemporaines.
L'extraordinaire
phénomène de la vie se produit lorsque l'équilibre des forces, des
températures, des vitesses, etc. atteignent un haut degré de permanence, dans
un champ très étroit entre les extrêmes, compatible avec les exigences du
milieu propre aux cellules vivantes.
L'homme
est, par définition, un animal religieux. Dieu n'a point de repos, (je doute
même qu'il ait fait exception pour le dimanche) et comme la vie naît à partir
d'un riche limon de matière, jusqu'au choix d'alternatives toujours plus
nombreuses, fondé sur la mémoire des causes et des effets, de la conscience et
de l'imagination, ont pris naissance, en l'homme, les problèmes clés de la
philosophie et de la religion: comment et
pourquoi ?
Mais la
vanité de l'homme est telle qu'il doit avoir, qu'il doit connaître les
réponses. Aucun homme qui se respecte ne peut admettre qu'on le soupçonne
d'ignorance, même si à partir des sources lointaines de la mémoire de l'espèce,
d'une imagerie chimérique, il fabrique une histoire qui ne repose sur aucune
preuve, une histoire invraisemblable, et même absolument fausse.
Ces
interprétations arbitraires des inaliénables philosophies et religions qui nous
sont propres, sont celles des religions actuelles, comme celles de tout le
passé. Elles ont toutes le même fonds : ce besoin de comprendre, cette foi en
un ordre plus haut, que nous pouvons seulement révérer, respecter, honorer,
craindre, flatter, pour lui consacrer des sacrifices et des prières, et
l'implorer comme un pouvoir, tel que le feu, un volcan, le soleil, un esprit,
peut être un vieil homme ou un roi siégeant sur son trône - quelque chose de
semblable à nous, qui sait, qui a un but- et dont nous sommes les serviteurs.
Une divinité omnisciente qui sûrement connaît le comment et le pourquoi. Si
nous pouvions gagner ses bonnes grâces, nous serions pour toujours protégés et
gratifiés, chacun dans le paradis de con choix, comme dans ces « refuges
célestes » des riches de Floride.
Naturellement
nous savons déjà comment IL nous a
créés, comment nous sommes arrivés à l'existence, et forcément chaque
interprétation, chaque religion, chacun de ces mythes fascinants
est différent mais aucun d'eux ne peut expliquer qui a créé Dieu, car si c'est LUI qui nous a faits, il est sûr que
nous ne pouvons pas l'avoir fait ou inventé.
Et
pourtant voilà ce qui est arrivé. Chacun de ces mythes a servi à renforcer la
structure économique, sociale, culturelle, de ses adeptes, des croyants. Tous
les rois ont été désignés, ont reçu l'ordination et l'onction des grands
prêtres, vicaires de Dieu sur la terre, qu'il s'agisse du culte du soleil chez
les Aztèques, qui croyaient que le sang des vierges était essentiel pour se
concilier le soleil couchant - rouge lui aussi – afin d'assurer le lever du
soleil le matin suivant, ou n'importe quel autre Roi qui, une fois consacré et
choisi par son peuple à la suite
de quelque grande conquête, invoquait les Dieux pour leur conférer sa propre
autorité absolue. Cependant, là où existe une institution tempérée, maîtrisée,
domestiquée pour ainsi dire - et je parle de la monarchie constitutionnelle -
elle peut être défendue avec amour et fermeté par le couplage de la tradition et
de l'hérédité.
Mais,
ceci dit, si beaux, si chargés de sens, vraiment symboliques, que soient les
mythes religieux de la création, quelle que soit la splendeur des oeuvres
religieuses, de la musique, de l'architecture,
de la sculpture, de la peinture, de la littérature, si vrais qu'ils
apparaissent dans les diverses cultures du passé, et quels que soient les
progrès qu'ils ont fait dans l'art de formuler
des rites toujours plus abstraits de culte, compatibles entre eux, ils n'ont pas encore exprimé une foi qui
puisse être acceptée par les autres religions, qui les réconcilie avec elles et
qui les réconcilie entre elles.
Dans
l'évolution de l'histoire de la religion, il est parfaitement clair que nous
passons de vérités figées et arbitraires à une
vérité plus vivante, qui prenne conscience du changement de l'être éternel,
c'est-à-dire de l'unité du tout, de la somme totale d'énergie, de volonté,
de but, qui demeure une constante, alors que les milliers de relations entre
les parties sont dans un flux incessant.
Je
crois que chaque cellule, chaque parcelle de la matière, organique ou
inorganique, est habitée, inséminée d'éternité et d'infinité (la force de
liaison) qui, chez l'être humain, conduit à des
projets, à des visions, à des utopies, à ce puissant courant qui se manifeste
lorsque l'infini et l'éternel se traduisent matériellement en un pouvoir, soit
dans les créations de l'art, de la technique, de la pensée, de l'harmonie
sociale, de l'éducation, de la science, de l'intelligence et de la production
de la beauté, de la connaissance et du service, en un mot dans une manière
créatrice de vivre : cela seul peut justifier la vie que les hommes servent
comme un idéal de ces valeurs éternelles présentes partout en nous-mêmes et
dans notre environnement.
C'est
vraiment là ce que nous tenons pour sacré. Voudrions-nous rendre un culte à des
monstres ?
Courons-nous
le danger de nous prosterner devant le « succès » ou un pouvoir temporel
dominant nos propres vies et celle des autres et nous conduisant à la guerre et
à ses boucheries ?
Je suis convaincu que notre monde nouveau exige une nouvelle
formulation des valeurs sacrées, une nouvelle
conception de la religion, parfaitement compatible avec les principes
du
culte et de la prière, mais exprimée de manière nouvelle pour les autres, pour
nous sentir responsables les uns des autres et de la nature vivante qui nous
entoure. Reconnaître avec humilité notre ignorance, l'orgueil aussi de nos
savoirs qui ne cessent de croître, de notre pouvoir de créer un monde plus juste,
de rejeter des réflexes archaïques, de fausses ambitions, d'idées
des désirs pervers pour notre civilisation.
Nous
devons cultiver à la fois harmonie et courage, conserver une divine intolérance
pour l'intolérable, pour la destruction des espèces, pour la pollution de l'air
et de l'eau comme du corps et de l'esprit. Nous devons préserver la sainte intolérance
des croisades contre le racisme, et contre toute espèce de supériorité
s'exprimant dans le mépris et l'exploitation des enfants, des autochtones, des
communistes, des capitalistes, des juifs, des protestants, des catholiques, des
illettrés, ou de toute autre communauté.
Nous
avons le devoir d'être tolérants envers ceux qui enseignent, protègent, aident.
Cet
acte de foi doit constituer une part inaliénable de notre nouvelle religion : le protecteur a la responsabilité, le
protégé a le droit. Le puissant, l'enseignant, celui qui a l'information,
le spécialiste,
le chirurgien, ou même le chauffeur ou le cuisinier, ont la responsabilité tandis que le passager,
l'invité, le malade, le pauvre, ont le droit. Mais aussi ont leur responsabilité.
La
valeur d'une personne ne dépend pas du fait qu'il a un emploi ou qu'il est
chômeur. Toute personne a son importance et a des titres égaux aux droits et
aux responsabilités.
Les
droits comportent le droit à une éducation pour toute la durée de la vie, le
droit à être logé, nourri, habillé, à avoir des loisirs, des préférences
(musique, théâtre, sport, vacances, transports,
temps libre) pour autant que l'individu ne porte pas tort à lui-même, à sa
famille, à ses voisins, à la société. S'il le fait, la société doit être
protégée et le coupable aidé.
La
responsabilité implique le devoir d'aider, de servir, d'enseigner, d'apprendre,
de travailler en échange du travail des autres.
La
liberté, au delà de ces droits et de ces responsabilités, si l'individu le
désire, est d'élever l'échelle de la réussite aussi haut que possible, avec
autant de liberté, d'imagination et de force que le talent et l'ambition de
chacun peut en assumer.
Telle
est la religion : l'économie, l'ordre social, la vie créatrice, les arts, les
techniques et l'éducation réunis en un seul projet de pensée et d'action.
Yehudi
Menuhin
(*) Le grand violoniste fut jusqu'à sa mort le 12 mars 1999 un ami fidèle de Roger Garaudy. NDLR
Pour acheter le livre: http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=9842
et aussi: http://plumenclume.org/home/14-le-xxi-siecle-suicide-ou-resurrection-9782738490742.html
Après avoir, pendant plus d'un demi-siècle, publié ses ouvrages chez les plus grands éditeurs français,Roger Garaudy a composé cet ouvrage avec ses collaborateurs sans pouvoir exiger que son nom figure en couverture, car il était diabolisé, à l'aube du nouveau siècle. Chaque contributeur apporte sa pierre pour édifier un rempart de spiritualité face à la monstruosité du monde moderne, qui dévore ses enfants, et stérilise notre terre. Un livre exaltant qui permet à chacun, sans renier la foi traditionnelle du territoire auquel il appartient, de grandir dans le combat commun.
Après avoir, pendant plus d'un demi-siècle, publié ses ouvrages chez les plus grands éditeurs français,Roger Garaudy a composé cet ouvrage avec ses collaborateurs sans pouvoir exiger que son nom figure en couverture, car il était diabolisé, à l'aube du nouveau siècle. Chaque contributeur apporte sa pierre pour édifier un rempart de spiritualité face à la monstruosité du monde moderne, qui dévore ses enfants, et stérilise notre terre. Un livre exaltant qui permet à chacun, sans renier la foi traditionnelle du territoire auquel il appartient, de grandir dans le combat commun.