11 février 2017

Le troisième héritage (2). Pour un nouvel ordre culturel mondial

Jordanie, avril 1983,Roger Garaudy avec  le Prince Hassan et le Grand Mufti


Il est temps de prendre conscience que ce mode de croissance de l'Occident, qui nous conduit à des vies sans but et à la mort, tente de
se justifier par un modèle de culture et d'idéologie qui porte en lui ces germes de mort :
- une conception aberrante de la nature, considérée comme notre « propriété » dont nous aurions le droit « d'user et d'abuser » (comme le droit romain définit cette propriété), jusqu'à n'y voir plus qu'un réservoir de richesses  naturelles et un dépotoir pour
nos déchets. Dans cette voie, par l'épuisement inconsidéré des
ressources et par la pollution, nous détruisons notre propre milieu
vital et nous devenons des collaborateurs inconscients de la loi de
l’ «entropie » , celle de la dégradation de l’énergie et de la croissance
du désordre; y 4
 - une conception impitoyable des rapports humains, fondée sur
un individualisme sans frein, et qui n'engendre que des sociétés de
concurrence de marchés, d'affrontements, de violence, où quelques
unités économiques ou politiques, aveugles et toutes-puissantes,
asservissent ou dévorent les plus faibles ;
 - une conception désespérante de l'avenir, qui ne serait que le
prolongement et la croissance quantitative du présent, sans but
humain ni rupture divine, sans rien qui transcende cet horizon pour
donner un sens à nos vies et nous détourner des chemins de la mort.
Il n'y aura pas de nouvel ordre économique mondial sans un nouvel
ordre culturel mondial.
Un nouvel ordre culturel mondial, c'est le passage de l'hégémonie
occidentale à la concertation  planétaire pour redéfinir un projet
humain.
Le dialogue des civilisations est devenu une nécessité urgente et
irrécusable. Une question de survie. La cote d'alerte est atteinte,
peut-être déjà franchie.
Le débat central et vital de notre époque n'est plus entre un
capitalisme qui engendre les colonialismes, les guerres et la crise
ultime de notre civilisation occidentale, et un «socialisme» de
modèle soviétique qui, en s'assignant les mêmes objectifs de croissance
que l'Occident capitaliste, est devenu comme lui oppresseur de
son propre peuple, exploiteur du Tiers-Monde et partenaire de la
même course à l'hégémonie et aux armements de terreur. Le débat
central et vital de notre époque est celui de la mise en cause
fondamentale de la mythologie suicidaire du « progrès » et de la
« croissance » à l’occidentale, idéologie caractérisée par la scission
entre les sciences et les techniques (c'est-à-dire l'organisation des
moyens et la puissance) et la sagesse (c'est-à-dire la réflexion sur les
fins et de sens de notre vie) ; idéologie caractérisée par l'exaltation
d'un individualisme mutilant l'homme de ses dimensions proprement
humaines, [et d'un autre côté] la transcendance (c'est-à-dire au moins la possibilité
permanente de rupture avec les dérives du passé et du présent, et de la
création d'un avenir inédit) et la communauté (c'est-à-dire la
conscience que chacun de nous est personnellement responsable de
l’avenir de tous les autres, et la mise en oeuvre de tous les moyens de la
science et des techniques, de l'économie, de la politique, de la culture,
pour que chaque femme, chaque homme, chaque enfant, puisse
déployer pleinement toute la richesse humaine et le pouvoir de
création qu'il porte en lui).
Au-delà des occasions perdues de l'histoire et des dimensions
perdues de l'homme occidental, notre tâche est de renouer le dialogue
des civilisations de l'Orient et de l'Occident pour mettre fin au
monologue suicidaire de l'Occident.
De même que, depuis six mille ans, nos sociétés sont faites par des
hommes et pour des hommes, c'est-à-dire avec la moitié seulement de
l'humanité, en ignorant ou en négligeant sa composante féminine, de
même, depuis des siècles et surtout depuis ce qu'on appelle la
« Renaissance » c'est-à-dire la naissance simultanée du capitalisme et
du colonialisme, l'histoire humaine ne se fait plus qu'avec une partie
d'elle-même, l'Occident, en négligeant, en méprisant ou en détruisant
sa composante orientale. Dans cette voie, la seule « croissance »
évidente est la croissance de la misère du monde : misère matérielle
du Tiers-Monde, misère spirituelle de l'Occident.
Les Occidentaux appellent étrangement « Renaissance »
l'enfermement dans le concept grec et l'être dévitalisé qu'il désigne, dans le
nationalisme de la « cité » grecque excluant d'elle tout ce qui est
«  autre » comme « barbare » et né pour l'esclavage, et l'enfermement
dans la conception romaine de la propriété et de la puissance
impériale.
Prendre conscience de cette mutilation, prendre conscience de ce
que nous devons aux cultures et aux civilisations non occidentales est
peut-être aujourd'hui la seule voie qui nous reste ouverte en dehors de
l'impasse de la mort.

Roger Garaudy, Promesses de l'Islam