Roger Garaudy répond...
LE MONDE |
01.10.1983
Après mon
article: " Pourquoi je suis musulman ", j'attendais un dialogue à un
autre niveau que celui des lettres publiées dans le Monde du 10 septembre. Un
musulman pieux disait: " Je te donne ce que j'ai; tu me donnes ce que tu
as. " Dans cet échange, M. Mozaffari a peu à donner, sinon l'occasion de
rappeler, contre des ignorances étranges (qu'il n'est malheureusement pas seul
à partager), quelques points fondamentaux.
Il me
reproche d'avoir affirmé que le prophète Mohamed n'a jamais prétendu créer une
religion nouvelle, mais rappeler à la foi fondamentale d'Abraham. C'est
pourtant ce que le Coran enseigne: " Qui donc professe une meilleure
religion que celui qui répond à l'appel de Dieu, qui fait le bien et qui suit
la religion d'Abraham ? " (IV, 125), et, par conséquent: " Suivez la
religion d'Abraham " (II, 135). Le Coran recommande de s'adresser
fraternellement aux juifs et aux chrétiens: " Dites: Notre Dieu, qui est
votre Dieu, est unique, et nous lui sommes soumis " (XXIX, 46).
M. Mozaffari
me reproche d'avoir dit qu'être musulman n'est pas renier Jésus. A-t-il
l'ignorance médiévale de la manière dont il est parlé de Jésus dans le Coran:
" Oui, le Messie, Jésus, fils de Marie, est le Prophète de Dieu; il est Sa
Parole, qu'il a semée en Marie, un Esprit émanant de Lui " (IV, 171) ?
Je ne veux
nullement ainsi faire un cours de théologie sur la christologie dans le Coran,
mais combattre seulement des clichés générateurs d'incompréhension et de haine,
comme j'ai toujours tenté de le faire, par les dialogues entre chrétiens et
marxistes, comme avec le " dialogue des civilisations ". Cinq siècles
d'une sanglante histoire ont montré que l'atrophie de la dimension divine,
transcendante de l'homme, a conduit à une jungle où s'affrontent les volontés de
croissance, de puissance et de violence des individus, des groupes et des
nations, et peut nous conduire à un suicide planétaire.
L'œcuménisme
total que j'invoque est dans le Coran: " Nous croyons à ce qui a été à
Moïse, à Jésus, aux prophètes, de la part de leur Seigneur, nous ne faisons
point entre eux de différence " (II, 36 et III, 84). A côté de l'immensité
de cette tâche, quelle pauvre rancœur dans le cri de M. Mozaffari - " Je
ne connais qu'un seul Allah: c'est celui qui m'a foutu dehors de mon pays
" ! Il m'est arrivé, à moi aussi, d'être exclu d'une communauté. Je lui
avais donné trente-sept ans de ma vie. J'en ai souffert à en mourir; mais
jamais je ne confondrai les quelques hommes qui m'ont fait cela avec le
marxisme, et jamais je n'ai parlé ni ne parlerai ainsi à la communauté
fraternelle à laquelle j'ai appartenu, même si ses dirigeants provisoires m'en
ont exclu.
"
Pourquoi se convertir à quelque chose qui est inexistant ? ", insiste M.
Mozaffari. J'ai dit déjà qu'il n'existe pas davantage de " société chrétienne
", mais que Jésus demeure un ferment de nos vies, et qu'il nous
appartient, contre toutes les pesanteurs du passé, de faire toujours davantage
" exister " sa brèche dans l'histoire. Il en est de même pour le
judaïsme ou l'islam, quelles que soient leurs perversions historiques.
Bien
entendu, cela suppose que l'on ne se réduise pas au petit positivisme dont se
réclame Mme Lily Skenasi, qui nous propose ce principe de vie: " Il y a
des atomes, et il y a de l'espace - et tout le reste est opinion. " Principe
de mort pour tout ce qui donne un sens et une beauté à la vie: l'espérance - à
défaut de la foi, - l'art, l'amour, ne se réduisent pas aux atomes, à l'espace
et à l'opinion. Je souhaite seulement à Mme Skenasi de dépasser cette "
suffisance " pour vivre une vie à visage humain.
Je remercie
le docteur Benoît Gammer de poser enfin, avec force et humilité, le vrai
problème: contre toute tentation de triomphalisme (" ne voir l'islam qu'à
travers des textes "), n'oublier jamais " les contradictions et les
souffrances ", dans les sociétés islamiques comme en toute société, et
appeler les uns et les autres à " s'interroger sur leurs responsabilités
historiques ". Puisse son appel être entendu par les " suffisants
". J'accepte sans réticences sa critique. J'essaierai, pour ma part, de
lui être fidèle,
Voir l'article publié dans Le Monde: http://rogergaraudy.blogspot.com/2015/01/venir-lislam-nest-pas-pour-moi-renier.html