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Cette insistance, constamment mise dans les Livres saints sur le lien qui existe - qui doit exister - entre foi en Dieu et recherche de la justice, constitue, j’en suis convaincu, le critère décisif de ce qui peut et doit être un véritable dialogue inter-religieux.
Ce dialogue (…) sera sans doute une des réalités majeures du XXIe siècle, compte tenu des relations qui existent désormais entre les continents et aussi des réveils spirituels qui, sous des formes diverses, apparaissent un peu partout dans le monde.
Il serait catastrophique qu’au nom de la « tolérance » on en vienne à accepter un vague « mondialisme religieux », fait de sentimentalisme plus ou moins « mystique », sans références doctrinales ni repères historiques. Mais il serait grave aussi que, sous prétexte de fidélité à leur foi et à leur communauté, des croyants en viennent à mépriser et dénigrer la tradition spirituelle des autres, sans même la connaître. Cela est arrivé souvent, dans les siècles passés, ce qui peut se comprendre en des temps où les relations entre les peuples et les cultures étaient bien différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui. Mais cela arrive encore à notre époque, ce qui est beaucoup moins excusable, car, si on le veut, on peut désormais s’informer sérieusement sur les grandes civilisations de l’humanité.
Autant que le syncrétisme réducteur, le prosélytisme - agressif ou sournois - est contraire au véritable esprit des Prophètes bibliques, de l’Evangile et du Coran, si du moins on ne se contente pas d’en faire une lecture superficielle. (…)
Deux exigences ici s’imposent, nullement contradictoires à mes yeux : approfondir sa propre fidélité et respecter celle de l’autre. (…) S’efforçant d’écouter avant de parler, cherchant à comprendre avant de juger, le croyant parviendra à situer sa propre foi en Dieu par rapport à celle des autres croyants. Il pourra voir alors où se trouvent les véritables divergences doctrinales entre Christianisme, Judaïsme et Islam, ainsi qu’entre ces trois monothéismes et les traditions spirituelles d’Afrique et d’Asie. Il découvrira aussi les convergences spirituelles et éthiques qui unissent, si profondément, tous ceux qui croient que Dieu est notre Créateur et qu’Il a parlé aux hommes par les Prophètes. Cette découverte conduira les croyants à chercher ensemble comment mieux répondre à l’appel de Dieu, et donc comment promouvoir ici-bas la justice, condition de la paix, non seulement au profit de leurs coreligionnaires, mais pour tout homme et pour tous les hommes, croyants ou non.
Pour le chrétien, le juif, le musulman, cet engagement dans « les affaires de ce monde » n’est pas facultatif. La foi qui n’agit pas n’est pas une foi sincère. Certes, le risque existe que l’engagement dans la cité conduise à faire de la religion une idéologie et à se servir abusivement du Nom de Dieu pour tenter de justifier l’injustifiable. L’histoire des peuples, mais aussi l’actualité en témoignent. Alors, les options politiques, les conditionnements culturels, les préjugés sociaux estompent et vont parfois jusqu’à détruire toute dimension d’intériorité, de prière personnelle, de rencontre avec Dieu. Cette tentation est redoutable. Mais il existe un autre péril : celui d’un « mysticisme désincarné », indifférent aux réalités de ce monde et aux drames de la vie. Pour ne prendre qu’un exemple, est-il sérieux et acceptable que des chrétiens, des juifs et des musulmans se réunissent en vue de « prier pour la paix à Jérusalem », s’ils restent silencieux - et donc complices de l’injustice - devant la façon dont est traité, depuis tant d’années, le peuple palestinien ?
Affronter les événements, informer en vérité, dénoncer les impostures, rappeler sans cesse qu’il ne sert à rien de parler de paix si l’on ne cherche pas à établir la justice, chercher enfin, au-delà des conflits, les voies de la réconciliation, telles sont les tâches que doivent s’efforcer d’accomplir ensemble tous les hommes de bonne volonté : « ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas », comme disait le poète. Mais « ceux qui croient au ciel » savent bien que, s’il doit venir « en ce monde », le Royaume de Dieu n’est pas « de ce monde ». Ils savent aussi que le plus dur combat, celui que menèrent les saints et les saintes, dans toutes les traditions religieuses, c’est le « combat spirituel », le « grand djihad », purification du cœur jamais achevée. Ce combat, le croyant est appelé à le vivre au plus profond de lui-même, pour être vraiment « libre », dans la lumière de Dieu.
Père Michel Lelong, "La vérité rend libre", Ed. F.-X. de Guibert, Paris, 1999.
[Texte proposé par Ahmed)
Lire aussi un texte du Père Lelong, qui fut un ami de Roger Garaudy, texte publié par la revue "A contre-nuit": http://rogergaraudy.blogspot.fr/2012/10/pour-un-dialogue-des-civilisations-par.html
Et également l'appel signé par le père Lelong et le pasteur Mathiot avec Roger Garaudy le 17 juin 1982 dans le journal "Le Monde": http://rogergaraudy.blogspot.fr/2012/06/un-article-du-monde-et-le-proces-qui.html