(Article paru dans Démocratie
nouvelle, avril - mai 1968)
Milieu années 60 à une séance de dédicace (à G de Garaudy, Waldeck Rochet secrétaire gal du PCF) |
Car
l'anecdote sur les formes du mouvement et les gesticulations
parfois anarchiques qui l'ont accompagné
ont
trop souvent masqué et même défiguré son
sens véritable.
Il
faut, me semble-t-il, s'interroger sur les questions suivantes
:
1°
Quels sont les objectifs réels du mouvement des étudiants?
2°
Quelles sont les causes de ces luttes de masse?
3°
Quelle est leur signification dans une perspective
de
classe, et quels sont leurs rapports avec les
luttes
ouvrières?
4°
Quel est le rôle révolutionnaire actuel de la
classe
ouvrière?
I/. Les objectifs du mouvement des
étudiants.
Ce
qui est caractéristique, c'est la très rapide maturation
et
le développement des revendications des
étudiants,
l'élargissement, en moins de trois semaines,
des
objectifs de leur lutte, tel que le révèle le travail
sérieux
de leurs commissions dans les facultés.
Esquissons-en
sommairement la trajectoire.
A)
Ce que visait leur révolte, au départ, ce n'était
que
des aspects relativement superficiels de leur situation,
ne
touchant pas aux racines et aux principes
du
système :
—
les rapports entre professeurs et étudiants,
—
la structure et la gestion des universités.
a)
Les rapports entre professeurs et étudiants, au
départ,
étaient assimilés à des rapports de classe :
les
professeurs étant les oppresseurs et les étudiants les
opprimés.
Le professeur était pour eux l'image ou le
symbole
de leur dépendance.
Or,
en moins de quinze jours, la situation a évolué
très
rapidement : la solidarité d'une large fraction
des
professeurs avec les exigences étudiantes et, en
même
temps, la répression policière du gouvernement
ont
créé une atmosphère radicalement nouvelle. Des
liens
nouveaux sont nés.
La
lutte commune a mis en cause le régime en
son
principe même : le régime politique du gaullisme
et
le régime économique et social du capitalisme
monopoliste
d'Etat.
b)
Sur le problème de la structure et de la gestion
des universités, l'évolution
est également très positive.
Les
colloques de Caen et d'Amiens avaient posé
un
faux problème : celui de choisir entre une Université
vieillie , décadente, en
laquelle il y avait contradiction
entre
le système d'enseignement et les nécessités
engendrées
par le développement des forces
productives,
et une Université technocratique, mieux
adaptée
aux exigences du capitalisme monopoliste
d'Etat.
Cette
fausse alternative a été rapidement balayée.
Une
contradiction plus profonde a été mise à jour :
il
ne s'agit plus de mettre au point une nouvelle
méthode
pour mieux répondre aux exigences du
capitalisme
monopoliste d'Etat, mais de mettre en
cause
le principe même de cette adaptation.
Sur
ces deux problèmes les étudiants, à des degrés
et
à des niveaux très divers de compréhensions, commencent
à
comprendre que les rapports enseignants-enseignés,
dans
l'Université actuelle, reflètent les rapports
de
dépendance sociale et d'aliénation de la
société
capitaliste.
Ils
commencent à prendre conscience que les contradictions
dont
ils sont victimes ne sont qu'un cas
particulier
d'un système de dépendance et d'aliénation
dont
l'exploitation de la classe ouvrière est
l'expression
la plus achevée et la plus significative.
De
là sont nées quelques revendications fondamentales
:
d'abord la revendication d'autonomie des universités,
qui,
contrairement à ce qu'a prétendu
M
. Pompidou à l'Assemblée, est préconisée et définie
dans
le Projet de réforme démocratique de l'enseignement
de
notre parti (p. 139).
Cette
revendication, reprise d'ailleurs dans la résolution
des
doyens condamnant la centralisation
absurde
du système, recouvre deux idées distinctes :
1°
Que les organismes élus, à tous les niveaux : instituts,
facultés,
universités, et conseils nationaux,
n'aient
plus seulement un rôle consultatif, mais un
pouvoir
de décision.
Cette
exigence est exactement dans l'axe du programme
de
notre parti proposant de substituer partout,
aux
agents désignés par le pouvoir central, des
représentants
élus. De même que nous proposons que
les
pouvoirs du préfet soient transférés au président
du
conseil général, professeurs et étudiants demandent
de
remplacer le recteur qui est actuellement une
sorte
de préfet universitaire, par un président élu
de
l'Université.
2°
La deuxième implication de l'idée d'autonomie,
sur
laquelle les étudiants mettent l'accent, c'est la
cogestion, la
participation des étudiants à la gestion.
Là
encore c'est ce que propose le Projet de notre
parti
(p. 139), qui suggérait un conseil démocratique
de
l'Université sur une base paritaire.
Quant
à l'étendue des compétences de ces organismes
elle
recouvre à peu près exactement notre
projet
:
—
fixation des besoins des universités en personnel,
en
locaux et en matériel,
—
discussion des programmes, des méthodes
d'enseignement,
du contrôle des connaissances.
Il
faut d'ailleurs ajouter que l'idée maîtresse dont
découlent
toutes les autres propositions : celle de
la
participation des étudiants, était déjà très clairement
formulée
dès 1963, au congrès de l’U.N.E.F.
de
Dijon par la Corpo des Lettres de Paris.
Déjà
sur ces deux objectifs, même limités, i l n'y
a
rien qui n'aille dans le sens fondamental de notre
politique.
B)
Mais très vite, au fur et à mesure de l'extension
du
mouvement à de larges masses d'étudiants,
et
surtout après le changement qualitatif qui s'est
produit
lors de la répression policière brutale, les
objectifs
se sont étendus, et toujours dans le sens
de
classe défini par le programme du Parti communiste
français.
Il
est remarquable d'ailleurs que la radicalization
des moyens a
précédé la radicalisation des fins.
La
violence même de la réaction policière a facilité
une
prise de conscience plus claire de la nature du
régime
gaulliste. Ce fut le deuxième point caractéristique
de
cette trajectoire : de la lutte partielle
sur
les deux premiers objectifs universitaires a émergé
une
mise en cause politique du régime gaulliste.
Il
devenait apparent que l'on ne pouvait lutter
contre
les structures de l'Université sans se heurter à
l'appareil
d'Etat, et sans mettre en cause le système.
C)
La grève du 13 mai, avec la participation massive
de
la classe ouvrière, et du fait que sa seule
annonce
avait contraint le gouvernement à un premier
recul
et à des concessions, a permis de franchir une
3°
étape dans la prise de conscience d'un grand
nombre
d'étudiants : après la lutte universitaire et
la
lutte politique, un problème de classe était posé.
Cela
n'est certes pas clair dans l'esprit de tous
les
étudiants (ce n'est d'ailleurs pas clair non plus
dans
l'esprit d'un grand nombre d'ouvriers, car
si
ce l'était, ils seraient tous des révolutionnaires militants).
Mais
le problème s'est posé, pour la première fois
avec
tant de force, dans les larges masses d'étudiants,
et
c'est là un fait éminemment positif.
Bien
entendu il s'est posé dans des termes particuliers,
propres
aux étudiants, qui se heurtaient
d'abord
à ceux des aspects du régime qui concernaient
leur
travail, en particulier à l'industrialisation
de
l'Université et à la commercialisation de la culture.
Les
étudiants, dans leur masse, refusent désormais
un
enseignement qui a pour fonction essentielle
de
les préparer à s'intégrer dans un système dont
la
loi est le profit et dont « la loi immanente et
coercitive
», comme disait Marx, est la production
pour
la production, une Université chargée, pour
l'essentiel,
de fournir des cadres aux entreprises privées.
Ils
refusent d'être des rouages dans ce système,
et
ils veulent une culture qui intègre les besoins techniques
au
lieu de leur être subordonnée.
Nul
ne conteste la nécessité et la fécondité d'une
liaison
entre la science, la recherche et la production,
mais
il est remarquable que les monopoles ne conçoivent
pas
cette liaison de la même manière que nous.
Disons,
pour simplifier, qu'en ce qui concerne, en particulier,
l'enseignement
des sciences humaines dans
les
facultés des lettres (notamment la psychologie
et
la sociologie), et, dans les facultés de droit, l'enseignement
de
l'économie politique, coupée des sciences
humaines
et réduite à une technique de gestion
et
d'efficacité, la formation vise moins à aider au
développement
des forces productives qu'à conserver
les
rapports de production.
Il
est remarquable d'ailleurs que la revendication
étudiante
de participation s'esquisse à travers le langage
et
les concepts du marxisme, même si l'usage
en
est souvent confus ou douteux, et que le thème
le
plus fréquent est celui de l'aliénation : le dénominateur
commun
des revendications des étudiants,
c'est
la participation à l'initiative historique contre
la
pesée aliénante des structures.
II/. Les causes d'une lutte de masse.
On
peut les résumer en deux mots : la réforme
Fouchet
et l'aggravation brusque de toutes les contradictions
qu'a
entraînée son application.
Les
conséquences les plus sensibles ont été non
seulement
de maintenir et d'accentuer la discrimination
de
classe et le caractère antidémocratique de
l'Université,
mais de léser ceux mêmes qui avaient
déjà
le privilège d'être à l'Université :
—
D'abord parce qu'elle a introduit dans l'enseignement
supérieur,
avec la licence courte, le même
clivage
que dans le second degré entre le cycle long
et
le cycle court.
—
Ensuite parce que à tous les niveaux et dans
toutes
les disciplines elle a séparé plus que jamais
la
formation technique de la réflexion sur les fins et
sur
le sens du travail et de la société.
Du
point de vue pratique la réforme Fouchet a
aggravé
la crise des débouchés, pas seulement dans
telle
ou telle branche (comme la psychologie ou la
sociologie)
mais d'une manière plus générale : l'interdiction
des
redoublements, l'élimination après un
échec
au premier degré, constituent des barrages supplémentaires
surtout
pour les étudiants travaillant
en
dehors de leurs études, alors que déjà avant la
réforme,
72 % des étudiants n'achevaient pas leur
licence.
Pour ceux mêmes qui ont franchi les barrages
sélectifs,
souvent i l n'y a pas de garantie d'emploi.
L'acuité
de ces problèmes explique que le mouvement
soit devenu si vite un mouvement de masse
soit devenu si vite un mouvement de masse
et
d'une grande combativité.
Dans
un tel mouvement, la prise de conscience
va
très vite. La grève du 13 mai a marqué une étape
de
cette prise de conscience. Elle a permis de situer
l'action
des étudiants dans la perspective de classe
des
luttes ouvrières.
Trois
idées ont, depuis lors, largement avancé :
1°
La conscience du lien interne et profond de cette
lutte
avec celle du mouvement ouvrier;
2°
L'idée qu'une révolution véritable, à notre époque,
ne
peut se faire sans la classe ouvrière;
3°
L'idée que l'on ne peut pas faire une Université
socialiste
dans un monde capitaliste et que la
solution
du problème universitaire suppose la solution
d'un
problème plus vaste.
Il
ne s'agit donc pas de transformer l'Université
d'abord
et la société ensuite, mais de faire en sorte
que
l'Université devienne, dans la société capitaliste,
non
un instrument de conservation de cette société,
mais
un foyer de changement.
A
partir de ces clarifications indispensables, qui
se
sont faites dans l'action même, on peut poser
le
problème de la signification de classe des luttes
des
étudiants.
III/. Signification des luttes
étudiantes et leurs rapports avec les luttes ouvrières.
C'est
un problème théorique fondamental dont
dépend
la manière d'articuler les luttes des étudiants
avec
celles des ouvriers.
A
partir de l'idée fondamentale que la principale
force
révolutionnaire est la classe ouvrière, deux
méthodes
d'approche sont possibles pour essayer de
définir
la signification de classe du mouvement des
étudiants.
Cela tient à la situation même des étudiants
qui,
par définition, est transitoire, prépara-
toire
: on peut donc tenter de déterminer leur situation
de
classe soit par leur passé (leur origine sociale),
soit
par leur avenir (leur fonction future).
On
peut d'abord faire une étude sur les origines
sociales des
étudiants et souligner notamment qu'ils
sont,
dans leur grande majorité, issus des classes
moyennes
et de la petite bourgeoisie, avec seulement
10
% de fils d'ouvriers, ce qui donne une image
inversée
de la nation. Si l'on en tire argument pour
exiger
une démocratisation de l'accès à l'Université,
c'est
parfaitement légitime.
Par
contre il serait faux de vouloir déduire uniquement
de
là notre jugement sur la signification
de
classe du mouvement étudiant. Si par exemple
nous
disons : en raison de leurs origines sociales
les
étudiants ne constituent pas un groupe social
homogène
et la dominante petite-bourgeoise de leurs
origines
leur confère nécessairement les caractères politiques
de
cette petite bourgeoisie, avec ses hésitations,
ses
oscillations, etc., nous nous contentons d'une
sociologie
mécaniste qui n'a rien à voir avec l'analyse
marxiste,
et les conséquences pratiques de cette
erreur
théorique seront meurtrières. Sans aucun doute
les
origines sociales des étudiants se traduisent dans
leur
comportement politique et pèsent d'un poids
très
lourd. Mais il faut rappeler très nettement, du
point
de vue théorique, que ce n'est pas Marx, c'est
Hippolyte
Taine qui a suggéré cette sorte de prédestination
et
ce lien mécanique avec le milieu d'origine.
Marx
ne définit pas l'appartenance de classe par
le
milieu d'origine, mais par la place qu'on occupe
dans le procès de production. Aucun des trois critères
qu'il
donne pour définir un ouvrier ne se réfère
au
milieu d'origine.
C'est
à partir de ces critères que l'on peut aborder
la
question des étudiants, d'une manière évidemment
très
particulière, c'est-à-dire en les définissant par
leurs
fonctions futures. Or, de ce point de vue, un
grand
nombre d'étudiants, notamment tous ceux
qui
se préparent à des fonctions débouchant sur la
production,
qui deviendront ingénieurs, qui fourniront
divers
cadres à la vie économique et à sa gestion,
ceux
même qui s'orientent vers la recherche
scientifique,
auront, à notre époque une place particulière
dans
le processus de production : nous avons
dit
et répété, avec juste raison, qu'à notre époque
la science est devenue une force productive directe.
Il
en découle que ceux qui la pratiquent présentent,
du
point de vue de classe, des caractères nouveaux :
1.
Non seulement, comme par le passé — et comme
les
ouvriers — ils ne possèdent pas les moyens de
production.
2.
Mais ils sont eux aussi, comme les ouvriers,
producteurs
de plus-value; ils font partie intégrante
du
« travailleur collectif » dont parlait Marx dans
le Capital(1
2, p. 30 à 52).
3.
Reste le troisième critère : le critère subjectif
de
la conscience de classe. Or ces couches d'intellectuels
se
trouvent, depuis quelques années, par suite
du
développement des forces productives, et notamment
des
applications de la cybernétique à la production,
à
l'organisation et à la gestion, dans des
conditions
favorables à la prise de conscience des
contradictions
fondamentales et des contradictions
nouvelles
du capitalisme.
Or
les étudiants ne vivent pas seulement au futur
ces
contradictions en réfléchissant sur le rôle contradictoire
qui
leur sera assigné par le système lorsqu'ils
sortiront
de l'université pour devenir l'encadrement
de
ce système dont il n'est pas question de discuter
les
fins ni le sens.
Si
le thème de l'aliénation est si largement répandu,
c'est
parce que, plus ou moins confusément — et
plutôt
plus que moins — beaucoup d'étudiants sentent
l'analogie
croissante de cette situation avec celle
de
l'ouvrier dans l'entreprise, même si au départ,
comme
nous l'avons noté, cette analogie est conçue
très
faussement, par exemple en assimilant le professeur
au
patron et à l’Etat-patron (de même qu'aux
premières
étapes du mouvement ouvrier, comme le
rappelle
Engels, la lutte de classe encore instinctive
et
primitive tournait les colères contre les machines
ou
le contremaître, et non contre le système capitaliste
lui-même).
C'est
pourquoi la classe ouvrière et son parti peuvent
et
doivent faciliter le passage à une véritable
conscience
révolutionnaire chez les étudiants en s'attachant
fortement
à dégager le lien interne et profond
entre les aspirations des étudiants (même si
entre les aspirations des étudiants (même si
elles
prennent des formes encore utopiques ou anarchiques,
qui
donnent facilement prise à la diversion
et
à la provocation) et les objectifs de la classe
ouvrière.
En
ne perdant pas de vue le fait nouveau, à
l'étape
actuelle du développement des forces productives,
qu'il
existe un fondement de classe objectif
aux
luttes des étudiants et que cette lutte a
des
implications objectivement révolutionnaires.
Ce
fondement objectif explique que si, au temps
de
Marx et d'Engels (l'un fils de petit-bourgeois et
l'autre
de grand bourgeois), le passage aux positions
de
la classe ouvrière, pour des intellectuels, demeurait
un
phénomène individuel — car il n'avait qu'une
base
subjective : « l'intelligence du mouvement historique»,
comme écrit Marx dans le Manifeste —,
comme écrit Marx dans le Manifeste —,
ce
passage devient aujourd'hui un phénomène de
masse,
car il repose sur la base objective des rapports
de
classe liant le « travailleur collectif » (dont un
nombre
croissant d'intellectuels font partie intégrante)
au
système capitaliste.
Evidemment,
chez les étudiants, en raison de leur
situation
même, qui est celle de futurs producteurs,
la
tendance sera à mettre l'accent, de façon unilatérale,
sur
l'avenir, sur les perspectives, et sur l'aspect
idéologique
ou même moral du problème, avec tous
les
risques d'utopisme et d'anarchisme que cela implique,
avec toutes les possibilités d'exploitation démagogique
avec toutes les possibilités d'exploitation démagogique
et
même policière.
Mais
rien de tout cela ne doit estomper pour nous
l'essentiel
ni nous empêcher d'établir un rapport juste
entre
la lutte de classe des ouvriers et le mouvement
des
étudiants.
S'en
tenir à l'analyse mécaniste du sociologisme
vulgaire
sur les seules origines sociales conduirait à
une
sorte de paternalisme considérant le mouvement
étudiant
dans son ensemble comme éternellement
mineur,
allié nécessairement instable comme le sont
les
couches petites-bourgeoises dont proviennent, en
général,
les étudiants.
Si,
au contraire, nous abordons plus largement
le
problème, en situant le rôle de l'intellectuel comme
partie
intégrante du « travailleur collectif » à une
époque
où la science devient une « force productive
directe
», et la situation de l'étudiant à travers cette
fonction
future, nous pourrons articuler correctement
la
lutte des ouvriers et celle des étudiants.
La
classe ouvrière de France a défini ses objectifs:
revendications de salaires, diminution des cadences
revendications de salaires, diminution des cadences
et
du temps de travail, participation active
à
la gestion de la Sécurité sociale, extension des
pouvoirs
des comités d'entreprises, planification
démocratique.
Le dénominateur commun de toutes
ces
exigences d'une démocratie ouvrant la voie au
socialisme
est l'exigence fondamentale que chaque
travailleur,
au lieu d'être un instrument passif aux
mains
du capital, devienne un participant actif, créateur,
à
l'orientation de l'économie contre le régime
des
monopoles, à l'élaboration de la politique afin
de
substituer partout des représentants élus à des
agents
désignés par le pouvoir central. Enfin la classe
ouvrière
exige, comme le souligne le programme du
Parti
communiste français, des possibilités égales pour
tous
d'accéder à la culture, à une culture qui ne
soit
plus mise au service des monopoles mais une
création
consciente de l'avenir.
Que
le mouvement des étudiants soit perturbé par
des
tentatives de surenchère et d'aventures, par des
provocations
qui le divisent, l'affaiblissent et facilitent
la
répression, cela nous invite à la vigilance, mais ne
doit
en aucun cas estomper le lien interne et profond
de ce mouvement avec le mouvement ouvrier.
de ce mouvement avec le mouvement ouvrier.
Les
étudiants font du rôle maléfique du système
des
monopoles une expérience spécifique; ils sont,
par
leur travail même, nécessairement plus sensibles
à
tous les obstacles mis à une participation active
à
la recherche du sens et des fins. Leur lutte met
l'accent
sur cet aspect central de l'exigence révolutionnaire
et
contribue à la rendre plus riche encore en
humanité.
Articuler
cette lutte avec celle des travailleurs,
prendre
conscience de leur unité et la renforcer,
c'est
le gage de la victoire commune.
Pourquoi
ces problèmes se posent-ils de façon si
aiguë
pour cette génération d'étudiants?
Parce
qu'une brusque accélération du rythme du
développement
humain les fait arriver à l'âge d'homme
à
un moment de fracture de l'histoire.
Il
s'est produit, au cours des vingt dernières années,
plus
de changements scientifiques et techniques qu'il
ne
s'en était produit en deux mille ans. Un rapport
de
l'Unesco rappelait qu' « il y a actuellement dans le
monde
autant de savants créateurs vivants qu'il en
a
existé au total depuis les origines de l'humanité ».
Les
jeunes gens qui ont aujourd'hui vingt ans ont
l'âge
de la fission de l'atome et de la cybernétique.
Du
point de vue social, leurs pères étaient contemporains
de
la révolution d'Octobre, eux émergent
à
la vie consciente au lendemain du XX* Congrès
et
des problèmes nouveaux qu'il posait. Ils ont aussi
l'âge
des grands mouvements de libération nationale
et
des révolutions socialistes d'Asie et d'Amérique
latine.
Jusque-là l'Europe et l'Amérique du Nord
apparaissaient
comme les seuls centres d'initiative
historique
et les seuls créateurs de valeurs. La renaissance
des vieilles civilisations non occidentales, qui
des vieilles civilisations non occidentales, qui
s'assignèrent
des fins différentes de la seule création
technique
et de la production pour la production,
caractéristique
du capitalisme occidental, leur a posé
des
problèmes et les a conduits à des mises en
question.
Et ceci d'autant plus qu'ils ont aussi l'âge
de
la radio et de la télévision : le monde entier leur
est
chaque jour présent comme il ne l'a été pour
aucune
génération antérieure.
De
là naissent, en bourrasques, ces grandes interrogations
et
ces grandes révoltes, ces mises en cause
fondamentales
de leur raison d'être.
Disons
sans réticence que cette brusque mutation
est
de signe positif.
Nous,
qui avons la fierté d'appartenir à un parti
révolutionnaire,
loin de nous transformer en pleureuses
de
l'histoire, nous accueillons avec joie cette merveilleuse
levée
humaine.
Elle
est, croyons-nous, un moment important de
la
lutte contre le faux ordre capitaliste, pour la
construction
d'une société nouvelle et la création de
rapports
nouveaux entre la société, la science, la culture
et
l'art.
La
première grande mise en cause du système
capitaliste,
en son principe même, a été celle de Karl
Marx
et des partis marxistes.
La
première révolution qui ait abattu le capitalisme
dans
un grand pays et qui, par son exemple, l'a
menacé
dans le monde entier, est la révolution socialiste
d'Octobre
1917.
Pourquoi,
dira-t-on alors, le problème étudiant se
pose-t-il
aussi à Varsovie ou à Prague? N'est-ce pas
une
crise générale propre à toutes les « sociétés industrielles
»,
quel que soit leur régime? Et ne s'agit-il
pas
d'un conflit de générations, la jeunesse refusant
la
« société de consommation » construite par ses
aînés?
La
question, en fait, se pose en termes fondamentalement
différents dans un pays capitaliste et dans
différents dans un pays capitaliste et dans
un
pays socialiste.
Dans
un pays capitaliste, la « production pour la
production
» (et la « consommation pour la consommation
»
qui en est le corollaire) découle des principes
mêmes
d'une économie dont le seul moteur
est
la loi du profit.
Il
n'en est pas ainsi dans les pays socialistes. Ce
qui
a pu masquer cette différence de principe c'est
que
le socialisme a commencé à être construit dans
des
pays qui avaient un très grand retard économique
et
technique; ils ont donc dû accomplir simultanément
deux
tâches : construire le socialisme et
vaincre
le sous-développement. L'interférence de ces
deux
tâches fondamentales a conduit nécessairement,
et
pour de longues années, à donner une priorité
absolue
à l'essor de la production, permettant de
rattraper
le retard. Accomplir cette tâche étant, pour
les
pays socialistes, une question de vie ou de mort,
il
est vrai que ce qui était un moyen a pu donner
l'impression
d'une fin en soi.
Il
convient d'ajouter aussi que des erreurs subjectives
ont
conduit à prolonger au-delà du temps
nécessaire
l'extrême concentration et l'extrême centralisation
des
ressources et des pouvoirs, avec tout
ce
que cela comportait de déformations bureaucratiques
et
autoritaires.
Le
premier pays où ces erreurs sont apparues avec
force
est précisément le seul des Etats socialistes
qui
ait commencé la construction du socialisme dans
un
pays déjà hautement industrialisé : la Tchécoslovaquie.
La
correction s'effectue dans des conditions
difficiles,
certes, et sous le feu d'ennemis implacables
qui
tentent d'exploiter la situation non pour amender
le
socialisme mais pour le détruire, mais elle s'effectue,
et
son succès donnera un grand exemple des
possibilités
du socialisme dans un pays très développé.
En
bref, dans les sociétés socialistes, la tendance
à
tout subordonner au progrès de la production,
à
la solution des problèmes de la production, avait
un
caractère provisoire.
[IV/ Le
rôle de la classe ouvrière.]
Dans les pays capitalistes, il ne s'agit pas d'un phénomène
Dans les pays capitalistes, il ne s'agit pas d'un phénomène
de
conjoncture, ni d'erreurs subjectives et
de
déformations, et il n'est pas de possibilités de
réforme.
Il s'agit d'un trait permanent et nécessaire
découlant
des conditions objectives du mode de
production
capitaliste : une révolution est nécessaire
pour
briser la loi même du régime.
Or
l'âme de cette révolution, contrairement aux
thèses
du professeur Marcuse, c'est la classe ouvrière,
dont
l'importance ne cesse de croître, tant du point
de
vue numérique que du point de vue de son rôle
historique.
Lorsqu'en
France plus de dix millions d'ouvriers
sont
en grève, occupent les usines et tiennent la rue,
il
est piquant de lire dans le livre d'Herbert Marcuse
que
« les ouvriers sont de plus en plus impuissants
et
résignés » (l'Homme unidimensionnel, traduction
française,
Editions de Minuit, p. 55).
La
thèse de Marcuse repose sur trois postulats :
une
définition restrictive du concept de révolution,
une
définition plus étroite encore de la classe ouvrière,
une
définition périmée des contradictions internes du
système
capitaliste.
La
définition de la révolution part de l'analyse
faite
par Marx au milieu du XIXe siècle
en se fondant
sur
l'étude des contradictions de la société capitaliste
alors
la plus développée : celle de l'Angleterre. Marx
n'a
jamais prétendu donner ainsi de la révolution une
définition
valable pour tous les pays et pour toutes
les
époques. La généralisation de Marcuse constitue
donc
une interprétation et une déformation dogmatique
de
la pensée de Marx.
Le
but de celui-ci était avant tout pratique : il
s'agissait
pour lui de transformer le monde. Sa théorie
n'est
pleinement intelligible qu'en fonction de
cette
pratique. Le marxisme a pour objet de donner
à
l'homme la pleine responsabilité de son histoire.
C'est
une conception du monde fondant une méthodologie
de
l'initiative historique. Marx nous apprend
à
déterminer rigoureusement, à chaque époque et
dans
les conditions propres à chaque pays, le possible
à partir des
contradictions existantes.
Un
marxiste n'est donc pas essentiellement un érudit
commentant
les textes de Marx, mais un militant
qui
a suffisamment assimilé les thèses de Marx pour
dégager
les contradictions spécifiques, propres à son
peuple
et à son temps.
La
définition de la révolution donnée par Marcuse
est
donc restrictive et empirique. Il en est de même
de
sa définition de la classe ouvrière.
Marx
n'a jamais défini une classe sociale par son
niveau
de vie : ce n'est pas la propriété d'une auto,
d'un
appareil de télé ou d'un réfrigérateur qui fait
cesser
un ouvrier d'être un ouvrier.
Or,
à notre époque — où en raison du développement
des
techniques la science est devenue une force
productive
directe — non seulement la classe ouvrière
ne
perd de son importance ni du point de vue numérique
ni
du point de vue historique, mais, au
contraire,
elle grandit en nombre et en poids.
D'abord
parce qu'une quantité croissante de techniciens,
d'ingénieurs,
de chercheurs deviennent partie
intégrante
du « travailleur collectif ».
Ensuite
parce que la mécanisation des travaux
administratifs
et des fonctions de gestion efface de
plus
en plus les frontières entre l'employé devenu
manipulateur
de machines calculatrices, par exemple,
et
l'ouvrier travaillant dans les conditions de l'automation.
Enfin
parce que l'extension du machinisme agricole
fait
d'un grand nombre de travailleurs de la
campagne
(conducteurs de tracteurs, par exemple)
des
ouvriers très proches de l'ouvrier d'usine.
Le
professeur Marcuse pose un troisième problème :
cette
classe ouvrière ne peut plus exercer dans les
pays
industrialisés une « fonction de négativité », un
rôle
révolutionnaire dans la société.
Cette
thèse repose sur un postulat : que cette classe
ouvrière,
au sens très large qu'elle a aujourd'hui, ne
puisse
plus avoir conscience des contradictions qui
l'opposent
au système capitaliste parce que ces contradictions
seraient
en train de disparaître.
Or,
à l'étape actuelle du développement des forces
productives,
non seulement les contradictions découvertes
par
Marx entre les forces productives et les
rapports
de production n'ont pas été surmontées
par
le capitalisme mais de nouvelles contradictions,
qui
n'existaient pas au temps de Marx, sont apparues
qui
confirment et aggravent les précédentes.
Et
elles contribuent à rendre de plus en plus sensible
et
insupportable l'irrationalité d'un système qui exige
du
travailleur le maximum d'initiative dans ses tâches
techniques
et une obéissance inconditionnelle au propriétaire
privé
ou collectif des moyens de production.
Cette exigence de participer activement à la détermination
des fins et du
sens de la production est ainsi le
dénominateur commun des aspirations des étudiants
et des objectifs conscients de la classe ouvrière.
Le
problème de leurs rapports ne peut donc être
posé
en termes de rivalité ou de subordination
(encore
moins d'antagonisme). Le mouvement ouvrier
et
le mouvement étudiant sont des moments d'une
même
totalité.
Le
marxisme demeure l'instrument théorique le
plus
efficace de la transformation révolutionnaire du
monde.
D'abord parce qu'il constitue une méthode
scientifique
permettant la détermination théorique
des
contradictions nouvelles du système; ensuite
parce
qu'il fournit une méthode scientifique permettant
de
définir les forces capables de les surmonter
et
les formes de leur organisation, en montrant pourquoi
la
classe ouvrière, dans des conditions et sous
des
formes nouvelles, demeure la principale force
révolutionnaire.
Roger
Garaudy
Article reproduit dans « Toute
la vérité », Grasset, 1970