Je ne puis nier
que je suis,
que je suis cerné d'êtres dont je dépends, l'air que je respire, le sol qui me
porte, 1a nourriture des plantes et des animaux et de ceux qui les apprêtent
pour moi.
Ils n’existent pas seulement parce que je les
vois ou les pense, mais parce que sans eux je ne serais pas.
Telle est ma certitude première.
Mais de quelle réalité s'agit-il?
En rêve je vois aussi des choses semblables.
Quelle différence, demandait un philosophe chinois,
entre un papillon qui rêve être TCHOUANG TSEU et TCHOUANG TSEU rêvant qu'il est
un papillon ?
Il ne peut s'agir d'une différence de durée
de l'illusion car le présent seul, comme l'a vu SAINT AUGUSTIN a une réalité
réelle:1e passé et le futur "tirant leur être de l'éternel présent car le
passé n'est plus et l'avenir n'est pas encore ."
Ils ne sont présents que dans les représentations
de notre esprit."
L'un est souvenir, 1'autre est attente.
L'un et l'autre ne tirant leur réalité que de
celle de ce présent éternel.
Ce que je mesure n'est pas le temps, mais,
par exemple, le mouvement des arbres dans l'espace, ou l'écoulement du sable
dans un sablier,1'engrenage des roues d'une horloge, les affaiblissements de
mon corps, en fonction de mon âge, ou la désintégration d'une particule de carbone
14.
Nous créons le temps par un découpage de 1'espace.
De quoi, dépassant cette illusion, Maître ECKHART témoigne de cet apparent
paradoxe. Le "maintenant pendant lequel je vous parle, et le dernier jour
est aussi proche de ce maintenant que le jour qui fut hier". (Sermon IX)
Nous en reparlerons quand il s’ agira de la mort.
Mais alors quelle est la relation entre la réalité
réelle et l'illusion que j'en puis avoir dans le rêve ou pleinement éveillé ?
La relation elle-même, lorsque je ne
m'abandonne pas à l'illusion de 1'être. De l'être insulaire et solitaire. Je ne
suis pas un être. Les "choses", qui m'entourent ne sont pas des êtres
séparés les uns des autres comme des atomes d'EPICURE par le vide. Ce sont là des
survivances qui ont façonné nos esprits près de 2.500 ans, par la conception de
"1'ETRE" fabriquée par les grecs au temps de PARMENIDE, de PLATON,
d'ARISTOTE et ravivées encore par le mécanicien DESCARTES pour qui le monde, et
même les animaux n'étaient que machines, avant qu'avec son disciple plus conséquent
LAMETTRIE l l’homme auss ne soit que machine.
Il est temps de nous ébrouer, de faire voler
en éclats ces coquilles et ces cocons, ces carcans de chrysalides où cette larve
de chenille. Alors la vie va découvrir cigale bruissante ou papillon coloré, comme
dans la pensée vierge et matinale des UPANISHADS du TAO, d'avant les sécessions
de l'Occident.
Repartir à zéro après 25 siècles d'enfermement
dans une philosophie de 1’être, pour retrouver le sens de la poésie et des
voyances de l'Orient, le sens de l'acte vrai de la BHAGAVAD GITA.
Dépassé la longue robotisation du monde et de
l'humain débouchant sur les apocalypses du XX ème siècle, le plus mortifère et
le plus sanglant de ce qu'il est convenu d'appeler "l'histoire
humaine", c'est à dire un long naufrage dans une préhistoire bestiale faite
de guerres et de dominations pour privilège de peuple élu ou de
"modernité" dans le colonialisme hautain, méprisant de toutes les tentatives
d'éclosion de la vie dans le monde. Le monde de ceux que l'on appelle barbares,
non élus, païens.
Dans le prise de conscience de cette résurrection,
rejetant dans la nuit les fantômes de 1'"ETRE", il y a les
subversions de la science moderne: celle de la relativité et des
"quantas" désintégrant un à un tous les postulats délétères des
pseudo-rationalismes grecs, de la cage géométrique où nous enfermait EUCLIDE, des
prisons d'ARISTOTE, du broyage de l'humain dans les engrenages de la mécanique
cartésienne; ou les sordides
prisons du positivisme qui, depuis Auguste COMTE,
fournissent au scientisme régnant ses oeillères et ses limites, son refus des
questionnements. Avec sa mort peut recommencer, après des millénaires, la
recherche du sens et des fins. Les découvreurs iconoclastes comme les poètes du
surréel nous criant enfin: "Faites entrer l'infini!"
Il fallut trouver un nouveau départ pour nos commencements,
quitte à y rencontrer parfois d'anciennes cosmogonies épiques plus proches, en
leurs frustes intuitions, de la vision du monde de la science actuelle que les
faux "rationalismes"des déraisons millénaires, et les noeuds
de relations et interférences d'actes.
Il importe de préciser: en Occident ,car ce préjugé
tenace n'était professé nulle part ailleurs: en Inde ou en Chine, par exemple, la
géométrie n'avait aucun statut ni privilège philosophique ou théologique particulier
par rapport aux autres sciences de la nature.
Elle était pourtant si puissamment développée
que les mathématiques connurent un développement considérable lorsque fut traduit
en arabe, par ordre du Calife AL MAMOUN, au IX ème siècle, le
"Siddhanta" de l'astronome indien BRAHMAGUPTA. Les Arabes, qui
avaient appris des chinois, au IX ème siècle, la technique de la fabrication du
papier, qui bouleversa les conditions d'expression de la culture, introduisirent
la science vivante dans une Europe où la recherche scientifique était paralysée
depuis des siècles par les spéculations d'une théologie dogmatique et inquisitoriale
et de la philosophie aristotélicienne qui en était la servante syllogisée.
La spiritualité orientale a toujours souligné
que la réalité ne peut pas s'identifier aux concepts que nous en formons et aux
mots qui expriment ces concepts.
Les astronomes chinois, par exemple, n'ont
jamais prétendu assujettir le parcours des astres ou les structures des choses
à des formes géométriques: ils étudiaient les formes et les mouvements sous la
forme "non représentative" de l'algèbre.
Il en est de même pour la pensée indienne, consciente
de la relativité des conceptions de l'espace et du temps. Des siècles avant les
réflexions de SAINT AUGUSTIN sur le temps dans ses "CONFESSIONS ".
Roger GARAUDY
Document de travail. Archives personnelles de
RG. Années 1990
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