« Le but final de mon travail écrivait Marx dans la
préface du Capital c'est de découvrir la loi
économique
du développement de la société contemporaine. »
De cette loi découle le passage nécessaire du
capitalisme
au socialisme, ce que Marx appelait, dans « Le
Capital », l'expropriation des expropriateurs. Mais
Marx n'a jamais confondu nécessité et fatalité.
L'action
de l'homme est l'un des éléments par lesquels
s'accomplit
là nécessité. Marx définit le mouvement ouvrier :
" la participation consciente au processus
historique qui
bouleverse la société."
DE L'UTOPIE A LA LUTTE DE CLASSE
Le concept fondamental de la politique marxiste
comme de la philosophie et de l’ économie marxistes
c'est le concept de classe. Les analyses du Capital
ont
permis de donner à ce concept un fondement
scientifique.
Conformément à l'orientation générale de l'économie
politique marxiste pour laquelle l'essence de la
réalité économique doit être cherchée au niveau de
la
production, les classes sociales se définissent par
le rôle
joué dans la production. De ce point de vue le
prolétariat,
par exemple, se définit comme la classe :
1. ne possédant aucun moyen de production ;
2. produisant, par la vente de sa force de travail,
de la plus-value ;
3. ayant une conscience plus ou moins claire de la
place qu'elle occupe dans la société capitaliste et
de sa mission historique.
Dans le Manifeste communiste Marx donne des
communistes
une définition qui fixe en même temps la tâche
fondamentale du mouvement : « les communistes
luttent
pour les objectifs immédiats et les intérêts de la
classe
ouvrière et ils défendent en même temps l'avenir du
mouvement. »
Avant Marx le concept de classe avait été élaboré
notamment
par les historiens français de la Restauration
et les économistes anglais et la notion de
prolétariat
avait été avancée par les utopistes ; mais le
prolétariat
était défini beaucoup plus par ses misères et ses
souffrances
que par son combat et ses fins dernières.
Déjà sous une forme encore philosophique Marx,
dans sa Contribution à la philosophie du Droit de
Hegel,
avait caractérisé le prolétariat comme une force
historique autonome exerçant en histoire la fonction
hégélienne de la négativité.
Dans Le Capital la définition du prolétariat
deviendra
objective et scientifique et, avec elle, celle de la
bourgeoisie
capitaliste, définie non par sa richesse ou sa conception
capitaliste, définie non par sa richesse ou sa conception
du monde ou tout autre critère se situant en
économie au niveau de la répartition, ou même au
niveau
psychologique ou moral, mais par la place qu'elle
occupe dans la production, comme propriétaire des
moyens de production et comme prélevant la
plus-value
sur les travailleurs.
Le Capital insiste plus particulièrement sur
ces deux
classes dont le rôle est déterminant dans le
développement
du système capitaliste. Mais Marx n'en néglige
pas pour autant les autres classes sociales. Dans le
troisième
et quatrième livre du Capital, il analyse non
seulement
les structures et le développement de la classe des
propriétaires fonciers bénéficiaires de la rente et
tes
formes particulières d'exploitation agraire, mais
aussi
tes classes moyennes et tes distinctions fondées sur
les
critères objectifs entre productifs et improductifs.
Marx
souligne en particulier les contradictions
inhérentes à
la nature même des classes moyennes : elles «
combattent
la bourgeoisie parce qu'elle est une menace pour
leur existence en tant que classes moyennes. Elles
ne
sont donc pas révolutionnaires, mais conservatrices
;
bien plus elles sont réactionnaires : elles
cherchent à
faire tourner à l'envers la roue de l'histoire. Si
elles
sont révolutionnaires c'est en considération de leur
passage
imminent an prolétariat : elles défendent alors
leurs
intérêts futurs et non leurs intérêts actuels, elles
abandonnent
alors leur propre point de vue, pour se placer
à celui du prolétariat.
La richesse et la complexité de la conception
marxiste
des classes apparaît avec évidence dans les travaux
des classes apparaît avec évidence dans les travaux
historiques de Marx, dans ses articles sur Les
luttes de
classe en France, dans son Dix-huit Brumaire de
Louis
Bonaparte, modèle d'analyse historique des
classes et de
leurs rapports, et dans ses études sur la Commune de
Paris.
La tâche essentielle que s'est assignée Marx sur le
plan de la politique théorique, c'est de déterminer
avec
précision, en fonction de critères objectifs, la
mission
historique du prolétariat : « Il ne s'agit pas,
écrivait
Marx, de savoir ce que tel ou tel prolétaire, ou
même le
prolétariat tout entier se propose momentanément
comme
but ; il s'agit de savoir ce que le prolétariat est
et ce
qu'il doit historiquement faire conformément à son
être. »
De cette mission le prolétariat ne peut prendre
conscience
au seul niveau de ses luttes économiques. Il n'y
parvient que par une prise de conscience politique
et
par l'accès à une conscience théorique,
scientifique, du
devenir total de l'histoire. Dans Misère de la
Philosophie
Marx montre quels éléments objectifs rendent
possible
le passage de la lutte économique à la lutte
politique.
« La grande industrie rassemble en un seul point une
masse de gens qui s'ignoraient mutuellement. La
concurrence
les divise du point de vue de leurs intérêts.
Mais la défense du salaire, cet intérêt qui leur est
commun
par rapport au patron, les unit en une seule idée
commune de résistance, de coalition... Les
coalitions,
au début, sont isolées, mais elles rassemblent des
groupes
toujours plus importants et la défense par les
travailleurs
de leur union contre un capital qui est toujours
Un en face de lui, devient pour eux beaucoup plus
nécessaire
que la défense du salaire... Dans cette lutte —
véritable guerre civile — se rassemblent et se
développent
tous les éléments d'une bataille prochaine. Parvenue
à ce point la coalition prend un caractère
politique.»
La prise de conscience théorique indispensable pour
que le prolétariat, de classe « en soi » devienne
classe
« pour soi », est le résultat d'une dure bataille
contre
les idées dominantes auxquelles spontanément sont
soumises
les masses et qui sont les idées de la classe
dominante.
Cette prise de conscience exige une lutte permanente
contre l'utopie. C'est par là que Marx commença sa
lutte politique mais, en 1877 encore, il mène ce
combat
lorsque « en Allemagne un esprit « pourri » a
prévalu
dans notre parti... avec toute une bande d'étudiants
sans maturité et de docteurs trop savants qui
veulent
donner au socialisme une tournure « idéale plus
haute »,
c'est-à-dire remplacer la base matérialiste (qui
exige une
étude sérieuse et objective quand on veut opérer sur
elle) par la mythologie moderne avec ses déesses :
Justice,
Liberté, Égalité et Fraternité. »
Le développement même de la pensée marxiste qui
commence par la rupture avec l'utopie, vérifie la
thèse
marxiste selon laquelle « l'existence d'idées
révolutionnaires
à une époque déterminée présuppose déjà l'existence
d'une classe révolutionnaire. »
Le chartisme anglais, les insurrections ouvrières
des
canuts lyonnais en France et des tisserands
silésiens en
Allemagne, étaient des indices de l’existence d'une
classe
ouvrière devenue une force historique autonome. Le
mérite scientifique de Marx et de sa conception de
l'histoire
est d'avoir pris conscience que ces mouvements
n'étaient pas fortuits mais qu'il s'agissait de formes plus
ou moins développées d'une même lutte historiquement
nécessaire du prolétariat contre la classe
dominante.
Dès lors le
communisme ne pouvait plus être une utopie,
la création imaginaire ou sentimentale d'un idéal de
société parfaite, mais une prise de conscience d'un
mouvement
réel, de la nature, des conditions et des fins
dernières de la lutte effectivement menée par la
classe
ouvrière. L’Idéologie allemande donnait déjà
un fondement
scientifique au Communisme. Ce n'était plus
seulement
une doctrine mais un mouvement. Il ne s'agissait
plus de partir d'aspirations morales ni d'une
spéculation
hégélienne, ni d'un humanisme feuerbachien, mais
d'une
analyse objective et scientifique des lois du
développement
de l'histoire.
Cette conception nouvelle se heurtait aux
conceptions
anciennes du communisme, utopiques et conspiratives.
Après l'échec du complot blanquiste de 1839 à Paris,
la Ligue, des Justes avait été dispersée. Une
opposition
se dessina entre les éléments réfugiés en Suisse
qui,
avec Weitling, professaient une conception utopiste
et
conspirative, et les éléments réfugiés à Londres
qui, sous
l'influence du mouvement chartiste, luttaient contre
cette orientation. Marx vit dans cette opposition le
germe
d'une rupture entre le communisme utopique et te
communisme scientifique. Pour aider à la
clarification
idéologique, Marx, au printemps de 1846, se mit à
créer
des comités de correspondance. Comme l'expliquait
Marx dans sa lettre à Proudhon du 5 mai 1846 « le
but
principal de notre correspondance sera de mettre les
socialistes
allemands en rapport avec les socialistes français
et anglais. »
En se liant à des mouvements réels, Marx entendait
en finir avec l'utopie. Il s'agissait d'utiliser la
correspondance
pour soumettre à une critique impitoyable, au
moyen de pamphlets imprimés ou lithographies, le
mélange
de socialisme ou de communisme franco-anglais
et de philosophie allemande qui constituait alors la
doctrine
secrète de la Ligue, pour le remplacer par une vue
scientifique de la structure économique de la
société
bourgeoise, seul fondement théorique solide ; enfin
pour
exposer, sous une forme populaire, qu'il ne
s'agissait
nullement de la réalisation d'un système utopique
quelconque,
mais de la participation consciente au processus
historique de révolution sociale qui
s'accomplissait.
Marx au début de 1846, mena une polémique très
vive contre Weitling, contre ce qu'il appelait le
communisme
des artisans et le communisme philosophique.
Weitling avait le mérite d'être adversaire du
réformisme:
selon lui l'émancipation de la classe ouvrière ne
selon lui l'émancipation de la classe ouvrière ne
pouvait être réalisée par des réformes obtenues en
accord avec la bourgeoisie, mais par la lutte de la
classe
ouvrière et par une révolution sociale, dirigée
contre
la bourgeoisie, révolution qui détruirait la
domination
de l'argent et établirait, avec la communauté des
biens,
l'égalité et la fraternité entre les hommes. Mais
cette
révolte et cet idéal étaient fondés non sur une
analyse
scientifique du développement historique réel, mais
sur
des exigences morales et finalement, dans son livre
L'Evangile des pauvres pécheurs (1843) Weitling définissait
le communisme comme la réalisation du christianisme
le communisme comme la réalisation du christianisme
primitif.
Roger
Garaudy >> A SUIVRE ICI >>
Karl Marx. Conclusion du livre
pages 253 à 259
Karl Marx. Conclusion du livre
pages 253 à 259