Daumier a dressé, à l'aube sinistre des temps nouveaux, l'esquisse d'une nouvelle peinture, pas seulement celle de l'expressionnisme futur, mais de toute peinture cherchant, au-delà du spectacle des choses, dans la satire ou dans l'épopée, l'expression des colères et des espoirs de l'homme, les cris et les aspirations de sa vie la plus profonde et la plus intense, l'affirmation passionnée non seulement de sa présence au monde mais de sa participation à l'effort pour le transformer..
Ce cycle de Don Quichotte [1860-1870, ndlr], qui contient quelques-unes des oeuvres les plus fortes de Daumier, n'est pas seulement l'expression de la tragédie personnelle de l'artiste, la matérialisation de son rêve de générosité dans un monde qui le refuse, mais l'expression entière de ce siècle dont il a vécu toutes les misères et l'espoir militant de trois révolutions avortées.
Lorsque, dans les dernières années du Second Empire, Daumier reprend inlassablement le thème de Don Quichotte et de son obsession héroïque, il s'identifie à son personnage et à son mythe grandiose. Pendant prés d'un demi-siècle, ce frère romantique de Cervantes a vécu dans ses caricatures toutes les misères des pauvres gens, l'insolence et la bassesse d'une bourgeoisie avide, d'une justice qui bafoue le droit et l'homme. Il a fait la satire implacable de tous les régimes de lucre et de despotisme, raillé les moeurs et les institutions, mais toujours au nom d'un amour blessé du peuple et de la liberté.
Delacroix étudiait et copiait ses dessins, Courbet s'effaçait devant son génie, Baudelaire admirait sa puissance et Corot l'aimait. Van Gogh, en 1882, écrira à son frère Théo: Oui, vraiment, il se peut que Daumier soit notre maître à tous.
Ce cycle de Don Quichotte [1860-1870, ndlr], qui contient quelques-unes des oeuvres les plus fortes de Daumier, n'est pas seulement l'expression de la tragédie personnelle de l'artiste, la matérialisation de son rêve de générosité dans un monde qui le refuse, mais l'expression entière de ce siècle dont il a vécu toutes les misères et l'espoir militant de trois révolutions avortées.
Lorsque, dans les dernières années du Second Empire, Daumier reprend inlassablement le thème de Don Quichotte et de son obsession héroïque, il s'identifie à son personnage et à son mythe grandiose. Pendant prés d'un demi-siècle, ce frère romantique de Cervantes a vécu dans ses caricatures toutes les misères des pauvres gens, l'insolence et la bassesse d'une bourgeoisie avide, d'une justice qui bafoue le droit et l'homme. Il a fait la satire implacable de tous les régimes de lucre et de despotisme, raillé les moeurs et les institutions, mais toujours au nom d'un amour blessé du peuple et de la liberté.
Delacroix étudiait et copiait ses dessins, Courbet s'effaçait devant son génie, Baudelaire admirait sa puissance et Corot l'aimait. Van Gogh, en 1882, écrira à son frère Théo: Oui, vraiment, il se peut que Daumier soit notre maître à tous.
Un moment de la création: Karl Marx et Daumier
Karl Marx, dans la Sainte Famille, oppose Daumier, et aussi Balzac, au populisme vulgaire et douceâtre d'Eugène Sue. Chez Eugène Sue, écrit Marx, pas un frère de ces combattants du Cloître Saint-Merri et de la rue Transnonain, dont Balzac et Daumier avaient célébré l'héroïsme et le sacrifice.
L'enthousiasme de Marx pour Daumier exprime une communauté profonde d'attitude entre les deux hommes. D'abord par le sens de classe qui se traduit dans l'oeuvre de Daumier: sous le fouet de son trait il dessine la bougeoisie de son temps, à toutes les étapes de son développement, de banquiers en juristes et de Macaire en Ratapoil, avec la même verve que Marx dans ses Luttes de classes en France ou dans sa Guerre civile en France. En face de cette bourgeoisie, le défenseur de la République, pour Daumier, c'est d'abord la classe ouvrière: la Liberté de la presse en témoigne avec éclat. Daumier ne peint pas seulement les ouvriers dans leurs misères ou leurs soufrances mais dans leur combat.
Il n'est pas un "illustrateur". Son oeuvre n'est pas un "reflet" d'une époque, elle est un acte: pour lui, comme pour Marx, il ne s'agit pas seulement d'interpréter le monde mais de le transformer et, pour un artiste, cela se traduit non par un réalisme plat, mais par un dépassement. En même temps qu'il fouaille la réalité de l'ordre établi jusqu'à nous inspirer le mépris et la révolte, il projette un avenir militant, conquérant. Accomplissant ainsi la mission de tout grand art, il élève le réel et aussi le possible au niveau du mythe, comme les héros d'Homère ou les géants de Michel-Ange, qui expriment les combats de l'homme et préfigurent son avenir.
Tant il est vrai que l'art, comme la révolution, n'a pas besoin seulement de réalisme mais de transcendance.
Karl Marx, dans la Sainte Famille, oppose Daumier, et aussi Balzac, au populisme vulgaire et douceâtre d'Eugène Sue. Chez Eugène Sue, écrit Marx, pas un frère de ces combattants du Cloître Saint-Merri et de la rue Transnonain, dont Balzac et Daumier avaient célébré l'héroïsme et le sacrifice.
L'enthousiasme de Marx pour Daumier exprime une communauté profonde d'attitude entre les deux hommes. D'abord par le sens de classe qui se traduit dans l'oeuvre de Daumier: sous le fouet de son trait il dessine la bougeoisie de son temps, à toutes les étapes de son développement, de banquiers en juristes et de Macaire en Ratapoil, avec la même verve que Marx dans ses Luttes de classes en France ou dans sa Guerre civile en France. En face de cette bourgeoisie, le défenseur de la République, pour Daumier, c'est d'abord la classe ouvrière: la Liberté de la presse en témoigne avec éclat. Daumier ne peint pas seulement les ouvriers dans leurs misères ou leurs soufrances mais dans leur combat.
Il n'est pas un "illustrateur". Son oeuvre n'est pas un "reflet" d'une époque, elle est un acte: pour lui, comme pour Marx, il ne s'agit pas seulement d'interpréter le monde mais de le transformer et, pour un artiste, cela se traduit non par un réalisme plat, mais par un dépassement. En même temps qu'il fouaille la réalité de l'ordre établi jusqu'à nous inspirer le mépris et la révolte, il projette un avenir militant, conquérant. Accomplissant ainsi la mission de tout grand art, il élève le réel et aussi le possible au niveau du mythe, comme les héros d'Homère ou les géants de Michel-Ange, qui expriment les combats de l'homme et préfigurent son avenir.
Tant il est vrai que l'art, comme la révolution, n'a pas besoin seulement de réalisme mais de transcendance.
Daumier avait vingt-deux ans en 1830, quarante ans en 1848, soixante-trois ans à l'époque de la Commune. Il ne fut jamais un témoin passif. En août 1832, pour avoir dénoncé, dans ses lithographies populaires, l'escamotage de la révolution par Louis-Philippe et ses banquiers, il est emprisonné pendant six mois à Sainte-Pélagie, avec Blanqui, Barbès, Raspail. Il sort pour dénoncer le Massacre de la rue Transnonain et la répression, pour exalter le Paris ouvrier défendant la Liberté de la presse, pour créer le personnage sordide en qui s'incarne la déchéance de l'arrivisme et de l'argent: Robert Macaire, comme Balzac a créé Rastignac.
En 1848, lors d'un concours, il crie sa joie de la liberté retrouvée en une oeuvre magistrale: La République nourrissant et instruisant ses enfants, devant laquelle Courbet lui-même avait retiré son projet. Cette République n'a vécu qu'un printemps et devant les revanches du Second Empire, Daumier crée un autre personnage, celui de Ratapoil, homme de main et mouchard de Napoléon le Petit, image dont Michelet dira qu'elle clouait au pilori l'idée bonapartiste.Le peintre vivra assez pour connaître et saluer la nouvelle espérance de la Commune et crier, après son écrasement, son invincible espoir avec le dessin d'un grand arbre foudroyé sur lequel refleurit un fragile surgeon.
Roger Garaudy
60 oeuvres qui annonçèrent le futur
Skira éditeur
pp 186 à 189
60 oeuvres qui annonçèrent le futur
Skira éditeur
pp 186 à 189