Les gens s’agitent trop et ne s’émeuvent pas assez. Ils sont pris par une sorte d’interminable frénésie qui les pousse à brasser du vent pour continuer à vivre une existence vide et vaine qu’ils croient très intéressante. Ils sont agrippés à leurs petites habitudes, à leur confort, et ils croient que l’essentiel est là ! Quelle tristesse ! Ce sont des pantins prisonniers de rapports de domination qu’ils ont acceptés pour règle de vie. Le fric est leur vrai Dieu, ils ne savent plus aimer… Et la sarabande infernale continue. Le rythme s’accélère et le moment de notre destruction se rapproche inexorablement. Ce n’est plus qu’une question de temps avant la fin.
Si seulement nous voulions bien écouter ce que nous souffle notre cœur…
Notre cœur est atrophié, voilà le problème ! On n’écoute plus ses sentiments, on néglige le palpitant au profit du ciboulot. On invoque la raison, la norme, la logique… Et la performance ! Il faut aller toujours plus vite, produire plus, prouver qu’on est capable de mieux faire que le voisin, c’est-à-dire de gagner plus d’argent que lui. Du coup, il n’y a plus de place pour le cœur, on n’a plus le temps de s’attendrir. Nous sommes des robots, des esclaves de la technique !
Nous dansons sur un volcan ! J’ai l’impression que se côtoient des milliards de vies, de respirations, de volontés et d’existences paumées, incohérentes, qui possèdent un dénominateur commun, mais ne sont pas reliées les unes aux autres comme elles le devraient. Il y a beaucoup d’anarchie dans la vie terrestre ! Dans ces conditions, la conscience et l’âme ne peuvent pas évoluer.
Il faudrait que l’humanité reprenne son souffle, qu’elle s’offre une véritable prise de conscience, une réflexion absolue recentrée sur le cœur. Les hommes pourraient ainsi comprendre tout le tragique de leur condition ! Les gens sont intelligents, on peut leur parler, les faire raisonner, mais ils sont paralysés par une espèce d’effrayant fatalisme. Parfois, on assiste à un sursaut de lucidité. On sait confusément que l’on n’arrive pas à améliorer la condition humaine, alors on se révolte un peu, on proteste. Evidemment, cela ne suffit pas. La vanité des doctrines est terriblement flagrante. On tourne en rond, rien de nouveau ne nous permet d’espérer un véritable épanouissement.
Je suis parfois convaincu que la métamorphose peut encore avoir lieu, que la lumière l’emportera ici-bas sur les ténèbres et que l’homme gagnera enfin son salut. J’espère alors que l’évolution fera de nous des êtres meilleurs, des gens de cœur dont l’intelligence ne s’appliquerait plus à fabriquer des armes, des centrales nucléaires ou des chimères génétiques ! J’ai encore un peu d’espoir. J’ai envie que nous sortions de cette léthargie que nous prenons pour du progrès. J’espère une évolution douce, progressive. A mon âge, on ne croit plus à la révolution, au changement brutal. Je ne suis plus aussi naïf. Mais je pense encore possible d’amener ce monde à comprendre que l’indifférence est largement aussi dangereuse que le nucléaire.
C’est dramatique de ne plus voir la beauté autour de soi, de ne plus s’arrêter pour regarder un coucher de soleil, de ne plus voir les saisons passer, les fleurs éclore, les feuilles se teinter d’ors à l’approche de l’automne. C’est terrible de vivre à ce point en dehors de la nature, de n’exister que dans un univers complètement factice où le paraître remplace l’être véritable.
C’est épouvantable d’être si loin de Dieu. (…) Nous sommes des anges en déchéance. Nous avons rogné nos propres ailes. De là-haut, Dieu ne peut que nous regarder. Et pleurer. (…) Tout au long de l’histoire se sont manifestés des émissaires de Dieu, chargés de mettre en garde l’humanité. Ils nous ont déjà dit en quoi consistait l’essentiel : nous devrions, instinctivement, être solidaires les uns des autres. Hélas ! Cela me navre de constater que nous sommes encore si loin du compte. (…)
Oh, bien sûr, nous avons des saints ! De bonnes volontés qui usent leur existence à essayer de limiter la casse. Grâce à eux demeure encore cette infime lueur d’espoir que j’ai déjà évoquée. Quant à savoir si cela suffira pour remonter la pente, j’en doute. Il faudrait sortir de la spirale infernale, renverser la vapeur, inverser le rythme qui nous conduit à détruire plus vite que nous ne construisons. C’est une question de proportions : pour l’instant, nous semons des germes de mort plus vite que nous n’apprenons à honorer la vie et à cultiver la beauté. Si nous ne réagissons pas, le processus s’accélérera bientôt sans que nous puissions freiner notre chute.
Robert Hossein, "Lumière et ténèbres", Ed. Le Pré aux Clercs, Paris, 2002.
Extraits proposés par A.D.