Jordanie, avril 1983,Roger Garaudy avec le Prince Hassan et le Grand Mufti |
Il est
temps de prendre conscience que ce mode de croissance de l'Occident,
qui nous conduit à des vies sans but et à la mort, tente de
se
justifier par un modèle de culture et d'idéologie qui porte en lui ces germes
de mort :
- une
conception aberrante de la nature, considérée comme notre «
propriété » dont nous aurions le droit « d'user et d'abuser » (comme
le droit romain définit cette propriété), jusqu'à n'y voir plus
qu'un réservoir de richesses naturelles et un dépotoir pour
nos
déchets. Dans cette voie, par l'épuisement inconsidéré des
ressources et par la pollution, nous détruisons notre propre milieu
ressources et par la pollution, nous détruisons notre propre milieu
vital
et nous devenons des collaborateurs inconscients de la loi de
l’ «entropie
» , celle de la dégradation de l’énergie et de la croissance
du
désordre; y 4
- une conception impitoyable des rapports
humains, fondée sur
un
individualisme sans frein, et qui n'engendre que des sociétés de
concurrence
de marchés, d'affrontements, de violence, où quelques
unités
économiques ou politiques, aveugles et toutes-puissantes,
asservissent
ou dévorent les plus faibles ;
- une conception désespérante de l'avenir, qui
ne serait que le
prolongement
et la croissance quantitative du présent, sans but
humain
ni rupture divine, sans rien qui transcende cet horizon pour
donner
un sens à nos vies et nous détourner des chemins de la mort.
Il n'y
aura pas de nouvel ordre économique mondial sans un nouvel
ordre
culturel mondial.
Un
nouvel ordre culturel mondial, c'est le passage de l'hégémonie
occidentale
à la concertation planétaire pour
redéfinir un projet
humain.
Le
dialogue des civilisations est devenu une nécessité urgente et
irrécusable.
Une question de survie. La cote d'alerte est atteinte,
peut-être
déjà franchie.
Le
débat central et vital de notre époque n'est plus entre un
capitalisme
qui engendre les colonialismes, les guerres et la crise
ultime
de notre civilisation occidentale, et un «socialisme» de
modèle
soviétique qui, en s'assignant les mêmes objectifs de croissance
que
l'Occident capitaliste, est devenu comme lui oppresseur de
son
propre peuple, exploiteur du Tiers-Monde et partenaire de la
même
course à l'hégémonie et aux armements de terreur. Le débat
central
et vital de notre époque est celui de la mise en cause
fondamentale
de la mythologie suicidaire du « progrès » et de la
« croissance
» à l’occidentale, idéologie caractérisée par la scission
entre
les sciences et les techniques (c'est-à-dire l'organisation des
moyens
et la puissance) et la sagesse (c'est-à-dire la réflexion
sur les
fins
et de sens de notre vie) ; idéologie caractérisée par
l'exaltation
d'un
individualisme mutilant l'homme de ses dimensions proprement
humaines, [et d'un autre côté]
la transcendance (c'est-à-dire au moins la possibilité
permanente
de rupture avec les dérives du passé et du présent, et de la
création
d'un avenir inédit) et la communauté (c'est-à-dire la
conscience
que chacun de nous est personnellement responsable de
l’avenir
de tous les autres, et la mise en oeuvre de tous les moyens de la
science
et des techniques, de l'économie, de la politique, de la culture,
pour
que chaque femme, chaque homme, chaque enfant, puisse
déployer
pleinement toute la richesse humaine et le pouvoir de
création
qu'il porte en lui).
Au-delà
des occasions perdues de l'histoire et des dimensions
perdues
de l'homme occidental, notre tâche est de renouer le dialogue
des
civilisations de l'Orient et de l'Occident pour mettre fin au
monologue
suicidaire de l'Occident.
De même
que, depuis six mille ans, nos sociétés sont faites par des
hommes
et pour des hommes, c'est-à-dire avec la moitié seulement de
l'humanité,
en ignorant ou en négligeant sa composante féminine, de
même,
depuis des siècles et surtout depuis ce qu'on appelle la
«
Renaissance » c'est-à-dire la naissance simultanée du capitalisme et
du
colonialisme, l'histoire humaine ne se fait plus qu'avec une partie
d'elle-même,
l'Occident, en négligeant, en méprisant ou en détruisant
sa
composante orientale. Dans cette voie, la seule « croissance »
évidente
est la croissance de la misère du monde : misère matérielle
du
Tiers-Monde, misère spirituelle de l'Occident.
Les
Occidentaux appellent étrangement « Renaissance »
l'enfermement dans le concept grec et l'être dévitalisé qu'il désigne, dans le
l'enfermement dans le concept grec et l'être dévitalisé qu'il désigne, dans le
nationalisme
de la « cité » grecque excluant d'elle tout ce qui est
«
autre » comme « barbare » et né pour l'esclavage, et l'enfermement
dans la
conception romaine de la propriété et de la puissance
impériale.
Prendre
conscience de cette mutilation, prendre conscience de ce
que
nous devons aux cultures et aux civilisations non occidentales est
peut-être
aujourd'hui la seule voie qui nous reste ouverte en dehors de
l'impasse
de la mort.
Roger Garaudy, Promesses de l'Islam