26 août 2014

Au temps du stalinisme...

L’HUMANISME DU MARXISME OFFICIEL.
 
Selon Roger Garaudy, qui représentait la pensée officielle des Partis communistes français et Soviétiques : « L’humanisme marxiste, s’il ne place rien au-dessus de l’homme, n’est pas un humanisme clos. Il entend ne limiter l’homme à aucune de ses réalisations » (Roger Garaudy : Perspective de l’Homme, p. 316. P.U.F. 1959).
On reconnaît ici le projet de faire naître l’homme total cher à Karl Marx, épanoui à la fois intellectuellement et manuellement, individuellement et socialement. Si cet idéal a autant de succès aujourd’hui, c’est qu’il répond à l’aspiration de centaines de millions d’hommes, insuffisamment nourris, mal logés, mal éduqués, livrés à des dirigeants égoïstes et autoritaires.
Mais on doit justement se demander si la théorie actuelle du Marxisme — vieille déjà de plus d’un siècle— est capable de satisfaire aujourd’hui les besoins de l’homme en sécurité matérielle et en activité spirituelle. En effet, ces besoins sont devenus énormes, étant donné les succès de la Science et du Machinisme. L’extension d’une Science et d’une Technique où triomphe l’esprit rationnel n’emporte-t-elle pas l’espèce dans un devenir imprévisible ? Le pouvoir créateur de l’homme n’a-t-il pas transformé d’ores et déjà la Terre en une seule Société, animée par un seul Esprit ? Cet Esprit de l’homme ne peut souffrir de se sentir limité, enfermé, et il n’aura de cesse que l’éclaircissement du mystère des origines et de la fin de l’univers ne lui découvre, en arrière et en avant, le champ d’une durée infinie… C’est le dialogue avec l’univers et avec l’infini que recherche la pensée humaine, ce n’est pas le combat hégélien contre une Nature hostile.
Mais justement, est-ce que la philosophie du Marxisme officiel contemporain ne limite pas finalement l’homme ; en arrière par la matière, et en avant par l’idée a priori de la Société communiste ?
« L’humanisme marxiste, écrit Garaudy, est matérialiste et communiste » (Roger Garaudy : Perspectives de l’Homme, p. 317, P.U.F. 1959).
Matérialiste, parce que notre origine serait la matière ; et communiste, parce que l’Histoire nous conduirait fatalement à une société communiste. Mais n’est-il pas aussi limitatif de faire descendre l’homme de la matière que de le faire naître de la volonté arbitraire d’un Dieu tout puissant ? Et ce Dieu ou cette Matière, d’où proviennent-ils à leur tour ? C’est faire reculer le problème des origines, ce n’est pas le résoudre. L’homme qui veut connaître honnêtement le fond des choses ne peut être ici satisfait. Et pourquoi la libération de l’espèce devrait-elle passer nécessairement, et dans tous les pays, par une société communiste ? De plus, vouloir pour l’avenir une société où l’homme s’épanouisse, est-ce là un idéal capable de nous faire renoncer dans le présent à tout orgueil, à toute injustice, à toute violence ?
En réalité, toute rêverie sur les origines et sur la fin de l’existence humaine tend à nous faire oublier le problème social, le problème de nos rapports actuels, qu’il faudrait délivrer de l’orgueil et de l’exploitation. N’est-il pas évident que la pacification des rapports humains exige la fin des conflits entre les Mythes concernant les origines et la fin du monde ? Comment le problème des rapports du Moi avec l’Autre, ou du Moi avec la mort pourrait-il trouver sa solution dans quelque « matérialisme » ou dans quelque « spiritualisme » préfabriqués ?
La solution au problème de notre existence n’est-elle pas dans l’avènement d’une reliance concrète de l’individu avec les autres hommes et avec le monde ? Or, une telle reliance ne saurait s’accommoder d’aucune étiquette politique ou religieuse, un tel lien consistant dans une synthèse spontanée du moi et d’autrui, et de l’individu à l’univers, sans arrière-pensée confessionnelle. Est-ce que l’élan créateur, chez l’artiste ou le savant, est de droite ou de gauche ? Ainsi l’élan d’amitié pure, l’humain originel, n’est-il d’aucune obédience.
« La théorie des classes — écrit Garaudy — et de leurs luttes est la base de l’Histoire marxiste » (Roger Garaudy : Perspectives de l’Homme, p. 319, P.U.F. 1959).
La matière aurait d’abord produit la vie, dont l’évolution aurait abouti à l’homme et à la pensée.
Ensuite, le travail de la matière par l’homme aurait abouti à la formation des classes sociales. Enfin, le conflit des classes sociales évoluerait fatalement vers le triomphe politique du Prolétariat, dont sortirait, non moins fatalement, la société communiste. L’évolution de l’univers… le devenir de l’Histoire… l’aboutissement de la vie sur la Terre…, on a l’impression que cette immense aventure n’est pas seulement conduite par une finalité anthropomorphe, elle est devenue une aventure communiste !
On a vu que Sartre refuse de se laisser avaler par ce gigantesque finalisme de la Nature, supposé par le Matérialisme dialectique. Il s’en tient à la croyance dans le pouvoir libérateur de l’Histoire-violente. Quant à Camus, il va plus loin encore, puisqu’il refuse même de croire à la vertu libératrice du « devenir historique ». Camus ne voit dans cette théorie qu’une affirmation tout juste bonne à justifier les pires violences des nouveaux César, violences perpétrées avec la ferveur d’un rite religieux, dès lors qu’elles vont dans le sens supposé de l’Histoire.
Nous touchons ici, encore une fois, au fond de l’impasse où vont buter tous les humanismes de combat : Humanisme héroïque, Humanismes existentialistes ou marxistes. Aucune de ces visions du monde ne tient compte du fait que l’état de division et de compétition où l’humanité se débat depuis 4.000 ans est aujourd’hui devenu une menace de mort pour la civilisation (À consulter : A. Niel : La Crise de la Civilisation. Courrier du Livre). Aucune de ces visions de l’homme ne consiste dans un progrès réel vers l’affranchissement de notre état de division et de malheur.
Les humanismes anthropomorphes, malgré leur valeur esthétique ou leur pouvoir d’analyse, restent impuissants à fonder une vision du monde qui tende à dissoudre dès aujourd’hui, les antagonismes des Nations, des classes sociales, des Religions et des individus, une vision du monde qui incite tous les hommes présents à s’unir dans une action fraternelle et constructive.