Les autoproclamés « antifas » au service de l’ordre établi
Des groupes autoproclamés « antifascistes » tentent
régulièrement d’apparaître sous les feux de la rampe. Encore tout
récemment à Paris, samedi 4 juin, certains ont affronté la police… pour
rendre hommage au jeune Clément Méric, décédé le 5 juin 2013.
Des militants se réclamant de cette mouvance ont
également réussi à faire parler d’eux à l’occasion desdites Nuits debout
parisiennes, et, surtout, à la faveur de la
mobilisation syndicale contre le projet de loi El Khomri.
Certains se sont illustrés en amont des cortèges en faisant reprendre
le slogan « tout le monde déteste la police » par quelques centaines de
jeunes. Un slogan qui avoisine le degré zéro de la pensée politique.
La dénomination « antifasciste » revendiquée sonne du
reste étrangement, dès lors qu’il s’agit de rouer de coups des
journalistes, ou de blesser plus d’une dizaine de membres du service
d’ordre CGT
lors de la manifestation du 12 mai dernier.
« La mouvance dite « antifa » a certes des contours flous
tant en France qu’en Allemagne »
De l’autre côté du Rhin, leurs homologues s’en sont pris, le 28 mai, à une des responsables du parti Die Linke (La gauche).
Sarah Wagenknecht,
agressée et « entartée », s’est vu reprocher ses prises de position en
matière de crise migratoire : elle défend l’idée qu’on ne peut laisser
entrer sans discernement tous les migrants, d’autant que l’ouverture des
frontières, décrétée en août dernier par Angela Merkel, a évidemment
abouti à un afflux de main d’œuvre à bas coût – afflux souhaité et
applaudi par le patronat pour mieux mettre en concurrence les
travailleurs.
La mouvance dite « antifa » a certes des contours flous tant en France qu’en Allemagne.
D’une part s’y rattachent par exemple des
idéologues-détectives, qui consacrent leur vie à dénicher et dénoncer
les individus ou groupes qualifiés de « rouges-bruns ». Un vocable que
nos modernes inquisiteurs attribuent à tous ceux qu’ils soupçonnent de
vouloir associer tradition communiste historique (se réclamant du
marxisme-léninisme) et sympathies d’extrême droite.
Dans les années 1990, cette chasse typiquement
maccarthiste avait tenté d’influer sur les choix internes du PCF : ce
dernier était alors en passe de trancher entre une ligne en faveur de la
souveraineté nationale et du large rassemblement populaire qui pouvait
la sous-tendre ; et une orientation favorable à l’alliance avec le PS,
au prix de l’acceptation de l’intégration européenne. C’est cette
seconde ligne qui l’a finalement emporté (avec les conséquences que l’on
sait), les tenants de la première ayant été accusés de céder au
« nationalisme », quelques-uns étant dénoncés comme « rouges-bruns ».
Un quart de siècle plus tard, certains sites se sont
fait une spécialité de pister les sympathies ou rapprochements supposés,
forcément suspects. Les cyber-Torquemadas balayent large. Ainsi, le
journal Fakir et son rédacteur en chef François Ruffin, auteur du film
Merci patron !,
n’ont pas échappé au bûcher, coupables d’avoir défendu le
protectionnisme – donc, c’est évident, d’être « nationaliste » et de
sympathiser avec l’extrême droite…
Egalement récemment en Allemagne, des rassemblements
en faveur de la paix (souvent à ce titre accusés de sympathiser avec la
Russie) ont été dénoncés par certains « antifas » comme suspects,
puisque ce n’était pas seulement des militants de gauche qui s’y
pressaient, mais également beaucoup de jeunes non politisés dont
certains pouvaient être influencés par le mouvement Pegida ou autre. Nos
actuels disciples de McCarthy ont été prompts à jeter l’opprobre sur
ces initiatives du lundi.
L’ouverture au dialogue [des antifas] est à peu près
aussi considérable que celle des protecteurs de la planète ou des
zélateurs de l’austérité heureuse face à qui l’on voudrait défendre le
progrès »
D’autre part, les « antifas » ne disposent pas
seulement de théologiens, d’enquêteurs et de procureurs. Nombre d’entre
eux relèvent plutôt des forces de l’ordre – à leur manière : casqués ou
masqués, armés d’ustensiles autrement plus frappants que des arguments
rhétoriques. Avec ceux-là, le dialogue est plutôt difficile, tant les
idées sont aussi courtes que leurs bâtons sont longs. Inutile (par
expérience) et même dangereux de tenter de parler – pour ne pas dire de
débattre.
Et pas seulement parmi ceux qui ont investi les
manifestations anti-loi Travail. Des « blacks blocs » aux « no borders »
(on notera que, significativement, les appellations relèvent désormais
de l’anglais globalisé), jusqu’à certains activistes desdites « zones à
défendre » (ZAD), leur ouverture au dialogue est à peu près aussi
considérable que celle des protecteurs de la planète ou des zélateurs de
l’austérité heureuse (communément baptisée « décroissance ») face à qui
l’on voudrait défendre le progrès, le développement économique,
l’énergie nucléaire ou le charbon…
S’il est impossible de cerner une homogénéité
idéologique, certains points de repère peuvent cependant attirer
l’attention. Ainsi, dans le tract accompagnant l’agression de Sarah
Wagenknecht évoquée plus haut, les auteurs dénoncent « le ressentiment
contre l’Union européenne et les Etats-Unis » dont serait porteuse la
dirigeante… Du reste, les mêmes groupes, en Allemagne, stigmatisent
régulièrement les militants antisionistes – qualifiés d’antisémites – et
s’indignent de la manière dont Israël est « maltraité ».
Le paradoxe n’est pas mince, surtout au regard de
l’évolution de l’Etat juif, dont le gouvernement – voire la société
elle-même – semble en voie d’extrême-droitisation accélérée, bien réelle
celle-là. Une situation qui ne semble guère émouvoir nos « antifas »
très occidentaux, pas plus que ces derniers ne paraissent
particulièrement bouleversés par la situation en Ukraine.
Il n’est pourtant un secret pour personne, ou
presque, que la « révolution de Maïdan » a été fortement structurée et
encadrée par des groupes nostalgiques du nazisme. Et que, par exemple,
le nouveau président de la Rada (le Parlement) fut le fondateur, en
1991, du Parti social-nationaliste d’Ukraine (devenu Svoboda) qui
arborait un logo analogue à la croix gammée…
Les « antifascistes » autoproclamés constituent un leurre
dont tirent aisément profit les classes dominantes »
Il est évidemment flatteur de s’auto-arroger le titre
d’antifasciste. Encore serait-il utile de redonner aux mots leur
véritable sens. Historiquement, le terme fasciste est né dans l’Italie
mussolinienne. Et l’entre-deux-guerres a illustré dans de nombreux pays
ce que ce phénomène historique, ou cette tentation, recouvrait : une
dictature ouverte et sanglante de la partie dominante des forces
capitalistes.
Certes, ces dernières n’excluent peut-être pas de
réintroduire un jour une telle perspective si elles le jugeaient utile.
Force est cependant de constater qu’elles ont inventé, ces dernières
décennies, des méthodes bien plus efficaces pour maintenir leur
domination : l’alternance de forces politiques défendant au fond les
mêmes orientations, l’effacement des souverainetés nationales –
autrement dit de la démocratie véritable – au profit d’instances
supranationales, et la promotion du « dialogue social » (il y a même un
commissaire européen spécialement chargé de cela). Ce que La Boétie
nommait en son temps la servitude volontaire.
Face à cela, les « antifascistes » autoproclamés ne
sont d’aucune utilité. Pire, ils constituent un leurre dont tirent
aisément profit les classes dominantes.
Censés combattre la peste brune, les « antifas »
semblent faire preuve d’une fascination mimétique pour les méthodes de
cette dernière. Dès lors, il serait sans doute pertinent de réfléchir au
placement des guillemets. Et de pointer plutôt des « anti »-fascistes.