17 octobre 2016

Je ne puis nier que je suis...mais qui suis-je ? Par Roger Garaudy

Je ne puis nier que je suis, que je suis cerné d'êtres dont je dépends, l'air que je respire, le sol qui me porte, 1a nourriture des plantes et des animaux et de ceux qui les apprêtent pour moi.
Ils n’existent pas seulement parce que je les vois ou les pense, mais parce que sans eux je ne serais pas.
Telle est ma certitude première.
Mais de quelle réalité s'agit-il?
En rêve je vois aussi des choses semblables.
Quelle différence, demandait un philosophe chinois, entre un papillon qui rêve être TCHOUANG TSEU et TCHOUANG TSEU rêvant qu'il est un papillon ?
Il ne peut s'agir d'une différence de durée de l'illusion car le présent seul, comme l'a vu SAINT AUGUSTIN a une réalité réelle:1e passé et le futur "tirant leur être de l'éternel présent car le passé n'est plus et l'avenir n'est pas encore ."
Ils ne sont présents que dans les représentations de notre esprit."
L'un est souvenir, 1'autre est attente.
L'un et l'autre ne tirant leur réalité que de celle de ce présent éternel.
Ce que je mesure n'est pas le temps, mais, par exemple, le mouvement des arbres dans l'espace, ou l'écoulement du sable dans un sablier,1'engrenage des roues d'une horloge, les affaiblissements de mon corps, en fonction de mon âge, ou la désintégration d'une particule de carbone 14.
Nous créons le temps par un découpage de 1'espace. De quoi, dépassant cette illusion, Maître ECKHART témoigne de cet apparent paradoxe. Le "maintenant pendant lequel je vous parle, et le dernier jour est aussi proche de ce maintenant que le jour qui fut hier". (Sermon IX)

Nous en reparlerons quand il s’ agira de la mort.
Mais alors quelle est la relation entre la réalité réelle et l'illusion que j'en puis avoir dans le rêve ou pleinement éveillé ?
La relation elle-même, lorsque je ne m'abandonne pas à l'illusion de 1'être. De l'être insulaire et solitaire. Je ne suis pas un être. Les "choses", qui m'entourent ne sont pas des êtres séparés les uns des autres comme des atomes d'EPICURE par le vide. Ce sont là des survivances qui ont façonné nos esprits près de 2.500 ans, par la conception de "1'ETRE" fabriquée par les grecs au temps de PARMENIDE, de PLATON, d'ARISTOTE et ravivées encore par le mécanicien DESCARTES pour qui le monde, et même les animaux n'étaient que machines, avant qu'avec son disciple plus conséquent LAMETTRIE l l’homme auss ne soit que machine.
Il est temps de nous ébrouer, de faire voler en éclats ces coquilles et ces cocons, ces carcans de chrysalides où cette larve de chenille. Alors la vie va découvrir cigale bruissante ou papillon coloré, comme dans la pensée vierge et matinale des UPANISHADS du TAO, d'avant les sécessions de l'Occident.
Repartir à zéro après 25 siècles d'enfermement dans une philosophie de 1’être, pour retrouver le sens de la poésie et des voyances de l'Orient, le sens de l'acte vrai de la BHAGAVAD GITA.
Dépassé la longue robotisation du monde et de l'humain débouchant sur les apocalypses du XX ème siècle, le plus mortifère et le plus sanglant de ce qu'il est convenu d'appeler "l'histoire humaine", c'est à dire un long naufrage dans une préhistoire bestiale faite de guerres et de dominations pour privilège de peuple élu ou de "modernité" dans le colonialisme hautain, méprisant de toutes les tentatives d'éclosion de la vie dans le monde. Le monde de ceux que l'on appelle barbares, non élus, païens.  
Dans le prise de conscience de cette résurrection, rejetant dans la nuit les fantômes de 1'"ETRE", il y a les subversions de la science moderne: celle de la relativité et des "quantas" désintégrant un à un tous les postulats délétères des pseudo-rationalismes grecs, de la cage géométrique où nous enfermait EUCLIDE, des prisons d'ARISTOTE, du broyage de l'humain dans les engrenages de la mécanique cartésienne; ou les sordides
prisons du positivisme qui, depuis Auguste COMTE, fournissent au scientisme régnant ses oeillères et ses limites, son refus des questionnements. Avec sa mort peut recommencer, après des millénaires, la recherche du sens et des fins. Les découvreurs iconoclastes comme les poètes du surréel nous criant enfin: "Faites entrer l'infini!"
Il fallut trouver un nouveau départ pour nos commencements, quitte à y rencontrer parfois d'anciennes cosmogonies épiques plus proches, en leurs frustes intuitions, de la vision du monde de la science actuelle que les faux "rationalismes"des déraisons millénaires, et les noeuds de relations et interférences d'actes.
Il importe de préciser: en Occident ,car ce préjugé tenace n'était professé nulle part ailleurs: en Inde ou en Chine, par exemple, la géométrie n'avait aucun statut ni privilège philosophique ou théologique particulier par rapport aux autres sciences de la nature.
Elle était pourtant si puissamment développée que les mathématiques connurent un développement considérable lorsque fut traduit en arabe, par ordre du Calife AL MAMOUN, au IX ème siècle, le "Siddhanta" de l'astronome indien BRAHMAGUPTA. Les Arabes, qui avaient appris des chinois, au IX ème siècle, la technique de la fabrication du papier, qui bouleversa les conditions d'expression de la culture, introduisirent la science vivante dans une Europe où la recherche scientifique était paralysée depuis des siècles par les spéculations d'une théologie dogmatique et inquisitoriale et de la philosophie aristotélicienne qui en était la servante syllogisée.
La spiritualité orientale a toujours souligné que la réalité ne peut pas s'identifier aux concepts que nous en formons et aux mots qui expriment ces concepts.
Les astronomes chinois, par exemple, n'ont jamais prétendu assujettir le parcours des astres ou les structures des choses à des formes géométriques: ils étudiaient les formes et les mouvements sous la forme "non représentative" de l'algèbre.
Il en est de même pour la pensée indienne, consciente de la relativité des conceptions de l'espace et du temps. Des siècles avant les réflexions de SAINT AUGUSTIN sur le temps dans ses "CONFESSIONS ".

Roger GARAUDY
Document de travail. Archives personnelles de RG. Années 1990

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