LE VENDREDI
29 MARS 1968
« Madame,
n’êtes-vous pas gênée de vivre dans le grand luxe en plein cœur d’un pays,
d’une ville où, par masses, les hommes, les femmes, les enfants meurent de faim
? »
Telle était la question que posait l’interviewer de la télévision française, voici deux ans vers la Pâque, à une femme richissime de Calcutta. « Oh ! vous savez, on s’habitue ! ».
Les questions reprennent. « Vos domestiques peuvent-ils voir leurs familles ? » Quelle est la réponse ? « Je leur donne l’autorisation de voir leurs parents à peu près tous les dix ans ». Enfin, l’ultime tentative : « Les gens à votre service mangent-ils à leur faim ? » « A leur faim, c’est beaucoup dire, mais tout de même suffisamment ». Je n’oublierai jamais l’égoïsme, la tranquille indifférence de ce beau visage féminin qui a , bien sûr, ses nombreux équivalents masculins. Il est plus éloquent que tous les chiffres pour résumer la tragédie du monde. A un homme qui demandait de l’argent en formulant la raison suprême : « Monsieur, il faut bien que je vive », Talleyrand, ancien évêque d’Autun, répondait : « Je n’en vois pas la nécessité ». Nous sommes dans un monde où l’on ne voit pas encore, où l’on ne sent pas la nécessité pour tous les humains de vivre. Davantage, les mécanismes du fonctionnement régulier de notre système contestent à des masses, à des foules humaines le droit élémentaire de vivre. Les riches, les puissants ne peuvent pas flairer, sont dans l’incapacité radicale de sentir la nécessité où sont tous les humains de vivre. Aussi la nouvelle heureuse, bonne de la vie exubérante pour les spoliés, les opprimés, les pauvres, est-elle du même coup mauvaise pour les riches. Il existe, accompagnant les béatitudes, une malédiction radicale , sans nuances, dans l’Evangile : elle ne s’adresse absolument pas aux gens sans religion, sans foi ni loi, aux athées, mais aux riches. Nous avons tort de l’interpréter comme un verdict extérieur, une condamnation morale. Quand il maudit les riches, Jésus Christ fait seulement une constatation : je n’ai jamais vu un riche heureux. Mais, me direz-vous, l’expérience du monde entier se dresse contre votre naïve affirmation. Pardonnez-moi, mais je la maintiens : c’est évident, je connais des riches satisfaits, bien pourvus, bien nantis, gavés, repus, mais heureux, jamais. Plus encore, à mesure même que le riche, le puissant obéit, s’asservit aux réflexes de la richesse, de la puissance, il devient incapable de pressentir, de soupçonner le bonheur, la joie, la béatitude. Parce que la béatitude se trouve dans ce qui ne satisfait pas mais comble à l’infini : la mise en commun, le partage, la réciprocité aimante, liante, fraternelle. Dans une forme de société qui pousse chacun à se satisfaire, il est inévitable que par foule, par masse, les hommes, les femmes, les humains soient volés. Quand nous sommes encouragés à nous satisfaire, personne n’est comblé. Je suis hanté par un film brésilien au titre terrible : « Vidas secas ». La traduction française inexacte est « Sécheresse ». En réalité, ce sont les vies pas sèches mais asséchées, les vies desséchées, les vies stériles, stérilisées, condamnées à mort dès leur naissance. C’est la multitude des vies non irriguées qui tournent court parce que ne les irriguent pas, ne les inondent pas les eaux ruisselantes d’un grand projet. Selon que nous traduisons par sécheresse ou vies asséchées, nous sommes aux prises avec deux conceptions du monde : si c’est la sécheresse, on n’y peut rien car elle représente un phénomène inévitable, une fatalité. Mais les vies non irriguées par le projet fertilisant supposent des responsabilités humaines, des carences, des fautes, un engrenage de culpabilité qu’il faut casser, briser afin que vivent, respirent les hommes et les femmes. Tranchons dans le vif. Avec tout le poids d’une expérience davantage creusée, approfondie, pensée, je vais le dire abruptement, en vérité radicalement parlée.
C’est après un peu moins de quarante ans qui ont suivi ma conférence à la Mutualité sur la foi libératrice que l’évidente réalité sociale et totale infernale aussi bien qu’explosive dans la lutte contre elle m’est apparue. Si je dis « sécheresse » pour « Vidas seccas », il n’y a que des faits, un réel objectif, une histoire objective, indépendante des volontés soit divine soit humaine ou patronale, gouvernementale. C’est comme çà, dernier mot d’absolument tout, la soumission à l’ordre du monde, qu’il vienne de la sagesse d’un Dieu maître de l’univers ou d’un déroulement anonyme de la loi souveraine des choses et des gens tels qu’ils sont. Mais, si je commence à parler des vies desséchées, asséchées, rendues sèches, alors forcément, inéluctablement, obligatoirement, il y a des responsables, il y a des coupables qui, de plus, agissent en s’appuyant sur un réseau de complicités. S’il existe des pauvres et des pauvres murés, cloisonnés, séchés, enterrés vivants dans leur pauvreté individuelle, particulière, empêchés, interdits de constituer humainement, politiquement l’international, l’universel peuple des pauvres, c’est parce qu’il y a des riches. Et non seulement des riches mais des riches qui on fini depuis très longtemps par n’être plus que des riches et même que le riche, le type, l’archétype du riche. Non pas le riche comme être singulier impossible d’ailleurs à faire exister. Mais le riche abstrait, l’abstraction du riche, l’homme de l’argent, un chéquier, un portefeuille, un coffre-fort ambulant, des actions, des capitaux, la capital qui vit à la place du vivant. L’incarnation du capital , l’incarnation de l’argent rivale de l’incarnation du verbe, de la Parole qui est Dieu. Crûment : l’existence des pauvres interdits d’avènement du peuple de tous les pauvres mais c’est la preuve criante de la culpabilité, de la férocité du riche. Les pauvres muselés, parqués dans leur pauvreté, c’est la faute au riche. Je le dis en termes si concrets que tout le monde le saisit du premier coup comme la primordiale évidence enfantine : le millionnaire d’hier, le milliardaire d’aujourd’hui, c’est le coupable de l’existence des prolétaires, des précaires . Comme les dirigeants, les puissants et, au sommet de leur hiérarchie, le tout puissant, le prince de ce monde donc le Malin, le Diable sont coupables de tous les obéissants, de tous les exécutants.
Comme le pouvoir est coupable des subordonnés, des soumis, comme le supérieur est coupable des inférieurs, comme c’est le négrier qui fait du noir le nègre, c’est le Fonds Monétaire International avec la Banque Mondiale et l’Organisation Mondiale du Commerce qui rendent inopérante, inefficace l’Assemblée des Nations Unies dont le Conseil de Sécurité des Grands achève de paralyser les initiatives d’humanité.
Comme en Amérique Latine, la multiplication des masses humaines à l’état précaire, grégaire aggravé par les militaires, c’est la faute aux latifundiaires, ces énormes propriétaires. Ceux-ci pour asseoir leur empire ont recours aux pistoleros, les tueurs à gages.
C’est la somme des grosses fortunes qui est coupable de l’humaine cosmique criante infortune. Savez-vous à quel point de crapulerie d’immonde crétinisme d’ordre international néo-libéral social nous sommes parvenus ? Il est normal que des hommes d’état et d’affaires se rencontrent à des conférences au sommet, tandis qu’il faut, dit-on en haut lieu, interdire un rassemblement de plus de trois ou dix personnes parce qu’il risquerait de troubles l’ordre public et d’imposer la loi de la rue. Sans les riches et le pouvoir, il n’y aurait pas de pauvres isolés. Il faut donc qu’émergent les pauvres en peuple que rejoignent les anciens riches liquidateurs volontaires de leur richesse et de leur pouvoir.
Ce que je viens d’écrire, parler à partir d’un peu moins de 40 ans après la Mutualité, c’est ma première actualisation 2005-2006 de mon cri en 68. Je retrouve maintenant ma parole de l’époque.
Au Brésil, 20% des enfants qui voient le jour meurent avant d’atteindre l’âge d’un an. 50ù avant d’atteindre 5 ans. La moyenne des français meurt entre 60 et 65 ans. Au Brésil on meurt en moyenne vers 35 ans et aux alentours de la 27ème année dans le Nordeste. 2400 calories par jour sont nécessaires à une vie humaine. Le brésilien moyen dispose de 800 à 1200 calories quotidiennes, tandis que le canadien en a 3100.
Dans l’agriculture, 1,50 % des propriétaires, des latifundiaires possèdent 50 % des terres cultivées. Quand je vous disais que les riches et le pouvoir étaient coupables du pauvre ! Dans l’industrie à Sao Paulo, le salaire minimum est de 105 000 cruseiros par mois, 105 nouveaux cruseiros, puisque l’on a divisé par 1000 cette monnaie dévaluée. C’est l’équivalent de 200 nouveaux francs par mois. Or, l’état de Sao Paulo est de loin le plus prospère et le taux du salire minimum y est plus élevé. A Sao Paulo, les jeunes trouvent plus facilement du travail à bas prix mais beaucoup tombent au chômage. Des enfants par flots, par foule, viennent au monde avant ce qui devrait être là pour les accueillir : ils n’ont pas le toit, le logement, l’équipement sanitaire, l’école. Tout leur fait défaut pour leur croissance, leur marche vers leur état d’hommes responsables ; tout leur manque jusque dans la défense du droit élémentaire à la vie. Les hommes, les humains par masse ne dépassent pas l’âge du nourrisson, du tout petit d’homme, des humains par masses énormes passent leur temps à courir après ce qui aurait dû les précéder. Quand je vous disais que les riches et le pouvoir étaient les éliminateurs, les fossoyeurs des pauvres ! Je le dis et le redis : « Malheur à vous, riches ! » Ce n’est pas une condamnation morale ; c’est une terrible constatation : le riche comme riche est la cause directe, le responsable de la détresse du pauvre, celui qui empêche par instinct de conservation et d’expansion le rassemblement , la constitution humaine politique des pauvres en un seul Peuple, en force d’humanité. Le malheur du riche vient de ce qu’il n’est pas porté, incliné à donner, à mettre en commun, à partager. Au contraire, non ses sentiments, son intention morale mais la logique de sa situation qui finit par constituer ses réflexes, sa mentalité, le contraint à préserver, à défendre ce qu’il a, ce qu’il possède, à toujours davantage accumuler, à étendre au loin, à augmenter son bien. C’est dans ce sens qu’il n’y a pas, qu’il ne saurait exister, réellement parlant, évangéliquement parlant, de bons riches.
C’est dans ce sens que le système de l’argent, du profit, du capitalisme, du principe même de l’économie de marché avec son ressort, son mobile de la compétition, durcit, insensibilise les hommes, les femmes parvenus à la réussite libéralo-sociale, les remplit, les gonfle de suffisance oligarchique, élitaire, les fabrique rivaux les uns des autres jusqu’à ce que le plus fort entreprenne par libre jeu de concurrence l’élimination en parfaite légalité de ses ex-semblables. L’argent organisé, structuré, planétarisé en processus d’accumulation du capital, a ceci d’impitoyable qu’à la fois il élargit, il universalise le champ d’étroitesse, d’inculture, de bornage humain constitutif du riche et tue, nie le pauvre, l’unique principe vital d’humanité fraternelle. Il en résulte que la course aux armements, à la fabrication mondiale d’outils d’assassinat représente le point extrême criminel de la protection des biens volés par ceux qui ont et veulent avoir toujours plus . Oui, le mot n’est pas trop fort, il correspond à la réalité : les biens volés à la grande masse, au peuple des hommes, des femmes, des enfants interdits d’exister par le mouvement tyrannique de circulation exclusive du capital. François d’Assise l’avait admirablement compris, lui qui ne voulait pour ses frères de fraternité humaine divine sans frontières mais aussi cosmique d’universelle fantaisie créatrice, aucune propriété, aucune appropriation. A son évêque qui lui recommandait de ne pas exagérer, de concéder un minimum de possession, il répondait : « Seigneur évêque, si nous avons des propriétés, il nous faudra des armes pour les défendre ». Il la voyait bien François, se perfectionner la technique, la stratégie, l’idéologie, la philosophie, la théologie de tuerie du pauvre par le riche et le pouvoir.
Du côté des nantis, des privilégiés, du moins de la catégorie humaine qui peut se payer le luxe des états d’âme, voici que surgit une profession nouvelle, un métier nouveau : celui des spécialistes dont les siècles précédents n’avaient pas eu l’idée . Je les appellerai volontiers d’une dénomination provisoire, les experts de l’humain refoulé par le morcellement systématique de l’humanité. C’est l’armée innombrable, ce sont les légions de psychologues, de psychothérapeutes, de psychologues de groupe, de psychiatres, de psychanalystes. Autant de professions voici à peine un siècle ignorées, insoupçonnées. Quel est le rôle de ces hommes et de ces femmes ? Ils sont destinés à réparer les dégâts de la manière dont marche le monde. Ils essaient de corriger par une écoute des rêves, des projets avortés, les crises habituelles et aussi extrêmes, les situations paroxystiques qui résultent du fonctionnement qualifié de courant, de normal, c’est à dire d’une pathologie de la normalité, des société où nous nous trouvons. Autrement dit, l’armée des psy représente, d’authentique nécessité libératrice pourtant, un gigantesque palliatif. A partir de l’enfance tous les humains, tous les vivants souffrent irrémédiablement d’une crise de finalité en même temps que d’identité. Qui suis-je ? Voilà en quoi consiste la situation de notre temps : ce dont l’homme ou la femme adulte s’apercevait à peu près vers la quarantième année, l’adolescent aujourd’hui s’en rend compte. C’est encore peu dire : ce qui était dans l’ordre de certaines élites, le mal du siècle réservé à l’adolescence, à la jeunesse, devient maintenant le mal de l’enfant. Si vous écoutez bien, vous pressentez que la contestation fait ses premiers pas, ses débuts à l’école maternelle. Je crois qu’il s’agit de la plus grande découverte des sciences humaines : l’homme, l’humain à l’état d’enfant, le petit, même déjà dans sa vie intra utérine sent, flaire un monde tordu, une société tordue, avant même de pouvoir le formuler car les instruments de formulation sont un capital, des moyens d’adultes. C’est la raison pour laquelle commence à se dessiner une internationale des pauvres et des jeunes. La question ne fait plus de doute : pour guérir les cas extrêmes, innombrables aujourd’hui, d’hommes et de femmes détraqués par le système, il ne faut rien moins que la refonte du monde. Pour guérir les malades psychiques qui se multiplient, il est urgent de renverser la vapeur, de changer radicalement les motifs d’action, les stimulants de la vie humaine. Pour permettre aux humains de respirer, il faut opérer une conversion, mot collectif ou plutôt convivial et non individuel, particulier mais personnel, autrement dit s’orienter ensemble vers ce pourquoi nous sommes tous faits ou plutôt créés de création. Le Carême pour notre temps, c’est la logique radicale de la conversion, de l’universelle transformation de fond en comble. On ne peut réaliser une conversion, la transformation de fond en comble sans rupture, sans révolution. Une fatalité intolérable pèse sur le monde : les riches y deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Les dominateurs y deviennent de plus en plus dominateurs et les dominés de plus en plus dominés. Les supérieurs y deviennent de plus en plus supérieurs et les inférieurs de plus en plus inférieurs. Les prédateurs y deviennent de plus en plus prédateurs et les proies de plus en plus proies. La masse des étudiants écoute sans broncher, sans sourciller en première année de droit, de sciences économiques, d’une scolarité prolongée dite vaguement supérieure même universitaire, la justification de l’ordre sauvage, concurrentiel à finalité monopolistique du tout Marché, qui rend les riches de plus en plus riches, le tout dans un décervelage au rythme galopant qui sécrète l’irresponsabilité massive face à l’absolutisme de la compétence professionnelle des grandes compagnies anonymes, dynastiques, incultes du fondamental de créative humanité. « Le Père pour les croyants, est-il dit, a beau nous regarder du haut de ses nuages d’Etat providence, la force des choses pour les incroyants irait-elle jusqu’à nous entraîner d’évolution d’une concurrence sans frein vers un mieux d’indépassable économie de marché, il y aura toujours des agneaux et des loups, des plumeurs et des plumés, des baiseurs et des baisés.
Telle était la question que posait l’interviewer de la télévision française, voici deux ans vers la Pâque, à une femme richissime de Calcutta. « Oh ! vous savez, on s’habitue ! ».
Les questions reprennent. « Vos domestiques peuvent-ils voir leurs familles ? » Quelle est la réponse ? « Je leur donne l’autorisation de voir leurs parents à peu près tous les dix ans ». Enfin, l’ultime tentative : « Les gens à votre service mangent-ils à leur faim ? » « A leur faim, c’est beaucoup dire, mais tout de même suffisamment ». Je n’oublierai jamais l’égoïsme, la tranquille indifférence de ce beau visage féminin qui a , bien sûr, ses nombreux équivalents masculins. Il est plus éloquent que tous les chiffres pour résumer la tragédie du monde. A un homme qui demandait de l’argent en formulant la raison suprême : « Monsieur, il faut bien que je vive », Talleyrand, ancien évêque d’Autun, répondait : « Je n’en vois pas la nécessité ». Nous sommes dans un monde où l’on ne voit pas encore, où l’on ne sent pas la nécessité pour tous les humains de vivre. Davantage, les mécanismes du fonctionnement régulier de notre système contestent à des masses, à des foules humaines le droit élémentaire de vivre. Les riches, les puissants ne peuvent pas flairer, sont dans l’incapacité radicale de sentir la nécessité où sont tous les humains de vivre. Aussi la nouvelle heureuse, bonne de la vie exubérante pour les spoliés, les opprimés, les pauvres, est-elle du même coup mauvaise pour les riches. Il existe, accompagnant les béatitudes, une malédiction radicale , sans nuances, dans l’Evangile : elle ne s’adresse absolument pas aux gens sans religion, sans foi ni loi, aux athées, mais aux riches. Nous avons tort de l’interpréter comme un verdict extérieur, une condamnation morale. Quand il maudit les riches, Jésus Christ fait seulement une constatation : je n’ai jamais vu un riche heureux. Mais, me direz-vous, l’expérience du monde entier se dresse contre votre naïve affirmation. Pardonnez-moi, mais je la maintiens : c’est évident, je connais des riches satisfaits, bien pourvus, bien nantis, gavés, repus, mais heureux, jamais. Plus encore, à mesure même que le riche, le puissant obéit, s’asservit aux réflexes de la richesse, de la puissance, il devient incapable de pressentir, de soupçonner le bonheur, la joie, la béatitude. Parce que la béatitude se trouve dans ce qui ne satisfait pas mais comble à l’infini : la mise en commun, le partage, la réciprocité aimante, liante, fraternelle. Dans une forme de société qui pousse chacun à se satisfaire, il est inévitable que par foule, par masse, les hommes, les femmes, les humains soient volés. Quand nous sommes encouragés à nous satisfaire, personne n’est comblé. Je suis hanté par un film brésilien au titre terrible : « Vidas secas ». La traduction française inexacte est « Sécheresse ». En réalité, ce sont les vies pas sèches mais asséchées, les vies desséchées, les vies stériles, stérilisées, condamnées à mort dès leur naissance. C’est la multitude des vies non irriguées qui tournent court parce que ne les irriguent pas, ne les inondent pas les eaux ruisselantes d’un grand projet. Selon que nous traduisons par sécheresse ou vies asséchées, nous sommes aux prises avec deux conceptions du monde : si c’est la sécheresse, on n’y peut rien car elle représente un phénomène inévitable, une fatalité. Mais les vies non irriguées par le projet fertilisant supposent des responsabilités humaines, des carences, des fautes, un engrenage de culpabilité qu’il faut casser, briser afin que vivent, respirent les hommes et les femmes. Tranchons dans le vif. Avec tout le poids d’une expérience davantage creusée, approfondie, pensée, je vais le dire abruptement, en vérité radicalement parlée.
C’est après un peu moins de quarante ans qui ont suivi ma conférence à la Mutualité sur la foi libératrice que l’évidente réalité sociale et totale infernale aussi bien qu’explosive dans la lutte contre elle m’est apparue. Si je dis « sécheresse » pour « Vidas seccas », il n’y a que des faits, un réel objectif, une histoire objective, indépendante des volontés soit divine soit humaine ou patronale, gouvernementale. C’est comme çà, dernier mot d’absolument tout, la soumission à l’ordre du monde, qu’il vienne de la sagesse d’un Dieu maître de l’univers ou d’un déroulement anonyme de la loi souveraine des choses et des gens tels qu’ils sont. Mais, si je commence à parler des vies desséchées, asséchées, rendues sèches, alors forcément, inéluctablement, obligatoirement, il y a des responsables, il y a des coupables qui, de plus, agissent en s’appuyant sur un réseau de complicités. S’il existe des pauvres et des pauvres murés, cloisonnés, séchés, enterrés vivants dans leur pauvreté individuelle, particulière, empêchés, interdits de constituer humainement, politiquement l’international, l’universel peuple des pauvres, c’est parce qu’il y a des riches. Et non seulement des riches mais des riches qui on fini depuis très longtemps par n’être plus que des riches et même que le riche, le type, l’archétype du riche. Non pas le riche comme être singulier impossible d’ailleurs à faire exister. Mais le riche abstrait, l’abstraction du riche, l’homme de l’argent, un chéquier, un portefeuille, un coffre-fort ambulant, des actions, des capitaux, la capital qui vit à la place du vivant. L’incarnation du capital , l’incarnation de l’argent rivale de l’incarnation du verbe, de la Parole qui est Dieu. Crûment : l’existence des pauvres interdits d’avènement du peuple de tous les pauvres mais c’est la preuve criante de la culpabilité, de la férocité du riche. Les pauvres muselés, parqués dans leur pauvreté, c’est la faute au riche. Je le dis en termes si concrets que tout le monde le saisit du premier coup comme la primordiale évidence enfantine : le millionnaire d’hier, le milliardaire d’aujourd’hui, c’est le coupable de l’existence des prolétaires, des précaires . Comme les dirigeants, les puissants et, au sommet de leur hiérarchie, le tout puissant, le prince de ce monde donc le Malin, le Diable sont coupables de tous les obéissants, de tous les exécutants.
Comme le pouvoir est coupable des subordonnés, des soumis, comme le supérieur est coupable des inférieurs, comme c’est le négrier qui fait du noir le nègre, c’est le Fonds Monétaire International avec la Banque Mondiale et l’Organisation Mondiale du Commerce qui rendent inopérante, inefficace l’Assemblée des Nations Unies dont le Conseil de Sécurité des Grands achève de paralyser les initiatives d’humanité.
Comme en Amérique Latine, la multiplication des masses humaines à l’état précaire, grégaire aggravé par les militaires, c’est la faute aux latifundiaires, ces énormes propriétaires. Ceux-ci pour asseoir leur empire ont recours aux pistoleros, les tueurs à gages.
C’est la somme des grosses fortunes qui est coupable de l’humaine cosmique criante infortune. Savez-vous à quel point de crapulerie d’immonde crétinisme d’ordre international néo-libéral social nous sommes parvenus ? Il est normal que des hommes d’état et d’affaires se rencontrent à des conférences au sommet, tandis qu’il faut, dit-on en haut lieu, interdire un rassemblement de plus de trois ou dix personnes parce qu’il risquerait de troubles l’ordre public et d’imposer la loi de la rue. Sans les riches et le pouvoir, il n’y aurait pas de pauvres isolés. Il faut donc qu’émergent les pauvres en peuple que rejoignent les anciens riches liquidateurs volontaires de leur richesse et de leur pouvoir.
Ce que je viens d’écrire, parler à partir d’un peu moins de 40 ans après la Mutualité, c’est ma première actualisation 2005-2006 de mon cri en 68. Je retrouve maintenant ma parole de l’époque.
Au Brésil, 20% des enfants qui voient le jour meurent avant d’atteindre l’âge d’un an. 50ù avant d’atteindre 5 ans. La moyenne des français meurt entre 60 et 65 ans. Au Brésil on meurt en moyenne vers 35 ans et aux alentours de la 27ème année dans le Nordeste. 2400 calories par jour sont nécessaires à une vie humaine. Le brésilien moyen dispose de 800 à 1200 calories quotidiennes, tandis que le canadien en a 3100.
Dans l’agriculture, 1,50 % des propriétaires, des latifundiaires possèdent 50 % des terres cultivées. Quand je vous disais que les riches et le pouvoir étaient coupables du pauvre ! Dans l’industrie à Sao Paulo, le salaire minimum est de 105 000 cruseiros par mois, 105 nouveaux cruseiros, puisque l’on a divisé par 1000 cette monnaie dévaluée. C’est l’équivalent de 200 nouveaux francs par mois. Or, l’état de Sao Paulo est de loin le plus prospère et le taux du salire minimum y est plus élevé. A Sao Paulo, les jeunes trouvent plus facilement du travail à bas prix mais beaucoup tombent au chômage. Des enfants par flots, par foule, viennent au monde avant ce qui devrait être là pour les accueillir : ils n’ont pas le toit, le logement, l’équipement sanitaire, l’école. Tout leur fait défaut pour leur croissance, leur marche vers leur état d’hommes responsables ; tout leur manque jusque dans la défense du droit élémentaire à la vie. Les hommes, les humains par masse ne dépassent pas l’âge du nourrisson, du tout petit d’homme, des humains par masses énormes passent leur temps à courir après ce qui aurait dû les précéder. Quand je vous disais que les riches et le pouvoir étaient les éliminateurs, les fossoyeurs des pauvres ! Je le dis et le redis : « Malheur à vous, riches ! » Ce n’est pas une condamnation morale ; c’est une terrible constatation : le riche comme riche est la cause directe, le responsable de la détresse du pauvre, celui qui empêche par instinct de conservation et d’expansion le rassemblement , la constitution humaine politique des pauvres en un seul Peuple, en force d’humanité. Le malheur du riche vient de ce qu’il n’est pas porté, incliné à donner, à mettre en commun, à partager. Au contraire, non ses sentiments, son intention morale mais la logique de sa situation qui finit par constituer ses réflexes, sa mentalité, le contraint à préserver, à défendre ce qu’il a, ce qu’il possède, à toujours davantage accumuler, à étendre au loin, à augmenter son bien. C’est dans ce sens qu’il n’y a pas, qu’il ne saurait exister, réellement parlant, évangéliquement parlant, de bons riches.
C’est dans ce sens que le système de l’argent, du profit, du capitalisme, du principe même de l’économie de marché avec son ressort, son mobile de la compétition, durcit, insensibilise les hommes, les femmes parvenus à la réussite libéralo-sociale, les remplit, les gonfle de suffisance oligarchique, élitaire, les fabrique rivaux les uns des autres jusqu’à ce que le plus fort entreprenne par libre jeu de concurrence l’élimination en parfaite légalité de ses ex-semblables. L’argent organisé, structuré, planétarisé en processus d’accumulation du capital, a ceci d’impitoyable qu’à la fois il élargit, il universalise le champ d’étroitesse, d’inculture, de bornage humain constitutif du riche et tue, nie le pauvre, l’unique principe vital d’humanité fraternelle. Il en résulte que la course aux armements, à la fabrication mondiale d’outils d’assassinat représente le point extrême criminel de la protection des biens volés par ceux qui ont et veulent avoir toujours plus . Oui, le mot n’est pas trop fort, il correspond à la réalité : les biens volés à la grande masse, au peuple des hommes, des femmes, des enfants interdits d’exister par le mouvement tyrannique de circulation exclusive du capital. François d’Assise l’avait admirablement compris, lui qui ne voulait pour ses frères de fraternité humaine divine sans frontières mais aussi cosmique d’universelle fantaisie créatrice, aucune propriété, aucune appropriation. A son évêque qui lui recommandait de ne pas exagérer, de concéder un minimum de possession, il répondait : « Seigneur évêque, si nous avons des propriétés, il nous faudra des armes pour les défendre ». Il la voyait bien François, se perfectionner la technique, la stratégie, l’idéologie, la philosophie, la théologie de tuerie du pauvre par le riche et le pouvoir.
Du côté des nantis, des privilégiés, du moins de la catégorie humaine qui peut se payer le luxe des états d’âme, voici que surgit une profession nouvelle, un métier nouveau : celui des spécialistes dont les siècles précédents n’avaient pas eu l’idée . Je les appellerai volontiers d’une dénomination provisoire, les experts de l’humain refoulé par le morcellement systématique de l’humanité. C’est l’armée innombrable, ce sont les légions de psychologues, de psychothérapeutes, de psychologues de groupe, de psychiatres, de psychanalystes. Autant de professions voici à peine un siècle ignorées, insoupçonnées. Quel est le rôle de ces hommes et de ces femmes ? Ils sont destinés à réparer les dégâts de la manière dont marche le monde. Ils essaient de corriger par une écoute des rêves, des projets avortés, les crises habituelles et aussi extrêmes, les situations paroxystiques qui résultent du fonctionnement qualifié de courant, de normal, c’est à dire d’une pathologie de la normalité, des société où nous nous trouvons. Autrement dit, l’armée des psy représente, d’authentique nécessité libératrice pourtant, un gigantesque palliatif. A partir de l’enfance tous les humains, tous les vivants souffrent irrémédiablement d’une crise de finalité en même temps que d’identité. Qui suis-je ? Voilà en quoi consiste la situation de notre temps : ce dont l’homme ou la femme adulte s’apercevait à peu près vers la quarantième année, l’adolescent aujourd’hui s’en rend compte. C’est encore peu dire : ce qui était dans l’ordre de certaines élites, le mal du siècle réservé à l’adolescence, à la jeunesse, devient maintenant le mal de l’enfant. Si vous écoutez bien, vous pressentez que la contestation fait ses premiers pas, ses débuts à l’école maternelle. Je crois qu’il s’agit de la plus grande découverte des sciences humaines : l’homme, l’humain à l’état d’enfant, le petit, même déjà dans sa vie intra utérine sent, flaire un monde tordu, une société tordue, avant même de pouvoir le formuler car les instruments de formulation sont un capital, des moyens d’adultes. C’est la raison pour laquelle commence à se dessiner une internationale des pauvres et des jeunes. La question ne fait plus de doute : pour guérir les cas extrêmes, innombrables aujourd’hui, d’hommes et de femmes détraqués par le système, il ne faut rien moins que la refonte du monde. Pour guérir les malades psychiques qui se multiplient, il est urgent de renverser la vapeur, de changer radicalement les motifs d’action, les stimulants de la vie humaine. Pour permettre aux humains de respirer, il faut opérer une conversion, mot collectif ou plutôt convivial et non individuel, particulier mais personnel, autrement dit s’orienter ensemble vers ce pourquoi nous sommes tous faits ou plutôt créés de création. Le Carême pour notre temps, c’est la logique radicale de la conversion, de l’universelle transformation de fond en comble. On ne peut réaliser une conversion, la transformation de fond en comble sans rupture, sans révolution. Une fatalité intolérable pèse sur le monde : les riches y deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Les dominateurs y deviennent de plus en plus dominateurs et les dominés de plus en plus dominés. Les supérieurs y deviennent de plus en plus supérieurs et les inférieurs de plus en plus inférieurs. Les prédateurs y deviennent de plus en plus prédateurs et les proies de plus en plus proies. La masse des étudiants écoute sans broncher, sans sourciller en première année de droit, de sciences économiques, d’une scolarité prolongée dite vaguement supérieure même universitaire, la justification de l’ordre sauvage, concurrentiel à finalité monopolistique du tout Marché, qui rend les riches de plus en plus riches, le tout dans un décervelage au rythme galopant qui sécrète l’irresponsabilité massive face à l’absolutisme de la compétence professionnelle des grandes compagnies anonymes, dynastiques, incultes du fondamental de créative humanité. « Le Père pour les croyants, est-il dit, a beau nous regarder du haut de ses nuages d’Etat providence, la force des choses pour les incroyants irait-elle jusqu’à nous entraîner d’évolution d’une concurrence sans frein vers un mieux d’indépassable économie de marché, il y aura toujours des agneaux et des loups, des plumeurs et des plumés, des baiseurs et des baisés.
Nous sentons
le perfectionnement croissant d’une marche à la grande concentration des
capitaux, des intérêts, du pouvoir. La classe ouvrière se décompose, les
syndicats de travailleurs perdent la virulence du combat des origines, et
s’inclinent devant le diktat du syndicat patronal ou du moins compose avec lui.
La fameuse mondialisation n’est que le masque d’une privatisation féroce qui
ridiculise tout projet fraternel jusqu’à l’idée même de service public. Elle
tend à dissoudre, à décimer la masse, la foule des petits, des pauvres, à
l’empêcher d’être peuple par l’acte toujours calculé de la fractionner en
multiples clientèles.
J’affirme que cette mondialisation d’une mise générale compétitive non pas au monde mais à l’hégémonie du Tout Marché confiscateur de toute perspective inventive, généreuse, fraternelle, fabrique en série des hommes et des femmes sans cœur, prétentieux, les nouveaux maîtres d’ordre sélectif qui ne croient qu’aux rapports de force. Le résultat ? On se résigne. Non ! C’est beaucoup plus grave, on adhère à la volonté d’un Dieu ou à la mécanique d’un déterminisme qui gouverne le monde dont la logique structurelle recrute, forme, sécrète des dirigeants toujours plus dirigeants, des exécutants, toujours plus exécutants. Mais les uns et les autres ont intégré, assimilé la liberté libérale du renard libre dans le poulailler libre. Cette éthique répugnante trouve sa forme religieuse achevée dans un Dieu fabriquant fabriqué Tout Puissant pour servir de caution, de sommet de l’ordre pyramidal des pouvoirs constitués. De ce Dieu, non pas l’Absolu mais l’Absolutiste Transcendentalisation de tous les appétits dominateurs et profiteurs, j’ai la fierté d’avoir écrit qu’il n’est pas vivant, malgré son action visible, qu’il est mort en Jésus-Christ. C’est la raison pour laquelle j’adhère à la déclaration de l’épiscopat d’Eglise qui est en France : Dieu est toujours vivant dans le Christ res-suscité. Car le Dieu dont nos évêques disent qu’il est toujours vivant dans le Christ Res-suscité, mais il est exactement, rigoureusement l’opposé, le contraire, la contradictoire absolue du faux Dieu, faux Jésus Christ. A la vérité, la faux Dieu Dominateur Tout Puissant est bien pire que mort. Il n’existe pas. Il n’a jamais existé que fabriqué par l’imagination sauvage des clercs toutes catégories profanes et sacrées qui en avaient besoin pour fonder leur pouvoir arbitraire.
Dans l’engrenage d’une société décréatrice, productrice re-productrice de foules humaines condamnées à la sous-humanité tandis que d’autres sont riches et puissants, donc inhumains par conséquent malheureux puisque satisfaits, suffisants, non comblés, l’angoisse nous gagne et surtout l’usure.
Qu’y pouvons –nous au monde tel qu’il est, le reste opiniâtrement ? Et tout nous crie que nous n’y pouvons strictement rien.
Les militants, les partisans, les apôtres, les prophètes, on les a vraiment à l’usure. Nous sommes découragés, déprimés. Nous ressemblons à jurer que c’est exactement nous, aux deux voyageurs sur n’importe quelle route du monde, qui savent que tout est perdu et qu’avant tout est piégé. Une fois de plus, on nous a eus. Ce que l’on croit l’espérance finit, se décompose en illusion vaincue. Les lendemains n’ont jamais chanté, ils ne chanteront jamais. A partir de demain, c’est toujours comme d’habitude. Impossible de vivre longtemps seul ou à deux ou même en groupe d’amis à contre courant. Et voici qu’un inconnu, le troisième homme, rejoint les deux voyageurs maintenant assurés que tout est bien fini . Il leur demande : « De quoi parliez-vous en marchant ? » Ils s’arrêtent le visage morne : « Tu es bien le seul de ceux qui séjournent à Jérusalem à ne pas avoir appris l’Evénement arrivé là-bas ces jours-ci ». « Quoi donc ? » dit le troisième homme.
« Ce qui est arrivé à Jésus le Nazaréen qui fut un prophète extraordinaire en action radicale et en Parole Unique devant Dieu l’Infini et devant tout le peuple. Comment nos grands prêtres, nos princes des prêtres et nos chefs l’ont livré au gouverneur colonial romain qui l’a condamné à mort et mis en croix, cloué au bois ». Attention ! Je me garde bien de dire comme la littéralité de la traduction du texte d’Evangile de Luc que les grands prêtres, les princes des prêtres, « nos chefs » ont condamné le prophète Jésus à mort, à la mort par crucifixion. Car tout le monde sait aujourd’hui ou du moins peut savoir que c’est faux, qu’une autorité juive n’avait pas le droit, le pouvoir de prononcer, promulguer la condamnation ou supplice de la croix. C’était là le châtiment réservé à l’auteur du crime suprême, la crime de lèse-majesté du pouvoir qui trouvait son image parfaite dans la divinité visible de César Auguste l’empereur.
Faire porter à « nos grands prêtres, à nos chefs » le poids d’acte criminel du terrible assassinat de Jésus, Parole de Dieu sans la moindre allusion au pouvoir de l’exécutif (dans tous les sens du terme) romain, c’est l’un des premiers signes dans les évangiles eux-mêmes, au pluriel et non dans la singularité de l’Evangile Bonne Nouvelle – de l’antijudaïsme théologique, de l’antisémitisme non judéo-chrétien mais chrétien tout court. Cette précision que je viens d’écrire en me la parlant comme à un tribune, n’était pas bien entendu dans ma conférence de Carême à la Mutualité . Mais elle est indispensable pour manifester le lien entre la parole, la prédication et l’aventure de pensée historique aussi bien que théologique. Nous pouvons dès lors reprendre le fil du récit des hommes de la route de Jérusalem à Emmaüs dans leur rencontre avec l’inconnu, le troisième homme. Après le « prophète Jésus a été crucifié. Et nous, nous espérons qu’il était celui qui allait enfin libérer Israël. De quoi ? mais c’est évident, de la seule libération possible. Du fardeau insupportable de l’occupation romaine impériale. Mais, disent les hommes de Jérusalem à Emmaüs, voici trois jours que ces faits ont eu lieu. Toutefois quelques femmes de notre groupe nous ont bouleversés : s’étant rendues de grand matin au tombeau et n’ayant pas trouvé le corps de Jésus, elles sont venues dire qu’elles ont eu la vision d’anges qui le déclarent vivant. Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau et ce qu’ils ont trouvé était conforme à ce que les femmes avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu ». Alors, l’étranger, l’inconnu, le troisième homme entre en une de ces colères subites, déchaînées qui laisse les deux autres sans voix médusés : « Esprits lourds sans intelligence, hommes à la foi courte, cœurs lents à croire ce qu’ont annoncé, ce que parlent, déclarent les prophètes ».
Vous l’avez entendu : la foi, c’est l’intelligence et le cœur vifs. On dit volontiers de quelqu’un : il est intelligent. Mais de quoi ? Parce qu’il n’existe d’intelligence que de la réalité. Je lisais dans un roman policier : « l’événement galopant dépassait largement ses capacités raisonnantes ». La réalité de le vie est infiniment plus large, a beaucoup plus d ‘ampleur que nous ne le supposons. Il y a étonnamment plus dans le réel que le fait brut, immédiat, objectif. Au sens d’intelligence vraie, humaine, populaire de la réalité, tout le monde, vous m’entendez, tout le monde, a de quoi devenir intelligent . Tous les humains, hommes, femmes, enfants, sont doués ; l’éducation consiste à découvrir où se trouve notre génie, l’art de se donner. Le droit à la bêtise, je l’admets. Mais absolument pas le refus de tous devenir intelligents. Croire, c’est se libérer des tabous, des pré-jugés, des idées reçues, toutes faites pour entrer dans l’intelligence de la réalité. A entendre certains, on dirait que, pour croire, il faudrait être soumis, idiot. Au dire de Jésus Christ, du verbe, la foi n’est pas soumission paresseuse du crâne, de l’esprit à des choses inintelligibles, incompréhensibles, des mystères. Croire c’est adhérer à ce qu’ont annoncé, annoncent les prophètes. Où sont les prophètes aujourd’hui ? Ceux qui voient loin et profond, qui croient à des motifs nouveaux d’action des hommes au lieu de spéculer sur leurs intérêts, leur peur. Les prophètes dépassent l’immédiat pour miser sur l’avenir. Si j’adhère à ce qu’annoncent les prophètes, ces grands excessifs, ma foi est libératrice. Sinon, il ne s’agit que de la foi courte. Le monde chrétien de rites, d’habitudes, est court dans la foi. Il manque de souffle. Une étudiante découragée m’écrit : « L’Eglise c’est telle ou telle paroisse où nous allons à la messe de temps en temps et même si on y fait des efforts certains de rénovation, cela tourne court. IL reste un peuple sans élan, je devrais dire une foule et une liturgie absurde ». Oui, quelle ressemblance ! « Hommes à la foi courte, un peuple, une population, sans élan ». L’inconnu, le troisième homme poursuit : »Ne fallait-il pas »- non comme dans la plate traduction habituelle- « que le Christ souffrit, endurât des souffrances », ce qui implique un Christ passif, doloriste, mais que « Jésus le Messie fut passionné au point d’endurer la passion universelle, qu’il vécut la passion jusqu’au bout jusqu’à n’être plus qu’Amour d’amitié de compassion infinie d’absolument tout le monde, pour entrer dans la gloire ? La passion ne signifie pas souffrir et mourir mais aimer d’une passion telle qu’on va jusqu’à pâtir, jusqu’à partager la vie et la mort de tous. La passion de tous les hommes , de toutes les femmes, de tous les humains en humanité, la passion de tous les vivants et de tous les morts en création, c’est Dieu.
Quand on aime quelqu’un, il est normal, logique de lui dire : « Je voudrais donner ma vie pour toi ». Mais la seule réponse toute simple, c’est : « Eh bien ! donne-là ». Nous avons confondu, nous confondons toujours le don de la vie avec le don de l’acte par lequel on meurt. Le Fils de l’homme ne donne pas son dernier souffle mais tout son souffle. Ici, forts de notre travail d’élucidation, nous actualisons l’histoire selon l’Evangile de Luc des deux voyageurs sur la route de Jérusalem à Emmaüs : « Et commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes, il leur expliqua dans les Ecritures ce qui le concernait lui, mais lui le non reconnu. Ah çà non ! par exemple. L’inconnu, le troisième homme n’a rien expliqué du tout à ses deux compagnons de voyage de Jérusalem vers Emmaüs. Contrairement à la traduction des missels et aussi de la TOB, traduction œcuménique de la Bible, le troisième homme, dans le texte grec diermeneusen, leur interpréta tout au long des Ecritures ce qui le concernait. Je n’hésite pas à dire que presque tout le mal vient de là : on a remplacé par un christianisme, un catholicisme didactique, de catéchisme, lourdement explicatif l’interprétation scénique, théâtrale de l ‘ Heureuse Nouvelle du Prenier-né des res-susctiés. Ceci je ne l’ai pas dit matériellement parlant dans ma deuxième conférence à la Mutualité le 29 mars 1968, tel que je l’écris maintenant. Mais si c’était implicite, il est nécessaire que je l’explicite aujourd »hui de toute la force d’orchestration créatrice du même verbe contemporain. « Dermeneusen » c’est il « interpréta »d’où vient le mot « herméneutique » , science et art de l’interprétation. Sur la route de Jérusalem à Emmaüs, la Parole faite homme, humaine, d’humanité, non reconnue de ses disciples parce que çà vous change un homme de fond en comble d’avoir été passé par les armes, Jésus donc a interprété, joué, mimé le rôle de Moïse et de tous les prophètes jusqu’à lui-même inclusivement. Il a interprété, joué, mimé, chanté en millier de scénarios en innombrables gags toute l’histoire humaine. Oui, la légende, l’aventure des siècles interprétée ré-inventée, innovée, recréée en marchant, Verbe en personne tout fraîchement sorti de la tombe, libéré de la mort !Par bonheur on n’a pas pu fixer en un texte, en un écrit , cette improvisation fantastique de la parole faite chair justement pour ne rester ni un mot en l’air ni un vieux manuscrit relié « in folio » avant d’aller moisir aux archives. Si on l’avait fait, on l’aurait lu par fragments à la messe entre les deux saluts face au pupitre. Vous devinez la suite : l’écrit soumis aux analyses littéraires , au pire, de ce qui attend l’œuvre géniale expressive : le commentaire plat définitivement sénilisant terminé par le bisou sacré du Livre mort. Il suffit alors d’imaginer la suite, le théâtre du Globe, le théâtre total. Et tous les acteurs, toutes les actrices du monde me comprennent. Et plus largement et universellement de singularité infinie tous les vivants et tous les morts au sens où il n’y en a pas un seul, une seule qui ne soit un étonnant potentiel de théâtre, de tribune du peuple, du monde.
Mais j’y songe, interpréter un rôle c’est aller beaucoup plus loin que l’interprétation. Interpréter un rôle, c’est l’incarner. Dès lors, poursuivons, bondissons, creusons, défrichons jusqu’à trouver la racine. Incarner un rôle, l’avoir dans la peau, c’est identiquement le créer. D’une création foisonnante qui casse les faux rythmes, vulgaires, couacs de le production, de la consommation, de la domination, de la sujétion, de la commercialisation, de la mercantilisation, de la militarisation, de la putanisation. Sur la route de Jérusalem à Emmaüs, a éclaté le refus de tout ce qui n’est pas la création. L’unique bouleversement du théâtre, de la musique symphonique, de la liturgie démesurée, humano-divine, de la vie. L’acteur vrai c’est, du mouvement même dont il joue, re-présente, rend présent, l’acteur auteur, l’auteur acteur, de son œuvre, donc en refus permanent du pouvoir sur sa réalisation, le créateur donné sans réserve à sa création. Par conséquent, ne disons plus jamais l’incarnation ensuite la passion, encore moins ce méchant mot de rédemption, enfin rien qu’après la mort, la résurrection mais disons, parlons, interprétons, incarnons, créons, l’amour passion passionné, non passionnel puisqu’il est suscitant, res-suscitant de l’Auteur acteur créateur contagieux d’innombrables autres lui-même d’infinie géniale commune création en son Verbe libérateur.
La puissance créatrice est bien là pour mettre en scène et au monde le théâtre d’énergie d’universelle sympathie d’un rebondissement de l’histoire du voyage de Jérusalem à Emmaüs. Pourquoi commencer par Moïse ? Parce que Moïse devenu grand sortit vers ses frères. La sortie de soi vers ses frères, c’est la maturité qui ne perd rien du grand enthousiasme de la jeunesse. De la naïveté des inépuisables horizons de l’enfance elle s’opère avec rigueur dans le refus de la moindre concession à la caricature du réel, le réalisme avec son expression immonde, la Realpolitik, dont l’approche codifiée demeure la diplomatie. J’en ai tant vu qui, faute d’une sortie vers le peuple des autres devenus leurs frères, se décomposaient marécageusement dans le pire du pire : vieillir sans mûrir.
Donc Moïse devenu grand sortit vers ses frères. Et non pas ses frères de nation, encore moins de race, d’un territoire ethnique d’idéologie nationale. Non, Moïse c’est l’homme qui n’a pour patrie que la masse, la foule, le peuple des hommes, des femmes, des enfants sans nation, sans patrie.
Il faut reprendre inlassablement creuser, approfondir l’immense question : pourquoi commencer par Moïse ?
Parce que le Verbe, la Parole suscitante, res-suscitante nous renvoie à la nécessité d’une résistance, d’une libération. Non pas dans l’ordre écrit mais dans l’Evénement parlé, la Bible ne s’ouvre jamais sur la Genèse, la création au sens traditionnaliste mais son ouverture a lieu sur l’histoire du plus opprimé, du plus écrasé, d’esclavagisation de tous les peuples réduits en servitude condamnés à l’anéantissement d’être né brun foncé noir, d’avoir été conçu sans l’autorisation de la race supérieure, d’intégrale occidentale pureté blanche. Ce peuple synthèse, raccourci de l’oppression, de l’humiliation subie, infligée, prophétise, symbolise toutes les masses humaines que l’ordre directorial hégémonique veut réduire à rien, étouffer, empêcher d’exister. C’est le continuel problème de l’immigration tel qu’il s’exprime par la voix de Pharaon : « Voici que le peuple des enfants d’Israël par son nombre et sa puissance devient un danger pour nous . Prenons donc à son endroit d’habiles mesures pour l’empêcher de s’accroître. Sinon, en cas de guerre, il grossirait le nombre de nos ennemis. Il combattrait contre nous pour , ensuite, sortir du pays ». Vous trouvez ce raisonnement au livre de l’Exode. Dieu l’Infini se manifeste, se révèle non sous les traits du Tout-puissant, Super Despote mais comme le partisan, l’animateur, l’éveilleur du maquis des peuples opprimés. Ecoutons sa Parole qui se déploie en processus, en histoire de la libération : « J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple. J’ai ouvert l’oreille à la clameur que lui arrachent ses surveillants, ses bourreaux. Je connais es angoisses. Je suis résolu à entreprendre, à réaliser sa libération. J’ai décidé, je décide, d’une volonté ferme, de la libérer des griffes de ses tyrans et de le faire monter vers un pays plantureux où ruissellent lait et miel ». (Exode III-7) Nous reconnaissons celui qui ne veut pas que les vies humaines de tous les hommes, de toutes les femmes soient des « Vidas seccas ». Au cours des siècles, on a déraciné l’incarnation de l’Homme-Dieu. On a déraciné Jésus Christ. Il faut montrer d’urgence qu’il n’est pas le Fils de l’Etre suprême, de la vieille fatalité, de l’Empereur des mondes, du Jupiter, du Zeus hâtivement badigeonné de couleurs chrétiennes qui, à peine grattées, laissent apparaître le visage du vieux monarque dominateur, oppresseur, écraseur, ennemi mortel des hommes. Jésus Christ est au contraire le Fils Verbe, Parole donnée du libérateur des peuples piétinés.
La conscience de l’injustice du sort des hommes, des humains devenue intolérable, voilà Dieu. Cette conscience n’est pas une abstraction, elle est la Personne toute liante et
dé-chaînante, la relation universelle et singulière par excellence, elle est quelqu’un sans compromis avec la force des choses. La conscience lucide du destin des hommes, des humains devenu intolérable, injustifiable, voilà Dieu.
Pourquoi commencer par Moïse ? Parce que Moïse devenu grand sortit vers ses frères. Moïse c’est l’homme qui n’a pour patrie que la patrie des hommes, des femmes sans patrie. Moïse, c’est l’homme qui ressent pour n’en jamais guérir la brûlure de l’injustice. Dieu l’Infini demande à Moïse de s’en remettre à lui pour la totalité, la radicalité de la libération du peuple. Nous ne devons pas nous en tenir à notre propre conception d’expérience limitée, particulière, de l’injustice. Il faut toujours aller plus loin et plus profond. Moïse dit à Dieu : « Qui suis-je pour aller trouver Pharaon et pour faire sortir le peuple prophétique, les Juifs, de la servitude ? » « Je serai avec toi , répondit Dieu ; la Justice vivante et voilà le signe que c’est moi qui t’envoie : quand tu auras fait sortir mon peuple de la maison de servitude vous célébrerez Dieu l’infini d’un esprit et d’un cœur libres sur cette montagne ». Le signe suivra et donc ne précédera pas l’accomplissement du projet de Dieu en Acte radical de libération.
Dieu ne veut pas d’un culte, d’une prière séparés des conditions historiques de l’existence humaine. Quand tu auras fait sortir mon peuple, quand tu l’auras d »livré, libéré, alors vous célébrerez la grande symphonie, la liturgie du Dieu libérateur sur cette montagne où je me suis manifesté Buisson Ardent ne retombant jamais en cendres de raison d’Etat. Vous me célébrerez après la sortie du peuple de la maison d’esclavage. Pas avant. Quand tu auras libéré mon peuple, pas avant. Quand tu seras tendu vers le projet libérateur de mon peuple jusqu’à sa libération totale. Pas avant. La Parole de l’exode prophétise, anticipe celle du Verbe : « Quand tu présentes ton offrande à l’autel, si là tu te souviens d’un grief que ton frère a contre toi, laisse ton offrande devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère ». Il ne s’agit absolument pas de supprimer l’offrande, d’abolir la célébration, la liturgie mais de la faire précéder de toutes les réconciliations, des liens renoués, resserrés. Il nous faut une liturgie expressive de la totalité, de la radicalité des réconciliations humaines, de la transformation des rapports inter-personnels, sociaux en autant de liens d’amour d’amitié mutuelle d’inépuisable cordialisante fraternisation. Dans la vérité d’accord du signe et du signifié par rejet de tous le simulacres : on n’a pas le droit de célébrer la partage du pain dans un monde qui le stocké. Dans une société qui rend les favoris de la course à l’accumulation du capital de plus en plus gonflés des titres d’un cumul obscène et les pauvres de plus en plus appauvris, on n’a pas le droit de faire le geste sacramentel menteur de la mise en commun. Surtout par une vie financièrement prisonnière de la mise à part, de l’accaparement, du monopole.
La foi est adhésion du cœur, des actes, de tout le comportement au projet libérateur qui s’identifie avec Dieu l’Infini lui-même.
La religion, les rites, prières, le culte, les messes vides d’Heureuse Nouvelle et qui ne font pas corps avec la lutte pour la joie des hommes, des femmes, des enfants, des vivants et des morts est conservatrice. La foi est libératrice.
Sans participation au combat des pauvres pour leur libération et celle des riches à pleinement arracher au poids écrasant de leur richesse, on ne comprend rien à Jésus Christ. C’est la rupture avec l’argent ; les privilèges, les notables, avec le pouvoir, c’est la libération de tous les humains jusqu’aux racines ultimes, intérieures de leur asservissement qui conduit au Christ Jésus d’humanité totale. C’est la rupture sur tous les fronts avec l’ordre inexistant d’inégalité, d’injustice qui constitue la Pâque , le passage de la servitude à la libération jusqu’au passage de la mort à la vie, de la vie mortelle à la vie sans fin. La mort y passer, d’accord, y rester, jamais !
J’affirme que cette mondialisation d’une mise générale compétitive non pas au monde mais à l’hégémonie du Tout Marché confiscateur de toute perspective inventive, généreuse, fraternelle, fabrique en série des hommes et des femmes sans cœur, prétentieux, les nouveaux maîtres d’ordre sélectif qui ne croient qu’aux rapports de force. Le résultat ? On se résigne. Non ! C’est beaucoup plus grave, on adhère à la volonté d’un Dieu ou à la mécanique d’un déterminisme qui gouverne le monde dont la logique structurelle recrute, forme, sécrète des dirigeants toujours plus dirigeants, des exécutants, toujours plus exécutants. Mais les uns et les autres ont intégré, assimilé la liberté libérale du renard libre dans le poulailler libre. Cette éthique répugnante trouve sa forme religieuse achevée dans un Dieu fabriquant fabriqué Tout Puissant pour servir de caution, de sommet de l’ordre pyramidal des pouvoirs constitués. De ce Dieu, non pas l’Absolu mais l’Absolutiste Transcendentalisation de tous les appétits dominateurs et profiteurs, j’ai la fierté d’avoir écrit qu’il n’est pas vivant, malgré son action visible, qu’il est mort en Jésus-Christ. C’est la raison pour laquelle j’adhère à la déclaration de l’épiscopat d’Eglise qui est en France : Dieu est toujours vivant dans le Christ res-suscité. Car le Dieu dont nos évêques disent qu’il est toujours vivant dans le Christ Res-suscité, mais il est exactement, rigoureusement l’opposé, le contraire, la contradictoire absolue du faux Dieu, faux Jésus Christ. A la vérité, la faux Dieu Dominateur Tout Puissant est bien pire que mort. Il n’existe pas. Il n’a jamais existé que fabriqué par l’imagination sauvage des clercs toutes catégories profanes et sacrées qui en avaient besoin pour fonder leur pouvoir arbitraire.
Dans l’engrenage d’une société décréatrice, productrice re-productrice de foules humaines condamnées à la sous-humanité tandis que d’autres sont riches et puissants, donc inhumains par conséquent malheureux puisque satisfaits, suffisants, non comblés, l’angoisse nous gagne et surtout l’usure.
Qu’y pouvons –nous au monde tel qu’il est, le reste opiniâtrement ? Et tout nous crie que nous n’y pouvons strictement rien.
Les militants, les partisans, les apôtres, les prophètes, on les a vraiment à l’usure. Nous sommes découragés, déprimés. Nous ressemblons à jurer que c’est exactement nous, aux deux voyageurs sur n’importe quelle route du monde, qui savent que tout est perdu et qu’avant tout est piégé. Une fois de plus, on nous a eus. Ce que l’on croit l’espérance finit, se décompose en illusion vaincue. Les lendemains n’ont jamais chanté, ils ne chanteront jamais. A partir de demain, c’est toujours comme d’habitude. Impossible de vivre longtemps seul ou à deux ou même en groupe d’amis à contre courant. Et voici qu’un inconnu, le troisième homme, rejoint les deux voyageurs maintenant assurés que tout est bien fini . Il leur demande : « De quoi parliez-vous en marchant ? » Ils s’arrêtent le visage morne : « Tu es bien le seul de ceux qui séjournent à Jérusalem à ne pas avoir appris l’Evénement arrivé là-bas ces jours-ci ». « Quoi donc ? » dit le troisième homme.
« Ce qui est arrivé à Jésus le Nazaréen qui fut un prophète extraordinaire en action radicale et en Parole Unique devant Dieu l’Infini et devant tout le peuple. Comment nos grands prêtres, nos princes des prêtres et nos chefs l’ont livré au gouverneur colonial romain qui l’a condamné à mort et mis en croix, cloué au bois ». Attention ! Je me garde bien de dire comme la littéralité de la traduction du texte d’Evangile de Luc que les grands prêtres, les princes des prêtres, « nos chefs » ont condamné le prophète Jésus à mort, à la mort par crucifixion. Car tout le monde sait aujourd’hui ou du moins peut savoir que c’est faux, qu’une autorité juive n’avait pas le droit, le pouvoir de prononcer, promulguer la condamnation ou supplice de la croix. C’était là le châtiment réservé à l’auteur du crime suprême, la crime de lèse-majesté du pouvoir qui trouvait son image parfaite dans la divinité visible de César Auguste l’empereur.
Faire porter à « nos grands prêtres, à nos chefs » le poids d’acte criminel du terrible assassinat de Jésus, Parole de Dieu sans la moindre allusion au pouvoir de l’exécutif (dans tous les sens du terme) romain, c’est l’un des premiers signes dans les évangiles eux-mêmes, au pluriel et non dans la singularité de l’Evangile Bonne Nouvelle – de l’antijudaïsme théologique, de l’antisémitisme non judéo-chrétien mais chrétien tout court. Cette précision que je viens d’écrire en me la parlant comme à un tribune, n’était pas bien entendu dans ma conférence de Carême à la Mutualité . Mais elle est indispensable pour manifester le lien entre la parole, la prédication et l’aventure de pensée historique aussi bien que théologique. Nous pouvons dès lors reprendre le fil du récit des hommes de la route de Jérusalem à Emmaüs dans leur rencontre avec l’inconnu, le troisième homme. Après le « prophète Jésus a été crucifié. Et nous, nous espérons qu’il était celui qui allait enfin libérer Israël. De quoi ? mais c’est évident, de la seule libération possible. Du fardeau insupportable de l’occupation romaine impériale. Mais, disent les hommes de Jérusalem à Emmaüs, voici trois jours que ces faits ont eu lieu. Toutefois quelques femmes de notre groupe nous ont bouleversés : s’étant rendues de grand matin au tombeau et n’ayant pas trouvé le corps de Jésus, elles sont venues dire qu’elles ont eu la vision d’anges qui le déclarent vivant. Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau et ce qu’ils ont trouvé était conforme à ce que les femmes avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu ». Alors, l’étranger, l’inconnu, le troisième homme entre en une de ces colères subites, déchaînées qui laisse les deux autres sans voix médusés : « Esprits lourds sans intelligence, hommes à la foi courte, cœurs lents à croire ce qu’ont annoncé, ce que parlent, déclarent les prophètes ».
Vous l’avez entendu : la foi, c’est l’intelligence et le cœur vifs. On dit volontiers de quelqu’un : il est intelligent. Mais de quoi ? Parce qu’il n’existe d’intelligence que de la réalité. Je lisais dans un roman policier : « l’événement galopant dépassait largement ses capacités raisonnantes ». La réalité de le vie est infiniment plus large, a beaucoup plus d ‘ampleur que nous ne le supposons. Il y a étonnamment plus dans le réel que le fait brut, immédiat, objectif. Au sens d’intelligence vraie, humaine, populaire de la réalité, tout le monde, vous m’entendez, tout le monde, a de quoi devenir intelligent . Tous les humains, hommes, femmes, enfants, sont doués ; l’éducation consiste à découvrir où se trouve notre génie, l’art de se donner. Le droit à la bêtise, je l’admets. Mais absolument pas le refus de tous devenir intelligents. Croire, c’est se libérer des tabous, des pré-jugés, des idées reçues, toutes faites pour entrer dans l’intelligence de la réalité. A entendre certains, on dirait que, pour croire, il faudrait être soumis, idiot. Au dire de Jésus Christ, du verbe, la foi n’est pas soumission paresseuse du crâne, de l’esprit à des choses inintelligibles, incompréhensibles, des mystères. Croire c’est adhérer à ce qu’ont annoncé, annoncent les prophètes. Où sont les prophètes aujourd’hui ? Ceux qui voient loin et profond, qui croient à des motifs nouveaux d’action des hommes au lieu de spéculer sur leurs intérêts, leur peur. Les prophètes dépassent l’immédiat pour miser sur l’avenir. Si j’adhère à ce qu’annoncent les prophètes, ces grands excessifs, ma foi est libératrice. Sinon, il ne s’agit que de la foi courte. Le monde chrétien de rites, d’habitudes, est court dans la foi. Il manque de souffle. Une étudiante découragée m’écrit : « L’Eglise c’est telle ou telle paroisse où nous allons à la messe de temps en temps et même si on y fait des efforts certains de rénovation, cela tourne court. IL reste un peuple sans élan, je devrais dire une foule et une liturgie absurde ». Oui, quelle ressemblance ! « Hommes à la foi courte, un peuple, une population, sans élan ». L’inconnu, le troisième homme poursuit : »Ne fallait-il pas »- non comme dans la plate traduction habituelle- « que le Christ souffrit, endurât des souffrances », ce qui implique un Christ passif, doloriste, mais que « Jésus le Messie fut passionné au point d’endurer la passion universelle, qu’il vécut la passion jusqu’au bout jusqu’à n’être plus qu’Amour d’amitié de compassion infinie d’absolument tout le monde, pour entrer dans la gloire ? La passion ne signifie pas souffrir et mourir mais aimer d’une passion telle qu’on va jusqu’à pâtir, jusqu’à partager la vie et la mort de tous. La passion de tous les hommes , de toutes les femmes, de tous les humains en humanité, la passion de tous les vivants et de tous les morts en création, c’est Dieu.
Quand on aime quelqu’un, il est normal, logique de lui dire : « Je voudrais donner ma vie pour toi ». Mais la seule réponse toute simple, c’est : « Eh bien ! donne-là ». Nous avons confondu, nous confondons toujours le don de la vie avec le don de l’acte par lequel on meurt. Le Fils de l’homme ne donne pas son dernier souffle mais tout son souffle. Ici, forts de notre travail d’élucidation, nous actualisons l’histoire selon l’Evangile de Luc des deux voyageurs sur la route de Jérusalem à Emmaüs : « Et commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes, il leur expliqua dans les Ecritures ce qui le concernait lui, mais lui le non reconnu. Ah çà non ! par exemple. L’inconnu, le troisième homme n’a rien expliqué du tout à ses deux compagnons de voyage de Jérusalem vers Emmaüs. Contrairement à la traduction des missels et aussi de la TOB, traduction œcuménique de la Bible, le troisième homme, dans le texte grec diermeneusen, leur interpréta tout au long des Ecritures ce qui le concernait. Je n’hésite pas à dire que presque tout le mal vient de là : on a remplacé par un christianisme, un catholicisme didactique, de catéchisme, lourdement explicatif l’interprétation scénique, théâtrale de l ‘ Heureuse Nouvelle du Prenier-né des res-susctiés. Ceci je ne l’ai pas dit matériellement parlant dans ma deuxième conférence à la Mutualité le 29 mars 1968, tel que je l’écris maintenant. Mais si c’était implicite, il est nécessaire que je l’explicite aujourd »hui de toute la force d’orchestration créatrice du même verbe contemporain. « Dermeneusen » c’est il « interpréta »d’où vient le mot « herméneutique » , science et art de l’interprétation. Sur la route de Jérusalem à Emmaüs, la Parole faite homme, humaine, d’humanité, non reconnue de ses disciples parce que çà vous change un homme de fond en comble d’avoir été passé par les armes, Jésus donc a interprété, joué, mimé le rôle de Moïse et de tous les prophètes jusqu’à lui-même inclusivement. Il a interprété, joué, mimé, chanté en millier de scénarios en innombrables gags toute l’histoire humaine. Oui, la légende, l’aventure des siècles interprétée ré-inventée, innovée, recréée en marchant, Verbe en personne tout fraîchement sorti de la tombe, libéré de la mort !Par bonheur on n’a pas pu fixer en un texte, en un écrit , cette improvisation fantastique de la parole faite chair justement pour ne rester ni un mot en l’air ni un vieux manuscrit relié « in folio » avant d’aller moisir aux archives. Si on l’avait fait, on l’aurait lu par fragments à la messe entre les deux saluts face au pupitre. Vous devinez la suite : l’écrit soumis aux analyses littéraires , au pire, de ce qui attend l’œuvre géniale expressive : le commentaire plat définitivement sénilisant terminé par le bisou sacré du Livre mort. Il suffit alors d’imaginer la suite, le théâtre du Globe, le théâtre total. Et tous les acteurs, toutes les actrices du monde me comprennent. Et plus largement et universellement de singularité infinie tous les vivants et tous les morts au sens où il n’y en a pas un seul, une seule qui ne soit un étonnant potentiel de théâtre, de tribune du peuple, du monde.
Mais j’y songe, interpréter un rôle c’est aller beaucoup plus loin que l’interprétation. Interpréter un rôle, c’est l’incarner. Dès lors, poursuivons, bondissons, creusons, défrichons jusqu’à trouver la racine. Incarner un rôle, l’avoir dans la peau, c’est identiquement le créer. D’une création foisonnante qui casse les faux rythmes, vulgaires, couacs de le production, de la consommation, de la domination, de la sujétion, de la commercialisation, de la mercantilisation, de la militarisation, de la putanisation. Sur la route de Jérusalem à Emmaüs, a éclaté le refus de tout ce qui n’est pas la création. L’unique bouleversement du théâtre, de la musique symphonique, de la liturgie démesurée, humano-divine, de la vie. L’acteur vrai c’est, du mouvement même dont il joue, re-présente, rend présent, l’acteur auteur, l’auteur acteur, de son œuvre, donc en refus permanent du pouvoir sur sa réalisation, le créateur donné sans réserve à sa création. Par conséquent, ne disons plus jamais l’incarnation ensuite la passion, encore moins ce méchant mot de rédemption, enfin rien qu’après la mort, la résurrection mais disons, parlons, interprétons, incarnons, créons, l’amour passion passionné, non passionnel puisqu’il est suscitant, res-suscitant de l’Auteur acteur créateur contagieux d’innombrables autres lui-même d’infinie géniale commune création en son Verbe libérateur.
La puissance créatrice est bien là pour mettre en scène et au monde le théâtre d’énergie d’universelle sympathie d’un rebondissement de l’histoire du voyage de Jérusalem à Emmaüs. Pourquoi commencer par Moïse ? Parce que Moïse devenu grand sortit vers ses frères. La sortie de soi vers ses frères, c’est la maturité qui ne perd rien du grand enthousiasme de la jeunesse. De la naïveté des inépuisables horizons de l’enfance elle s’opère avec rigueur dans le refus de la moindre concession à la caricature du réel, le réalisme avec son expression immonde, la Realpolitik, dont l’approche codifiée demeure la diplomatie. J’en ai tant vu qui, faute d’une sortie vers le peuple des autres devenus leurs frères, se décomposaient marécageusement dans le pire du pire : vieillir sans mûrir.
Donc Moïse devenu grand sortit vers ses frères. Et non pas ses frères de nation, encore moins de race, d’un territoire ethnique d’idéologie nationale. Non, Moïse c’est l’homme qui n’a pour patrie que la masse, la foule, le peuple des hommes, des femmes, des enfants sans nation, sans patrie.
Il faut reprendre inlassablement creuser, approfondir l’immense question : pourquoi commencer par Moïse ?
Parce que le Verbe, la Parole suscitante, res-suscitante nous renvoie à la nécessité d’une résistance, d’une libération. Non pas dans l’ordre écrit mais dans l’Evénement parlé, la Bible ne s’ouvre jamais sur la Genèse, la création au sens traditionnaliste mais son ouverture a lieu sur l’histoire du plus opprimé, du plus écrasé, d’esclavagisation de tous les peuples réduits en servitude condamnés à l’anéantissement d’être né brun foncé noir, d’avoir été conçu sans l’autorisation de la race supérieure, d’intégrale occidentale pureté blanche. Ce peuple synthèse, raccourci de l’oppression, de l’humiliation subie, infligée, prophétise, symbolise toutes les masses humaines que l’ordre directorial hégémonique veut réduire à rien, étouffer, empêcher d’exister. C’est le continuel problème de l’immigration tel qu’il s’exprime par la voix de Pharaon : « Voici que le peuple des enfants d’Israël par son nombre et sa puissance devient un danger pour nous . Prenons donc à son endroit d’habiles mesures pour l’empêcher de s’accroître. Sinon, en cas de guerre, il grossirait le nombre de nos ennemis. Il combattrait contre nous pour , ensuite, sortir du pays ». Vous trouvez ce raisonnement au livre de l’Exode. Dieu l’Infini se manifeste, se révèle non sous les traits du Tout-puissant, Super Despote mais comme le partisan, l’animateur, l’éveilleur du maquis des peuples opprimés. Ecoutons sa Parole qui se déploie en processus, en histoire de la libération : « J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple. J’ai ouvert l’oreille à la clameur que lui arrachent ses surveillants, ses bourreaux. Je connais es angoisses. Je suis résolu à entreprendre, à réaliser sa libération. J’ai décidé, je décide, d’une volonté ferme, de la libérer des griffes de ses tyrans et de le faire monter vers un pays plantureux où ruissellent lait et miel ». (Exode III-7) Nous reconnaissons celui qui ne veut pas que les vies humaines de tous les hommes, de toutes les femmes soient des « Vidas seccas ». Au cours des siècles, on a déraciné l’incarnation de l’Homme-Dieu. On a déraciné Jésus Christ. Il faut montrer d’urgence qu’il n’est pas le Fils de l’Etre suprême, de la vieille fatalité, de l’Empereur des mondes, du Jupiter, du Zeus hâtivement badigeonné de couleurs chrétiennes qui, à peine grattées, laissent apparaître le visage du vieux monarque dominateur, oppresseur, écraseur, ennemi mortel des hommes. Jésus Christ est au contraire le Fils Verbe, Parole donnée du libérateur des peuples piétinés.
La conscience de l’injustice du sort des hommes, des humains devenue intolérable, voilà Dieu. Cette conscience n’est pas une abstraction, elle est la Personne toute liante et
dé-chaînante, la relation universelle et singulière par excellence, elle est quelqu’un sans compromis avec la force des choses. La conscience lucide du destin des hommes, des humains devenu intolérable, injustifiable, voilà Dieu.
Pourquoi commencer par Moïse ? Parce que Moïse devenu grand sortit vers ses frères. Moïse c’est l’homme qui n’a pour patrie que la patrie des hommes, des femmes sans patrie. Moïse, c’est l’homme qui ressent pour n’en jamais guérir la brûlure de l’injustice. Dieu l’Infini demande à Moïse de s’en remettre à lui pour la totalité, la radicalité de la libération du peuple. Nous ne devons pas nous en tenir à notre propre conception d’expérience limitée, particulière, de l’injustice. Il faut toujours aller plus loin et plus profond. Moïse dit à Dieu : « Qui suis-je pour aller trouver Pharaon et pour faire sortir le peuple prophétique, les Juifs, de la servitude ? » « Je serai avec toi , répondit Dieu ; la Justice vivante et voilà le signe que c’est moi qui t’envoie : quand tu auras fait sortir mon peuple de la maison de servitude vous célébrerez Dieu l’infini d’un esprit et d’un cœur libres sur cette montagne ». Le signe suivra et donc ne précédera pas l’accomplissement du projet de Dieu en Acte radical de libération.
Dieu ne veut pas d’un culte, d’une prière séparés des conditions historiques de l’existence humaine. Quand tu auras fait sortir mon peuple, quand tu l’auras d »livré, libéré, alors vous célébrerez la grande symphonie, la liturgie du Dieu libérateur sur cette montagne où je me suis manifesté Buisson Ardent ne retombant jamais en cendres de raison d’Etat. Vous me célébrerez après la sortie du peuple de la maison d’esclavage. Pas avant. Quand tu auras libéré mon peuple, pas avant. Quand tu seras tendu vers le projet libérateur de mon peuple jusqu’à sa libération totale. Pas avant. La Parole de l’exode prophétise, anticipe celle du Verbe : « Quand tu présentes ton offrande à l’autel, si là tu te souviens d’un grief que ton frère a contre toi, laisse ton offrande devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère ». Il ne s’agit absolument pas de supprimer l’offrande, d’abolir la célébration, la liturgie mais de la faire précéder de toutes les réconciliations, des liens renoués, resserrés. Il nous faut une liturgie expressive de la totalité, de la radicalité des réconciliations humaines, de la transformation des rapports inter-personnels, sociaux en autant de liens d’amour d’amitié mutuelle d’inépuisable cordialisante fraternisation. Dans la vérité d’accord du signe et du signifié par rejet de tous le simulacres : on n’a pas le droit de célébrer la partage du pain dans un monde qui le stocké. Dans une société qui rend les favoris de la course à l’accumulation du capital de plus en plus gonflés des titres d’un cumul obscène et les pauvres de plus en plus appauvris, on n’a pas le droit de faire le geste sacramentel menteur de la mise en commun. Surtout par une vie financièrement prisonnière de la mise à part, de l’accaparement, du monopole.
La foi est adhésion du cœur, des actes, de tout le comportement au projet libérateur qui s’identifie avec Dieu l’Infini lui-même.
La religion, les rites, prières, le culte, les messes vides d’Heureuse Nouvelle et qui ne font pas corps avec la lutte pour la joie des hommes, des femmes, des enfants, des vivants et des morts est conservatrice. La foi est libératrice.
Sans participation au combat des pauvres pour leur libération et celle des riches à pleinement arracher au poids écrasant de leur richesse, on ne comprend rien à Jésus Christ. C’est la rupture avec l’argent ; les privilèges, les notables, avec le pouvoir, c’est la libération de tous les humains jusqu’aux racines ultimes, intérieures de leur asservissement qui conduit au Christ Jésus d’humanité totale. C’est la rupture sur tous les fronts avec l’ordre inexistant d’inégalité, d’injustice qui constitue la Pâque , le passage de la servitude à la libération jusqu’au passage de la mort à la vie, de la vie mortelle à la vie sans fin. La mort y passer, d’accord, y rester, jamais !