20 octobre 2016

Un regard sur le monde. Roger Garaudy


Tel est le regard du poète, du mystique et de l'homme toujours mutant avec ses révoltes, ses rêves et sa militance.
Ce regard sur le monde exige plus que 1’intelligence: la force fécondante et créatrice de l'imagination et de 1’amour.
Alors, au delà des dieux, ou plutôt des idoles, fabriquées par les "croyances", sous l'image grossière de la puissance d'un roi ou de la technique d'un potier, et qui sont au principe de toutes les théologies de la domination, consécration ou sacralisation des désordres établis, au delà des prières de demande, mendiant d'être exaucé par un monarque extérieur, comme des "rogations" idolâtres, avec leurs processions pour appeler la pluie du "ciel", naître dans la foi, 1'incessante et sans protocole prière de se tenir en état de veille, c'est à dire de création et d'émerveillement.
Lorsque ainsi, pour parler comme les "rishis" (les prophètes de 1'Inde),1'"Atman" s’ identifie avec le "Brahman" qui est en moi mais non pas à moi. Lorsque dans le Tao chinois je deviens UN avec le TOUT. Lorsqu'avec le Coran DIEU est plus près de moi que ma veine jugulaire. Lorsqu'avec JESUS nous prenons conscience que le Royaume de DIEU est au dedans de nous.
Lorsqu'avec la foi, quel qu'en soit le langage, DIEU et nous ne faisons ni deux ni un. Lorsque nous avons conscience que DIEU ne parlera jamais si ce n'est à travers des vies d'hommes, qu'il n'agira jamais si des hommes ne mettent pas à sa disposition leurs mains nous vivrons dans l'hymne et le poème d'un univers toujours inachevé, toujours en train d'être, nous entendons l'appel de ce monde enchanté et
amoureusement contraignant.
Cette participation est la vocation de l'homme total, et pour le dire en leur langage, celui de chaque peuple et, d'âge en âge, à son niveau de compréhension. Car si DIEU est transcendant, c'est à dire sans commune mesure avec le langage et la pensée des hommes, ses messagers ne peuvent parler aux
hommes que par paraboles; et les hommes ne parler à DIEU que
par métaphore, à la manière des mystiques de toutes les
religions qui furent des poètes, des bardes du TAO à ceux de la BHAGAVAD-GITA, des poèmes de ROUMI, d'IBN ARABI comme de Saint JEAN DE LA CROIX ou de Sainte THERESE D'AVILA.

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Saint PAUL seul a réjudaîsé et réhellénisé JESUS en faisant abstraction de sa vie, qui fut celle d'un pauvre, sans
propriété et sans pouvoir, et, de sa mort, la plus infamante: celle des esclaves crucifiés.
Sans jamais citer l'un de ses actes ou l'une de ses paroles, ni le témoignage de ses compagnons, il commence son
enseignement à partir d'un miracle de la résurrection
considérée, non comme la conséquence de toute sa vie et de son
enseignement subversif,  mais comme une manifestation de la
"puissance de DIEU", et il confie à JESUS tous les attributs
qu'il avait refusés pendant sa vie:1a puissance, la gloire, la
domination, la vengeance même, l'écrasement des pécheurs("Ce DIEU tire vengeance "(II-Thess 1,8 ) "Il est juste que DIEU rende détresse pour détresse à vos oppresseurs" (II,Thess 1,6). Aux antipodes du "DICOURS SUR LA MONTAGNE "de JESUS, et de ses "BEATITUDES ".
Il réintégrait ainsi JESUS le libérateur dans le droit commun des dieux anciens et de leur théologie de la domination, "DIEU des armées "comme JEHOVAH, pou "brandissant la foudre" comme ZEUS.
Alors que tous ces dieux étaient morts en JESUS ouvrant plus irrécusable brèche dans l'histoire des hommes et des dieux, en montrant que la transcendance pouvait se manifester autrement que dans la puissance dominatrice des rois célestes tout puissants, mais au contraire dans la faiblesse du plus démuni mais du plus inflexible.
Il s'agissait là d'un message universel et universellement libérateur. JESUS, disait un père de l'Eglise CLEMENT D'ALEXANDRIE,"n'est ni barbare, ni juif, ni grec, ni
Homme, ni femme: c'est l'homme nouveau, l'homme de DIEU,
transformé par 1'ESPRIT Saint "(Protreptique 113 e t 114 )
C'est là le contraire exact de ce qu'écrit Monseigneur LUSTIGER, Archevêque de Paris: JESUS ne pouvait être ni
chinois, ni noir, et ne pouvait naître que du "peuple élu’' ce
dont le félicite Mme d'ENCAUSSE le 1er mars 96 lors de sa
réception à 1'Académie française.


Cela est capital, non seulement pour rappeler l'universalité du message de JESUS, mais pour prendre conscience de l'unité transcendante des religions et la nécessité des dialogues fraternels de la foi à travers la diversité des croyances ;
Les croyances ( et les rites et les dogmes qui en découlent) sont une idéologie liée à telle ou telle culture.
Alors que la foi est une manière d'agir: ce qui importe donc ce n'est pas ce qu'un homme dit de sa f o i (selon ses croyances particulières), mais ce que cette foi a fait de
cet homme: un poète, un rebelle, c’est à dire l'un de ceux qui
ne se contentent pas de l'ordre existant mais qui voient en
chaque être, l'acte qui ne cesse de le créer et d'en faire
éclore les branches et les fruits.
Ce que nous avons appelé une raison mutilée, un rationalisme infirme, c'est cette démarche de l'esprit qui ne considère comme existantes que les choses et les causes, les lois qui les enchaînent.
Une raison pleinière, en adoptant, sans réserve ce premier niveau de réalité, 1'intègre à un ensemble plus vaste: celui de l'imagination constituante, créatrice, qui voit au delà de la perception des choses l'intuition de leur sens, au delà de 1'analyse des causes les fins qu'elles permettent d'atteindre, le projet à la fois poétique et militant qu'elles portent en elles.
Voir le papillon dans la chenille, le palmier dans le noyau de la datte, le frère aussi dans mon prochain et mon lointain, dans le sourire éphémère du jasmin, 1a résurrection éternelle du printemps, dans le chaos régnant sur le monde le projet d'un Royaume de DIEU.

Roger Garaudy
Document  de travail. Années 1990-1995 ?



"UN REGARD SUR LE MONDE" (titre AR)