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2. Pour
faire court, et ne pas revenir pour la logique et la loi à ce que
nous avons dit du concept et de son efficacité au niveau des objets de la
nature ou des outils, retenons seulement son application à ce qu'il
est convenu d'appeler les « sciences humaines » ou le « socialisme
scientifique
». La logique, dans son analyse des relations entre concepts,
part du même postulat que le concept : de même que le concept
prétendait reconstruire, sans résidu, l'objet, la logique entend reproduire,
dans son enchaînement de concepts, les relations et les
mouvements
du réel. Ce qui, répétons-le, est parfaitement respectable et
efficace à un certain niveau : celui où l'abstraction ne prive pas
l'objet de sa caractéristique fondamentale.
En
est-il ainsi à l'échelle de l'homme et de son histoire, de
l'économie
politique, de la psychologie, de la sociologie ou du socialisme
scientifique ?
D'Auguste
Comte en Durkheim, de Pavlov en Jacques Monod, de
Hegel
en Staline, on n'a jamais dissimulé que l'on appliquait
consciemment
à l'homme les méthodes et les lois qui avaient fait leurs
preuves
dans les sciences de la nature. Que Durkheim calque les
Règles
de la méthode sociologique 3 sur
celles de l'empirisme positiviste
de
Stuart Mill ; que Jacques Monod applique les lois de la
cybernétique,
qui faisaient merveille en génétique, à l'ensemble de
l'évolution,
y compris celle de l'homme ; que Staline fasse de la
dialectique
de l'histoire et de ses révolutions un cas particulier des lois
«
universelles » de la dialectique de la nature, la démarche est, dans
chaque
cas, la même : c'est celle de Descartes appliquant les lois de la
mécanique
au comportement animal, celle de La Mettrie les appliquant
à son
tour au comportement humain dans un livre dont le titre
avait
le mérite de définir le programme : l'Homme machine.
L'économiste
« classique » procède de même — mais sans le dire —
lorsqu'il
établit ses « lois » en réduisant l'homme à deux dimensions
seulement
: celle de travailleur et de consommateur, de travailleur
robot
et de consommateur avide, l'un et l'autre étant mus par le seul
intérêt.
Il y a là non pas une science mais une idéologie de
justification,
d'autant plus mystificatrice qu'elle a introduit subrepticement
(peut-être
même inconsciemment) un postulat caché de ce
qu'elle
fait passer pour science : le principe même de la société
capitaliste,
celui de Hobbes et des « utilitaristes anglais », qui
considéraient
comme « psychologie de l'homme » la psychologie
moyenne
du bourgeois de leur temps.
Nous
pourrions faire une démonstration analogue pour l'adversaire
direct
de cette « économie classique » : le « socialisme scientifique ».
Lui
aussi ne peut établir de lois économiques ou de lois historiques
que de
l'homme « aliéné », c'est-à-dire d'un homme à ce point mutilé
de sa
dimension proprement humaine que son histoire ressemble plus
ou
moins à l'évolution naturelle. En bref, disons que les « sciences
humaines
» nous apprennent beaucoup de choses sur l'homme, sauf
ce
qu'est l'homme.
Le «
postulat subreptice » de ces « sciences humaines » est celui-ci:
dans un monde d'aliénation et de manipulation on appelle
dans un monde d'aliénation et de manipulation on appelle
« homme
» l'homme aliéné et, retrouvant, au terme de la « recherche»,
ce que l'on avait introduit au début, on réalise ainsi, sous
ce que l'on avait introduit au début, on réalise ainsi, sous
l'enseigne
de la « science », une autre idéologie de justification et de
manipulation.
L'histoire
« scientifique » est l'histoire de l'homme aliéné.
Le
socialisme « scientifique » est le prolongement de cette histoire
et de son
aliénation.
Car le
socialisme peut être scientifique dans ses moyens (les
techniques
d'organisation ou de stratégie, fonctions des aliénations
existantes),
mais le choix de devenir un militant, le choix d'accepter
dans le
combat pour le socialisme le sacrifice de sa propre vie ne
peuvent
s'imposer par raison démonstrative ou par voie scientifique.
C'est
un choix, un acte de foi, un postulat.
Alors
que les sciences de la nature exigent que le sujet s'efface
autant
que possible devant l'objet, la connaissance exigée pour la
saisie
des créations humaines (des arts, des mysticismes, des prophetismes,
des
initiatives révolutionnaires, comme de la poésie ou de
l'amour)
exige que le sujet qui cherche à « comprendre » s'identifie
au
sujet acteur et créateur : l'objet ne peut être compris que par le
concept,
le sujet ne peut être atteint que par l'amour, le projet ne peut
être
désigné que par le mythe, l'utopie ou le poème. Plus prosaïquement
encore
: une chose est de connaître les causes et les effets
chimiques
ou biologiques de l'ivresse, autre chose d'éprouver
l'ivresse.
Une chose d'écrire un Traité des passions, autre chose
d'aimer.
Une chose de théoriser sur la révolution, autre chose de la
décider
et de l'accomplir. Une chose d'être historien, autre chose de
changer
le cours de l'histoire. Dans chaque cas, il ne s'agit pas
d'exclure
l'un des deux termes, mais d'être conscient de leur
différence.
Roger Garaudy, in "Appel aux vivants", extrait. A SUIVRE ICI