Ramon Lull (1232-1316) […] dut combattre intégrisme et
répression
: il naquit l'année même où l'Inquisition était
confiée
aux Dominicains. Il avait 12 ans lorsque les derniers
Cathares
étaient brûlés sur les bûchers de Montségur. Il a 42
ans
lorsqu'en 1274 Saint Thomas d'Aquin publie sa Somme
théologique. Il
a 59 ans lorsque les derniers croisés sont
contraints
à se rembarquer pour l'Europe à Saint-Jean d'Acre,
en
1294, après l'échec de la huitième Croisade.
Il
meurt en 1316, mais sa pensée est condamnée comme hérétique
en
1376 par le Pape Grégoire XI pour n'être réhabilitée
qu'en
1419, par le Pape Martin V.
Son
oeuvre est dominée par un esprit missionnaire : il fait serment,
dès
sa propre conversion, de « ne se donner ni repos ni
consolation tant que le monde entier ne louerait pas le
Dieu trine et
un. » (Libre
de contemplaciô, ch.358, 30). Et ceci, non par
contrainte
et violence mais au contraire en se faisant le procurateur
des infidèles.
C'est
pour convaincre mieux qu'il inventa, en son Ars Magna,
une
méthode de pensée universelle, sans rapport avec la
logique
d'Aristote et de Saint Thomas, mais qui constitue une
première
ébauche de la combinatoire de Leibniz poursuivant
le
rêve d'une langue universelle .
De
même que Leibniz s'intéressait, pour atteindre ce but, à la
langue
chinoise et aux hexagones du Yi-King, Ramon Lull traduit,
en
1276, la logique du philosophe musulman Al Ghazali,
et,
s'inspirant de la mystique des soufis écrit le Livre d'Evast
et de Blaquerne, à
la fois roman et utopie, évoquant le cheminement
spirituel
de l'homme mais aussi l'image d'une société
idéale,
englobant l'humanité tout entière et assurant la paix
de
tous.
A
partir de là, l'homme va pouvoir se consacrer à la méditation
et
découvrir Dieu dans l'amour. C'est le Livre de l'ami et
de l'aimé. L'aimé
c'est Dieu fait homme et crucifié.
Pour
convaincre les musulmans, en 1307, à Bougie, il emprunte
à
ses interlocuteurs leurs méthodes et leur langage comme
l'ont
montré les plus grands arabisants espagnols, Julian
Ribeira
et Asin Palacios.
Il
use même de leur langue, écrivant en arabe, en 1270, son
Livre du g e n t i l et des trois sages. Les trois sages sont un rabbin,
un
prêtre chrétien et un sarrazin. Le gentil est un athée
qu'ils
essaient de conduire à la foi.
Désespéré
d'abord par leurs divergences, l'athée les rejoint
finalement
dans une foi commune lorsque l'un d'eux reconnaît:
« Les hommes sont tellement enracinés dans la foi qu'ont choisie
« Les hommes sont tellement enracinés dans la foi qu'ont choisie
pour eux leurs parents et leurs maîtres qu'il est
impossible de les
en arracher. »
Par contre il existe une foi fondamentale et première,
à
travers la diversité des cultures, et celle-ci est
accueillie
par le gentil sans que les trois sages veuillent
connaître
laquelle des trois religions il avait choisie. L'un
d'eux
dit en conclusion : « Nous devons tirer profit de l'aventure
que nous venons de vivre. Nous nous rencontrerons jusqu'à
ce que
nous ayions tous les trois une seule foi. » Ils font ensemble le serment
de
porter cette vérité au monde « dès qu'ils seraient unis
par une même foi. »
Au
principe et au terme de la vision de Ramon Lull, il y a
l'amour
par lequel l'être fini prend conscience de son insuffisance
par
rapport à l'infinité à laquelle il aspire. C'est le
moteur
de sa vie : être c'est agir pour dépasser sa finitude,
c'est
à dire pour travailler à l'harmonie du monde en découvrant
que
Dieu est en nous ce qu'il y a de plus intime et nous
appelle
à poursuivre son oeuvre de création de cette unité de
soi-
même, du monde et de Dieu.
Roger Garaudy
L’avenir mode d’emploi, pages 332-333
L’avenir mode d’emploi, pages 332-333