06 mars 2014

Il y a dialogue et dialogue

Je suis connu, ici ou là, comme un homme de dialogue.
Mais je me refuse à considérer le dialogue comme une nouvelle
stratégie. Certes, dans notre subconscient, nous ne
voulons pas conquérir et nous voulons comprendre. Cependant
on dialogue souvent avec la conviction inconsciente,
profonde, parfois même secrète, que c'est moi qui,
étant disposé à vous écouter et à changer quelques petites
choses en moi, ai raison. Or ce genre de dialogue n'a
rien à voir avec un vrai dialogue, c'est-à-dire celui qui
ne repose pas sur un agenda, celui qui ne connaît pas de
"non negotiable questions", celui dans lequel tout est
susceptible de pouvoir être contesté. Bref, je fais la
différence entre le dialogue dialectique et le dialogue
dialogal.
L'Eglise catholique, au Concile Vatican II, pour la première
fois que je sache, a donné une description positive
et sympathique des autres religions et a (un vrai tour
de force !) décrit en peu de lignes l'indouisme, le judaïsme
et les autres religions. Mais elle n'a pas senti
la nécessité d'inviter, et les Musulmans, et les Indous,
et tous ceux qui représentent le sujet dont elle entendait
parler. Des théologiens catholiques, avec quelques
experts protestants, ont rédige ce texte. Le texte est
magnifique ; c'est une réussite ; mais on n'a pas écouté
l'autre en tant qu'autre.
Assurément le dialogue crée un risque parce qu'on ne sait
pas, au préalable, quel est le résultat du dialogue. De
ce point de vue, je crois que ni le Conseil oecuménique
des églises, ni le Vatican ne sont encore prêts à des
dialogues dont ils craignent que les résultats ne soient
trop révolutionnaires. Mais nous marchons dans la bonne
direction.
Peut-être pourrais-je expliquer ce que j'entends par
dialogue dialectique et dialogue dialogal. Dans le dialogue
dialogal, je ne suis là ni pour convaincre l'autre,
ni pour mettre en lumière mon point de vue, mais pour me
laisser connaître parce que l'autre est essentiel pour la
connaissance même que j'ai de moi. Nous vivons tous dans
le mythe: dans mon premier sutra, quand j'ai fait une
phénoménologie du mythe, je disais ; le mythe est ce en
quoi nous croyons sans croire que nous y croyons. Ou
encore ; ce qui va tellement sans dire qu'on ne le dit
pas. Or j'ai précisément besoin de l'autre pour comprendre
ce sur quoi je m'appuie, et que je vois mal, et qui est
peut-être contestable si l'on se place à un autre point
de vue que le mien.

Extrait de Foi et solidarité des peuples, n°5, avril 1981
Le Centre "Foi et solidarité des peuples" a été créé conjointement en janvier 1976, par le Comité catholique contre
la faim et pour le développement, 1'Institut catholique de Paris et l'Union nationale des Centres d'étude et
d'action sociales. Le Centre Sèvres, le Centre pastoral Halles-Beaubourg et le Secrétariat tiers-monde de la Mission de France en sont maintenant parties prenantes.
 





Dans ce livre figurent notamment 
des textes de Roger Garaudy 
et Raimundo Pannikar